M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’asile est un droit, c’est aussi un devoir, car respecter le droit d’asile, c’est signifier ce que l’on souhaite comme société – une société qui respecte l’humanité, la liberté et la dignité de chaque personne.
L’immigration, en revanche, est une politique, avec des principes, des objectifs et des moyens en cohérence.
M. François Bonhomme. Et des frontières !
M. Jean-Yves Leconte. Malheureusement, de plus en plus, l’immigration est aussi le moyen de faire de la politique à partir des peurs, en les développant jusqu’à l’irrationnel. (M. Roger Karoutchi s’exclame.)
Dans ce jeu, certains sont actifs, développant la haine, stigmatisant les différences. D’autres sont passifs, craignant qu’une confrontation avec ce qu’ils pensent de l’opinion publique ne leur ferme la route du pouvoir. Ils illustrent ce que Soljenitsyne avait appelé le déclin du courage !
M. François Bonhomme. Désespérant !
M. Jean-Yves Leconte. Ces deux attitudes ont la même conséquence : une fracturation progressive de la société.
Je dis cela non pas en ignorant les difficultés actuelles, mais en souhaitant trouver les moyens de les résorber, plutôt que de les aggraver. N’ayons pas peur en parlant d’intégration. Mais, si l’on veut parler d’intégration, ne stigmatisons pas et ne confondons pas politique de lutte contre la fraude et politique d’intégration !
Pour être intégré, lorsque l’on est étranger dans un pays, il faut s’y sentir bien ; il ne faut pas se sentir différent. Je veux que mon pays réponde à cette exigence.
Nous devons être attentifs aux droits des personnes en situation régulière, faire en sorte que l’OFII ait les moyens d’agir pour les intégrer, faire en sorte que ces personnes puissent apprendre la langue française et veiller à ce que les files d’attente en préfecture ou numériques ne transforment pas des situations régulières en situations irrégulières.
Il faut aujourd’hui deux rendez-vous pour obtenir un récépissé provisoire à la suite d’une demande de renouvellement de titre de séjour. Ce document est obtenu quasiment au bout d’un an, c’est-à-dire au moment de son expiration. Telle est la situation actuelle !
Des personnes sont considérées comme étant en situation irrégulière simplement parce qu’elles ne peuvent pas prendre rendez-vous. Comment peut-on les intégrer dans ce contexte ?
Parlons des naturalisations : vous vivez en France, y êtes heureux, vous vous considérez comme français, parlez la langue et partagez les valeurs du pays. C’est alors que vous voulez déposer un dossier de demande de naturalisation par déclaration de nationalité au titre du mariage. Et là, c’est une grande gifle ! Vous vous rendez compte que, aux yeux de l’administration, vous n’êtes pas français.
M. Roger Karoutchi. Si l’on demande sa naturalisation, c’est précisément parce que l’on n’est pas français ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Yves Leconte. Il faut changer les choses si l’on veut intégrer !
Dans le domaine de l’asile, il y a certes des évolutions importantes concernant l’Ofpra et la CNDA. Mais le constat que nous faisons sur la politique d’hébergement est que le dispositif national d’accueil est totalement inopérant.
Entre 2012 et 2017, il y avait plus de 80 % de places ouvertes dans les centres d’accueil pour demandeur d’asile, les CADA. Sur les trois premières années de ce quinquennat, il n’y en a plus que 8 %.
La norme pour l’accueil des demandeurs d’asile, c’est aujourd’hui la rue. Je ne parle pas seulement de ceux qui font l’objet d’une procédure « Dublin », pour qui c’était déjà le cas, mais de tous les demandeurs.
Comment voulez-vous que les CADA, qui sont les seules structures dans lesquelles ces personnes sont accueillies dans le respect du droit et avec dignité, où l’on gère les traumatismes, où l’on étudie les demandes d’asile dans des conditions correctes et où l’on peut traiter les maladies, puissent faire face à leurs missions ? Moins de 50 % des demandeurs d’asile passent actuellement par un CADA !
Il y a 43 000 places en CADA et 51 000 places dans les centres d’hébergement d’urgence, les CHU, qui accueillent aussi de nombreux enfants lorsque ceux-ci ne sont pas à la rue. Voilà la situation ! Rien n’est prévu dans ce budget pour faire évoluer la situation en termes d’hébergement.
Sans hébergement, comment voulez-vous intégrer ? Comment les demandeurs d’asile peuvent-ils se sentir à l’aise si l’on ne développe pas leur autonomie, si on ne leur donne pas le droit de travailler ? Pour toutes ces raisons, il n’est pas possible de voter les crédits de cette mission.
Nous avons été très touchés, cette semaine, par le drame qui a touché nos armées et treize familles françaises dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. Nous avons besoin d’États africains, forts, stables et respectueux des droits humains, car ce combat, nous le menons avec eux.
Veillons à ce que notre politique de délivrance des laissez-passer consulaires à l’égard d’États en situation plus que précaire n’aille jamais à l’encontre de cet objectif majeur, le seul qui vaille à long terme ! Je le dis avec gravité et inquiétude, en considérant la situation politique actuelle en Guinée et les évolutions qu’elle peut entraîner.
Il convient de veiller à ce que, dans le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne, les moyens de Frontex soient renforcés et que la participation française à cette agence soit importante en termes d’effectifs d’agents français, au niveau de sa direction, mais pas seulement.
Nous devons faire en sorte que la coopération avec les pays tiers de l’Union européenne se développe sur la base de moyens contrôlés par le Parlement européen. Il ne faut jamais se rendre complices de l’esclavagisme, tel qu’il se manifeste notamment en Libye.
Il nous faut soutenir les mesures prévues lors de la révision du code des frontières Schengen, et notamment le système électronique Etias, lancé par Bernard Cazeneuve et le Conseil européen de l’époque, dont la mise en place devrait être effective en 2021 et qui permettra de mieux contrôler nos frontières.
Il convient, enfin, que l’externalisation de la collecte des dossiers de demande de visas, à laquelle on procède dans nos consulats, soit effectuée dans des conditions correctes.
Parce que l’hébergement des demandeurs d’asile est totalement déficient et du fait de l’échec de l’intégration lié à la stigmatisation, nous ne pouvons pas, monsieur le ministre, voter ce budget qui illustre votre politique, même si nous saluons les évolutions concernant l’Ofpra.
Monsieur le rapporteur spécial, nous sommes tous attachés à nos identités. Mais si l’on considère l’histoire de l’humanité, on s’aperçoit que les migrations sont à sa source. Elles expliquent, à la fois, son histoire et son développement, et fondent nos identités et nos spiritualités.
Je ne pense pas que le discours que vous avez tenu soit digne d’un rapporteur spécial du budget. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur. Il fallait que cela fût dit !
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Europe connaît depuis 2015 une hausse significative des flux de migrants, obligeant les États membres à consentir des efforts financiers importants, à la fois pour traiter les demandes, accueillir les personnes dans des conditions convenables et lutter contre l’immigration irrégulière.
La mission « Immigration, asile et intégration », dont nous examinons les crédits aujourd’hui, correspond en réalité à un peu plus de 20 % de l’ensemble des crédits alloués à la politique française de l’immigration et de l’intégration.
Elle se décompose en deux programmes : le programme 303, « Immigration et asile », qui porte les crédits de garantie du droit d’asile et d’accueil des demandeurs d’asile ainsi que ceux qui sont liés à l’immigration irrégulière ; le programme 4, « Intégration et accès à la nationalité française », qui porte les crédits d’intégration des étrangers primo-arrivants et des réfugiés.
On constate, à périmètre constant, une hausse de 9,8 % en crédits de paiement et de 6,3 % en autorisations d’engagement. Depuis 2017, il s’agit d’un quasi-doublement des crédits de cette mission.
Tout d’abord, le projet de loi de finances prévoit des investissements significatifs pour faire face à la hausse de près de 22 % des demandes d’asile déposées en 2018. Les moyens de l’Ofpra sont ainsi considérablement renforcés, avec une hausse de 200 équivalents temps plein et une subvention augmentée de 30 %.
Pour la CNDA, il est prévu une hausse de 25 % en autorisations d’engagement et une augmentation de 59 % du nombre d’équivalents temps plein. Ces efforts financiers permettront, je l’espère, de réduire le délai de traitement des demandes d’asile, qui est actuellement de plus de six mois.
Je veux également saluer la hausse de plus de 7 % des crédits du programme 4, « Intégration et accès à la nationalité française », qui permet de financer la mise en œuvre de l’intégration des étrangers en situation régulière, via notamment le contrat d’intégration républicaine, le CIR, qui a été créé par la loi de 2016 et enrichi par la loi de 2018. Ce sont ainsi plus de 12 millions d’euros qui sont prévus dans ce projet de loi et qui financeront les formations linguistiques et l’insertion professionnelle.
Néanmoins, je partage l’inquiétude de mes collègues de la commission des lois et de la commission des finances s’agissant des prévisions du Gouvernement en matière de demandes d’asile.
Le scénario sur lequel est construit le projet de loi de finances repose sur la prévision d’une hausse de 12 % de la demande d’asile en 2019, puis d’une stabilisation en 2020. Or le Gouvernement avait fait la même erreur sur le projet de loi de finances pour 2019 puisqu’il avait prévu une stabilisation des demandes en 2019, alors que, en réalité, la hausse est déjà de 12 % à l’heure où je vous parle.
Ces prédictions conduisent à ce que le projet de loi de finances sous-finance un certain nombre de programmes. Par exemple, si la dotation budgétaire pour le financement de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) progresse de 33 % par rapport à 2019, elle reste inférieure aux crédits votés dans la loi de finances rectificatives de 2019 pour répondre, d’ores et déjà, aux besoins de cette année. Nul besoin d’être prophète pour savoir que l’enveloppe prévue dans le projet de loi de finances pour 2020 sera insuffisante !
Néanmoins, le sujet qui m’inquiète le plus reste l’hébergement des demandeurs d’asile.
Actuellement, seul un demandeur sur deux est hébergé dans une structure appropriée. L’autre moitié est orientée vers l’hébergement d’urgence, destiné aux personnes en détresse, ou alors dans des hôtels qui ne répondent pas du tout à leurs besoins. Or le projet de loi de finances ne prévoit aucune création de nouvelles places pour l’année 2020, le Gouvernement se reposant sur l’effort, très important il est vrai, consenti l’année dernière.
Enfin, s’agissant de la lutte contre l’immigration irrégulière, je crains que, en l’état, le projet de loi de finances ne permette ni une meilleure exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées ni d’assurer des conditions de vie dignes dans les centres de rétention administrative (CRA). En effet, cette mission voit ses crédits diminuer de 26,39 % en autorisations d’engagement et de 9,98 % en crédits de paiement.
Le Gouvernement explique cette diminution par la hausse significative des crédits alloués à cette politique dans le projet de loi de finances pour 2019, une augmentation qui avait pour objet de financer de nouvelles places de rétention, aujourd’hui en cours de construction, et dont les programmes sont en voie d’achèvement.
Malgré cette hausse de 35 % des places en CRA depuis 2017, les chiffres restent alarmants : les taux d’occupation de ces centres sont en constante augmentation et atteignent en moyenne, pour le premier semestre 2019, un niveau d’environ 87 %.
J’ai eu l’occasion de visiter le CRA de Vincennes il y a quelques mois et j’ai été bouleversée par les conditions de vie de ces femmes et de ces hommes, lesquelles ne sont pas conformes à l’idée que je me fais de la dignité humaine.
C’est la raison pour laquelle je considère qu’une poursuite de l’effort amorcé l’an dernier aurait été plus que nécessaire.
Enfin, je suis également surprise que les crédits alloués aux frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière à l’issue d’une rétention stagnent à hauteur de 30 millions d’euros, alors que l’exécution réelle des décisions d’OQTF a atteint un taux historiquement bas de 15 %.
Le groupe du RDSE souhaiterait que les débats se concentrent non pas sur des questions d’écritures comptables, mais sur les sujets de fond, et ils sont nombreux, ayant trait à la politique migratoire et d’asile qui est actuellement menée dans notre pays.
Le budget présenté par le Gouvernement permettra-t-il de conduire la politique que celui-ci entend mener vis-à-vis des personnes étrangères présentes sur notre sol ? Sur le long terme, que dit l’évolution budgétaire du coût de cette politique ? Voilà deux questions qui nous préoccupent vivement.
Mes chers collègues, le projet de loi de finances que nous examinons prévoit en matière d’immigration, d’asile et d’intégration des efforts financiers timides et sûrement insuffisants. Cependant, ils ont le mérite d’exister. C’est la raison pour laquelle mon groupe s’abstiendra majoritairement lors du vote des crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Édouard Courtial.
M. Édouard Courtial. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la pression migratoire que connaît notre pays doit être appréhendée avec lucidité et nous impose d’agir en responsabilité, car nous ne pouvons ignorer les préoccupations qu’elle suscite chez nos compatriotes.
Bien sûr, elle interroge notre histoire, nos valeurs et notre modèle d’intégration, dans un contexte de crise économique et identitaire.
Bien sûr, la France peut et doit s’honorer d’accueillir celles et ceux qui sont persécutés dans leur pays d’origine, mais avec dignité et dans le cadre d’un parcours d’intégration clairement défini.
Bien sûr, cette question ô combien majeure ne date pas de 2017, et les réponses ne peuvent être franco-françaises ; il faut les envisager aussi dans le cadre européen, qui doit, d’ailleurs, être repensé. De même, pour éviter tout dumping migratoire, il est souhaitable d’aligner l’ADA à l’échelle européenne. C’est une proposition de notre collègue Henri Leroy, à laquelle je m’associe.
Sur ce sujet, la réflexion relative à la réforme de l’aide médicale d’État (AME) a été lancée par le Premier ministre, et notre collègue Alain Joyandet en a proposé une traduction dans le cadre de ce projet de loi de finances.
Si le Gouvernement tente de répondre au défi migratoire, il faut aller encore plus loin dans la lutte contre l’immigration illégale et le détournement massif du droit d’asile. La loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie tarde à montrer ses effets, alors que les récentes propositions du Premier ministre conduiront nécessairement à la faire évoluer et ne répondent qu’à la partie émergée de l’iceberg.
La hausse des crédits, pour la troisième année consécutive, dans le contexte budgétaire que nous connaissons va indéniablement dans le bon sens. Mais est-elle suffisante pour faire face à ces deux priorités ?
Les 129 millions d’euros d’augmentation des crédits de la mission budgétaire seront, en réalité, absorbés en totalité par les 139 millions d’euros d’augmentation des crédits consacrés au droit d’asile. En outre, les crédits de paiement de la lutte contre l’immigration clandestine s’effondrent de 26,39 %, alors que c’est d’abord sur ce terrain qu’il nous faut porter nos efforts.
Enfin, qu’il me soit permis, cher Jérôme Bascher, de témoigner en tant qu’ancien président du conseil départemental de l’Oise. Lorsque j’occupais ces fonctions, j’ai pu mesurer très concrètement la pression migratoire, non pas seulement dans les préfectures, mais aussi dans nos collectivités, et le coût qu’elle représente au détriment d’autres politiques tout aussi indispensables et urgentes.
À ce titre, le système de prise en charge des mineurs étrangers isolés ou non accompagnés est au bord de l’implosion, faute d’une politique publique à la hauteur. Depuis trop longtemps, l’État laisse les départements faire face seuls à une situation intenable : toujours davantage de prise en charge et toujours moins de moyens.
La réforme de la fiscalité locale, qui affaiblit les finances départementales, réduira encore davantage leurs marges de manœuvre, déjà quasi inexistantes. La responsabilité juridique des présidents de départements sur ce sujet est d’autant plus inquiétante qu’ils sont obligés de la prendre en charge au détriment, parfois, d’autres enfants du département qui sont eux aussi en situation de détresse. Cela m’avait donné à l’époque de véritables sueurs froides, je puis vous l’assurer.
Pour toutes ces raisons, la commission des lois du Sénat a donné un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission. Je partage l’analyse du président Philippe Bas sur la nécessité absolue de repenser notre politique d’immigration sur le fond.
En effet, si notre pacte social implique que nous pouvons choisir qui accueillir sur notre sol, notre modèle républicain nous impose de le faire dans des conditions décentes, afin de garantir un parcours d’intégration réussi. Le nier, c’est faire le lit du communautarisme et du multiculturalisme, qui diluent la Nation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier.
Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, élue du Nord, département frontalier, je peux croiser tous les soirs, comme chaque Nordiste, des groupes de jeunes migrants le long des autoroutes. Ces cohortes de migrants se mettent en danger et les automobilistes sont très stressés de conduire dans de telles conditions, surtout le soir ou la nuit.
Les corps de huit jeunes gens qui ont tenté de rejoindre l’Angleterre sur des bateaux précaires ont été dernièrement retrouvés sur des plages.
Avec mes collègues de la commission des lois, nous sommes allés en déplacement parlementaire à Calais. Les sénateurs présents ont gardé un souvenir poignant des frontières, des no man’s land, envahis régulièrement par les migrants désireux d’aller en Angleterre. Il faut gérer efficacement cette misère humaine et lutter contre les trafics d’êtres humains.
J’ai participé au déplacement de la commission d’enquête, menée par François-Noël Buffet, à Bruxelles. Nous avons rencontré des responsables d’agences, qui étudient les flux migratoires en Europe. Nous avons fait le constat d’évidence que les sujets ayant trait à l’immigration devaient être traités par les différents États européens.
Chaque pays est concerné par l’exaspération de sa population. Les citoyens français restent très touchés par les problèmes humains que connaissent les populations migrantes. Pourtant, en même temps, leur exaspération s’amplifie, en raison de l’indécision des gouvernements successifs, qui n’ont jamais su concilier humanité et fermeté dans l’application de la loi.
La lutte contre la traite des êtres humains ne semble pas être efficace.
La lutte contre l’immigration irrégulière, disons-le, est un échec. Certes, le volume des OQTF prononcées explose.
M. François Bonhomme. Formellement !
Mme Brigitte Lherbier. Cependant, les services chargés de mettre en œuvre les éloignements n’ont pas les moyens de suivre.
Avec seulement 20 000 reconduites à la frontière sur 130 000 OQTF prononcées, la France est tombée cette année au plus bas taux d’exécution historique en termes de décisions d’éloignement, soit environ 15 %.
M. François Bonhomme. On peut faire mieux !
Mme Brigitte Lherbier. Un étranger sur deux placé en CRA n’est actuellement pas éloigné à l’issue de sa rétention administrative, soit parce que l’OQTF est annulée par le juge administratif pour vice de forme, soit parce que l’administration n’a pas été en mesure d’organiser son éloignement dans les délais impartis. Le coût humain et financier de cette politique n’est pas acceptable.
Nous avons ainsi accompagné la commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité intérieure à Lesquin, dans le Nord, où le centre de rétention administrative gère les individus en attente de connaître leur sort.
Il est particulièrement choquant que des personnes en situation irrégulière se maintiennent sur le territoire. Pourtant, la crédibilité du pouvoir exécutif est intimement liée à l’application des lois votées par le Parlement.
Dès lors, monsieur le ministre, nous nous posons tous la question suivante : pourquoi voter demain des quotas pour l’accès au territoire des flux d’entrée régulière en France, si la question de l’immigration irrégulière n’est pas traitée avec plus d’efficacité ? Chaque année, les mêmes chiffres, ou à peu près, sont présentés par les gouvernements successifs, sans qu’un coup d’arrêt soit jamais apporté à ce phénomène.
En contrepartie des moyens qu’on se donne en matière d’intégration, il faut être très ferme avec les personnes en situation irrégulière. Sinon, il n’y a aucune raison pour que celles en situation régulière fassent des efforts pour s’intégrer.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, pour toutes ces raisons, je ne voterai pas les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » que vous présentez. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le rapporteur spécial, vous avez été loin !
M. Arnaud de Belenet. Trop loin !
M. Christophe Castaner, ministre. Vous avez mêlé le pacte de Marrakech et la « préférence étrangère » à toute une série d’affirmations qui sont plutôt de fausses informations. Vous avez dit, par exemple, que jamais le nombre de décisions d’éloignement n’avait été aussi faible. C’est faux ! Jamais il n’a été aussi haut, puisqu’il a progressé de 18 % cette année.
Votre remarque sur les relaxes systématiques de passeurs est assez éloignée de la réalité, et j’en ai été surpris. Je dois même vous avouer que j’ai cru perdre la mémoire, notamment mes souvenirs du temps où j’étais secrétaire d’État aux relations avec le Parlement. Je suis même allé rechercher sur votre fiche Wikipédia quel était votre positionnement politique… (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. François Bonhomme. Il faut se méfier de Wikipédia !
M. Christophe Castaner, ministre. Sur un sujet aussi sensible, on ne peut pas tout mêler.
En revanche, madame Benbassa, il y a une cohérence dans vos propos, et ceux-ci ne m’ont pas surpris. (Sourires.)
Vous avez posé, les uns et les autres, des exigences légitimes. Il s’agit ainsi d’accueillir dans des conditions de grande humanité, car nous le leur devons, celles et ceux qui ont le statut de réfugié ou qui demandent notre protection et qui obtiendront ce statut.
Puis, il y a celles et ceux qui n’ont pas, aux termes d’une décision de justice, vocation à rester dans notre pays. Nous avons eu ce débat au cours des semaines passées. Je vous propose que nous l’ayons de nouveau, mais dans une approche budgétaire, qui tient aux crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Lors des dernières semaines, nous avons abordé ce sujet, avec raison, à l’Assemblée nationale et au Sénat. Même si des différences sont apparues entre les deux chambres, les parlementaires ont eu la volonté de poser les chiffres de façon claire, et il nous faut continuer à travailler dans cet esprit.
Je le redis, la politique migratoire est infiniment complexe et met chacun face à sa propre histoire et à sa propre expérience. Parler d’immigration, c’est toujours, au fond, parler un peu de soi, et c’est un exercice difficile.
En même temps, l’immigration est un sujet politique, qui permet facilement d’opposer les uns aux autres et de retrouver les bons vieux repères qui ont marqué des décennies d’opposition entre la droite et la gauche… Nous devons à celles et ceux que nous accompagnons, comme à celles et ceux dont nous souhaitons l’éloignement, d’être vigilants et de nous garder des a priori, des positions et des postures. Parler de ces femmes et de ces hommes implique une dignité du débat, y compris lorsque l’on doit faire preuve de dureté.
Parler d’immigration était un devoir, et le président de la République a souhaité que le sujet soit posé ainsi. À l’occasion de ce débat, chacun a pu constater qu’un certain nombre de décisions, présentées par le Premier ministre, avaient été prises.
Pour améliorer tant la qualité que l’humanité de notre accueil, nous nous devons d’appliquer ces mesures. Je pense, par exemple, à l’évacuation des campements installés au nord de Paris. Je m’y étais engagé et nous avons réalisé cette opération partiellement dès le lendemain de la prise de décision. Le dispositif engagé a été complété ce matin même, avec 500 personnes mises à l’abri dans le nord de la capitale. Nous devons continuer à agir ainsi.
Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » sont en cohérence avec nos ambitions. C’est pourquoi ils s’établiront, en 2020, à 1,82 milliard d’euros, soit une augmentation de 9,6 % à périmètre constant.
Ces moyens sont fondés sur des réalités. Ainsi, en 2018, 256 000 personnes sont entrées légalement sur notre territoire. Parmi elles, 90 000 sont arrivées par la voie du regroupement familial ; ce chiffre est stable depuis de très longues années.
Nous notons l’arrivée de 83 000 étudiants et de 33 000 personnes pour des motifs économiques. Ces deux dernières catégories sont en augmentation. Certains avaient pourtant prédit sur ces travées, voilà quelques mois, un effondrement du nombre d’étudiants étrangers. Or la réalité est différente.
M. Jean-Yves Leconte. Ce ne sont pas les mêmes !
M. Christophe Castaner, ministre. Vous avez raison, monsieur le sénateur !
Le chiffre de 33 000 personnes qui viennent pour des motifs économiques traduit également l’attractivité économique de notre pays. Je pense que ce sont de bons signes.
J’en viens aux demandes d’asile, qui étaient au nombre de 120 000 en 2018. Bien que ce chiffre soit deux fois inférieur à celui des entrées sur notre sol, nous ne devons pas le sous-estimer. Au-delà du fait qu’il constitue un record, il s’agit aussi d’une singularité. En effet, dans le même temps, le nombre de demandeurs d’asile en Europe baissait très fortement chez certains de nos voisins, en particulier l’Allemagne, qui a constaté une baisse de 18 % de ces demandes.
Cette singularité, qui doit nous interroger, a des causes multiples. Certaines sont liées au contexte européen, et j’y reviendrai ; d’autres tiennent peut-être à notre système.
Quoi qu’il en soit, nous devons être en mesure d’expliquer ce chiffre aux Français et de corriger ce qui relève d’une anomalie. Cela signifie non pas qu’il faut accueillir moins ou plus mal, mais que nous devons faire respecter nos orientations, en maîtrisant les arrivées, les flux et, le cas échéant, les départs.
C’est parce que nous avons décidé de mener une action forte dans ce domaine que les crédits consacrés à l’immigration et à l’asile sont en augmentation importante.
Ces crédits doivent se traduire par une plus grande efficacité. Ainsi, la hausse des effectifs de l’Ofpra, de 200 équivalents temps plein, vise à améliorer la rapidité de la décision que nous devons à celles et ceux qui font une demande de protection. Il n’est pas normal qu’un Géorgien venu en France en 2018 attende 441 jours pour obtenir une réponse à sa demande ! Nous devons fluidifier le système et, à cette fin, nous avons besoin du Parlement.
De la même façon, nous devons améliorer la qualité du traitement des demandes. Il est impératif d’accorder des conditions d’accueil dignes à toutes celles et tous ceux qui demandent l’asile ; voilà un sujet qui peut nous rassembler.
C’est pourquoi nous devons continuer en 2020 l’effort entrepris depuis le début du quinquennat pour augmenter nos capacités d’hébergement.
N’oublions pas, madame Benbassa, que notre pays a plus que doublé depuis 2015 ses capacités d’accueil. Je ne connais aucune autre politique publique, ni aucune commune de France, qui ait supporté un tel effort de solidarité vis-à-vis des personnes que nous accueillons. Là encore, cela suffit-il ? La réponse est non, mais nous continuons à agir avec force.
Depuis 2017, ont été ouvertes dans les CADA 3 000 places supplémentaires. Nous devons poursuivre dans cette voie.
Il nous faut, je l’ai dit, travailler sur la question des délais en raccourcissant la durée de l’instruction.
Nous devons, par ailleurs, améliorer les politiques d’intégration, dont les crédits augmentent fortement, à hauteur de 70 % depuis 2017, pour que les parcours d’intégration réussissent. Telle est, en effet, la finalité de nos politiques d’immigration.
Depuis le début du quinquennat, les crédits destinés à d’autres politiques d’intégration ont été portés à des niveaux historiques. Je tiens à le dire, d’abord par fierté, mais aussi parce qu’il faut remettre les choses à leur place face aux affirmations des donneurs de leçons.
Ainsi, nous proposons une augmentation de 25 millions d’euros de ces crédits par rapport à l’année dernière, ce qui nous permettra d’appliquer les mesures décidées par le comité interministériel à l’intégration. Je pense, par exemple, au doublement des heures de cours de français. Personne ne peut en effet penser sérieusement qu’il est possible de s’intégrer sans maîtriser la langue française. Nous avons fait des efforts sur ce point, et devons les poursuivre.
L’immigration, l’asile et l’intégration ont été au cœur de l’action du Gouvernement depuis la première minute du quinquennat, mais avec lucidité et sans angélisme. Nous menons une politique claire, ferme, ambitieuse. Nous donnons les moyens d’appliquer notre droit de l’accueil, en veillant à ce que la protection soit accordée à celles et ceux qui en ont besoin, et ce budget nous permet de le faire.
Monsieur Capus, la dimension européenne est effectivement essentielle, même si je ne l’ai pas évoquée lors de la présentation de ce budget. Je le rappelle, le président de la République porte l’ambition d’accélérer le calendrier de déploiement de Frontex, lequel doit avoir lieu en 2027 avec des effectifs renforcés : 10 000 agents à l’échelle de l’Europe pour protéger nos frontières. Nous avons obtenu que cette échéance soit avancée à 2024.
Monsieur Bonnecarrère, vous m’avez interrogé sur la compatibilité et l’interopérabilité des différents fichiers informatiques européens. À cet égard, nous avons prévu 11,9 millions d’euros qui n’apparaissent pas dans le présent budget parce qu’ils relèvent de la création de la direction interministérielle du numérique (Dinum) et du programme 216, « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur ».
Vous avez posé, monsieur le sénateur, une question essentielle : des mesures d’éloignement ne sont-elles pas exécutées pour des raisons financières ? Non !
La non-exécution de ces mesures peut avoir deux causes.
La première est l’absence de laissez-passer consulaires. Nous menons sur ce sujet un important travail diplomatique, et je me suis déplacé dans de nombreux pays d’origine de la migration, afin d’améliorer le dispositif.
La seconde cause est le manque de personnels disponibles pour procéder à ces éloignements.
Les politiques de développement de places dans les centres de rétention administrative nous permettent d’agir en la matière.
Les éloignements contraints ont augmenté de 20 % en 2017 et 2018, et cette tendance se confirme. Les laissez-passer consulaires ont atteint le taux historique de 60 %, le plus haut jamais atteint.
Nous devons également veiller à favoriser les moyens consacrés à l’éloignement, mais je veux être très clair : aucun éloignement n’est annulé faute de crédits. Les réacheminements sont en augmentation, et il est important de maintenir cette pression. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE.)
(M. Philippe Dallier remplace M. David Assouline au fauteuil de la présidence.)