Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
M. Rémi Féraud. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi de finances pour 2020 est annoncé par le Gouvernement comme celui de l’acte II du quinquennat, censé être marqué par une baisse massive d’impôts et s’inscrivant dans un contexte « de croissance française robuste ». Mais derrière la communication, la croissance est en réalité bien fragile, et largement due aux mesures d’urgence prises par le Gouvernement à la suite du mouvement des « gilets jaunes ».
D’ailleurs, avant-hier, après le vote de ce PLF à l’Assemblée nationale, l’AFP titrait : « le budget 2020 à la teinte gilets jaunes ». En réalité, il semble plutôt jaune pâle. Derrière les paroles, derrière les annonces, c’est la même politique qui continue, avec, c’est vrai, un peu plus de déficit budgétaire que prévu.
L’injustice fiscale continue, d’abord. Aucun retour en arrière n’est prévu concernant la suppression de l’ISF ou l’instauration du prélèvement forfaitaire unique. Prenons même la suppression de la taxe d’habitation, qui était censée garantir une fiscalité plus juste pour les Français : en réalité, les 5 millions de foyers les plus modestes, qui ne la payaient pas, ne bénéficieront donc pas de sa suppression.
M. Julien Bargeton. Rétablissez-la !
M. Rémi Féraud. À l’inverse, les 20 % de Français les plus favorisés feront un gain de 8 milliards d’euros, soit autant que les 80 % des Français appartenant à la classe moyenne. Ainsi, la suppression de la taxe d’habitation, présentée lors de la campagne présidentielle comme une mesure de justice sociale, est devenue le contraire. Monsieur le ministre, vous avez invoqué la décision du Conseil constitutionnel pour justifier cette évolution : quelle ironie de l’histoire, reconnaissez-le !
Par ailleurs, contrairement à ce que vous affirmez, la suppression de la taxe d’habitation ne sera pas intégralement compensée aux communes, puisque 250 millions d’euros leur manqueront, ainsi qu’aux intercommunalités, dès 2020. Quant aux départements, comment ne pas évoquer le prélèvement par l’État d’une partie des droits de mutation à titre onéreux perçus par les départements de la région d’Île-de-France, décidé lors de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale ? Cela représentera, pour ces collectivités, une perte de 60 millions d’euros chaque année.
L’Institut des politiques publiques, dans son étude du 15 octobre dernier, dresse un bilan clair : les grands perdants des mesures fiscales du Gouvernement sont les 25 % de Français les plus modestes, particulièrement les 10 % de ménages les plus pauvres. Si l’on ajoute le fait que ces foyers les plus modestes ne bénéficieront ni de la suppression de la taxe d’habitation ni de la baisse de l’impôt sur le revenu, il apparaît clairement qu’ils sont de nouveau les grands perdants.
En valeur absolue, le constat est sans appel : au terme de l’exécution des trois premiers budgets du Gouvernement, un Français dont les revenus se situent dans le deuxième décile, soit environ 1 150 euros mensuels, aura gagné 284 euros par an. Dans le même temps, les 1 % les plus aisés auront bénéficié d’un gain de 4 462 euros. C’est à eux que profite en priorité votre politique, à laquelle vous ne renoncez pas plus en 2020 qu’en 2019 ou en 2018, ce qui vous conduit d’ailleurs à conserver un déficit budgétaire important sans pour autant financer les actions publiques dont notre pays a besoin.
Prenons l’exemple de l’écologie, que vous semblez aujourd’hui hésiter à ériger en priorité de votre action. Nous assistons à un tour de passe-passe. Le Gouvernement se targue d’une hausse de 900 millions d’euros des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » – soit une augmentation de 2,6 %, ce qui reste modéré –, mais, à titre de comparaison, l’Allemagne a adopté un plan de 100 milliards d’euros sur dix ans pour répondre à l’urgence climatique. Cette augmentation n’est en réalité qu’une façade et la fiscalité écologique reste conçue comme une fiscalité de rendement. L’effort budgétaire est en vérité bien faible.
De surcroît, les effectifs du ministère de la transition écologique ont été réduits de près de 5 000 postes, dont 1 769 supprimés par le projet de loi de finances pour 2020. C’est le ministère le plus touché par les suppressions de postes, avec celui des solidarités et de la santé. Quel signe de volontarisme…
Avec mes collègues du groupe socialiste et républicain, nous ne pouvons pas nous retrouver dans un projet de budget qui ne permet ni la justice sociale, ni la transition énergétique, ni la préservation de nos grands services publics. Il pèse lourdement sur les finances des collectivités territoriales et celles de la sécurité sociale. À notre sens, il ne permettra pas de remédier aux fractures qui s’aggravent dans notre pays, ni même de réduire les déficits publics au rythme annoncé en débat de quinquennat !
M. Julien Bargeton. Quelle caricature !
M. Rémi Féraud. Manque de justice, manque d’ambition, manque d’efficacité… Depuis un an, tout a changé, mais, en réalité, rien n’a changé. Voilà pourquoi, au-delà de quelques avancées que nous espérons voir aboutir au cours du débat, nous ne pouvons pas nous reconnaître dans ce projet de budget. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour examiner le projet de loi de finances pour 2020, il convient de le replacer dans un contexte international toujours aussi incertain et sans doute encore plus perturbé qu’il y a un an.
La multiplication des conflits et des contestations dans le monde, l’attitude agressive des États-Unis dans ses relations commerciales avec la Chine, l’Europe, en particulier la France, l’interminable feuilleton du Brexit et le manque de cohésion des pays européens ne sont pas de nature à nous rassurer et constituent une toile de fond peu propice aux investissements et aux initiatives.
Ce tableau est encore assombri par nos propres insuffisances économiques, notamment la persistance d’un déficit du commerce extérieur supérieur à 50 milliards d’euros, avec un secteur industriel affaibli qui a du mal à retrouver sa place de moteur de la croissance.
Au-delà du contexte, des hypothèses macroéconomiques et des grands équilibres financiers, ce projet de budget présente de nombreuses mesures fiscales qui, pour certaines, reprennent des engagements de début de mandat, et, pour d’autres, constituent des nouveautés. Par ailleurs, le Gouvernement poursuit, en seconde partie du PLF, la trajectoire de renforcement des grandes missions régaliennes – défense, justice, sécurités – ou d’éducation et d’investissement – enseignement, recherche, investissements d’avenir.
En termes de grands équilibres, le déficit diminue pour s’établir à 2,2 % du PIB. En réalité, cela correspond à un niveau identique à celui de 2019 si l’on retire, pour cette année-là, le double effet de la transformation du CICE en allégement pérenne de cotisations sociales.
Pour sa part, le niveau de la dette publique est également quasiment stable, à 98,7 % du PIB. Il n’y a donc pas d’amélioration structurelle des comptes publics, avec un déficit qui dépassera encore 90 milliards d’euros.
Cependant, cette apparente stabilité ne doit pas masquer les efforts accomplis pour faire face à une situation conjoncturelle compliquée, avec de multiples sollicitations sectorielles et une protestation sociale symbolisée par la crise des « gilets jaunes », que l’on invoque un peu trop fréquemment pour appuyer une argumentation, avec une compassion qui me paraît souvent déplacée.
Ce contexte intérieur a conduit le Gouvernement, avec, pour l’essentiel, l’accord du Parlement, à mettre en œuvre un ensemble de mesures d’un coût budgétaire de l’ordre de 17 milliards d’euros, principalement pris en charge par le budget général et, partiellement, par celui de la sécurité sociale.
Dans ces conditions, il semblait évident que la trajectoire des finances publiques pour 2018-2022 subirait un léger infléchissement, reportant dans le temps le rétablissement complet de l’équilibre budgétaire.
Le budget de 2019 et celui de 2020 ont ainsi montré leur capacité d’absorption de charges nouvelles non programmées, allant du renforcement de certaines prestations à des diminutions de recettes fiscales, en passant par des compensations de la suppression d’impôts locaux ou par la prise en compte de charges externes, comme les intérêts d’emprunt liés à la reprise progressive de la dette de la SNCF. Bien entendu, cette politique « temporairement de la demande » a des effets positifs sur la TVA, par un sursaut de consommation, et sur l’impôt sur les sociétés, du fait de la transformation du CICE, qui engendre une base taxable d’un montant équivalent. Le CICE, c’était un peu le chèque « mamie Zinzin ». (M. Éric Bocquet s’esclaffe.) De façon assez paradoxale, il avait été institué par un gouvernement socialiste…
On ne peut qu’être admiratif devant cette capacité à « digérer » la charge de mesures nouvelles, s’élevant en année pleine à plusieurs dizaines de milliards d’euros par rapport à 2017 : quelle maîtrise des finances publiques !
En lui-même, le projet de budget pour 2020 nous inspire un certain nombre de satisfactions, mais aussi quelques interrogations et inquiétudes.
Commençons par ces dernières. On constate un effort significatif de l’État en direction des entreprises, qui ne se traduit pas encore de manière importante sur la croissance, l’emploi et le commerce extérieur, une insuffisance marquée des efforts pour réduire la dépense publique, en particulier dans le périmètre de l’État – contrairement à l’orateur précédent, je pense qu’il y a trop d’agents dans les administrations centrales –, et enfin une stagnation du déficit et de la dette publique à des niveaux particulièrement élevés, sachant que nos charges budgétaires liées aux intérêts d’emprunts bénéficient de taux au plus bas historiquement.
Parmi les satisfactions, on relève une grande sincérité des comptes, fondés sur des prévisions de croissance du PIB jugées crédibles et une certaine prudence des estimations. Je pense notamment aux taux d’intérêt : leur remontée n’est pas forcément certaine. On observe aussi une baisse sensible du taux des prélèvements obligatoires, de 0,9 point entre 2017 et 2020. C’est la conséquence des mesures prises par le Gouvernement pour alléger la fiscalité des entreprises et celle des ménages dans le présent projet de loi de finances, à hauteur, respectivement, de 1 milliard d’euros et de 5 milliards d’euros. L’ensemble de ces baisses d’impôts profitent très largement aux classes moyennes, comme en témoigne une récente étude de l’Institut des politiques publiques. On peut lire une même étude sans s’arrêter sur les mêmes paragraphes !
Je voudrais également évoquer les relations avec les collectivités locales. Les concours qui leur sont accordés sont stabilisés, avec une enveloppe de l’ordre de 40 milliards d’euros. Après des années de baisse des dotations, cette situation peut être considérée comme satisfaisante. Nous ne doutons pas non plus que la suppression de la taxe d’habitation sera compensée à l’euro près pour les communes. En revanche, cette dernière mesure a pour principal inconvénient de couper le lien financier entre une partie des habitants et la collectivité mettant en place les services qui leur sont destinés. Cette suppression, compensée par le fléchage d’une fraction de TVA, aura des conséquences sur tout le dispositif fiscal et de dotations de l’État en direction des collectivités, ce qui sera peut-être l’heureuse occasion d’une remise à plat complète.
Je partage également l’observation du rapporteur général sur le risque de faire reposer les recettes fiscales de l’État de plus en plus sur les revenus des entreprises et des ménages et de moins en moins sur la consommation. C’est une stratégie qui, structurellement, peut fragiliser le budget de l’État. Il conviendrait peut-être de ne pas l’étendre, à l’avenir, à d’autres dispositifs de compensation.
Sur le détail des mesures par mission, la majorité du groupe RDSE n’entend pas s’opposer aux orientations définies par le Gouvernement, mais elle souhaite que soient adoptées, par voie d’amendements, un certain nombre de dispositions plus justes sur le plan social ou plus incitatives sur le plan écologique.
La majorité des membres de notre groupe approuvera le présent projet de loi de finances, sauf si des amendements devaient venir le modifier de manière trop grossière. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, sous le regard de Turgot, cher à Claude Malhuret, je citerai mon père, qui disait : « Il vaut mieux devoir que de ne pas pouvoir rendre. »
Mme Nathalie Goulet. Bien que je sois rapporteur spécial pour les engagements financiers de l’État, c’est non pas de la dette que je souhaite parler, mais de la lutte contre la fraude fiscale.
Cette année a été particulièrement favorable à cet égard. En effet, la lutte contre la fraude fiscale a rapporté 640 millions d’euros, sans compter les 465 millions d’euros réglés par Google, en sus d’une amende de 500 millions d’euros. Cela fait 40 % de rentrées de plus que l’an dernier : c’est tout de même un excellent résultat !
L’assouplissement – et non la disparition – du « verrou de Bercy » a entraîné, au 30 septembre, 587 dénonciations, correspondant à environ 211 millions d’euros de droits rappelés et de pénalités. L’autorité judiciaire a été saisie 1 100 fois entre le 1er janvier et le 30 septembre. Aux dénonciations s’ajoutent 481 dépôts de plainte, dont 38 pour présomption de fraude fiscale. Il semblerait que le nouveau dispositif ait permis de gagner franchement en transparence. Avec Éric Bocquet, nous nous sommes beaucoup battus pour la suppression du « verrou de Bercy » ; nous nous félicitons de son assouplissement.
Par ailleurs, si nous étions plutôt réticents quant à la mise en œuvre du mécanisme du « plaider-coupable », il apparaît que neuf procédures ont été engagées depuis le début de l’année. Il semble que le dispositif fonctionne.
Monsieur le ministre, je voudrais vous interroger sur le contrôle des prix de transfert. En l’espèce, je pense qu’il y a encore des progrès à faire, même si l’administration fiscale a beaucoup amélioré les échanges de données. Disposons-nous de moyens humains suffisants ? Le site de la Direction des vérifications nationales et internationales, qui est chargé du contrôle des prix de transfert, n’affiche aucune donnée nouvelle depuis 2016… Je pense qu’il faudrait le mettre à jour. Un certain nombre de mesures ont été prises pour le contrôle de ces prix de transferts, notamment en ce qui concerne l’échange automatique de données entre États, une disposition étant applicable depuis le 1er janvier 2018. Pourriez-vous nous apporter quelques éléments d’information sur les contrôles effectués et les résultats obtenus ? Depuis le 1er janvier 2019, l’instrument multilatéral est entré en vigueur en France. Cette convention multilatérale a vocation à modifier automatiquement les conventions fiscales bilatérales signées entre deux pays ayant ratifié l’instrument.
Je souhaite également vous interroger sur le Base Erosion and Profit Shifting (BEPS). Pensez-vous que nous pourrions remettre en question des conventions fiscales bilatérales, ce dispositif le permettant désormais ? Je pense notamment à la fameuse convention avec le Qatar, qui transforme plus ou moins notre pays en paradis fiscal.
La création d’un fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) européen est aussi une mesure importante. Je crois qu’elle présenterait beaucoup d’intérêt pour la lutte contre la fraude. Je pense notamment aux banques en ligne : la banque allemande N26 émet des IBAN commençant par FR ! L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution fait le maximum, mais la créativité de certains nouveaux acteurs pose problème en matière de contrôle.
Je m’interroge enfin sur l’avenir de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), qui effectue un travail remarquable. Plus de contrôles, cela implique plus de moyens humains. Les sanctions doivent en outre être exemplaires.
Les progrès accomplis en la matière sont pour nous une très grande satisfaction. À l’instar de nos collègues du groupe CRCE, nous proposerons un certain nombre d’amendements et nous serons très attentifs au sort qui leur sera réservé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Une fois encore, il me revient de parler du sort réservé aux collectivités territoriales dans le projet de loi de finances. La situation n’est pas meilleure qu’à l’automne 2018. À mon sens, l’État devrait largement s’inspirer de leur rigueur de gestion.
Le maintien des dotations est un trompe-l’œil qui ne trompe personne ! Leur montant global s’élève à 27 milliards d’euros. Certaines augmentent, comme la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR), mais si la prise en charge par l’État d’une partie de la revalorisation des indemnités des élus, annoncée voilà quelques heures par le Premier ministre au Congrès des maires, s’effectue à l’intérieur de l’enveloppe normée, cela reviendra à déshabiller Pierre pour habiller Paul ! (M. Jean-François Rapin applaudit.)
M. Jean-François Husson. Eh oui ! Une fois de plus !
Mme Christine Lavarde. L’amputation de moitié de la compensation du versement transport illustre ce que Jean-François Husson a largement démontré : votre projet de budget est vert pâle ! C’est un très mauvais signal envoyé aux collectivités locales, dont vous avez renforcé largement les compétences dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités.
Par ailleurs, des incertitudes très fortes entourent la réforme de la taxe d’habitation. Nous sommes un certain nombre à considérer que la suppression de cette taxe a été la première erreur du quinquennat. Cette décision entraînera, pour l’État, une charge supplémentaire s’élevant – les chiffres varient selon les sources – entre 20 milliards et 24 milliards d’euros. On ne sait trop !
Mme Christine Lavarde. En tout cas, je constate qu’une partie de l’effort est reportée sur le quinquennat suivant. En effet, la suppression totale de la taxe d’habitation, qui était annoncée pour 2021, n’interviendra qu’en 2023, et 2,6 milliards d’euros ne seront financés qu’à cette échéance.
Pour 40 % des Français et deux tiers des Parisiens, il n’existera plus aucun lien fiscal avec les services publics. Le citoyen deviendra un simple consommateur !
À défaut de la discussion d’une véritable loi de financement des collectivités locales qui aurait permis de remettre à plat les dispositifs de péréquation, vous nous présentez un pis-aller pour compenser la perte de recettes pour les communes.
Malgré les amendements déposés par le rapporteur général visant à améliorer significativement le dispositif, un certain nombre de points négatifs demeurent.
En particulier, les collectivités territoriales qui ont augmenté leurs taux en 2018 et en 2019 en perdront tout le bénéfice. Si l’application d’un coefficient correcteur, le fameux « coco », présente quelques avantages par rapport à un fonds national de garantie, elle a aussi des inconvénients, notamment pour les communes dont le coco sera inférieur à un. En effet, une partie du dynamisme de leurs bases profitera finalement chaque année à l’État. Il existe en outre un risque non nul que le système devienne déséquilibré à un horizon pas si lointain. Combien de temps perdurera-t-il ? Quelles garanties avons-nous sur ce point ? Les communes les plus dynamiques sont celles dont le coco est supérieur à un. Ainsi que cela a été souligné, la suppression de la taxe d’habitation entraîne une modification des potentiels fiscaux, pris en compte dans le calcul de plus de quatorze indicateurs.
Pourquoi nous faire voter une telle réforme dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020 et annoncer d’ores et déjà qu’elle sera corrigée en 2021 ? Il aurait été plus respectueux des élus de nous présenter une réforme aboutie.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Très juste !
Mme Christine Lavarde. Quelle logique y a-t-il à faire porter l’ensemble des impôts sur les ménages sur la taxe foncière ? Celle-ci présente exactement le même défaut que la taxe d’habitation : elle repose sur des valeurs locatives injustes. (M. le rapporteur général acquiesce.) Les résultats de l’expérimentation qui a été menée sur la révision des valeurs locatives sont connus. Pour autant, la réforme n’est annoncée qu’à l’horizon 2026 !
Comme l’a exposé Jean-Marc Gabouty, la réforme de la taxe d’habitation entraîne pour les départements une très forte dépendance à la conjoncture économique. Or, cela ne vous aura pas échappé, leurs dépenses sont elles-mêmes très fortement liées à la conjoncture économique. Ce sera donc la double peine en cas de crise : leurs recettes diminueront tandis que leurs dépenses augmenteront. Selon une étude de Standard & Poor’s publiée au mois de juillet, la situation des départements français s’apparente à celle des collectivités chinoises et cette réforme aura clairement des conséquences négatives pour eux.
Avec le présent projet de loi de finances, les transferts de charges non compensés continuent. Je prendrai l’exemple de la suppression, annoncée pour 2023, du crédit d’impôt famille (CIF). Aujourd’hui, les entreprises complètent l’offre des collectivités locales en matière d’accueil des jeunes enfants, sachant qu’il manque à l’heure actuelle plus de 230 000 places de crèche en France. Le crédit d’impôt famille permet aux entreprises de réduire leurs dépenses visant à faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale pour leurs salariés. Continueront-elles à s’engager à ce titre si le crédit d’impôt famille disparaît en 2023 ? Les collectivités locales ne pourront suppléer leur retrait. Pour ces dernières, le reste à charge pour une place de crèche représente a minima 30 % du coût global. Pourtant, il me semblait avoir entendu Mme Buzyn affirmer dans cet hémicycle, le 13 novembre, que les familles étaient « clairement accompagnées par le Gouvernement »…
La loi d’orientation des mobilités prévoit le transfert des petites lignes ferroviaires aux régions sans financement.
M. Jean-François Husson. Eh oui ! C’est un cadeau empoisonné !
Mme Christine Lavarde. Les intercommunalités pourront en outre prendre en charge les transports dans les zones rurales, toujours sans financement.
M. Jean-François Husson. Eh oui !
Mme Christine Lavarde. Ce ne sont là que quelques exemples parmi bien d’autres.
Les collectivités locales maîtrisent leur endettement, contrairement à l’État. Elles parviennent à faire toujours mieux avec moins de recettes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le « budget du pouvoir d’achat » : c’est ainsi que nous est présenté le projet de loi de finances pour 2020. En réalité, celui-ci accentue l’injustice fiscale et sociale que vivent les Français.
Messieurs les ministres, vous communiquez en parlant de baisses d’impôts, en alimentant une confusion entre les différents types de prélèvements – cotisations, impôts et taxes – et leurs effets, très différents sur le plan redistributif !
Cette confusion atteint son paroxysme cette année avec l’officialisation de la non-compensation des baisses ou des exonérations de cotisations sociales que vous décidez. On la retrouve dans l’exonération de taxe d’habitation, le transfert de la taxe foncière des départements aux communes et sa compensation via l’attribution d’une part de TVA. L’argument le plus utilisé pour justifier ce choix consiste à mettre en avant le côté « dynamique » de cet impôt. Notre croissance reposant essentiellement sur la consommation des ménages, nous avons effectivement un impôt indirect dynamique, mais ô combien injuste !
Il faut le rappeler sans relâche, la TVA est l’impôt le plus injuste. Non seulement il est dégressif, c’est-à-dire que, proportionnellement à leurs revenus, les catégories les moins aisées payent davantage que les autres, mais, en plus, les Français ne se rendent pas compte qu’ils l’acquittent lorsqu’ils procèdent à des achats dans leur vie quotidienne. Imaginez leur réaction si, lors de chaque passage en caisse, ils devaient effectuer un paiement distinct à l’ordre du Trésor public !
M. Patrick Kanner. Comme aux États-Unis !
Mme Sophie Taillé-Polian. Un euro pour mon café, vingt centimes pour le Trésor public ; 50 euros pour ces chaussures, 10 euros pour le Trésor public ; 10 000 euros pour cette voiture, 2 000 euros pour le Trésor public ! Je vous l’assure, nous parlerions beaucoup moins dans cet hémicycle de l’impôt sur le revenu que de la TVA, et les Français nous demanderaient de baisser cette dernière pour augmenter leur pouvoir d’achat !
Depuis la transformation du CICE en réduction des cotisations sociales patronales, c’est donc une part de TVA, payée par les consommateurs, qui sert à compenser celle-ci. Je sais que la TVA avait déjà pris une place importante dans les recettes de la sécurité sociale,…
Mme Sophie Taillé-Polian. … mais vous l’amplifiez.
Souvenons-nous du débat, du temps de M. Sarkozy, relatif à la mise en place d’une TVA sociale. À l’époque, dans le scénario « haut » du Mouvement des entreprises de France (Medef), il était envisagé de porter le taux plein de TVA à 25 % pour financer des baisses de cotisations patronales.
Aujourd’hui, c’est par la petite porte des baisses de cotisations que nous voyons introduire cette TVA sociale. Cela se fait à bas bruit, lentement mais sûrement, en fléchant vers la compensation partielle à la sécurité sociale une part plus importante de la TVA. En clair, c’est sur le dynamisme de la consommation des Français que repose le financement des diminutions de cotisations patronales.
La même mécanique se met en œuvre concernant la compensation de la suppression de la taxe d’habitation, avec le transfert de la taxe foncière des départements vers les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), compensé par l’attribution d’une part de la TVA. Cette compensation repose donc sur cet impôt indirect et injuste qu’est la TVA.
Le projet consistant à transférer la taxe foncière des départements vers les communes et les EPCI en compensant ce transfert par l’attribution d’une part de la TVA est l’étape suivante de la création d’une TVA territoriale. Cela accentuera les injustices territoriales.
En effet, la taxe d’habitation et la taxe foncière sont souvent dénoncées comme injustes – elles le sont effectivement –, parce que leur calcul repose sur les valeurs locatives fixées voilà plus de trente-cinq ans. Malgré les rattrapages partiels qui ont marqué l’évolution de ces bases, celles-ci ne représentent pas la réalité des valeurs locatives constatées actuellement.
Il n’en demeure pas moins que la TVA est aussi éminemment injuste. TVA sociale, TVA territoriale : la baisse de l’impôt sur le revenu cache une aggravation de l’injustice fiscale dans notre pays.
En outre, la baisse de l’impôt sur le revenu, qui a été rendue possible par une meilleure perception de l’impôt à la source, est présentée comme une mesure en faveur du pouvoir d’achat. C’est vrai pour beaucoup de Français, mais les 22 millions de nos compatriotes qui ne paient pas l’impôt sur le revenu, mais qui acquittent tous les jours la TVA sur leurs achats ne verront pas d’augmentation de leur pouvoir d’achat. Et les Français dans leur ensemble, unanimes pour exiger le retour des services publics dans les territoires, en seront pour leurs frais !
L’injustice fiscale s’aggrave aussi, car les mesures en faveur des plus aisés s’accumulent et perdurent, bien que les premières évaluations montrent leur inefficacité. Pas de ruissellement à l’horizon, mais vous refusez, par posture idéologique, de revenir sur ces mesures.
On ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas eu de mouvement social, nous disiez-vous, monsieur Le Maire. Force est de le constater, vous faites comme si cette contestation sociale était uniquement une contestation de l’impôt. Or elle manifestait avant tout une exigence de justice fiscale et de davantage d’égalité, notamment dans l’accès aux services publics.
Vous ne répondez pas davantage à l’urgence écologique qu’à l’urgence sociale. M. Macron, dans Les Échos du 8 novembre dernier, découvrait que les investissements d’avenir ne devraient pas entrer dans le calcul du déficit et que la rigueur budgétaire, organisée autour de la règle des 3 % de déficit, était d’un autre siècle. Peut-être devrions-nous le prendre au mot, notamment quand il s’agit de financer les dépenses d’investissement essentielles en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre !
Mais de quelles actions concrètes en matière de lutte contre le réchauffement climatique est-il question dans ce projet de loi de finances ? On y trouve une suite de taxations ou de réductions des exonérations de taxes pour les produits et les pratiques les plus polluants ! C’est espérer en diminuer l’usage par l’effet prix ! Soit.
On nous a aussi présenté le principe d’un budget vert, identifiant par un système de codes les recettes et les dépenses selon leur caractère plus ou moins vertueux : c’est très bien, mais insuffisant. Nous n’en sommes plus là : l’urgence de la situation nous oblige à prendre des mesures beaucoup plus radicales !
Globalement, cela doit passer par une obligation d’agir pour tous les acteurs, accompagnée d’un investissement très fort de l’État. Chaque année, il manque plusieurs dizaines de milliards d’euros pour tenir les engagements que nous pris au titre de la COP21.