Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Louis Tourenne. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, depuis quelque temps, une question me taraude : quelles innovations l’autoproclamé nouveau monde a-t-il engagées ?
La gauche créa beaucoup pour répondre à l’évolution de notre société et obéir aux valeurs qu’elle porte : le RMI, la garantie jeunes, le mariage pour tous, la CMU, la PUMa, l’APA, le PACS, la prise en charge des pensions alimentaires par la CAF, et tant d’autres initiatives originales et justes. Qu’a apporté ce nouveau monde, qui promettait tant et méprisait l’ancien ? Rien, seulement des dégradations de l’existant : précarisation de l’emploi, licenciements facilités, chômeurs précarisés, augmentation des inégalités, de la pauvreté, retraités et handicapés lésés, fermetures de maternités, recentralisation.
En revanche, les mots sont nouveaux : de la novlangue qui, sous des aspects modernes et humanistes, cache de plus en plus mal les effets destructeurs de vos mesures et le désespoir qui saisit les catégories les moins favorisées.
M. Roland Courteau. Très juste !
M. Jean-Louis Tourenne. Interrogés par Ipsos en septembre dernier, 62 % des enfants de 8 à 14 ans de ce pays craignent, un jour, de sombrer dans une situation précaire. Peut-on imaginer tableau plus sombre ?
Votre projet de loi de financement de la sécurité sociale n’échappe pas à cette rage destructrice : nouvelle désindexation des prestations familiales après une réduction du périmètre et du montant de la PAJE ; revalorisation en trompe-l’œil de l’AAH, comme nous le verrons dans le PLF – la supercherie finit par se voir et le mécontentement gronde – ; recul sur les crèches, alors qu’il en faudrait davantage dans les quartiers populaires et dans les territoires ruraux, qui ont des moyens trop limités pour faire face aux charges de fonctionnement.
L’argent si généreusement distribué aux plus riches vous conduit à rechercher, avec un certain cynisme, des ressources sur le dos des plus démunis. Il en est ainsi de la suppression de l’abondement des indemnités journalières aux parents de familles nombreuses.
Vous puisez aussi allègrement dans les ressources de la sécurité sociale pour tenter de réduire artificiellement le déficit du budget de l’État, signant ainsi un échec sur toutes les lignes. C’est une trahison inacceptable des valeurs portées par les créateurs de la sécurité sociale ou par ceux qui ont voté la loi Veil de 1994. Ainsi, les cotisations d’assurance payées pour se garantir santé et avenir sont détournées pour masquer la gestion inconséquente du budget de la Nation.
Le déficit de la sécurité sociale est dû en partie, selon la Cour des comptes… et vous, à une surestimation de la masse salariale. Pourtant, vous clamez urbi et orbi avoir relancé les créations d’emplois. Là encore, la distance est grande entre le discours et les actes. Ainsi, après des évolutions positives continues, l’année 2017 a été particulièrement faste, avec la création de 328 000 emplois, dont les deux tiers au cours du premier semestre – vous n’étiez pas encore au pouvoir ! Puis, il y a eu une chute brutale en 2018, avec 168 000 emplois, ce qui explique la baisse des recettes. Or là, vous étiez au pouvoir !
Quelles audaces pouvons-nous porter à votre actif en matière de politique de l’enfance et de la famille ? L’amélioration du dispositif existant sur les pensions alimentaires ? L’accompagnement des proches aidants après avoir refusé une proposition de loi, plus juste, de Mme Guidez, pourtant adoptée à l’unanimité ? Tout cela est bien mince au regard des réalités relevées par Yves Daudigny.
Vous nous parlerez, un peu plus tard, de votre plan de lutte contre la pauvreté, avec les mots du triomphe sûrement. Pourtant, 150 misérables millions au budget 2019 pour éradiquer une pauvreté qui ne cesse, avec vous, d’augmenter, n’est-ce pas leurrer tout le monde ? Mais vous en supprimez, fort opportunément, l’Observatoire. Les départements, eux, en supporteront la charge.
Votre projet paraît bien insuffisant quand la France est championne du monde du déterminisme social, quand l’OCDE constate qu’il faut cent cinquante ans à un petit Français né en milieu défavorisé pour atteindre le salaire moyen. Comment s’étonner, dès lors, qu’augmentent la violence gratuite, les votes extrêmes, les « gilets jaunes » ? Quand l’amertume et la révolte habitent ceux qui sont promis, dès leur naissance et irrémédiablement, à un sombre destin, il ne leur reste que le geste.
Face à la terrible perspective qui se dessine pour notre monde, votre projet semble n’être qu’indifférence, préoccupé essentiellement par la recherche d’économies au détriment des plus vulnérables.
Je voterai contre votre projet, parce qu’il est en lévitation, flottant au-dessus des réalités. Je voterai contre pour cause de vide.
Pour terminer, j’emprunterai quelques mots d’une étude récente de deux sociologues britanniques, Wilkinson et Pickett, intitulée Pour vivre heureux vivons égaux : « Il faut par ailleurs souligner que, dans les sociétés inégalitaires, les pauvres ne sont pas les seuls à souffrir : l’immense majorité de la population est frappée par des taux de violence plus élevés et des indicateurs de santé dégradés. » À méditer, n’est-ce pas ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Corinne Féret. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Gouvernement nous propose d’examiner un projet de loi, non pas de financement, mais de sous-financement, et même d’affaiblissement de la sécurité sociale Il y a de quoi être inquiet. Le budget de la sécurité sociale ne saurait être une variable d’ajustement de celui de l’État.
Tout naturellement, par voie de conséquence, ce PLFSS est, sur de nombreux points, loin d’être à la hauteur des attentes et des besoins. Cette semaine, nous évoquerons bien évidemment la situation, très critique, de l’hôpital et de ses urgences. Je souhaite pour ma part m’attarder sur le secteur médico-social et, particulièrement, sur l’aide à domicile. Une somme de 50 millions d’euros, seulement, lui est consacrée dans le PLFSS pour 2020. De nos jours, pour les personnes en perte d’autonomie, l’option privilégiée, parce qu’elle est aussi la plus abordable financièrement, reste le maintien à domicile. C’est le choix que font neuf Français sur dix.
Environ 830 000 personnes travaillent auprès des personnes âgées. Du fait de la seule évolution démographique, ce nombre devrait augmenter d’environ 20 % d’ici à 2030, sans tenir compte des hausses des effectifs qui seront nécessaires pour améliorer la qualité des prises en charge.
Il faut bien avouer que ces métiers de l’aide à domicile sont difficiles, compte tenu des publics à accompagner et des kilomètres à parcourir, notamment dans les territoires ruraux. Ils souffrent d’un déficit d’attractivité qui rend le recrutement particulièrement compliqué. De même, le manque de reconnaissance aggrave l’absentéisme et le taux de renouvellement du personnel. Dans le Calvados, mon département, où j’ai notamment reçu des représentants du réseau de l’ADMR, les professionnels du secteur sont confrontés à une inquiétante pénurie de personnel ; ils sont même parfois contraints de refuser des interventions.
La situation est très préoccupante et pose un véritable problème de société, pointé d’ailleurs dans le rapport de Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, remis en mars dernier. Celui-ci plaide pour un virage domiciliaire, préconisant un soutien financier de 550 millions d’euros pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile, afin d’améliorer le service rendu aux personnes âgées et de revaloriser les salaires des professionnels.
Plus récemment encore, l’ancienne ministre Myriam El Khomri, dans son rapport ciblé sur l’attractivité des métiers du grand âge et de l’autonomie, dressait une série de constats partagés par tous les professionnels du secteur, notamment le morcellement des métiers, l’incapacité à recruter et le défaut de vocations. Elle y fixe, entre autres objectifs, celui de créer 18 500 postes supplémentaires par an d’ici à la fin de 2024, avec, in fine, des propositions qui s’élèvent à 825 millions d’euros par an.
Au regard de ce PLFSS pour 2020, on ne voit pas très bien comment vous trouverez ces moyens.
Votre projet de budget consacre le retour d’un trou de la sécurité sociale, avec 5,4 milliards d’euros de déficit cette année au lieu des 700 millions d’euros d’excédent prévus voilà un an. Cela assombrit considérablement les perspectives d’avenir, alors que nous sommes dans l’attente de votre grande loi sur la prise en charge de la dépendance, bien évidemment conscients des coûts qu’elle engendrera. Le chef de l’État lui-même avait annoncé que cette loi serait discutée avant la fin de 2019. Il n’en sera rien, malheureusement. Il y a pourtant urgence, d’autant que les conseils départementaux, qui, bien souvent, versent les aides permettant de financer ces emplois et ces activités dans les territoires, sont exsangues et n’ont plus de levier fiscal.
Ce PLFSS pour 2020 pourrait permettre d’amorcer la prise en compte des enjeux du vieillissement et la prise en charge de l’épineuse question de la dépendance. Il devrait engager une transformation en profondeur de notre système, dont le domicile deviendrait le pivot. Or cet aspect est encore et toujours le parent pauvre de votre budget. Cela n’est plus tenable. Les prestataires de santé à domicile réclament non seulement un vrai statut, pour être enfin pleinement reconnus par leurs homologues professionnels de santé, mais aussi un soutien financier. À l’opposé de ce qu’il conviendrait de faire, ce budget offre pourtant la perspective d’un quasi-statu quo.
Madame la ministre, en juin dernier, dans sa déclaration de politique générale devant la Haute Assemblée, le Premier ministre, Édouard Philippe, avait annoncé que ce PLFSS serait la première étape d’une grande réforme de la prise en charge du grand âge, elle-même le grand marqueur social du quinquennat. Pour le moment, vous refusez d’aborder véritablement ces questions, sous prétexte qu’un projet de loi serait en préparation. Je préférerais pour ma part que nous profitions de ce texte pour faire avancer les choses. Sinon, dans les semaines et mois qui viennent, qu’allez-vous nous demander, si ce n’est de débattre d’un plan, d’une loi sur le grand âge et l’autonomie dont les dispositions ne seront pas financées ? Cela n’aurait pas de sens.
Nous ressentons tous l’urgence qu’il y a à répondre à la détresse de celles et ceux qui perdent leur autonomie et aux inquiétudes de leurs proches. Nous devons apporter des solutions, et ce dès ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Je vais essayer d’apporter quelques éléments de réponse aux différentes interventions, notamment sur les questions de compensation financière, de relations financières entre l’État et la sécurité sociale, ainsi que sur les questions d’endettement, avant que Mme la ministre ne revienne sur ce qui est le cœur du PLFSS, à savoir les prestations servies à nos concitoyens et l’amélioration du système de protection sociale.
Concernant les compensations – je sais que nous aurons de nouveau ce débat à l’article 3 –, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne marque pas une rupture. Nombreux sont celles et ceux qui ont évoqué la loi Veil, en rappelant le principe de compensation des exonérations accordées par l’État. Ce principe n’a pas toujours été respecté, c’est le moins que l’on puisse dire, puisque, année après année, sur une période longue, quasiment depuis le vote de cette loi, de nombreuses mesures n’ont pas été compensées. Avec la loi de programmation et le PLFSS de l’an dernier, nous avons fait en sorte de revenir à ce principe, que l’on qualifie parfois, de manière un peu familière, de « chacun chez soi ».
Pour faire écho à l’intervention de Mme Cohen lors de la défense de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, je souligne qu’il ne faudrait pas laisser penser – je ne pense pas que tel soit votre objectif, madame la sénatrice – que l’État ne compenserait absolument aucune exonération. Certes, le train de mesures est évalué à 2,8 milliards d’euros, mais d’autres mesures d’allégement font l’objet d’une compensation intégrale. Les allégements généraux, que vous avez cités à plusieurs reprises et qui représentent plus de 51 milliards d’euros, font, eux, l’objet d’une compensation intégrale par l’État grâce à un transfert de TVA.
Vous avez été nombreux à pointer que le contexte a changé. En 2019, nous avons constaté un déficit de 5,4 milliards d’euros, dont 2,8 milliards d’euros liés aux mesures d’urgence économiques et sociales. Reste que, pour une part non négligeable, à savoir un peu plus de la moitié, ce déficit est lié à une dégradation des hypothèses macroéconomiques. Nous en tenons compte dans ce PLFSS. Ainsi, nous supprimons les transferts qui avaient été prévus vers la Cades et vers l’État à compter de 2020. Il s’agit donc de 3 milliards d’euros qui vont rester dans les caisses de la sécurité sociale pour tenir compte de ce contexte et participer au redressement des comptes sociaux.
Je voudrais souligner que les mesures prises au titre de l’urgence économique et sociale bénéficient principalement à ceux de nos concitoyens qui en ont le plus besoin. Je pense notamment à l’exonération fiscale et sociale sur les heures supplémentaires, qui se traduit par un gain moyen de pouvoir d’achat de 450 euros par an. Il faut avoir en tête que les deux tiers des ouvriers et 46 % des employés réalisent des heures supplémentaires, contre seulement, si je puis dire, 20 % des cadres. Je vous rappelle que cette mesure a aussi été étendue aux agents publics, qu’ils soient titulaires ou contractuels.
Nous avons pris la décision de réindexer les pensions de moins de 2 000 euros sur l’inflation. Concrètement, un retraité qui perçoit une pension de 1 500 euros par mois retrouve ainsi 338 euros de pouvoir d’achat ; un retraité qui perçoit une pension de 1 900 euros retrouve, lui, un pouvoir d’achat de 428 euros.
Au total, je l’ai dit, ces mesures représentent un peu moins de 17 milliards d’euros. Le budget de l’État en porte plus de 14 milliards, et, effectivement, 2,8 milliards sont portés par la sécurité sociale. Nous avons souhaité ainsi répartir l’effort en fonction de la nature des mesures, en ayant en tête, aussi, que le budget de l’État présente un déficit qui tangente les 100 milliards d’euros. Nous serons, pour l’année 2019, à environ 97 milliards d’euros, annonce faite la semaine dernière en commission des finances à l’occasion du premier examen de la loi de finances rectificative. Pour la sécurité sociale, nous avons une prévision à 5,1 milliards d’euros, soit un peu moins que le niveau constaté en 2017.
Vous avez également soulevé trois interrogations auxquelles je souhaite répondre.
Les principes d’autonomie financière de la sécurité sociale et d’affectation de recettes spécifiques, à savoir les cotisations, à la sécurité sociale sont la base du système d’assurance collective et solidaire.
Le premier principe est respecté. Le budget autonome de la sécurité sociale est examiné dans un seul et même texte, distinct du budget de l’État : le PLFSS dont nous débattons à partir de ce jour. Si, effectivement, il y a eu un certain nombre de débats pour évoquer la fusion de ces deux textes, il n’est en plus question. Les choses sont claires : le PLFSS détermine le budget de la sécurité sociale et a vocation à continuer à le faire.
S’agissant du second principe, c’est-à-dire les ressources affectées à la sécurité sociale, permettez-moi de souligner, peut-être pour relativiser ou nuancer les affirmations que j’ai pu entendre, qu’il n’est plus respecté depuis plusieurs années pour une part non négligeable des recettes. Cela étant, j’ai déjà évoqué les 50 milliards d’euros de compensation des allégements généraux, auxquels il faut y ajouter non seulement 5 milliards d’euros de crédits budgétaires compensant des exonérations ciblées, mais aussi quelques milliards de fiscalité affectés à la sécurité sociale au titre de tel ou tel dispositif.
Je termine par les deux autres questions.
S’agissant de la dette sociale, que M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales a évoquée en commission et aujourd’hui, en séance publique, je voudrais rappeler que les deux tiers ont été à ce jour apurés, alors que la dette publique se stabilise autour de 98 %. Il importe de le souligner, car cela garantit, à terme, la soutenabilité de notre système de protection sociale.
La résorption de la dette sociale est une priorité, car nous refusons de léguer aux générations futures un système déséquilibré. À court terme, j’y insiste, il n’y a pas de difficulté pour la gestion de la dette par l’Acoss. Elle a été financée en 2018, avec un taux moyen annuel négatif de 0,65 %, et nos perspectives pour 2019, comme pour 2020, sont favorables, puisque nous anticipons encore des taux légèrement négatifs, ce qui est rassurant, car de nature à garantir à l’Acoss un traitement tout à fait soutenable de cette dette. Le plafond maximal d’emprunt de cet organisme n’augmenterait que de 1 milliard d’euros en 2020, malgré un déficit de plus de 5 milliards d’euros, grâce à l’optimisation de la gestion de trésorerie.
Par ailleurs, la Cades aura remboursé 16 milliards d’euros de dette en 2019 et 16,7 milliards d’euros en 2020, alors que le déficit est prévu à hauteur de 5 milliards d’euros sur les deux années. Il y a donc un effort de désendettement trois fois plus important que les déficits. Nous pouvons nous en féliciter, car c’est un gage de respect de sa trajectoire d’apurement.
Je me retrouve dans les affirmations d’un certain nombre d’entre vous, à savoir que la dette de l’Acoss devrait s’élever, d’ici à 2022, à 40 milliards d’euros. Je le répète, elle est soutenable, mais nous devons la financer et veiller à son apurement. Pour ce faire, nous pourrions envisager son transfert à la Cades, comme c’est parfois préconisé, mais il ne pourra se faire que par une disposition de loi organique. Nous pourrions aussi, et c’est une option que le ministère de l’action et des comptes publics porte évidemment en priorité, faire en sorte de travailler à des économies pour permettre le financement et la résorption de cette dette.
Nous allons avoir ce débat, que nous devons faire en sorte d’articuler avec les nouvelles perspectives que le Conseil d’orientation des retraites devra nous donner. En effet, vous le savez, le Gouvernement a saisi ce conseil pour qu’il puisse travailler sur différentes hypothèses et, ainsi, nous accompagner dans la préparation de la réforme systémique qui a été évoquée à plusieurs reprises.
Veuillez me pardonner, mesdames, messieurs les sénateurs, le caractère un peu décousu de mes propos, mais je veux terminer par une précision à l’attention de M. le rapporteur Joyandet et d’autres sénatrices et sénateurs. À plusieurs reprises a été évoquée la question des niches sociales. Nous sommes évidemment ouverts à un travail d’optimisation, d’amélioration et d’évaluation de l’efficacité des niches sociales. Nous aurons l’occasion de nous exprimer à ce sujet pendant le débat.
J’ai entendu dans la bouche de plusieurs d’entre vous le montant de 90 milliards d’euros. J’appelle votre attention sur le fait que cette somme correspond à l’estimation que fait la Cour des comptes du total des niches sociales, qui comprend les taux réduits de CSG. Or je pense que personne ici n’a pour objectif de revenir sur ce dispositif. Si nous défalquons le montant correspondant aux taux réduits de la CSG des niches sociales identifiées par la Cour des comptes, nous sommes non pas à 90 milliards d’euros, mais à un peu plus de 60 milliards d’euros. Certes, c’est une somme considérable, mais il faut la ramener à sa juste mesure par rapport à la somme communément avancée par les uns et par les autres.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Beaucoup d’entre vous ont évoqué l’Ondam, la crise que traversent l’hôpital public et les soignants qui y travaillent. Nous aurons l’occasion d’aborder lors du débat les mesures inscrites dans les différentes branches, mais je souhaite concentrer mon propos sur cette crise exceptionnelle.
Je l’ai dit dans mon discours introductif, je comprends et j’entends vos attentes. Il faut que la réponse du Gouvernement soit à la hauteur de l’enjeu. Tous conscients que cette crise est profonde, je crois que nous pouvons partager l’objectif de restauration de la confiance dans le fonctionnement, le financement de notre système de santé et y travailler ensemble, indépendamment de nos travaux sur le PLFSS, qui sont déjà engagés.
Vos propos ont à plusieurs reprises donné à penser que les décisions sont prises. Ce n’est pas vrai ! Ce que vous présentez comme des annonces figurant dans un article de presse n’ont pas été confirmées, car ce n’étaient pas des annonces. Si vous voulez dire que différentes pistes sont sur la table et que nous en débattons, c’est vrai. J’emploie mon temps à chercher des solutions en discutant avec les différents acteurs du système de santé, mais ces arbitrages sont très complexes, comme vous pouvez le comprendre, car nous n’avons pas le droit à l’erreur.
Vous souhaitez attendre les annonces et mentionnez la date du 20 novembre. Certaines annonces devront en effet être intégrées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale lorsqu’elles relèvent du domaine législatif. Elles pourront l’être en nouvelle lecture, ce qui ne privera pas le Parlement d’un débat. Faut-il pour autant bloquer la discussion de tout le reste du projet de loi de financement de la sécurité sociale ? Je sais que beaucoup des mesures inscrites dans ce texte vous intéressent, en particulier celles qui émanent du Sénat, comme les dispositions relatives au fonds d’indemnisation des victimes de pesticides. Je crois que ces débats doivent avoir lieu avant le 20 novembre, date fixée dans un article de presse mais qui ne correspond à aucune annonce précise.
Le projet de loi est insincère, dites-vous. Je ne le crois pas. L’insincérité consiste à vouloir fausser les grandes lignes de l’équilibre budgétaire. Nous en discutons encore, il est tard, c’est vrai, mais c’est justement par souci de transparence. Les annonces seront faites avant la nouvelle lecture afin que les textes financiers puissent, si besoin, en tenir compte.
Vous semblez dire que les droits du Parlement ne seraient pas respectés. Notre politique tend à l’inverse ! Le Parlement décide souverainement du niveau de l’Ondam, sur proposition du Gouvernement. Il vote l’ensemble des nombreuses mesures de la loi de financement de la sécurité sociale. Le Parlement exerce donc pleinement ses prérogatives. Nous associons les parlementaires à l’ensemble des mesures, même lorsqu’elles ne sont pas législatives, comme cela arrive très souvent. L’hôpital ne déroge pas à cette règle, qui est essentielle et constitue pour moi une préoccupation de premier ordre.
Enfin, certains d’entre vous ont dit que le débat ne servirait à rien ou serait faussé, ce qui le rendrait inutile. C’est précisément pour débattre, y compris des moyens, que nous nous réunissons dans cet hémicycle. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale mérite cette discussion. L’hôpital la mérite aussi.
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Milon, au nom de la commission des affaires sociales, d’une motion n° 936.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, de financement de la sécurité sociale pour 2020 (n° 98, 2019-2020).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales, pour la motion.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. La commission des affaires sociales a examiné, lors de sa réunion du 6 novembre, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Malgré un important travail des rapporteurs, elle n’a pu se prononcer de façon éclairée sur ce texte. En effet, de grandes incertitudes entourent le niveau réel des moyens financiers que le Gouvernement entend consacrer à la santé et, plus particulièrement, au secteur hospitalier.
Ainsi, alors que s’ouvre l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale au Sénat, le Gouvernement n’a déposé aucun amendement, ni transmis à notre assemblée le moindre élément d’information tendant à modifier l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’Ondam, inscrit à l’article 59 de ce texte. Pourtant, beaucoup d’orateurs y ont fait allusion, et vous aussi, madame la ministre, un grand journal a annoncé avant-hier que vous aviez remporté d’importants arbitrages budgétaires de nature à améliorer de manière significative la situation financière des hôpitaux et la rémunération des personnels. Si cela est vrai, tant mieux !
Cette situation n’est pas acceptable pour le Parlement. Elle compromet la sincérité de l’ensemble de nos débats. Elle contrevient clairement à l’esprit, voire à la lettre de l’article L.O. 111-3 du code de sécurité sociale, aux termes duquel la quatrième partie de la loi de financement de la sécurité sociale « fixe l’objectif national de dépenses d’assurance maladie de l’ensemble des régimes obligatoires de base ainsi que ses sous-objectifs ». C’est la raison pour laquelle la commission proposera le rejet de l’article 59 de ce texte en l’état. Il vaut mieux d’ailleurs ne pas le voter, permettant ainsi de le laisser ouvert afin de pouvoir mieux travailler dans le cadre d’une nouvelle lecture proposée par Mme la ministre.
C’est également la raison pour laquelle la commission propose au Sénat de lui renvoyer le texte : le brouillard qui entoure l’Ondam est susceptible de fausser l’ensemble de la discussion, y compris le niveau des recettes adéquat des régimes de sécurité sociale. En procédant de la sorte, la commission sera en mesure de demander au Gouvernement de lui indiquer enfin avec précision ses intentions en vue de réviser le niveau de l’Ondam et de répondre à la crise hospitalière. Il le fera dans le cadre de cette première lecture et non dans le cadre d’une nouvelle lecture, car il nous semble disposer d’éléments suffisants pour pouvoir travailler et discuter valablement sur ce sujet.
La commission des affaires sociales souhaite que cette motion tendant au renvoi à la commission soit votée par notre assemblée.