M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce n’est pas sans émotion que je prends aujourd’hui la parole sur ce texte d’origine sénatoriale, inscrit par le Gouvernement sur son ordre du jour réservé. Je remercie tout particulièrement son auteur, Alain Milon, d’avoir permis que soit soumis à nos suffrages un texte dont je sais qu’il a fait l’objet d’une très large concertation entre le Gouvernement, le Parlement, les conseils départementaux et les associations représentatives des personnes en situation de handicap. Son objet – l’amélioration de l’accès à la prestation de compensation du handicap – s’inscrit dans le sillage de plusieurs travaux entrepris par la commission des affaires sociales du Sénat.
Créée par la loi fondatrice du 11 février 2005, la PCH est l’une des pierres angulaires des politiques du handicap. Bien que ce dispositif ait donné depuis bientôt quinze ans la preuve de sa pertinence, le groupe de travail que j’ai eu l’honneur de présider l’an dernier avait identifié les pistes d’amélioration qu’il convenait de tracer afin que cette prestation accompagne pleinement la société inclusive. C’est de ce travail qu’est issu le texte dont nous débattons aujourd’hui. Je tiens aussi à saluer l’initiative de notre collègue député Philippe Berta, qui a également œuvré en faveur de ce texte.
Une précision encore avant de vous en présenter le contenu : ce texte n’entend nullement empiéter sur les chantiers lancés par le Gouvernement depuis la conférence nationale du handicap, qu’il s’agisse de l’articulation de la PCH avec l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), de l’accès aux aides techniques ou de l’activité des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Le résultat de ces travaux, nous les attendons avec impatience, comme les personnes handicapées elles-mêmes et leurs familles.
Ce texte a, plus modestement, pour but d’apporter à la PCH les améliorations qu’elle peut recevoir immédiatement pour faciliter la vie de nos concitoyens.
L’article 1er supprime la barrière d’âge de 75 ans au-delà duquel le bénéfice de la PCH n’est plus ouvert pour une personne dont le handicap s’est déclaré avant l’âge de 60 ans. Cette mesure cohérente, de simple justice et par ailleurs faiblement coûteuse, met un terme à la discrimination dont souffrent ceux qui n’ont pas jugé utile de demander la PCH avant 75 ans et qui se retrouvent, passé cet âge, en difficulté en raison d’un changement survenu dans leur environnement.
M. François Bonhomme. Oui, ça arrive !
M. Philippe Mouiller, rapporteur. L’article 2 relatif aux fonds départementaux de compensation a pu susciter quelques débats. Je souhaite ici m’en expliquer.
Les fonds départementaux de compensation, dont la création remonte à la loi de 2005, rencontrent aujourd’hui un important problème de mise en œuvre. Ces structures, initialement pensées pour réunir l’ensemble des financeurs de la compensation du handicap, ont vu leur action entravée par l’inscription dans la loi d’un plafonnement du reste à charge des personnes à 10 % de leurs ressources nettes après impôt.
Le dispositif que nous proposons, tout en préservant la mention d’un reste à charge plafonné, prévoit explicitement que l’action des fonds départementaux de compensation ne pourra s’exercer que dans la limite de leurs financements disponibles. Cela nous a été reproché, et je peux le comprendre. C’est pourtant une clarification, car l’ambiguïté de la loi, presque quinze ans après sa promulgation, n’a pas permis à ce jour aux gouvernements successifs de prendre le décret d’application nécessaire. L’État a d’ailleurs été condamné par la justice administrative il y a trois ans et paie toujours une astreinte quotidienne pour ce motif.
Avec cet article, nous remédions au silence fâcheux d’un texte, dont l’ambition, saluée par tous à l’époque, n’a pas empêché certaines de ses dispositions de rester lettre morte. Autrement dit, à un droit généreux, mais virtuel, nous préférons un droit enfin effectif. Il nous appartiendra, certes, de veiller à son effectivité, en suivant de près l’élaboration du décret, qui dira dans quelles conditions les fonds départementaux, sur tout le territoire, agiront pour limiter le reste à charge des bénéficiaires de la PCH à 10 % de leurs ressources.
L’article 3 comporte plusieurs avancées sur les modalités concrètes de versement de la PCH. Il renforce en premier lieu les prérogatives de contrôle attribuées au président du conseil départemental, garant de l’effectivité du droit. Il dote par ailleurs les bénéficiaires de la prestation d’un ensemble de droits nouveaux, qui leur donneront une plus grande liberté d’usage.
Il s’agit d’abord de fixer une période de référence d’au moins six moins pour le contrôle du versement afin de tenir compte des effets de lissage ou de saisonnalité dans l’usage réel de la prestation. Il peut en effet arriver qu’une personne handicapée ait moins besoin d’aide humaine, quand elle part en vacances par exemple, et elle ne doit pas être pénalisée pour avoir moins consommé sa prestation pendant cette période.
Il s’agit ensuite, dans le même objectif, d’ouvrir la possibilité d’un versement ponctuel de la prestation pour les aides humaines.
Il s’agit enfin de la mise en place d’une durée d’attribution unique et renouvelable de la prestation, dont les cinq éléments donnent actuellement lieu à des demandes de renouvellement distinctes et souvent fastidieuses. Cette mesure, attendue par les bénéficiaires, devrait leur permettre de simplifier leurs démarches.
Plus significatif encore, l’article 3 ouvre la voie à une prestation attribuée sans limitation de durée, lorsque le handicap n’est pas susceptible d’évoluer favorablement. Une telle mesure aligne la PCH sur les droits récemment reconnus par d’autres textes aux bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Il était en effet urgent que les personnes atteintes par un handicap irrémédiable se voient enfin reconnaître le bénéfice pérenne de la compensation qui leur est due, sans avoir à renouveler inutilement leurs demandes.
La commission des affaires sociales a par ailleurs utilement enrichi le texte, en prévoyant que toute réclamation formulée par un bénéficiaire en cas de lancement d’une procédure de récupération d’indu soit revêtue d’un caractère suspensif.
C’est en somme une prestation plus souple et plus protectrice, en un mot plus conforme à ce que doit être une société véritablement inclusive, que dessine l’article 3.
L’article 4 sert, quant à lui, un objectif bien plus large que son seul dispositif. Le virage inclusif que les pouvoirs publics souhaitent faire prendre à l’accompagnement des personnes handicapées a donné au problème de leurs transports, longtemps occulté, une importance à laquelle nous étions peu préparés. Songez, mes chers collègues, que la famille d’un enfant ou d’un adolescent en situation de handicap, pour peu qu’il soit suivi par plusieurs établissements ou services spécialisés, peut avoir à gérer jusqu’à trois ou quatre modalités de transport distinctes, sans compter ceux qu’elle doit elle-même organiser !
On se réjouit souvent, à raison, du mouvement amorcé de « désinstitutionnalisation » et de l’ouverture progressive de la cité aux personnes en situation de handicap, mais pour quel progrès, si l’abattement des murs ne fait que provoquer un allongement des routes ? L’article 4 propose de dessiner le cadre de cet important chantier à venir, dont la commission des affaires sociales persiste à croire qu’il est déterminant et que toute la mesure n’en a pas encore été prise.
Cette proposition de loi est une avancée pour le monde du handicap, mais le chantier concernant la PCH reste important, que ce soit pour la revalorisation financière, la prise en charge des aides techniques adaptées, la reconnaissance des aides nécessaires au handicap psychique ou l’harmonisation des procédures, et j’en passe… Madame la secrétaire d’État, nous sommes mobilisés pour faire avancer ses sujets dans le seul objectif d’améliorer la vie de nos concitoyens handicapés.
Mes chers collègues, c’est un texte porteur de nouveaux droits et protections, mais aussi de nouveaux espoirs, que je vous demande d’adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, Les Indépendants et LaREM. – Mme Marie-Françoise Perol-Dumont applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, comme l’a rappelé M. le président de la commission des affaires sociales, les grandes avancées de la loi de 2005 que nous devons au Président Jacques Chirac sont à saluer, car cette loi est le socle de la pleine participation et de la citoyenneté des personnes en situation de handicap. Aussi, je suis heureuse d’être présente aujourd’hui pour l’examen de cette proposition de loi qui montre, une fois encore, que le handicap a cette grande capacité de rassembler, de nous rassembler.
Cette proposition de loi se nourrit notamment du rapport d’information Repenser le financement du handicap pour accompagner la société inclusive, présenté par M. Mouiller au nom de la commission des affaires sociales. Ce rapport, fruit de travaux importants, toutes familles politiques confondues, a ouvert la voie à de nouvelles améliorations pour la vie quotidienne des personnes en situation de handicap, et je m’en réjouis.
Cette amélioration de la vie quotidienne des personnes, c’est le seul objectif que je poursuis. Bâtir une société, où enfin les choix seront écoutés et rendus possibles, voilà le projet politique que je porte et que, plus globalement, le Gouvernement porte.
Notre débat prend place dans une période marquée par de nouvelles avancées. Je vais en citer quelques-unes.
L’engagement de la stratégie Agir pour les aidants, bâtie avec l’apport des associations et des parlementaires – je remercie tout particulièrement Mme la sénatrice Guidez qui a porté haut la question si légitime d’une meilleure reconnaissance des proches aidants – permettra une amélioration de la situation pour les aidants percevant le dédommagement dans le cadre de la PCH, qui sera désormais défiscalisé.
Je veux aussi citer l’amélioration du pouvoir d’achat de nos concitoyens en situation de handicap : depuis le 1er novembre 2019, le montant de l’AAH a été porté à 900 euros par mois, soit 90 euros supplémentaires par rapport à son montant de 2017. Au total, nous mettons plus de 2 milliards d’euros au cours du quinquennat pour financer cette amélioration.
Cette mesure de revalorisation s’accompagne d’une simplification radicale des démarches des personnes avec l’octroi de droits à vie sur l’allocation aux adultes handicapés, lorsque le handicap n’est pas susceptible d’évoluer favorablement.
Enfin, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 porte aussi des mesures de simplification, notamment pour éviter des ruptures de droits au moment du passage à la retraite, mais aussi un engagement majeur pour changer d’échelle sur la prévention des départs non souhaités vers la Belgique, départs qui ne sont pas acceptables et qui conduisent assurance maladie et départements à dépenser chaque année près d’un demi-milliard d’euros pour les prises en charge en Wallonie.
Votre proposition de loi vient porter une nouvelle pierre à notre ambition pour l’émancipation des personnes en situation de handicap.
Rappelons l’importance de la prestation de compensation du handicap, levier essentiel pour l’autonomie des personnes dans tous les domaines de leur quotidien, qu’il s’agisse des actes essentiels de la vie, de l’acquisition d’aides techniques ou encore de l’accès à un logement adapté. Le nombre de personnes concernées atteint aujourd’hui 280 000. C’est une grande victoire, acquise en 2005 par les associations.
Aujourd’hui, près de quinze ans après sa fondation, il nous faut toujours travailler pour en renforcer l’efficacité, en liaison avec les départements, et en trouvant les voies d’une réconciliation entre deux impératifs : d’une part, l’individualisation de l’analyse des besoins et des choix de vie ; d’autre part, la nécessité de répondre à une attente si légitime de traitement des demandes dans des délais maîtrisés et compatibles avec la situation des personnes.
C’est à ce titre que j’ai fait le choix – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur – de consacrer, dans le cadre des travaux préparatoires à la conférence nationale du handicap, deux chantiers nationaux à ce sujet.
Le premier est relatif à l’amélioration de l’accès à la prestation de compensation du handicap. Je tiens à remercier tout particulièrement Mme Marie-Pierre Martin, première vice-présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire, qui a présidé avec l’aide de la direction générale de la cohésion sociale le groupe de travail national sur la prestation de compensation du handicap, et les associations de personnes handicapées qui se sont engagées dans ce chantier et avec qui nous avons étroitement travaillé.
Le second porte spécifiquement sur la compensation du handicap des enfants, sujet dont je sais, madame la sénatrice Schillinger, qu’il vous tient particulièrement à cœur. Centrés sur l’enjeu de la clarification de l’articulation entre l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et la prestation de compensation du handicap attribuée aux enfants, les travaux confiés à Daniel Lenoir, inspecteur général des affaires sociales, dont je tiens à saluer la qualité, présentent plusieurs scénarios d’évolutions ; nous devons mesurer ensemble les impacts et les conditions de réussite de ces scénarios, tant les enjeux sous-jacents sont importants et nombreux. Cela nécessite du temps, mais il y a des simplifications essentielles pour les familles et les enfants qui doivent pouvoir se concrétiser plus rapidement – je pense notamment à la simplification du droit d’option entre AEEH et PCH et au critère d’éligibilité qui représente aujourd’hui une complexité incompréhensible pour les familles qu’il nous faut retravailler.
Je vais maintenant entrer un peu plus dans le détail de cette proposition de loi.
L’article 1er prévoit la suppression de la barrière d’âge à 75 ans. Aujourd’hui, cette limite d’âge pénalise injustement les personnes handicapées qui n’ont pas jugé utile de demander la PCH avant 75 ans, mais qui se trouvent, passé cet âge, en difficulté du fait d’un changement survenu dans leur environnement, par exemple le vieillissement ou le décès du conjoint qui apportait, dans les faits, une aide humaine. La proposition de loi reprend les travaux conduits sur ce point par le député Philippe Berta et adoptés par l’Assemblée nationale – je souhaite très sincèrement saluer ce travail. Je me réjouis dès lors du consensus trouvé sur cette évolution, qui devrait concerner environ 10 000 personnes.
L’article 2 prévoit une évolution du dispositif législatif relatif aux fonds de compensation du handicap, sujet d’ores et déjà abordé à l’occasion de la proposition de loi de Philippe Berta et sur lequel nous butons collectivement depuis de nombreuses années – cela a été rappelé.
Je veillerai dans le cadre des mesures réglementaires d’application à améliorer les conditions de mobilisation de ces fonds pour davantage de transparence et de compréhension par les familles – elles sont environ 15 000 à les solliciter. Ces sollicitations concernent, pour une large part – près de 50 % –, l’accès aux aides techniques. Sur ce point, je veux apporter des solutions ab initio et baisser le coût de ces aides. Je pense par exemple aux fauteuils électriques : je suis régulièrement interpellée par des personnes qui me demandent si je trouve normal que leur fauteuil électrique coûte plus de 30 000 euros, soit le prix d’une voiture ! Il nous faut travailler sur ces coûts. C’est pourquoi je lancerai bientôt une mission nationale avec les associations sur ce sujet.
Venons-en au principe du droit à vie. Il a été institué pour différents droits et prestations : la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, ou RQTH, l’allocation aux adultes handicapés, l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé jusqu’à 20 ans et la carte mobilité inclusion invalidité. Je me suis engagée personnellement à suivre cette réforme, qui permettra d’alléger les démarches des personnes dont le handicap n’est pas susceptible d’évoluer favorablement et qui ne comprennent pas pourquoi elles doivent régulièrement justifier de ce handicap auprès des administrations.
Le fil rouge de mon action et de celle du Gouvernement est la simplification. L’article 3 de votre proposition de loi étend le droit à vie à la PCH en cas de handicap non susceptible d’évoluer favorablement et vise à aligner les durées d’attribution des éléments de la PCH sur une durée unique. Il permet de renforcer le principe du droit à vie, en l’étendant à la PCH. Continuons de simplifier les démarches des personnes handicapées et d’avoir en miroir des maisons départementales des personnes handicapées plus agiles et en mesure de mieux accompagner. Il y va de l’équité sur le territoire ; c’est un chantier que je suivrai très attentivement.
Lors de vos débats en commission, mesdames, messieurs les sénateurs, M. le rapporteur a rappelé que la question des transports des personnes en situation de handicap n’avançait pas assez vite, tant du point de vue des modalités d’organisation des mobilités que du point de vue du coût pour les familles et les personnes. Je vous rejoins entièrement. Oui, il faut que nous fassions bouger les choses ! Oui, il faut mettre à plat les différents modes de financement et de transport ! Et je crois qu’il faut innover dans les solutions à apporter afin d’améliorer la qualité. C’est l’objet de votre article 4, qui crée le lieu de débat sur cette question au travers d’un comité stratégique que vous avez souhaité élargir à la question de l’amélioration de la compensation pour les enfants handicapés.
Je reviens quelques instants sur la compensation pour les enfants. Vous le savez, une première étape de simplification a été franchie le 1er janvier 2019 pour les familles comme pour les équipes des MDPH avec l’attribution de l’AEEH de base jusqu’aux 20 ans de l’enfant, si son taux d’incapacité est au moins égal à 80 %, les durées de notification étant augmentées dans les autres cas.
Je vous ai dit que je considère que certaines avancées pouvaient être rapides sur l’option AEEH et PCH. En revanche, en ce qui concerne la cible à atteindre pour améliorer concrètement la compensation des besoins des enfants, il faut absolument poursuivre le travail à partir des propositions contenues dans le rapport de M. Lenoir. Je m’engage à organiser ces travaux, en liaison avec les sénateurs, dans une composition élargie, notamment pour les transports, à tous les niveaux de collectivités territoriales – les régions qui sont organisatrices des transports doivent en particulier être à nos côtés. Je ne suis pas convaincue que ce comité relève de la loi, mais je soutiens l’objectif de son lancement, et vous pourrez compter sur mon engagement.
Pour conclure, je reprendrai ce que disent souvent mes équipes : tous concernés, tous mobilisés ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la proposition de loi présentée par notre collègue Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, et consacrée à l’amélioration de l’accès à la prestation de compensation du handicap.
Je souhaite partager avec vous quelques réflexions sur l’opportunité d’examiner cette proposition de loi. Certes, elle contient quelques pistes d’amélioration, mais le compte n’y est pas. Pour moi, cette proposition de loi est surtout l’occasion pour la majorité sénatoriale de couper l’herbe sous le pied du Gouvernement… En effet, la conférence nationale du handicap prévue depuis plusieurs mois ne cesse d’être reportée, madame la secrétaire d’État, et il est difficile de distinguer clairement les déclinaisons précises des chantiers ouverts pendant la mobilisation nationale pour le handicap.
S’agissant des ressources des personnes handicapées, la revalorisation de l’allocation aux adultes handicapés est mise en avant ces jours-ci. Votée l’an passé et entrée en vigueur au début du mois, cette revalorisation s’accompagne malheureusement – nous continuons de le dénoncer – d’une stabilité de son montant pour les personnes en couple. Étrange manière de concevoir l’autonomie des personnes quand leur situation conjugale diminue leurs ressources de subsistance !
Au-delà de ces éléments d’ambiance, venons-en au cœur du sujet : la prestation qui vise à neutraliser financièrement les dépenses engagées par les personnes handicapées pour compenser leur handicap au quotidien.
La PCH vise plus précisément à compenser les actes essentiels : se lever, s’habiller, assurer sa toilette. Convenons qu’il ne s’agit que de la portion la plus congrue de la vie quotidienne : certains besoins ne sont pas couverts, comme le recours à une aide-ménagère. Une militante du secteur associatif du handicap de mon département me résumait la situation ainsi : « Je suis propre, je suis lavée, mais je ne peux pas manger avec de la vaisselle propre ! » Âgée de plus de 60 ans, elle ne peut en effet pas prétendre à l’allocation de solidarité aux personnes âgées pour son ménage, puisque le montant de l’AAH la prive de l’APA.
Cet exemple n’est certainement pas isolé ; il illustre bien à quelles absurdités notre logique actuelle conduit. Des dispositifs dédiés aux personnes handicapées – allocation de ressources et compensation de la perte d’autonomie – côtoient ceux réservés aux personnes âgées en perte d’autonomie du fait de l’âge.
Les ressources financières affectées aux uns et aux autres sont globalement insuffisantes. Dans ce contexte, l’accumulation des conditions posées pour ouvrir droit à un soutien matériel – ici, les ressources, là, un degré de perte d’autonomie, voire une combinaison des deux, ailleurs, l’âge de la personne… – conduit à des situations inacceptables.
En matière de PCH, les associations le déplorent et mettent l’accent sur la dégradation de la situation. Elles constatent le durcissement des décisions : des besoins évalués à la baisse ou des restrictions décidées par les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées.
Dans la pratique, cela se traduit par des plans personnalisés de compensation qui proposent moins d’heures de prise en charge par des aides humaines. Au quotidien, ce sont des gestes plus expéditifs, une attention réduite, moins de discussion et de temps consacré aux personnes – cela peut aller jusqu’à l’impression d’un « abattage », où la dimension humaine du travail est négligée. Les personnes handicapées s’en plaignent, les professionnels également – gardons-le bien à l’esprit !
Face à cette situation, le secteur associatif du handicap est parfaitement fondé à s’interroger sur le lien entre la dégradation de la situation et la pression financière exercée par les payeurs, c’est-à-dire les conseils départementaux. Voilà la logique qui consiste à contenir les budgets des collectivités ! Voulons-nous que les plus fragiles en paient les pots cassés ? Certainement pas !
Au regard du fonctionnement actuel de la PCH et de son cadre financier contraint, force est de constater que cette proposition de loi n’entend qu’améliorer à la marge l’accès de quelques-uns à cette prestation. J’en veux pour preuve l’idée énoncée à l’article 1er, consistant à lever la barrière d’âge. Vous proposez que, désormais, la PCH puisse être demandée, si la personne a dépassé l’âge de 75 ans. En l’état actuel, aucune demande de PCH n’est recevable après cet âge.
Cela peut être entendu comme une avancée, mais attention à ne pas décevoir : s’il est une revendication unanime chez les personnes handicapées, c’est la levée de la barrière d’âge liée à la reconnaissance du handicap. Cette barrière se situe à 60 ans. Si une personne, jeune retraitée, est reconnue handicapée après cet âge, elle ne peut prétendre à la PCH.
Permettez-moi, monsieur le rapporteur, de citer quelques lignes de votre rapport d’information de 2018 sur le financement de l’accompagnement médico-social des personnes handicapées : « La barrière d’âge de 60 ans trace une limite arbitraire entre l’accompagnement du handicap et l’accompagnement de la dépendance liée au grand âge. L’augmentation de l’espérance de vie des personnes handicapées pose le problème nouveau de leur vieillissement qui s’accorde mal au droit commun de la perte d’autonomie ».
C’est bien cette barrière qu’il faut lever en priorité, en imaginant des dispositifs ambitieux, où la situation réelle vécue par la personne est évaluée. Dans la société que le Gouvernement dessine, souvent avec l’appui de la majorité sénatoriale, nos concitoyennes et concitoyens sont invités à travailler plus longtemps – il faut repousser l’âge de départ à la retraite, favoriser le cumul emploi-retraite, allonger toujours plus les périodes d’activité… – pour celles et ceux qui sont en pleine forme.
Dans cette société pourtant, à 60 ans, on persiste à évaluer la perte d’autonomie liée au handicap survenu juste après 60 ans comme une dépendance liée à l’âge. Nous estimons que, philosophiquement, ce n’est pas acceptable. C’est une manière d’exclure ces personnes handicapées qui peuvent, à juste titre, estimer appartenir à la catégorie active.
L’article 2 aborde la participation personnelle du bénéficiaire à son plan de compensation. La limite actuelle est à hauteur de 10 % maximum des ressources propres de la personne. Le texte la maintient, tout en tenant compte des capacités des finances départementales à assurer le versement des fonds, ce qui suscite méfiance et réserves chez les personnes handicapées, compte tenu du contexte financier, évoqué plus tôt, et des contraintes budgétaires pesant sur les conseils départementaux. N’avez-vous pas trouvé là une façon de contenir les dépenses de PCH des départements ? Vous avez essayé de nous rassurer sur ce point en commission, et nous allons en débattre, mais gardons en tête la demande formulée par les représentants des associations de personnes handicapées : aucun reste à charge !
Les premiers concernés expliquent que la compensation du handicap ne saurait être financée, même à la marge, sur leurs autres ressources. Dans ce cas, c’est la pertinence même du dispositif PCH qui est amoindrie.
Pour conclure, j’évoquerai brièvement le comité stratégique que vous préconisez, monsieur le président de la commission, pour élaborer et proposer des évolutions des modes de transport des personnes handicapées en assurant une gestion logistique et financière intégrée.
J’en conviens, nous avons besoin de réflexion sur le sujet : ces mobilités doivent être perçues comme une chaîne de déplacements indispensables dans le quotidien des personnes handicapées. Se déplacer librement, outre le fait qu’il s’agisse d’une liberté fondamentale, permet en effet de maintenir le lien avec les proches, les amis, la famille, les collègues, de participer à des activités de loisirs, d’accéder aux pratiques et manifestations culturelles. C’est aussi une condition indispensable pour mener à bien une scolarité et de pouvoir surveiller sa santé. Bref, c’est le moyen de vivre comme tout le monde, en quelque sorte.
En l’état actuel, l’organisation et la prise en charge des transports sont souvent différenciées d’une activité à une autre. En effet, la sécurité sociale, les aides sociales locales ou les revenus de la personne financent, selon les cas, tel ou tel déplacement. Cette situation induit une gestion financière et administrative complexe, délicate, qui constitue certainement un obstacle à la pleine jouissance de la liberté de déplacement. Cela doit nous interpeller.
Avec une prise en charge intégrée, les personnes handicapées s’éviteraient de lourdes démarches et les avances de frais qui peuvent empêcher certaines d’entre elles de se déplacer, faute de moyens.
L’absence de lisibilité dans le système des modes de transport des personnes handicapées, tel qu’il est organisé aujourd’hui, peut les décourager et les rendre encore plus vulnérables. Ce n’est pas la société que nous voulons bâtir. Il est donc urgent d’ouvrir ce chantier, comme d’autres, avant nous, ont ouvert celui de l’accessibilité des lieux publics. Relevons ce défi !
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré toutes les réserves que j’ai soulevées, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi.