M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Jacky Deromedi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la commission des lois a examiné avec beaucoup d’intérêt cette proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art, déposée par Catherine Morin-Desailly à la suite des auditions que nous avons organisées, conjointement avec la commission de la culture, sur la situation du marché de l’art français en mars 2018.
Ce texte a pour objet de réformer notre système de régulation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, dont la vente d’objets d’art et de collection représente environ la moitié.
Comme vous le savez, ce secteur d’activité a été progressivement libéralisé depuis le début des années 2000, avec l’abolition du monopole des commissaires-priseurs, la suppression de leurs offices ministériels et le passage à un régime d’agrément, puis à un simple régime de déclaration préalable des opérateurs.
Certaines pratiques qui contribuaient à l’attractivité des maisons de vente étrangères, mais qui étaient naguère prohibées en France, ont par ailleurs été autorisées, comme le prix de réserve, la garantie de prix, les avances sur le prix d’adjudication, les ventes after sale ou encore la vente aux enchères de biens neufs.
Dictées par la nécessité de mettre la loi française en conformité avec le droit européen, ces réformes ont également eu pour ambition de rendre son lustre d’antan au marché français.
Dans les années 1950, en effet, la France se situait au premier rang mondial pour les ventes aux enchères de meubles. Elle n’est plus qu’au quatrième rang, loin derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et, désormais, la Chine. Sur ce terrain, la libéralisation n’a pas eu les effets escomptés : même si le volume total des ventes aux enchères réalisées en France a progressé, cela n’a pas suffi à rattraper notre retard par rapport aux champions mondiaux. Dans le seul secteur des objets d’art et de collection, on estime que la part de marché de la France stagne autour de 6 % du marché mondial.
En outre, pour beaucoup d’anciens commissaires-priseurs, la perte de leur monopole d’officiers ministériels sur l’activité de ventes volontaires et la soumission de cette activité au contrôle d’un organe de régulation extérieur à la profession ont été difficiles à accepter.
La proposition de loi dont nous sommes aujourd’hui saisis a pour principal objet de réformer cet organe de régulation, le Conseil des ventes volontaires, en modifiant sa composition, son organisation interne, ses missions et jusqu’à sa dénomination.
À titre préliminaire, nous devons nous interroger : est-il pertinent de maintenir une autorité de régulation propre au secteur des ventes volontaires de meubles aux enchères, qui constitue une singularité française ? Ce n’est pas certain !
Sans doute l’activité de ventes aux enchères doit-elle être soumise à une réglementation. Sans doute des contrôles sont-ils nécessaires, pour éviter les risques de fraude liés au procédé des enchères, ainsi que les risques de recel et de blanchiment particulièrement élevés dans le secteur du marché de l’art. Néanmoins, ces contrôles pourraient être du ressort de services ministériels financés par l’impôt, comme c’est le cas d’autres activités présentant le même genre de risques.
J’ai toutefois pu constater, au cours des auditions que j’ai conduites, qu’il n’existait aucun consensus pour s’engager dans cette voie, ni parmi les professionnels, ni parmi les administrations compétentes.
Pour beaucoup, le maintien d’une autorité de régulation ad hoc non est seulement indispensable pour protéger efficacement les vendeurs et les acquéreurs, mais constitue aussi un moyen de préserver l’image très positive dont jouissent les maisons de vente françaises à l’étranger.
En d’autres termes, un système de régulation plus rigoureux, en ce qu’il garantit la sécurité des ventes et prémunit contre les fraudes, peut aussi constituer un avantage comparatif dans un marché mondial très compétitif. La commission des lois a donc approuvé la voie médiane choisie par nos collègues, qui consiste à réformer en profondeur l’autorité de régulation, sans la supprimer.
Bien entendu, cette réforme, à elle seule, ne suffira pas à rendre son dynamisme au marché français des enchères. Il serait d’ailleurs présomptueux de prétendre y parvenir par la loi.
Le déclin du marché français a des causes multiples. Outre une réglementation qui fut longtemps très restrictive, outre le poids des contraintes administratives et fiscales, ce déclin s’explique aussi par des facteurs sur lesquels le législateur a moins de prise. Des facteurs culturels, d’abord : Paris n’est plus, comme autrefois, la capitale mondiale des beaux-arts. Des facteurs socio-économiques, ensuite : les acheteurs les plus fortunés vivent aujourd’hui à l’étranger.
Par ailleurs, comme le souligne le récent rapport remis à Mme la garde des sceaux par Mme Henriette Chaubon et Me Édouard de Lamaze, il est indispensable de promouvoir un esprit plus entrepreneurial au sein de nos maisons de vente, afin que ces dernières sachent s’adapter mieux encore aux attentes et aux besoins des consommateurs.
Il n’en demeure pas moins qu’une autorité de régulation plus à l’écoute des professionnels pourrait les aider à réussir leur mutation.
La commission des lois a donc souscrit à la proposition tendant à ce que les représentants de la profession soient désormais majoritaires au sein du collège de l’autorité de régulation, rebaptisée « Conseil des maisons de vente ». Elle s’est contentée d’apporter divers ajustements aux missions, à la composition, à l’organisation et au fonctionnement du nouveau conseil.
En outre, la commission des lois a complété le texte en y ajoutant plusieurs dispositions de nature à stimuler l’activité des maisons de vente françaises.
Ainsi, nous avons étendu aux meubles incorporels le régime légal de ventes de meubles aux enchères, ce qui permettra à nos maisons de vente de développer de nouveaux marchés, par exemple pour la mise aux enchères de fonds de commerce.
Nous avons ouvert la voie à ce que les maisons de vente puissent réaliser certaines ventes aujourd’hui considérées comme judiciaires et réservées aux officiers ministériels, bien qu’il ne s’agisse pas de ventes forcées. Je pense par exemple à la licitation des biens d’une succession.
Nous avons créé les conditions d’une concurrence équitable entre, d’un côté, les maisons de vente, et, de l’autre, les officiers publics ou ministériels habilités à réaliser des ventes volontaires, à savoir les notaires et les futurs commissaires de justice.
Nous avons allégé le poids des procédures, en réduisant le formalisme des ventes de gré à gré et en autorisant le regroupement du livre de police et du répertoire des procès-verbaux.
Enfin, nous avons souhaité que les personnes physiques habilitées à diriger des ventes volontaires retrouvent le beau titre de « commissaires-priseurs », aussitôt que la profession de commissaire-priseur judiciaire aura disparu pour être regroupée avec celle d’huissier de justice.
Si cette proposition de loi ne constitue pas une révolution, je suis convaincue qu’elle redonnera un souffle aux maisons de ventes françaises et permettra de mieux les armer face à la compétition internationale. Toutefois, comme le soulignait le rapport Chaubon-de Lamaze, leur avenir est en grande partie entre leurs mains ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, depuis plusieurs mois, la question du marché des ventes volontaires a suscité beaucoup d’attention de la part des parlementaires.
Le texte dont vous allez débattre aujourd’hui, sur l’initiative de Mme Catherine Morin-Desailly, que je salue particulièrement, en témoigne, tout comme d’autres propositions, également intéressantes, portées à l’Assemblée nationale. De son côté, le Gouvernement et, au premier chef, mon ministère ont également été très attentifs à cette question, en travaillant étroitement avec les professionnels du secteur.
Je me réjouis donc de l’examen de ce texte aujourd’hui dans votre hémicycle. Je m’en réjouis, car vous vous saisissez d’une question importante : comment renforcer l’attractivité et la compétitivité juridiques du marché de l’art français ?
La France dispose d’atouts indéniables sur le marché de l’art : la richesse formidable et inégalée de son patrimoine, les compétences et la formation des professionnels, ainsi que l’ancrage territorial des sociétés de ventes volontaires. En dépit de ces atouts, les professionnels comme les représentants des instances de régulation et de contrôle déplorent un certain déclin de la place de la France en cette matière.
Il est donc apparu nécessaire, pour préserver l’attractivité économique de la profession, de réfléchir à son adaptation aux importants défis auxquels elle doit faire face. Ils sont, au moins, au nombre de trois : l’internationalisation, la concentration du marché et la numérisation.
Votre assemblée, dès le mois de mars 2017, s’est saisie de cette problématique lors de plusieurs auditions menées par vos commissions des lois et de la culture, précisément sur l’attractivité et la compétitivité juridiques du marché de l’art français.
J’ai moi-même perçu l’urgence et l’inquiétude des professionnels en raison de l’arrivée d’autres acteurs sur le marché et d’une concurrence internationale croissante, mais aussi en raison des conséquences de la réforme des commissaires de justice.
C’est dans ce contexte, cela a été rappelé, que j’ai confié à Henriette Chaubon et Édouard de Lamaze en juillet 2018 une mission sur l’avenir de la profession d’opérateur de ventes volontaires. Le texte que vous présentez aujourd’hui rejoint en partie les propositions du rapport qu’ils m’ont remis en décembre 2018.
Comme je le soulignais d’emblée, ces propositions ont également suscité l’attention des élus du Palais-Bourbon. Ainsi le député Sylvain Maillard et le groupe La République En Marche, avec, notamment, le député Jean-Michel Mis, ont déposé une proposition de loi sur ce sujet, après plusieurs échanges avec la Chancellerie, tout au long du printemps.
Ces deux textes traduisent un consensus, auquel je m’associe, autour de l’indispensable réforme de la réglementation de la profession, pour faire face aux défis auxquels elle est aujourd’hui confrontée.
À l’évidence, la proposition que vous allez examiner s’inscrit dans le sillage du mouvement de libéralisation des ventes aux enchères publiques au travers de deux réformes de grande ampleur, l’une en 2000, l’autre en 2011. Ces deux grandes réformes ont façonné l’exercice de cette activité séculaire, pour s’adapter à une nouvelle donne.
La loi du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, déjà évoquée, a mis fin au monopole des commissaires-priseurs. Elle a établi une distinction entre, d’une part, les ventes judiciaires, prescrites par la loi ou par une décision de justice, qui relèvent de la compétence des officiers publics ministériels, et, d’autre part, les ventes volontaires. Pour assurer ces ventes volontaires, ont été créées des sociétés de ventes volontaires soumises à l’agrément et au contrôle disciplinaire du Conseil des ventes volontaires.
La loi du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques a, quant à elle, tiré les conséquences de l’adoption de la directive « Services ». Ce faisant, elle a apporté des innovations importantes, qui se sont traduites par un assouplissement dans le fonctionnement des structures professionnelles, par une extension du champ d’activité des opérateurs et par une diversification de leur mode d’intervention.
Néanmoins, parallèlement à ces évolutions juridiques, le marché de l’art a fortement muté, sous l’influence d’une internationalisation croissante et d’un développement des ventes non régulées en ligne. Ces bouleversements ne sont pas sans conséquence sur la double exigence de protection des usagers, acheteurs comme vendeurs, et de compétitivité du secteur.
Ainsi que l’écrivent Henriette Chaubon et Édouard de Lamaze, « en termes économiques, la libéralisation totale du marché et sa dérégulation placeraient les professionnels des ventes volontaires, selon un phénomène de ciseaux, dans une situation de concurrence intenable, avec, d’un côté, les futurs commissaires de justice, et, de l’autre, les maisons anglo-saxonnes ».
Les rapporteurs en ont conclu que, au sein d’un marché libéralisé, le maintien d’une instance de régulation propre à assurer son bon fonctionnement, à vérifier sa transparence et le respect des garanties qu’il doit offrir, à protéger les vendeurs et les acheteurs et à veiller aux bonnes conditions d’exercice de l’activité par ces professionnels était indispensable.
Un consensus se dégage donc aujourd’hui sur la nécessité, pour le secteur des ventes volontaires, de parvenir à relever trois principaux défis : accroître l’attractivité et la compétitivité des maisons de ventes françaises sur le marché mondial ; préserver la sécurité et la pérennisation des ventes volontaires aux enchères publiques ; enfin, favoriser l’accompagnement des professionnels et la protection des consommateurs.
L’une des lignes de force du rapport Chaubon-de Lamaze repose sur l’idée qu’il ne faut pas voir dans la réglementation actuelle un frein à l’activité de ventes volontaires. Je souscris pleinement à cette idée que l’on retrouve, d’une certaine manière, dans les exigences portées au travers de la présente proposition de loi.
Au contraire, cette réglementation est un gage de sécurité, de transparence et d’objectivité dans la valeur du bien et la détermination des prix. Elle concourt également à la préservation du maillage territorial – j’ai bien noté que ce point, auquel je suis vraiment attachée, a été relevé – et à l’image d’excellence de la France en la matière.
La présente proposition de loi poursuit donc le mouvement de réforme engagé par les textes précédents et concilie une plus grande liberté sur le marché des ventes volontaires avec le nécessaire maintien d’une régulation, gage de crédibilité et de probité dans un secteur imposant une grande attention et une véritable rigueur au regard des risques de fraudes qui peuvent le traverser.
La libéralisation de la profession de commissaire-priseur en 2000 a conduit à la création du Conseil des ventes volontaires, devenu, en application de la loi du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, l’autorité de régulation de ce secteur.
Le rapport de Mme Chaubon et Me de Lamaze relève que, si le Conseil est parfois critiqué, notamment quant à sa composition, il permet néanmoins d’assurer la crédibilité et la confiance dans le marché des ventes volontaires. J’y insiste : le principe d’une régulation est indispensable pour éviter que la concentration des ventes, déjà forte, ne s’accroisse davantage et pour garantir le maillage territorial des maisons de vente, qui constitue un atout économique, social et culturel tout à fait considérable.
Aujourd’hui, un consensus réel se dégage sur la nécessité de moderniser le Conseil des ventes volontaires, car – Mme la présidente de la commission de la culture et Mme la rapporteure l’ont dit – ce conseil ne correspond plus aux réalités du marché.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que vous allez examiner vise à moderniser la composition du Conseil des ventes volontaires, ses missions, son financement et le volet disciplinaire de la profession.
Le texte prévoit que le Conseil des maisons de vente, ainsi nouvellement dénommé, soit composé d’une majorité de six professionnels élus et de cinq personnalités qualifiées nommées respectivement par le garde des sceaux, par le ministre chargé de la culture et par le ministre chargé du commerce. Cette composition répond à la volonté des professionnels d’une présence accrue au sein de l’organe de régulation, tout en assurant la représentation du maillage territorial.
Je suis favorable à ces orientations, qui me semblent traduire les besoins et les attentes de la profession. Toutefois, afin de préserver l’équilibre entre le caractère professionnel du Conseil et sa fonction de régulation, je proposerai un amendement visant à ce que le président du Conseil soit désigné, par le garde des sceaux, parmi les personnalités qualifiées et non parmi les professionnels. En effet, associée à une présence majoritaire de professionnels, la nomination du président parmi ces professionnels rapprocherait, selon moi, l’autorité de régulation d’un ordre professionnel,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … ce qui n’est pas l’objectif de cette réforme et ne me paraît pas souhaitable au regard de l’équilibre recherché.
Afin d’assurer l’ancrage dans les territoires, je proposerai également, au nom du Gouvernement, un amendement tendant à traduire dans la loi la diversité territoriale des opérateurs de ventes volontaires parmi les professionnels élus au sein du Conseil des maisons de vente.
Par ailleurs, la proposition de loi conserve, en les redéfinissant, les missions actuelles du Conseil des ventes volontaires, que sont notamment l’identification des bonnes pratiques et l’élaboration d’un recueil d’obligations déontologiques, l’observation de l’économie des enchères et l’organisation de la formation professionnelle.
En outre, le présent texte complète ces fonctions par des missions nouvelles : information des professionnels et du public sur la réglementation applicable ; soutien et promotion de l’activité de ventes volontaires ; prévention et conciliation des différends entre professionnels ; examen des réclamations dirigées contre les opérateurs.
Sur le volet disciplinaire, la proposition de loi, s’inspirant des préconisations du rapport Chaubon-de Lamaze, institue un collège, une commission d’instruction et une commission des sanctions. Je note que la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par M. Maillard opère, quant à elle, le transfert de la discipline aux juridictions judiciaires : au regard du faible nombre de contentieux actuellement traités, il s’agit peut-être d’une option plus simple. La navette parlementaire permettra de débattre de cette question primordiale pour la crédibilité du secteur des ventes volontaires.
Avant de quitter la tribune, je tiens à rendre hommage au travail effectué par Mme Morin-Desailly et par Mme Deromedi. Je n’en doute pas, cette proposition de loi sera encore enrichie au cours de la navette parlementaire. (Mme Catherine Morin-Desailly acquiesce.) Ces travaux fructueux contribueront à renforcer l’attractivité de la profession, au service de la tradition française d’excellence en matière de ventes volontaires.
Au-delà des évolutions structurelles proposées par le texte que nous allons étudier maintenant, le rapport Chaubon-de Lamaze n’ignore pas que le marché des ventes volontaires présente un certain nombre de caractéristiques qui sont autant de fragilités : aussi, il contient diverses recommandations pour identifier les marges de progression. Certaines de ces mesures relèvent du domaine législatif, d’autres appartiennent au domaine réglementaire. Pour ma part, et à vos côtés, mesdames, messieurs les sénateurs, je mettrai tout en œuvre pour que l’ensemble de ces dispositions viennent redonner souffle aux maisons de vente volontaire et à la profession de commissaire-priseur, en leur assurant une longue vie ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC, RDSE et Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Merci !
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, c’est sur l’initiative de Catherine Morin-Desailly que nous débattons aujourd’hui de la proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art.
Au-delà de ce que peut laisser deviner son intitulé, ce texte concerne l’ensemble des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.
Composée d’un article unique, la proposition de loi d’origine prévoyait la transformation du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques en un conseil des maisons de vente. L’objectif était de donner plus de liberté aux maisons de vente et de créer un organe disciplinaire indépendant, mais aussi de mettre en place une instance chargée de représenter les professionnels auprès des pouvoirs publics.
Disons-le sans ambiguïté : cette proposition de loi était attendue des professionnels. Elle est donc saluée par eux. Mais elle est également le fruit de plusieurs rapports qui concluaient à la nécessité de réformer le Conseil des ventes. Je pense notamment au rapport de Stéphane Travert (Mme la garde des sceaux opine.), établi en novembre 2016 et relatif au marché de l’art, qui n’a pas été cité jusqu’à présent. Je pense aussi, bien entendu, au rapport Chaubon-de Lamaze, qui vous a été remis l’an dernier, madame la garde des sceaux.
Tout en approuvant les grandes lignes de cette réforme de l’organisation interne de cette autorité, la commission des lois du Sénat a apporté quelques modifications substantielles, notamment en recentrant l’activité du Conseil sur sa mission de régulation. Elle a également précisé sa composition. À ce titre, l’amendement du Gouvernement ayant pour objet la représentation territoriale des opérateurs de ventes volontaires parmi les professionnels élus au sein du Conseil relève, à mes yeux, du bon sens.
Concernant le régime disciplinaire, la commission des lois a utilement clarifié les règles applicables au fonctionnement de la commission d’instruction. Tout d’abord, elle a précisé que cette instance devait constituer un organe distinct de la juridiction disciplinaire. Puis, au titre de son organisation, elle a détaillé les règles applicables en cas d’empêchement ou de déport simultané d’un membre titulaire ou en cas de désaccord entre deux membres de la commission.
Mes chers collègues, en résumé, ce texte, attendu et salué par les professionnels des maisons de vente, est relativement consensuel. Aussi, les élus du groupe La République En Marche le soutiendront, en attendant naturellement que nos collègues députés l’examinent et l’enrichissent à leur tour.
Toutefois, il ne faut pas se leurrer quant aux buts visés : il s’agit notamment de s’inscrire dans une stratégie globale de reconquête du marché de l’art mondial. Réformer la régulation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques n’aura – il faut bien l’avouer – qu’une incidence secondaire, voire minime, sur la place de notre pays sur le marché de l’art.
On le sait : aujourd’hui, l’essentiel du marché de l’art se concentre dans trois pays, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Chine, qui totalisent environ 90 % du chiffre d’affaires global. La part de la France ne représente en moyenne que 4 % de ce montant. Les principales ventes de 2019 ont lieu à New York ou à Londres, et les maisons françaises ne profitent pas des ventes record dédiées à l’art moderne.
Le déclin de la place de Paris – il faut le dire – a commencé dès l’après-guerre. À l’époque, Drouot était encore le principal lieu de ventes dans le monde, et son chiffre d’affaires était équivalent à celui de Sotheby’s et Christie’s réunis. Le recul de la France s’est définitivement accéléré durant les années soixante. Daniel Cordier, compagnon de la Libération et ancien secrétaire de Jean Moulin, résuma assez bien la situation lorsqu’il ferma sa galerie en 1964 : « Paris fait désormais partie de la périphérie par rapport à New York. »
Mes chers collègues, depuis vingt ans, l’on assiste à la montée des places asiatiques, qui n’est sans lien avec l’enrichissement rapide de la région, notamment de certains hommes d’affaires ou responsables chinois. Pourtant, nous avons aujourd’hui devant nous une belle occasion de reconquérir des parts du marché mondial de l’art, grâce aux effets à venir du Brexit : des galeries ferment actuellement à Londres, tandis que de nouveaux espaces ouvrent à Paris.
Notre point fort, c’est le marché unique. Nous devons en profiter pour nous demander pourquoi le chiffre d’affaires des maisons de vente françaises est si faible et comment il est possible d’augmenter le volume des ventes. Faut-il simplifier le fonctionnement des maisons de vente ? Faut-il simplifier l’accès à la profession de commissaire-priseur volontaire, comme le préconise le rapport Chaubon-de Lamaze ?
Stéphane Travert l’a parfaitement relevé dans son propre rapport : le statut et le monopole des commissaires-priseurs ont conduit à une démarche de contournement du marché français. Les maisons de vente étrangères, qui se sont senties exclues de notre pays par la réglementation française, ont développé un réseau et des outils tellement performants que le retard pris peut parfois paraître irrattrapable.
Toutefois, plus encore que la réglementation, l’axe sur lequel il faudrait collectivement avancer est celui de la scène française et de la création artistique. Je dis « collectivement », parce qu’en premier lieu nos institutions et nos collectionneurs doivent oser mettre en avant des artistes français.
Si François Pinault ou Bernard Arnault sont des collectionneurs influents, ils le sont grâce à leurs achats internationaux : excepté Daniel Buren, ils ne mettent pas en avant des artistes français.
En la matière, « acheter français » ne se décrète pas. Il y a donc encore beaucoup à faire, notamment en associant le ministère de la culture à nos grands acteurs économiques et financiers pour redonner tout son lustre à notre pays sur le marché de l’art ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – Mme Colette Mélot et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la France possède une culture riche, pluriséculaire, qui est probablement l’une des plus belles au monde. Elle est un haut lieu de l’art depuis la Renaissance, et – je le rappelle à mon tour – Paris a longtemps tenu la première place du marché de l’art mondial.
Pourtant, depuis les années 1960, le marché de l’art français est sur le déclin. Avec 5 % à 6 % de parts de marché à l’échelle mondiale,…
M. François Bonhomme. Même pas !
Mme Esther Benbassa. … et 19 % à l’échelon européen, la France se situe à la quatrième position, loin derrière les États-Unis – 43 % –, le Royaume-Uni – 21 % – et la Chine – 19 %.
Les raisons en sont multiples et touchent aux domaines artistique, fiscal et administratif.
Premièrement, en matière artistique, la France n’arrive plus à produire suffisamment d’œuvres répondant aux attentes du marché mondial de l’art. Sa politique culturelle s’est détournée de l’art pictural pour embrasser, à partir des années quatre-vingt, un art conceptuel qui n’a trouvé que relativement peu de débouchés sur la scène mondiale.
Deuxièmement, en matière fiscale, la France n’a pas mis en place de mécanismes suffisamment incitatifs pour que le mécénat vienne compenser l’investissement public, lequel recule depuis plusieurs décennies. La loi Aillagon de 2003 avait pourtant réformé les modalités des dons des particuliers, du mécénat des entreprises et de la fiscalité des fondations. Mais, de toute évidence, ce n’était pas suffisant pour que le secteur privé assure le maintien d’une véritable politique culturelle de qualité, là où l’État devenait défaillant.
Le Conseil des ventes volontaires, ou CVV, pose un problème de taille. Dès sa création, en 2011, les élus du groupe CRC ont alerté quant aux difficultés que pouvait causer une autorité de régulation venant libéraliser le marché de l’art. Cette mesure a permis de faire la part belle aux grandes maisons de vente mondialement célèbres, au détriment des petites maisons françaises.
La présente proposition de loi a pour mérite de vouloir renforcer la présence des professionnels du marché de l’art au sein du CVV. L’institution devrait ainsi faire le lien entre les artistes et les autorités de régulation, à l’image du ministère de la culture.
Néanmoins, on peut s’interroger sur cette injonction : faire de Paris une place primordiale sur le marché mondial de l’art. Profondément spécifique, le tissu artistique français est peut-être antagonique d’une vision libérale et concurrentielle. Surtout, le fait de gagner une place de choix, tant prisée sur le marché mondial, ne garantit pas une prospérité économique pour des centaines d’artistes français qui n’arrivent pas aujourd’hui à joindre les deux bouts. (M. François Bonhomme manifeste sa circonspection.)
Nos artistes doivent pouvoir vivre de leur travail et être soutenus dans ce sens. À cet égard, la France possède un potentiel hors du commun : sa capitale dispose d’un des maillages de galeries d’art les plus denses au monde, et le savoir-faire de ses musées est reconnu internationalement, au point que certains d’entre eux possèdent des antennes culturelles à l’étranger, à l’image du Centre Pompidou à Shanghai, ou encore du Louvre d’Abu Dhabi.
Accroître le rayonnement culturel de la France dans le monde est un objectif souhaitable, certes, mais pas suffisant. Ainsi devons-nous valoriser nos filières artistiques ; permettre une saine émulation entre nos jeunes talents, par la création d’un concours national inspiré du Turner Prize britannique ; mettre en place encore plus d’événements dédiés à l’art, sur le modèle de ce que nous faisons pour le cinéma à Cannes, ou pour la bande dessinée à Angoulême. Exigeons également l’exposition de plus d’artistes français contemporains dans nos musées.
Seule une réforme de grande ampleur permettra à l’art français de retrouver son influence d’antan. Le présent texte contient un ensemble de dispositions intéressantes ; mais ces dernières sont bien timorées, et elles ne suffiront pas à atteindre cet objectif. En l’état, les membres du groupe CRCE s’abstiendront ! (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)