M. Didier Guillaume, ministre. Pour la santé des gens !

Mme Pascale Gruny. Mais si le nuage n’est pas toxique, qui paiera ? Est-ce l’État ? En tout cas, cela ne doit pas être les agriculteurs, et ce n’est pas le rôle des instances interprofessionnelles que d’assumer la charge de ces crises.

Beaucoup d’angoisse s’exprime sur tous ces sujets. Je vous le dis sincèrement : certes, il y a des réunions et des rencontres,…

M. le président. Il faut conclure !

Mme Pascale Gruny. … mais les agriculteurs n’ont pas confiance en vous, monsieur le ministre, parce qu’ils veulent des actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

3

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer la présence, dans la tribune d’honneur, d’une délégation du groupe d’amitié de l’Assemblée de la République de Macédoine du Nord, conduite par le président du groupe d’amitié, M. Ivanov. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent.)

Cette délégation est reçue au Sénat par le groupe interparlementaire d’amitié France-Balkans occidentaux, présidé par notre collègue Marta de Cidrac, et dont le président délégué pour la Macédoine du Nord est notre collègue André Bazin.

Cette visite sera, pour la délégation, l’occasion d’échanges avec notre groupe d’amitié au sujet des relations bilatérales entre nos deux pays. Elle pourra également évoquer les enjeux européens avec le président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, ainsi que les questions de politique étrangère et de défense avec le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Christian Cambon.

Mes chers collègues, en votre nom à tous et au nom du Sénat, permettez-moi de souhaiter aux membres de la délégation la plus cordiale bienvenue.

Je forme le vœu que leur visite contribue à renforcer les liens qui unissent nos deux assemblées et nos deux pays. Elle se tient peu de temps après la conclusion d’un long débat relatif à la Macédoine du Nord : fort heureusement, ce problème a été résolu dans un esprit d’ouverture et de solidarité européenne. Cela démontre aussi l’attention que nous portons tous, moi le premier, à la région des Balkans occidentaux. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

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Politique migratoire de la France et de l’Europe

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur la politique migratoire de la France et de l’Europe, en application de l’article 50-1 de la Constitution.

Après la déclaration du Gouvernement, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République a souhaité qu’un débat parlementaire puisse être organisé chaque année sur la politique migratoire de notre pays.

Comme nous l’avons fait lundi dernier à l’Assemblée nationale, nous nous livrons donc aujourd’hui au Sénat à un exercice qui est difficile et qui a sans doute ses limites, mais qui est, je le crois, profondément utile.

L’exercice est difficile, parce que, nous le savons, les questions migratoires suscitent plus facilement l’affrontement que le consensus. Entre, d’une part, l’attentisme ou l’angélisme et, d’autre part, les postures clivantes, j’en reste aux mots prononcés lors d’un autre débat sur la politique migratoire par l’un de mes prédécesseurs, Michel Rocard, qui insistait sur la nécessité d’« assurer le triomphe de la conception républicaine, ouverte, de la Nation, celle qui assure des droits pour chacun et fait accepter des devoirs pour tous. »

L’exercice a ses limites. Le débat vient à peine de commencer – c’était, comme je l’ai indiqué, lundi à l’Assemblée nationale –, et certains observateurs et commentateurs de la vie politique regrettent déjà que le calendrier des actions n’ait pas été annoncé dans ses moindres détails. Je ne doute pas que si nous avions annoncé ces détails, on nous aurait dit que le débat était faussé et ne servait à rien. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’assume de prendre soixante-douze heures pour que le débat ait véritablement lieu, avant d’en venir, vite, au temps des décisions.

L’essentiel est que le débat est utile. D’abord, il nous permet de partager un diagnostic documenté. Ensuite, il nous permet de réfléchir et de construire ensemble une stratégie générale. Enfin, je crois utile et précieux que la politique migratoire, au sens le plus large, soit débattue au Parlement, et pas nécessairement à l’occasion de la présentation d’un texte législatif ou d’une série de mesures techniques. Nous abordons le sujet dans sa conception la plus large, en évoquant tant les relations que nous entretenons avec les pays d’origine que la question de l’intégration sur notre territoire des personnes ayant vocation à rester ou celle du retour des autres vers les pays d’origine. Le débat est utile. Il est bon qu’il ait lieu ici, au Parlement.

Nos concitoyens parlent de ces sujets. Si j’osais, je dirais que, parfois, ils n’en parlent plus, et ce n’est pas forcément plus réjouissant. J’ai le souvenir de séquences dans le grand débat organisé voilà quelques mois où une simple phrase ou expression formulée par un des participants, sans jamais avoir besoin d’insister sur ce qu’elle pouvait impliquer, était immédiatement comprise, reçue et partagée par l’ensemble de l’assistance comme un non-dit, mais un non-dit qui aurait fait consensus.

Mesdames, messieurs les sénateurs, parfois, dans des réunions publiques ou lors de rencontres avec des associations, vous avez été, me semble-t-il, témoins de ces moments où le sujet n’est pas forcément explicitement formulé, mais où il est présent dans tous les esprits. Je ne suis pas sûr que cette situation soit plus favorable ou plus bénéfique que le fait d’avoir un débat explicite, public, devant la représentation nationale.

Nos concitoyens y pensent et en parlent. Ils nous écoutent. Ils écoutent ceux qui évoquent les peurs et, parfois, les encouragent. Ils écoutent ceux qui évoquent les vertus, les chances, et, parfois, les flattent. Il est très facile, je crois, de tourner presque à vide sur le sujet de l’immigration, en ressassant les mêmes obsessions, comme le fantasme du grand remplacement ou l’appel généreux et général à ouvrir grand nos frontières. Il est beaucoup plus difficile de congédier toute forme de facilités ou de rhétoriques pour essayer d’agir avec sagesse et bon sens. C’est ce que méritent évidemment nos concitoyens. Et c’est, je le crois, l’unique manière de bâtir une nation et une Europe fortes, solidaires et crédibles, qui resteront attractives sans être débordées ni repliées sur elles-mêmes.

La politique migratoire que nous présentons et sur laquelle nous souhaitons réfléchir avec le Sénat doit d’abord s’inscrire dans le contexte mondial et européen d’aujourd’hui.

Mener une politique d’immigration cohérente n’est pas seulement une affaire de procédures franco-françaises. Il s’agit, comme nous nous efforçons de le faire depuis deux ans, et comme cela me semble nécessaire, de mettre cette question au cœur de nos relations diplomatiques avec les pays d’origine et de transit. Nous avons d’ailleurs obtenu quelques succès en la matière, mais pas à une échelle telle qu’ils seraient définitifs.

J’évoquerai par exemple l’augmentation de 60 % du nombre de laissez-passer consulaires obtenus dans le cadre de la lutte contre l’immigration irrégulière. Tous ceux qui connaissent le sujet le savent, le nombre de laissez-passer consulaires demandés par l’administration française était faible, et le nombre de laissez-passer consulaires effectivement délivrés l’était encore plus, ces deux phénomènes se nourrissant mutuellement : le faible nombre de laissez-passer consulaires délivrés créait comme une incitation à ne pas demander de laissez-passer consulaires. Nous avons essayé, par un certain nombre de mesures – je peux les détailler si vous le souhaitez –, de revenir sur cette mauvaise mécanique, afin de faire en sorte que plus de laissez-passer consulaires soient demandés et qu’un très grand nombre soient acceptés et délivrés par les pays directement concernés par l’immigration irrégulière avec lesquels nous sommes en relation.

Au-delà de cette relation diplomatique forte avec les pays d’origine, je suis convaincu que l’aide publique au développement, pour laquelle nous consentons des efforts financiers croissants – ils seront encore amenés à progresser avec le temps –, doit être mobilisée au service de notre stratégie migratoire. Oui, cela doit s’inscrire dans une relation d’engagements réciproques avec nos partenaires ! Cette approche sera déclinée dans le projet de loi de finances dont vous débattrez bientôt. Elle donnera lieu aussi à un projet de loi de programmation et d’orientation en matière de développement ; nous vous proposerons de l’examiner au cours de l’année 2020. C’est là la première orientation de la stratégie que vous propose le Gouvernement. La question est souvent discutée, parfois contestée. À nos yeux, il faut assumer de faire de l’aide publique au développement l’un des instruments assumés – ce n’est évidemment pas le seul, et il ne saurait se réduire à cette dimension – d’une politique migratoire générale pensée par notre pays.

Dans ce contexte mondial, la situation de l’Europe est particulière. Nous ne sommes plus au cœur de la crise des réfugiés des années 2015 et 2016. Mais les problèmes restent là ; ils sont parfois entiers. Nous avons construit l’Europe de la libre circulation : c’est bien. Nous devons aujourd’hui construire l’Europe de la protection des frontières extérieures : c’est urgent ! Et à l’intérieur de l’Europe, nous devons traiter le problème des mouvements secondaires, qui sont le symptôme et parfois la conséquence d’une gestion encore insuffisamment coordonnée entre les États. Dès que la nouvelle Commission européenne sera installée, le 1er novembre prochain, nous ferons valoir nos propositions de renforcement juridique et opérationnel de la protection des frontières extérieures, et de réforme du régime d’asile européen. Nous veillerons à un bon équilibre entre responsabilité et solidarité pour la gestion des mouvements migratoires à l’intérieur de l’Europe. C’est le deuxième axe nécessaire de nos travaux.

Nos concitoyens veulent aussi que nous soyons capables de mieux accueillir et de mieux intégrer.

Mieux accueillir, c’est d’abord réduire des délais d’instruction des demandes d’asile qui sont bien trop longs. Cette année encore, nous avons autorisé le recrutement de 150 officiers de protection à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’Ofpra, et des agents nécessaires à l’ouverture d’une vingt-troisième chambre à la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA. Alors que le nombre de demandes d’asile est en très forte augmentation, ces efforts constants ont permis de stabiliser les délais. Mais nous ne sommes pas dans le raccourcissement des délais que nous souhaitions : ce que nous avons gagné à l’instruction, nous l’avons perdu au contentieux. Pour le dire en termes un peu crus, l’instruction est plus rapide qu’auparavant, mais le contentieux des mesures prises a eu tendance à s’allonger, en raison à la fois d’un mouvement de grève qui a frappé la Cour nationale du droit d’asile et d’un contentieux très massif des décisions prises par l’Ofpra dans le cadre du droit d’asile.

Troisième volet de notre stratégie, nous devons garantir l’atteinte des objectifs que nous nous sommes déjà fixés, notamment au moment de l’adoption de la loi du 10 septembre 2018 : un délai moyen de six mois pour accomplir l’ensemble de la procédure.

Mieux accueillir consiste surtout à mieux intégrer ceux qui ont vocation à rester. Nous avons déjà fait beaucoup, en donnant une nouvelle ambition au contrat d’intégration républicaine, qui repose désormais sur trois piliers : la langue française, le travail et les valeurs républicaines.

Pour ce qui concerne la langue française, nous avons doublé le volume horaire des cours destinés aux primo-arrivants qui en ont besoin. Le respect de nos valeurs républicaines n’est pas non plus négociable, par exemple quand il s’agit de laïcité ou du droit des femmes. Cela demande pour certains une forme d’éducation républicaine. Le dire n’a rien de péjoratif ou de scandaleux ; c’est simplement constater un fait. Nous vivons avec un certain nombre de valeurs auxquelles nous tenons. Elles sont dans notre conception universelle : elles ont vocation à s’appliquer universellement. Mais elles ne sont pas toujours partagées, connues, ni interprétées exactement de la manière dont nous les interprétons par ceux qui viennent chez nous. Nous ne voulons, ne pouvons, ni ne devons négocier sur l’interprétation et la réalité des valeurs qui sont les nôtres et auxquelles chacun doit bien entendu se plier lorsqu’il veut s’installer ou vivre dans notre pays.

Vous le savez, tous les étrangers qui arrivent en France ne sont pas comme le jeune Albert Cohen, qui débarquait de Corfou à Marseille en vouant un véritable culte à la France. Albert Cohen nous raconte qu’il avait même érigé un petit autel à la France, avec des figures aussi diverses que Victor Hugo, Jeanne d’Arc ou Napoléon. Je n’en demande pas tant à ceux qui arrivent aujourd’hui, quoique s’ils veulent apprendre Les Contemplations par cœur, ce sera toujours bienvenu ! (Sourires.) En revanche, nous leur demandons, et nous n’avons pas d’autre choix que de leur demander d’adhérer aux valeurs qui ont fait la France. C’est la raison pour laquelle nous avons modernisé et doublé la durée de la formation civique. Nous devons être inflexibles sur cette exigence.

Nous le savons, aucune intégration ne saurait être durable et réussie sans accès au monde du travail. C’est là notre quatrième axe : l’intégration par le travail. Nous avons ajouté un volet « insertion professionnelle » au contrat d’intégration républicaine. Nous avons déjà réduit de neuf mois à six mois le délai au terme duquel les demandeurs d’asile peuvent accéder au marché du travail. Et nous soutenons de très nombreux projets d’intégration par l’emploi. Comme souvent, les initiatives qui apportent des solutions émanent de nos territoires ; elles nous ouvrent la voie, mais elles ne suffisent pas.

Il faut donc faire plus et mieux. Les procédures d’accès des étrangers au monde du travail doivent être plus globalement repensées. Je propose que nous réinventions le système d’autorisation de travail pour les métiers en tension. La révision de cette liste devrait ainsi permettre de mieux intégrer les étrangers présents en France et d’attirer, lorsque c’est nécessaire, les talents dont notre pays a besoin.

Mieux accueillir, c’est aussi assumer un pilotage par objectifs de l’admission au séjour. Nous savons que la logique des quotas ne peut s’appliquer ni en matière d’asile ni en matière d’immigration familiale. Mais, pour attirer les talents, qu’il s’agisse d’étudiants, de compétences rares, ou de compétences dont nous avons besoin, on doit pouvoir réfléchir à des objectifs quantitatifs. C’est là notre cinquième orientation. On doit pouvoir adapter et dynamiser nos procédures d’immigration professionnelle en fonction des besoins des secteurs d’activité. On doit pouvoir se fixer des objectifs en nombre d’étudiants accueillis, en nombre de « passeports talents » délivrés, ou encore sur la proportion de l’immigration qualifiée au sein de l’immigration professionnelle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne doit pas y avoir d’angle mort dans notre débat. L’accès à la nationalité ne doit pas être un angle mort. J’ai déjà affirmé lundi, et je la redis aujourd’hui à cette tribune, mon opposition à la suppression du droit du sol. Mais je suis favorable à ce que nous élevions les critères de naturalisation par décret, notamment en ce qui concerne le niveau de maîtrise de la langue française. Nous irons dans cette direction. Il n’y a pas de tabou non plus sur l’immigration familiale : nous lutterons fermement contre les fraudes et les abus. Nous pouvons et nous devons resserrer les critères là où cela se révèle nécessaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour bien accueillir, il faut se donner les moyens d’une meilleure maîtrise des flux migratoires.

Nous devons d’abord comprendre pourquoi le système français d’asile est actuellement saturé. Les mouvements migratoires secondaires expliquent une part importante de la situation. En 2018, 30 % des demandeurs d’asile en France avaient déjà déposé une demande dans un autre État membre, et ne relevaient donc pas de la responsabilité de notre pays. Et beaucoup de ces demandeurs sont issus de pays que l’Ofpra considère comme sûrs.

Il y a probablement plusieurs déterminants à ces phénomènes. Mais nous devons regarder les choses en face, et assurer une plus grande convergence européenne des conditions d’accueil des étrangers. Ce sera notre sixième axe. Nous voulons que la France ne soit ni moins accueillante ni moins attractive que ses voisins. Cela concerne notamment l’accès au système de santé : l’aide médicale de l’État, ou encore les conditions d’accès des demandeurs d’asile à la protection maladie. Des pistes sont à l’étude : la secrétaire d’État Christelle Dubos y reviendra sans doute. Nous aurons sur ce sujet une discussion précise lors de l’examen du projet de loi de finances.

Maîtriser les flux migratoires, c’est bien évidemment aussi renforcer notre efficacité dans l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. J’ai parlé de l’action diplomatique. Mais nous avons aussi renforcé nos outils juridiques, avec la loi du 10 septembre 2018. Les éloignements contraints ont ainsi augmenté de 20 % en deux ans. Cette augmentation se poursuit d’ailleurs sur la même tendance en 2019. Mais nous voulons faire mieux, en tirant le meilleur parti des outils que nous nous sommes donnés et en menant un nouvel effort capacitaire, par exemple sur le nombre de places de rétention administrative.

Nous devons apporter une réponse adaptée à la problématique des mineurs non accompagnés. Victor Hugo, que j’évoquais tout à l’heure, avait cette phrase : « Tous les crimes de l’homme commencent au vagabondage de l’enfant. » Nous avons créé un outil technique d’appui à l’évaluation de la minorité, pour distinguer les vrais mineurs des demandeurs en réalité adultes, pour lutter contre les fraudes et les détournements. Et nous avons renforcé notre solidarité financière à l’égard des départements en la matière.

Aujourd’hui, nous devons aller plus loin, pour nous assurer que le nouvel outil technique déploie sa pleine efficacité et inciter à son utilisation partout sur le territoire, mais aussi pour redéfinir les critères selon lesquels s’opère à l’échelon national la répartition entre départements des mineurs à accueillir. Nous présenterons des solutions dans les prochaines semaines, dans le prolongement de nos échanges les plus récents avec l’Assemblée des départements de France.

J’attire aussi votre attention sur la nécessité d’affiner la réponse qu’il convient d’apporter à certains territoires, notamment les outre-mer. Le Gouvernement n’a pas hésité à décider d’adaptations nécessaires pour répondre à leur spécificité.

Ainsi, pour Mayotte, nous avons engagé une action globale de lutte contre l’immigration clandestine qui mobilise les forces armées aux côtés de la police et de la gendarmerie. Cette action globale passe également par une coopération renforcée avec l’Union des Comores. Je veux aussi relever que nous avons décidé d’adapter les modalités d’accès à la nationalité française pour les ressortissants étrangers nés à Mayotte : je salue ici le travail législatif mené au Sénat sur l’initiative du vice-président Thani Mohamed Soilihi. Dans l’océan Indien, nous avons conduit une action de coopération avec les autorités du Sri Lanka pour éviter les départs de migrants depuis ce pays en direction de La Réunion.

Je n’oublie pas non plus la Guyane, qui est exposée à un flux important de demandeurs d’asile, dont un très grand nombre sont déboutés. Nous y avons lancé l’expérimentation de la prise de décision en deux mois : le signal a été clair, et les demandes d’asile ont sensiblement diminué. Nous allons étendre ce dispositif aux départements français des Antilles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne sais pas si les échanges seront aussi vifs ici qu’à l’Assemblée nationale au cours du débat sur l’immigration. Si tel est le cas, j’espère que cette vivacité sera féconde en solutions. Je suis sûr que la Haute Assemblée a une contribution originale à apporter à ce débat, notamment en exprimant le ressenti des territoires et en se faisant l’écho du point de vue des élus locaux. Nos concitoyens ont les yeux rivés sur les réponses que nous apporterons ensemble. L’équilibre et l’efficacité de notre politique dépendront en partie de la qualité des échanges que nous pourrons avoir. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais partager avec vous quelques convictions sur la politique d’immigration.

La première est que notre politique migratoire est, et doit être une question globale. Elle ne concerne évidemment pas uniquement un ministère ou une politique publique ; elle demande une approche globale, ainsi que le travail et la mobilisation de tous.

Ma deuxième conviction est que ce sujet appelle évidemment – M. le Premier ministre l’a souligné – à la sérénité et au sérieux. Parler d’immigration, c’est souvent parler aussi de sa propre histoire, avec son propre vécu. Parler d’immigration, c’est évoquer un sujet qui touche chacune et chacun d’entre nous. Nous devons l’aborder par les faits, en nous tenant éloignés des a priori et des idées reçues, qui sont nombreuses en la matière.

Notre politique d’immigration, c’est d’abord une question internationale. Et c’est au cœur de cet ordre international que se trouve un acteur absolument incontournable sur la question migratoire : l’Europe.

D’abord, c’est la question de Schengen. Schengen, vous le savez, s’est construit sur deux piliers : la libre circulation des personnes à l’intérieur des frontières et la protection des frontières extérieures. Malgré des avancées fortes, indéniables, puissantes sur le premier pilier, jusqu’à il y a peu, le second n’avait été qu’insuffisamment traité.

Malgré des contrôles extrêmement stricts dans certains points, quelques frontières extérieures de l’Union européenne, que nous appelons des « frontières vertes », sont encore insuffisamment contrôlées.

C’est pour cette raison que le Président de la République s’est engagé très tôt pour la réforme de Schengen, notamment afin d’encourager l’établissement de centres contrôlés aux frontières extérieures de l’Europe, de mieux nous appuyer sur l’Agence européenne de garde-frontières et de créer une Agence européenne de l’asile, enfin, de poser la question de la prise en charge financière des procédures.

Corolaire nécessaire de cette réforme de Schengen, nous devons revoir nos règles en matière de droit d’asile.

Fixant un principe en apparence simple – le pays de première entrée d’un demandeur d’asile traite sa demande –, le règlement Dublin s’est révélé difficile à mettre en œuvre. Ainsi, comme les exemples italien et grec nous l’ont montré, dès lors que les arrivées sont massives, un traitement adapté des demandes est compromis.

Si on ajoute à cela les demandes multiples introduites par les demandeurs d’asile et l’action innommable des trafiquants d’êtres humains, les principes de solidarité entre les États membres ont été totalement compromis.

Pourtant, il est possible de les faire vivre. J’étais la semaine dernière à La Valette avec plusieurs de mes homologues européens. Nous avions des intérêts parfois divergents, mais nous avons trouvé des premières solutions ensemble.

Au conseil des ministres « justice et affaires intérieures » d’hier, où Amélie de Montchalin représentait la France, nous avons exposé notre souhait de poursuivre cette dynamique pour mener une réforme globale et durable du système d’asile sur les deux fondements qu’a rappelés le Premier ministre : solidarité et responsabilité.

En effet, dès l’installation de la nouvelle Commission européenne, nous devons être prêts à proposer des solutions pour avancer sur la refondation de Schengen et sur la réforme du régime d’asile européen. Mesdames, messieurs les sénateurs, la France sera au rendez-vous.

La responsabilité, cela signifie que des règles effectives doivent déterminer les compétences respectives des États membres pour l’examen des demandes d’asile. Certains pays ont plaidé pour une augmentation de la durée de responsabilité. Celle-ci devra naturellement s’effectuer dans une proportion raisonnable. Pour réduire les mouvements secondaires, nous rechercherons des solutions en proposant par exemple qu’un demandeur d’asile ne puisse bénéficier des conditions matérielles d’accueil que dans un seul État, celui qui est responsable de sa demande.

La solidarité, cela signifie qu’une gestion ordonnée des migrations à l’échelle de l’Europe suppose que nous cherchions à aider vraiment les États de première entrée. La France se prononcera en faveur d’un mécanisme de solidarité, qui devra être obligatoire. Obligatoire dans son principe, cette solidarité pourra bien entendu se manifester par des formes différentes selon les États.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pouvons pas envisager notre politique d’immigration sans connaître ce contexte européen, mais nous ne pouvons pas débattre sans partir des faits.

Le premier fait que je veux évoquer, ce sont les entrées régulières sur notre territoire. En 2018, 256 000 personnes sont arrivées régulièrement. Parmi elles, 90 000 sont arrivées par la voie de l’immigration familiale ; ce chiffre est stable depuis de longues années. En outre, 83 000 étudiants ont été accueillis, tout comme 33 000 personnes pour des motifs économiques. Ces deux chiffres sont, eux, en nette hausse ; c’est le reflet des choix que nous avons faits. Or 256 000, c’est deux fois plus que la demande d’asile, sur laquelle, bien souvent, nous nous arrêtons.

Mais il faut noter que la demande d’asile en France présente plusieurs singularités.

La première, c’est son augmentation. Il y a eu, l’année dernière, 123 000 demandes d’asile en France : c’est un record, et cela représente une hausse de 20 % par rapport à 2017, alors même que la demande d’asile en Europe a significativement baissé. J’ajoute qu’elle diminue fortement dans certains pays : en Allemagne, la baisse est de 18 % sur la même période.

Ces données doivent nous conduire à nous interroger, car elles ont des conséquences sur nos capacités à instruire convenablement les demandes et à traiter dignement celles et ceux qui ont besoin de protection.

La deuxième singularité de la demande d’asile en France, c’est qu’elle provient pour une part importante de « pays sûrs ». Cette liste de pays sûrs est établie par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, mais elle découle aussi de la jurisprudence du Conseil d’État. Elle recense les pays où l’État de droit est garanti, où l’État n’est pas une menace pour ses citoyens.

Ainsi, aujourd’hui, un quart de notre demande d’asile provient de pays dits « sûrs », notamment de Géorgie et d’Albanie, deux pays depuis lesquels la demande est en forte augmentation.

À ces demandes s’ajoute la défaillance du système Dublin, puisque 30 % des demandes d’asile effectuées le sont par des personnes ayant déjà introduit une demande dans un autre pays d’Europe.

Ces chiffres ont donc un sens, que nous devons affronter : il est possible que notre système d’asile soit en partie dévoyé, détourné. Et l’on constate qu’une pression très forte s’exerce sur nos services publics, notamment les préfectures ou notre système de santé.

Nous avons pris les choses en main, singulièrement en augmentant nos capacités d’hébergement pour les demandeurs d’asile et les réfugiés. Nous nous sommes aussi emparés, dès le début du mandat, des questions d’immigration, d’asile et d’intégration.

La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a été une première étape. Elle est aujourd’hui pleinement entrée en vigueur. Toutes les mesures réglementaires nécessaires à son application ont été prises et les crédits budgétaires, les moyens matériels, humains et les mesures d’organisation ont été au rendez-vous.

Ce texte a permis des avancées fortes, nécessaires, utiles.

Je pense notamment à l’allongement de la durée maximale de rétention de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours, qui a permis des éloignements que nous n’aurions pas pu réaliser autrement.

Je pense également à la possibilité offerte aux préfets de prendre dans certains cas des mesures d’éloignement après une décision de l’Ofpra confirmée par les juridictions. Depuis son entrée en vigueur, 3 000 OQTF – obligations de quitter le territoire français – ont pu être prises sur ce fondement.

J’ajoute que les lois de finances successives ont concrétisé nos efforts en matière d’asile, d’immigration et d’intégration et qu’ils seront encore amplifiés dans le projet de loi de finances pour 2020.

Concrètement, ce sont 480 places supplémentaires en centres de rétention administrative – CRA – depuis le début du mandat. Ce sont 229 millions d’euros supplémentaires pour l’allocation pour demandeur d’asile – ADA –, dont 112 millions d’euros cette année. Ce sont 3 000 places supplémentaires pour les centres d’accueil des demandeurs d’asile et 5 000 places d’hébergement supplémentaires pour les réfugiés. Ce sont des engagements forts, significatifs, concrets.

Je veux dire aussi que Laurent Nunez et moi-même multiplions les déplacements pour améliorer nos coopérations avec les pays d’origine. Nous utilisons également toutes les options qui nous sont offertes pour lutter contre l’immigration irrégulière, qu’il s’agisse de l’aide au retour volontaire, du contrôle des frontières intérieures ou des éloignements forcés, dont le nombre a augmenté de 10 % en 2018 et progresse encore cette année.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux le dire fermement : nous pensons notre politique d’immigration pour réussir notre politique d’intégration. Sur ce point, notre gouvernement s’est engagé fortement.

Les crédits budgétaires dévolus à l’intégration ont été portés à des niveaux sans précédent : ils ont connu une hausse de 75 % depuis 2017. Nous avons revu notre parcours d’intégration pour doubler le nombre d’heures de français et d’instruction civique, en allant parfois jusqu’à 600 heures au total.

Nous avons renforcé les programmes qui favorisent l’insertion professionnelle. Ils font désormais pleinement partie de nos politiques d’intégration et nous devons aller plus loin encore, notamment pour les femmes ou les réfugiés qualifiés. À cette fin, nous avons engagé une réflexion pour simplifier les procédures et revoir la liste des métiers dits « en tension ».

Enfin, nous devons prendre en compte le désir exprimé par de nombreux réfugiés de résider dans les grands centres urbains. C’est une difficulté de gestion supplémentaire. Julien Denormandie et moi-même recevrons bientôt des maires qui se sont engagés pour contribuer à cet accueil, ainsi que ceux qui font face à des situations d’une particulière complexité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la question de notre politique migratoire est une clé pour notre pacte républicain, une clé pour notre intégration, une clé pour la confiance entre les dirigeants et les Français.

Nous ne transigerons pas sur nos valeurs. Nous aborderons toutes les solutions avec sérieux et sérénité, sans caricature. Le Premier ministre a dessiné quelques pistes lundi à l’Assemblée nationale ; elles se précisent aujourd’hui au Sénat.

Nous avons besoin de regarder cette question en face, sans passions excessives ou fantasmes entretenus. Nous avons besoin de faire preuve de courage, d’avancer des propositions et d’aborder tous les aspects du débat, sans exception. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)