Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. On ne peut pas leur faire confiance !
M. Franck Riester, ministre. J’ai donc pris la décision de mener, très rapidement, des initiatives communes avec mes homologues européens pour, aux côtés des éditeurs de presse, contraindre Google à entamer des négociations collectives avec eux en vue d’une juste rémunération de leur travail au service de la presse et de l’information de nos compatriotes.
Je m’entretiendrai par conséquent prochainement avec mes homologues européens pour remédier à cette situation. Vous l’avez souvent rappelé, chère Catherine Morin-Desailly, cher David Assouline, nous devons travailler à une refonte de la directive e-commerce pour une véritable responsabilisation des plateformes. Je sais, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, que cette évolution vous est chère ; vous pouvez compter sur le Gouvernement pour avancer sur ce sujet sensible.
Notre pays – Gouvernement, Parlement et l’ensemble du secteur – est mobilisé pour faire en sorte que les nouveaux acteurs respectent les acteurs traditionnels de la presse et participent à leur rémunération.
Merci de votre collaboration, de votre engagement. Nous continuerons ensemble, sans relâche, à protéger ces acteurs traditionnels ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – M. David Assouline se joint à ces applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous franchissons aujourd’hui la dernière étape de l’examen du projet de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse. La commission mixte paritaire, qui s’est réunie mardi 24 septembre dernier, est parvenue à un accord, sans surprise tant la réforme de la loi Bichet est attendue.
C’est le signe que nos assemblées peuvent se retrouver sur des positions communes et travailler de façon constructive avec le Gouvernement, pour sauver – ou défendre, plutôt – un des symboles de notre démocratie : la liberté de la presse.
Le présent texte est décisif pour la survie d’un secteur en crise, qui doit maintenant se moderniser pour franchir le cap de la révolution numérique. La chute du volume de vente au numéro de 54 % en dix ans, l’attrition des revenus de la presse écrite de 41 % sur la même période, la fermeture des points de vente, au rythme de 1 000 par an, sont les principaux symptômes de cette crise ayant touché de plein fouet la principale messagerie de presse, Presstalis.
En réponse à cette situation d’urgence, le Gouvernement a fait le choix d’ouvrir le secteur de la distribution à la concurrence à l’échéance de janvier 2023 et de placer la régulation du secteur sous la responsabilité unique de l’Arcep, dont les pouvoirs, renforcés, seront étendus aux kiosques numériques.
Pour offrir plus de souplesse aux marchands de presse dans la gestion de leur commerce, le Gouvernement a aussi fait le choix d’instaurer une quasi-liberté d’assortiment des titres.
Cette liberté n’est pas absolue. D’une part, le texte institue un principe de non-discrimination et de transparence au profit de la distribution des publications. D’autre part, l’accès des éditeurs de titres d’information politique et générale à l’ensemble du réseau de distribution est une garantie constitutionnelle qu’il n’est pas question de remettre en cause. Il s’agit de préserver le pluralisme des opinions et la vitalité des débats, et nous en mesurons l’importance.
Ainsi, le Gouvernement a opté pour une évolution de la loi Bichet, sans rupture avec les grands principes qui ont sous-tendu son adoption, à l’heure de la libération de la France, comme des garde-fous démocratiques contre le déchaînement de la propagande. Ces principes sont plus que jamais d’actualité. Pour reprendre les mots du Conseil national de la Résistance, il nous faut veiller à garder intacts « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances de l’argent et des influences étrangères ».
À ce titre, mon groupe se félicite de l’adoption par l’Assemblée nationale de l’amendement républicain visant à restreindre les parts pouvant être détenues par un actionnaire extracommunautaire dans une société de distribution de presse. Cette disposition vise précisément à limiter l’immixtion de puissances étrangères, États ou multinationales, dans ce que notre démocratie a de plus sensible : l’opinion publique.
L’opinion publique, en effet, est une proie facile pour les algorithmes des géants du web, les Gafam, créateurs de bulles informationnelles dans lesquelles seules les opinions semblables se rencontrent et se cristallisent.
S’agissant des Gafam, monsieur le ministre, nous suivons très attentivement le dialogue parfois un peu abrasif que vous entretenez actuellement avec eux. Nous avons bien pris note de la présentation que vous avez faite de la situation actuelle. Bien évidemment, nous vous soutenons dans cette démarche.
À l’issue des travaux de la commission mixte paritaire, les principaux apports du Sénat ont été conservés.
Pour renforcer le rôle des élus, affectés par les fermetures des points de vente et la désertification des territoires, la commission de la culture – j’en profite pour saluer l’excellent travail de notre rapporteur, depuis le début de l’examen de ce texte et jusqu’aux conclusions de la CMP et au vote de ce jour – a souhaité associer le maire à la décision d’implantation sur sa commune d’un diffuseur de presse, placée sous la responsabilité de la Commission du réseau.
Le Sénat a également renforcé les pouvoirs de l’Arcep, afin de favoriser l’efficacité de la régulation du secteur et sa transparence, notamment à l’égard du Parlement et des organisations professionnelles des diffuseurs de presse, qui seront consultées avant de fixer le cadre de leur rémunération.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte va dans le bon sens. Nous savons que l’avenir de la distribution de la presse dépend de son adoption. Nous ne pouvons que le souligner et soutenir cette réforme.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.
M. Jean-Pierre Leleux. « La presse est un élément jadis ignoré, une force autrefois inconnue, introduite maintenant dans le monde. […] Pouvez-vous faire qu’elle n’existe pas ? Plus vous prétendrez la comprimer, plus l’explosion sera violente ». Ce constat de Chateaubriand, dans ses Mémoires d’outre-tombe, résonne aujourd’hui en nous, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous légiférons, près d’un siècle et demi plus tard, pour sauvegarder le pluralisme de la presse.
Préserver une diffusion libre et impartiale de la presse écrite sur l’ensemble du territoire national représente un facteur essentiel de ce pluralisme et de la diversité qui en découle.
À cet égard, nous ne pouvons que nous féliciter de l’accord trouvé entre nos deux assemblées sur ce projet de loi, qui a fait l’objet de simples modifications quasi rédactionnelles.
Saisi en première lecture, le Sénat s’est efforcé d’apporter des améliorations, que je crois notables.
Je me permettrai d’en rappeler quelques-unes.
D’abord, nous saluons la possibilité, prévue par le Sénat, que certains titres fassent l’objet d’une première proposition de distribution auprès des points de vente.
Derrière l’apparente technicité de cette disposition, se cache en réalité un objectif simple, mais essentiel : mettre les diffuseurs de presse en situation de pouvoir choisir, en parfaite connaissance de cause, les titres qui viendront compléter leur offre de presse, en plus des titres à la diffusion desquels ils ne peuvent s’opposer.
Cette possibilité profitera tant aux diffuseurs de presse, leur permettant de s’affranchir des contraintes antérieures – ils revendiquaient d’ailleurs cela depuis longtemps –, qu’aux consommateurs, qui se verront proposer une offre mieux adaptée à leurs attentes.
Par ailleurs, le Sénat a prévu que le Parlement puisse saisir l’Arcep pour avis sur toute question relative au secteur de la presse.
Il semble particulièrement opportun que les commissions parlementaires concernées, lesquelles développent une certaine compétence au fil de leurs travaux, puissent l’enrichir de l’expertise de l’Arcep, notamment lorsqu’elles étudient des textes de loi concernant la distribution de la presse.
Si nous ne pouvons que nous réjouir de ce que le texte du Sénat a été accueilli par les députés comme un texte « équilibré », ayant fait l’objet d’un « examen minutieux et constructif », il faut également saluer les améliorations apportées par l’Assemblée nationale.
Ainsi, et à titre d’exemple, les députés ont limité à 20 % le nombre de parts pouvant être détenues par un actionnaire extracommunautaire dans une société de distribution de presse, dans le but de se garantir contre une influence étrangère trop importante. La presse constitue effectivement un atout stratégique pour notre pays et représente, de surcroît, un enjeu démocratique majeur.
Cependant, bien que ce projet de loi nous semble constituer une réponse pragmatique à la crise que traverse la distribution de la presse, un impératif et des difficultés demeurent.
L’impératif, qu’il nous faudra surveiller de près, c’est la mise en œuvre effective de la future loi. Sans cela, la modernisation de la loi Bichet restera lettre morte !
Les difficultés, quant à elles, ont trait à Presstalis – son cas a été évoqué et nous sommes tous conscients de ces difficultés. La structure, aujourd’hui encore, reste proche de la faillite et le présent projet de loi ne traite pas de sa situation financière. Pour cette raison, je m’interroge sur les options envisagées par le Gouvernement en vue de redresser la société.
« La libre communication des pensées et des opinions est », indique la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en son article 11, « un des droits les plus précieux de l’Homme ». Puisse ce projet de loi continuer à protéger ce précieux droit !
Bien évidemment, mon groupe se réjouit du caractère conclusif de la commission mixte paritaire et votera ce projet de loi, fruit d’un travail parlementaire mené en bonne intelligence, tout particulièrement par notre rapporteur, Michel Laugier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons à la fin d’une procédure parlementaire menée avec le sentiment d’une certaine urgence. Le secteur de la presse connaît de profondes mutations, comme l’ont rappelé de nombreux orateurs, mais ce texte est malheureusement loin d’apporter des réponses à la hauteur des enjeux.
Le développement du numérique a bouleversé l’économie du secteur, en participant à l’effondrement des ventes de la presse papier et, en toute logique, à l’explosion des invendus dans les kiosques. Il en va de même de l’arrivée sur le marché de l’information des Gafam, qui, sous couvert d’un statut intermédiaire de mise en relation, subtilisent le travail de la presse traditionnelle.
Certes, quelques avancées pour lutter contre les effets les plus néfastes de ces bouleversements, comme la mise en place d’un droit voisin, doivent être saluées. Mais Google, cela vient d’être souligné, a annoncé hier n’avoir aucune intention de se conformer à l’esprit de cette loi, préférant la contourner allégrement. De telles réactions rappellent qu’il nous appartient de légiférer courageusement pour faire respecter la souveraineté démocratique.
Le contexte dans lequel s’insère la presse écrite a donc considérablement évolué ces dernières années. Il serait malvenu – mon groupe le conçoit tout autant que les autres – de laisser la législation inchangée ; mais, précisément, il faudrait adapter une législation dont les fondements ont été établis au moment de la Libération, et non rompre avec les valeurs défendues à l’époque, qui ont permis de développer notre système de distribution.
En effet, le système défini par la loi Bichet garantit la liberté d’accès au réseau de distribution, l’égalité et la solidarité entre les coopérateurs. Il est synonyme d’égalité d’accès à l’information sur tout le territoire, de démocratie et de pluralisme. Ces enjeux sont bien trop déterminants dans la vie d’une démocratie pour que la presse soit traitée comme une vulgaire marchandise : c’est ce que traduit l’esprit de cette loi fondatrice, et nous serions bien inspirés de ne jamais le perdre de vue.
Or, monsieur le ministre, j’ai bien peur que le présent texte ne propose pas les garde-fous suffisants pour que cette inquiétude soit dissipée.
Tout d’abord, je pense à l’égalité territoriale. Le plan de distribution qu’il est prévu de demander aux sociétés agréées ne permet pas véritablement de garantir que les territoires les moins « rentables » – pour ma part, je place évidemment ce mot entre guillemets – seront traités comme les autres : on ne peut que le regretter.
À ce titre, je ne peux m’empêcher de souligner que les effets délétères de la libéralisation ne tarderont pas à se manifester, à commencer par le dépérissement de Presstalis, qui remontait pourtant la pente. La récente démission que Presstalis a connue à sa tête ne rend que plus explicites ces conséquences.
Ensuite, s’agissant de la rupture d’égalité au détriment des territoires ruraux, la question des points de vente doit être mentionnée : aucun mécanisme efficace n’est prévu pour les préserver. Dès lors, ils seront soumis à une simple logique de rentabilité, dont on ne connaît malheureusement que trop les effets dans les territoires.
Le pluralisme, grande avancée du système Bichet, est lui aussi menacé par ce texte. La structure pyramidale qui va être mise en place pourrait conduire à ériger des barrières tarifaires pour les petits titres ou ceux qui sont jugés peu rentables, en opposition au système universel et solidaire actuel.
Certes, on peut se féliciter que l’Assemblée nationale ait adopté le principe en vertu duquel l’Arcep s’appuiera sur les acteurs du secteur, comme nous le demandions. Mais nous restons circonspects quant à la nouvelle place accordée à cette agence. Non seulement vous écartez les principaux acteurs de la gouvernance du secteur, mais vous placez de fait la régulation de la distribution de la presse sous le signe du respect de la concurrence libre et prétendument non faussée, plutôt que de considérer l’information comme un enjeu majeur du fonctionnement démocratique.
Au-delà de ce renversement symbolique, on peut douter que cette nouvelle gouvernance soit réellement plus efficace que la cohabitation entre le Conseil supérieur des messageries de presse, le CSMP, et l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, l’ARDP.
Faisant fi des recommandations exposées par les acteurs du secteur et des propositions émises sur ces travées, par les élus du groupe CRCE et d’autres groupes politiques, le texte final demeure donc décevant à plus d’un titre. Loin d’adapter les principes fondateurs de la distribution de la presse aux enjeux du XXIe siècle, il n’accompagne pas davantage la presse écrite dans les bouleversements qu’elle subit.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Si !
Mme Céline Brulin. Au contraire, il ouvre la voie à une inégalité territoriale renforcée et à un affaiblissement du pluralisme, qui sera lourd de conséquences sur la vie démocratique. La crise de confiance envers les médias que traverse notre société rend pourtant indispensables les efforts pour une diffusion plurielle et large de l’information.
Ce texte est un rendez-vous manqué, que mes collègues du groupe CRCE et moi-même regrettons profondément ! (Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que s’achève une discussion très importante, je tiens à vous exposer brièvement quelques considérations.
La presse, pilier de notre démocratie, est menacée par la révolution numérique. Cette transformation technologique emporte sur son passage beaucoup d’outils que nous avions mis en place pour préserver notre modèle démocratique ; et, pour le défendre, nous devons y faire face.
La liberté de la presse est au fondement même de la liberté d’expression dans notre pays, et la libre distribution de la presse est un acquis fondamental de la Libération. Grâce à elle, sur tous les points du territoire, même les plus reculés, chacun peut avoir accès à l’information, à la diversité des opinions exprimées. Au fil des décennies, elle a formé de nouvelles générations de la démocratie française ; et aujourd’hui, même quand cela va mal, on constate le socle solide, profondément ancré, sur lequel repose l’éducation à la démocratie et à la liberté d’expression.
Ainsi, en touchant à la loi Bichet, on ne touche pas à n’importe quoi !
Compte tenu de ce que je pouvais entendre ici ou là, j’avais peur, à l’annonce de cette réforme, que l’on n’emporte au passage certains principes fondamentaux ; ou encore qu’ils ne s’en trouvent fragilisés au point que l’on ne fasse pas, en définitive, œuvre de construction, mais œuvre de déconstruction.
Ce n’est pas le cas : au cours d’un débat respectueux, M. le ministre, les rapporteurs et l’ensemble de nos collègues ont exprimé leur volonté de réformer sans casser. Mais ce texte ne me convient toujours pas.
Tout d’abord, le contexte n’était pas le bon : la réforme est arrivée ou trop tôt ou trop tard. Après avoir été fragilisé, Presstalis était redynamisé, grâce à l’action de sa présidente ; un plan de développement commençait à porter ses fruits ; et, en annonçant l’ouverture à la concurrence, on a – sans doute involontairement – bloqué son développement…
M. David Assouline. Les clients ont préféré attendre et la situation s’est envenimée. Le départ de la présidente de Presstalis est un signe qui ne trompe pas.
Monsieur le ministre, je sais que vous en avez conscience : si, comme c’est probable, Presstalis dépose le bilan, nous ferons face à un séisme ! Quelle que soit la loi en vigueur, c’est un moment difficile que nous devrons aborder, ensemble ; et nous serons aux côtés de tous ceux qui veulent défendre le système de distribution de la presse.
Ensuite – c’est notre seconde critique –, la distribution de la presse ne peut pas relever d’une instance chargée de la régulation économique. En effet, cette question n’est pas simplement économique : elle est éminemment politique. C’est un enjeu de démocratie – je l’ai souligné –, car il y va de la préservation du pluralisme. Or, face à la concurrence économique, qui est par définition brutale, il faut parfois faire des efforts pour préserver nos valeurs et les outils qui permettent de les garantir.
Il ne me semble toujours pas que le choix de l’Arcep comme régulateur était inévitable, que c’était le seul chemin.
M. David Assouline. Toutefois, je salue les travaux que nous avons menés à ce titre. Je pense notamment aux amendements de M. le rapporteur : conformément aux engagements du Gouvernement, nous avons pu adosser, autant que possible, les missions de l’Arcep aux principes que nous défendons ensemble.
Monsieur le ministre, vous le savez, quand vous me demandez de retirer un amendement, je n’obtempère pas toujours ! (Sourires.) Mais, pour ce qui concerne les kiosquiers, j’ai accédé à votre demande : vous vous étiez engagé à mener un travail interministériel pour défendre ces professionnels, et cet engagement a été tenu.
Les kiosquiers jouent un rôle fondamental dans la chaîne de distribution de la presse. Or ils sont très souvent oubliés, alors qu’ils sont, à cet égard, le dernier lien avec le citoyen, qu’ils assurent le maillage territorial le plus concret, le plus vivant possible de la distribution de la presse. Quand on sait leurs conditions de travail, leur situation au regard de la protection sociale, on ne peut qu’être attentif à leur sort.
Cette réflexion a été menée à bien, et elle s’est traduite par un amendement du Gouvernement adopté par l’Assemblée nationale. À mon tour, je salue cette avancée.
M. David Assouline. Notre abstention d’aujourd’hui n’est ni un désengagement ni un manque d’engagement : pour défendre, dans notre pays, les principes fondamentaux de la distribution de la presse, nous serons toujours là, y compris pour aider à surmonter les crises.
Pour conclure, je salue les propos que vous avez tenus, il y a quelques instants, en réponse aux déclarations faites hier par les représentants de Google. On le voit clairement : indépendamment des outils dont nous nous dotons pour nous défendre, la loi s’inscrit dans des rapports de force, et elle ne règle jamais tout. Le bras de fer est engagé : les plateformes numériques doivent apporter leur contribution, et l’effort qui leur est demandé est minime comparé à leurs gigantesques revenus. Elles doivent concourir à la vie de la presse dans notre pays.
C’est un défi que nous allons affronter ensemble, et je suis sûr que nous allons gagner, car nous avons résolu d’agir à l’échelle européenne. Mais il faudra faire preuve de détermination. Cette épreuve a valeur de test : jamais Google ne doit pouvoir se dire qu’il est plus puissant que tous les États d’Europe unis pour édicter des règles !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes plusieurs dans cette enceinte à aimer nous référer à notre riche histoire parlementaire, où l’on puise parfois de belles leçons sur la fabrication de la loi. C’est le cas pour la loi Bichet, qui après des débats très animés sur les modalités du démantèlement du monopole d’Hachette a jeté, dès 1947, les bases d’un système de distribution efficace ayant perduré jusqu’à nos jours, par-delà les alternances politiques.
Je note au passage que Robert Bichet, député de Seine-et-Oise, n’était pas communiste, comme beaucoup l’ont pensé, mais MRP ! (Sourires.) Quoi qu’il en soit, il a suivi l’esprit du programme du Conseil national de la Résistance, et nous saluons le choix du Gouvernement d’avoir maintenu ce cadre législatif.
Monsieur le rapporteur, vous l’avez rappelé : en 1947, il s’agissait principalement de garantir une distribution indépendante de la presse, afin qu’elle ne puisse dépendre de nouveau du bon vouloir d’un opérateur à la merci du pouvoir politique. La réponse du législateur de l’époque avait été particulièrement innovante, puisqu’elle établissait un système coopératif unique au monde.
La question qui nous est posée aujourd’hui est légèrement différente : il convient d’adapter économiquement ce système aux évolutions technologiques et à la diversification des modes d’information de nos concitoyens.
Tout d’abord, l’émergence de la télévision et d’internet a durablement affecté les ventes de titres de presse nationaux, la presse régionale réussissant à tirer son épingle du jeu. Notre presse d’information politique et générale a, semble-t-il, tardé à adapter son modèle économique à la diffusion en ligne, par rapport aux grands titres de la presse anglo-saxonne.
En outre, les dysfonctionnements liés à la situation monopolistique de Presstalis ont aggravé le décalage entre le mode de vie des Français, pour qui l’immédiateté tient désormais une place importante, et la livraison de titres papiers, parfois perçue comme archaïque. Ces dysfonctionnements ne sont d’ailleurs pas sans conséquences économiques pour les points de vente qui quadrillent nos territoires.
Nous observons donc avec satisfaction que ce texte met un terme à quelques anomalies, en particulier le maintien d’un acteur économique défaillant comme Presstalis l’est devenu. S’il avait été confronté à la seule loi du marché, il n’existerait probablement plus aujourd’hui.
Ce projet de loi permet également de prévenir les dévoiements constatés du fait de l’ouverture de ce généreux système de diffusion à un grand nombre de publications de divertissement. La crise de Presstalis nous a imposé de reconsidérer l’accessibilité, afin de mieux la recentrer sur l’intérêt général, donc sur la mission d’information de nos concitoyens, sans toutefois mettre en danger la presse spécialisée.
Enfin, ce texte apporte une réponse aux préoccupations des kiosquiers et de leurs clients. Il s’agit d’un enjeu majeur dans les territoires tenus en marge de la transition numérique par les retards d’installation d’infrastructures.
Malgré l’ouverture à la concurrence du « deuxième niveau », celui des diffuseurs, et la remise à plat des modalités de la régulation désormais confiée à l’Arcep, les grands principes de la loi Bichet ont été maintenus : nous nous en félicitons également. Les élus du groupe du RDSE, et ma collègue Françoise Laborde en particulier, s’étaient d’ailleurs attachés à ce que la garantie du pluralisme nécessaire à un débat d’idées équilibré figure désormais parmi les objectifs de l’Arcep. En effet, il nous paraît essentiel d’inclure cette préoccupation dans le logiciel du nouveau régulateur, afin qu’il puisse adapter ses pratiques dans ce nouveau champ de compétences qui s’offre à lui.
Nous saluons donc le maintien de notre amendement. Nous nous réjouissons par ailleurs d’avoir été entendus quant aux modalités de saisine en urgence de l’Arcep en cas de manquement à l’obligation de distribution d’un titre de presse.
À l’inverse, nous avons entendu les arguments concernant notre proposition, adoptée par le Sénat, de transformer l’avis simple des maires en avis conforme, en cas d’installation de points de presse en zone commerciale. Il s’agissait de permettre aux maires de protéger la vitalité de leurs centres-villes. Nous verrons à la longue s’il faut y revenir : nous n’y reviendrons pas pour l’instant.
Il nous faudra encore veiller à la vitalité des titres de presse, point que nous avions souligné au moment des débats sur les conditions de diffusion des premiers numéros.
Nous soutiendrons ce projet de loi. Mais, à l’heure de l’adopter, la faiblesse de notre droit s’agissant de la diffusion d’informations en ligne reste ma plus grande préoccupation. Peu de nos concitoyens le savent : les modalités d’acheminement de l’information sur internet échappent aux règles garantissant le pluralisme et les grands principes de la loi Bichet, y compris sur les sites internet de grands titres de presse. C’est la conséquence du modèle économique adopté par les acteurs du numérique, qui, en traitant toutes les informations comme des produits sans isoler l’information politique et générale, conduit à rendre les choix éditoriaux plus opaques et à enfermer le citoyen dans un algorithme de « préférences » sollicitées ou déduites de son activité en ligne, sur lequel nous n’avons que peu de prise !
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de cette discussion générale, l’accord atteint par les deux assemblées est une très grande satisfaction pour moi, à la fois comme présidente de la commission de la culture et comme parlementaire représentant nos territoires.
Tout d’abord, comme présidente de commission, je ne peux que souligner la très grande qualité du travail accompli par notre collègue Michel Laugier, qui était rapporteur pour la première fois. Il a su faire preuve, tout à la fois, de diplomatie et de fermeté pour faire valoir les convictions exprimées de longue date par le Sénat.
Au-delà de cette réussite sur un sujet technique et – il faut bien le dire – très complexe, je suis heureuse de constater que notre commission, notamment dans le domaine de la presse, a su faire entendre sa voix et ses positions. Fortes de leur cohérence, ces dernières ont d’ailleurs connu une très large approbation sur ces travées : en témoigne l’accord dont font l’objet, non seulement ce projet de loi, mais aussi – je veux le rappeler – la loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, issue de la proposition de loi de notre collègue David Assouline. Je reviendrai sur cette loi, dont l’application suscite depuis hier quelques émotions.
Monsieur le ministre, comme vous, je me satisfais également de la bonne atmosphère qui a régné entre les deux chambres du Parlement comme avec vos services : ainsi, nous avons pu accomplir un travail commun approfondi, dans le sens de l’intérêt général. Bien entendu, le futur projet de loi relatif à l’audiovisuel public nous conduira, de nouveau, à beaucoup travailler ensemble : j’espère que la même atmosphère régnera.
Mes chers collègues, notre commission a marqué, cette année, toute son attention pour la presse ; bien entendu, elle continuera de le faire, car elle est consciente du rôle essentiel que la presse joue dans l’équilibre de nos démocraties, aujourd’hui fragilisées par la désinformation multipliée sous toutes ses formes.
Ensuite, comme élue locale, passionnée par les territoires, je tiens à exprimer la satisfaction que ce texte m’inspire sur le fond.
Au sein de cette assemblée, nous connaissons tous l’importance des marchands de presse, dont les commerces sont des lieux de vie, de transmission du savoir et de l’information.
C’est dans nos territoires que bat le cœur de la presse nationale, de la presse locale, de la presse magazine, de la presse sportive, bref de toute la presse. Le système français de distribution, unique au monde, vise à créer les conditions d’une égalité entre nos concitoyens dans l’accès à l’information. Ce système existe depuis 1947, et il fallait le préserver à tout prix pour ne pas creuser encore plus les écarts entre nos territoires.
Le texte que nous examinons aujourd’hui, amélioré de manière substantielle grâce aux contributions de M. le rapporteur et de l’ensemble des groupes, préserve cette spécificité française d’une égalité dans la diffusion. C’est un premier point positif, et nous devons nous en réjouir, car des projets beaucoup plus durs auraient pu être présentés.
Toutefois, au-delà de cet acquis si important, demeure la question de l’avenir des marchands de presse. Nous, élus locaux, ne pouvons pas nous résoudre à les voir fermer boutique les uns après les autres sous les coups de boutoir de la diffusion en ligne et d’un système de distribution obsolète. Notre commission y a veillé : le texte que nous vous proposons d’adopter aujourd’hui place résolument au centre de ses préoccupations ces marchands de presse trop longtemps ignorés.
Le nouveau système, qui entrera en vigueur progressivement, permet d’envisager la fin de cette spirale mortifère de fermetures en créant les conditions d’une réelle autonomie des marchands. Ainsi, ces derniers pourront adapter beaucoup plus facilement leur offre de presse aux attentes de leur lectorat, bien entendu dans le respect de la diversité et du pluralisme.
Disons-le franchement : nous espérons tous voir finir ce spectacle désolant de cartons entiers remplis de publications en nombre tel que les rayonnages croulent littéralement. Cette autonomie des marchands de presse, que toute la profession attendait, devrait – nous l’espérons sincèrement – permettre un sursaut et un surcroît d’attractivité pour cette profession, et donc pour nos territoires.
J’ajoute que, sur l’initiative de Michel Laugier, un avis du maire sera maintenant requis pour l’ouverture d’un point de presse. Cette disposition me semble de nature à permettre une meilleure association des maires au développement de ces commerces de proximité si particuliers.
Enfin, je dirai un mot d’un sujet qui me tient singulièrement à cœur : il s’agit du numérique.
Ce projet de loi pose une nouvelle pierre de ce qui constituera bientôt une régulation globale. La proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, que nous examinerons prochainement, va également dans ce sens.
Ce sujet exige une réelle stratégie d’ensemble, déployée, bien sûr, à l’échelle européenne ; elle appelle une unité de vues et d’action de tous les régulateurs. À ce titre, les dispositions législatives se succèdent : elles sont toutes bonnes en tant que telles, mais l’on aimerait une plus grande cohérence générale, une plus grande logique. Surtout, il faut fixer clairement les moyens à accorder d’urgence aux régulateurs : jusqu’à présent, ils ne sont pas toujours bien définis – on l’a encore constaté en examinant le dernier projet de loi de finances.
Évidemment, l’annonce pleine de mépris que Google a faite hier au sujet des droits voisins ne peut que conforter ma conviction acquise de très longue date : il n’est vraiment pas possible de travailler en confiance avec les géants du numérique. Ils foulent au pied nos institutions démocratiques : on l’a vu avec l’affaire Cambridge Analytica. Ils ne se privent pas de piller nos données personnelles pour des usages douteux. Ils font de l’optimisation fiscale, mais refusent de payer pour l’information : quel paradoxe !
Monsieur le ministre, l’annonce d’hier n’est pas une péripétie : c’est même, en quelque sorte, une déclaration de guerre ! Nous devons défendre nos modèles économiques, sociaux et culturels face aux géants du numérique.
À ce propos, vous le savez – nous en parlons souvent –, vous pouvez vous appuyer sur les travaux du Sénat, et en particulier sur ceux que mène notre commission, pour avancer rapidement à l’échelle européenne.
Ce matin même, ici, au Sénat, nous recevions avec le Mouvement européen l’ambassadeur de Finlande : le 1er juillet dernier, son pays a pris la tête de l’Union européenne, et il va la garder dans les mois à venir. Je lui ai une nouvelle fois demandé ce que la Finlande comptait faire pour mettre d’accord l’ensemble des États membres au sujet de la souveraineté numérique, qui implique notre souveraineté culturelle. Vous l’avez dit, vous souhaitez rencontrer vos homologues pour évoquer ce dossier avec eux.
Monsieur le ministre, dans cette affaire, vous pouvez compter sur notre entier soutien. Nous espérons pouvoir travailler avec vous à l’élaboration d’une stratégie globale et définitivement offensive ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)