M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion de ce jour sonne un peu comme une ode à Janus, le dieu aux deux visages : il s’agit de regarder à la fois le passé et le futur. C’est un peu ce que vous avez dit, monsieur le ministre.
Le passé, afin de nous prononcer sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de 2018.
Le futur, afin de débattre de l’orientation des finances publiques pour les années à venir.
C’est aussi l’occasion de faire le point, à mi-mandat, sur la situation de nos finances publiques, de débattre de ce qui a été accompli, mais aussi, et surtout, de ce qui reste à accomplir.
Ceux qui m’ont précédé à la tribune l’ont clairement dit, le Sénat continuera de se montrer exigeant pour poursuivre la diminution du déficit public et de la dépense publique. Toutefois, l’exigence n’interdit pas la bienveillance – et je dirais même que les deux vont plutôt bien ensemble.
Le groupe Les Indépendants trouve dans les comptes de 2018 un motif de satisfaction, qui tient autant de la bienveillance que de l’exigence : nous pouvons aujourd’hui dire que nous avons repris le contrôle de nos dépenses publiques. Et ce qui, outre-Rhin ou outre-Manche, relève déjà de l’évidence demeure en France un motif de réjouissance. Depuis trente ans, aucun gouvernement ni aucune majorité n’avait eu le courage et la rigueur de ramener le déficit public sous la barre des 3 % du PIB et de contenir l’augmentation de la dette publique.
Ces bons résultats sont notamment dus aux excédents dégagés par les collectivités locales et la sécurité sociale, lesquels ont contribué à diminuer le déficit public en volume par rapport à 2017, et ce malgré l’augmentation du déficit budgétaire de l’État, qui, lui, s’est encore aggravé en 2018.
Je tiens donc à saluer, au nom du groupe Les Indépendants, la contribution des collectivités territoriales à ces efforts budgétaires, notamment grâce aux quelque 5 milliards d’économies réalisées en 2018 sur leurs dépenses de fonctionnement. Les collectivités territoriales ont pris leur part de cet effort, bien au-delà de l’objectif fixé par le Gouvernement.
Monsieur le ministre, je reste convaincu, à cet égard, que la méthode contractuelle est beaucoup plus acceptable que les coupes claires brutalement administrées par le passé.
C’est donc en grande partie grâce aux collectivités locales que le déficit public est passé, entre 2017 et 2018, de 2,8 % à 2,5 % du PIB. Mais cette bonne performance tient aussi et surtout à un fort dynamisme des recettes. La diminution du déficit nominal a ainsi été portée aux deux tiers par la conjoncture. Sur le même exercice, l’effort structurel n’a contribué à réduire le déficit qu’à hauteur de 0,1 point de PIB. C’est trop peu !
C’est trop peu, d’abord, car cela signifie que nous n’avons pas profité des temps cléments pour dégraisser l’État. C’est trop peu, ensuite, car notre pays fait encore figure, certains l’ont dit, de mauvais élève au sein de l’Union européenne. C’est trop peu, enfin, car cela signifie que nous devrons redoubler d’efforts à l’avenir, et ce dans un contexte politique et économique moins propice aux réformes structurelles. Vous m’accorderez que c’est rarement en juillet que l’on tient ses bonnes résolutions avec le plus de rigueur ! De même, c’est rarement à la fin d’un mandat que l’on tient ses bonnes résolutions !
À l’heure actuelle, la situation des finances publiques a cessé de se dégrader, ce qui est déjà en soi une bonne nouvelle, compte tenu de la pente sur laquelle notre pays était engagé, mais la situation ne s’améliore pas pour autant. Il nous faudra attendre 2022 pour espérer voir le poids de la dette diminuer par rapport à la richesse nationale. D’ici là, la dépense publique ne sera pas encore redescendue sous la barre symbolique des 50 % du PIB.
Nous ne pouvons pas nous contenter de maîtriser la situation de nos finances publiques. La responsabilité nous oblige à les épurer, à les assainir. Il y a un an, presque jour pour jour, à cette même tribune, je partageais avec vous une conviction personnelle : l’histoire jugera ce quinquennat à l’aune de notre capacité collective à réduire notre dette. Je n’ai pas changé d’avis, et je continue de souhaiter la réussite de ce quinquennat.
Je la souhaite parce que nous pourrons ainsi redonner plus d’autonomie aux collectivités territoriales pour qu’elles s’affranchissent davantage de la tutelle de l’État. Parce que nous pourrons aussi regagner des marges de manœuvre à l’échelle nationale pour assurer notre sécurité et gagner notre indépendance, à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières. Parce que nous pourrons, enfin, ne pas laisser nos enfants payer le coût de notre manque collectif de courage.
« Je ne remets jamais au lendemain ce que je peux faire le surlendemain », disait Oscar Wilde. Tâchons donc de ne pas suivre son exemple ! (Sourires.) C’est pourquoi le groupe Les Indépendants votera en faveur du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes pour 2018, qui prend acte des efforts déjà réalisés.
Nous continuerons également de soutenir, notamment lors de l’examen du budget à l’automne prochain, toutes les mesures qui permettront de poursuivre ces efforts dans la durée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que dire de ces comptes de 2018 ? Je résumerai ma pensée en ces termes : « Des progrès, mais peut mieux faire ».
L’an dernier, j’indiquais qu’un bon gestionnaire de l’argent du contribuable devait, selon moi, avoir trois qualités : être sincère, prudent et économe. Monsieur le ministre, sincère, vous l’étiez ; prudent, vous l’avez été assez peu ; économe, vous ne l’avez assurément pas été.
Qu’en est-il désormais ?
Sur la sincérité, vous confirmez la rupture avec les pratiques de la précédente majorité socialiste consistant à ne pas inscrire dans le budget la totalité des dépenses futures. Grosso modo, votre budget a été respecté. La sincérité de ce budget est indéniablement appréciable en matière de bonne foi et de transparence.
Sur la prudence, en revanche, vos résultats sont moins réjouissants. Après trois années de stabilité relative, le montant du déficit, qui a nettement augmenté, est supérieur aux recettes de l’impôt sur le revenu. Cette situation est inquiétante, car elle est due au seul budget de l’État. Les collectivités locales sont en excédent, les administrations sociales aussi.
Ce déficit ne vient malheureusement pas d’aujourd’hui. Son augmentation est la conséquence des allégements fiscaux de 2017 qui n’ont pas été suivis, comme l’a relevé la Cour des comptes, d’une baisse correspondante de la dépense publique. Et je ne parle pas des mesures fiscales à venir ! Monsieur le ministre, puisque vous êtes toujours avide de propositions, j’ai hâte de pouvoir vous présenter les nôtres, notamment la suppression de quatre-vingts niches fiscales.
N’oublions pas la dette, qui s’élève à plus de 2 300 milliards d’euros. Il faut bien avoir à l’esprit que le seul paiement des intérêts de la dette représente quand même l’équivalent du budget de la défense nationale !
Enfin, sur les économies, le compte n’y est pas. En 2018, les dépenses ont augmenté, certes moins que par le passé, mais elles ont progressé de 2,6 milliards d’euros. Et là où le bât blesse, c’est encore et toujours la masse salariale de l’État ! Malgré les engagements du Président de la République, le nombre de fonctionnaires continue d’augmenter. On a malheureusement besoin de mesures drastiques, qui consisteraient à baisser le nombre de fonctionnaires, à revoir les missions de l’État et à reconsidérer la durée de travail de ses agents.
Monsieur le ministre, si vous voulez vraiment conjuguer le verbe « baisser » avec le mot « impôt », vous devez impérativement baisser de façon significative la dépense publique. Baisser les impôts sans baisser la dépense, c’est une arnaque, dont le véritable nom est « impôt différé ». Il faut cesser de croire que la baisse de la dépense publique aurait des effets économiques négatifs. En matière de santé économique et budgétaire, comme en matière de santé physique, l’équilibre est la mère de toutes les vertus. C’est la raison pour laquelle l’équilibre budgétaire ne doit plus être un objectif, mais devenir une réalité. Et là, je ne suis pas optimiste !
Monsieur le ministre, au vu de tous ces éléments, votre premier bilan est mitigé. Malgré cela, le groupe Union Centriste votera pour ce projet de loi de règlement, avec quelques abstentions. Ce vote favorable est non un blanc-seing, mais une forte incitation à entamer une importante revue des dépenses de l’État. Pour conclure, permettez-moi, une fois n’est pas coutume, surtout pour un centriste, de paraphraser Lénine (Sourires.) : « Là où il y a une volonté, il y a un chemin. » La volonté, monsieur le ministre, vous l’avez ; le chemin, il est temps de le prendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de règlement est le premier d’une année de plein exercice du président Macron. Le Sénat espère cependant qu’il s’agira du dernier où la Cour des comptes juge négativement les résultats de l’année passée, critiquant une « détérioration de la situation financière de l’État », ce que nous allons passer en revue.
J’observe d’emblée que la dette française, contrairement à celle de la plupart des autres pays européens, ne diminue pas en 2018 et frôle même aujourd’hui les 100 % de la richesse nationale, ce qui pourrait, on le sait, poser de graves difficultés en cas de remontée des taux. Ma collègue Christine Lavarde y reviendra.
Sur la forme, la Cour souligne, à juste raison, l’amélioration de la sincérité des comptes.
S’agissant du taux de croissance économique, l’année 2018 a été, c’est également vrai, conforme aux prévisions avec une croissance de la richesse nationale de 1,7 %, qui accuse toutefois un ralentissement par rapport à 2017. Nous nous situons légèrement en dessous de la moyenne européenne.
En revanche, le déficit budgétaire de l’État est, lui, reparti à la hausse pour la première fois depuis 2014 – un accroissement de plus de 8 milliards d’euros – pour s’établir à 76 milliards d’euros. Trois facteurs expliquent cette évolution : une hausse des dépenses budgétaires ; une baisse des recettes de l’État, partiellement liée à la baisse des impôts ; une hausse de la contribution européenne de la France, hausse que le Gouvernement a compensée en grande partie par la réduction du prélèvement sur recettes de l’État en faveur des collectivités locales.
Je vous entends déjà me répondre, monsieur le ministre, que le déficit public s’est réduit de 0,3 point. Mais cette amélioration s’explique, notamment, par un excédent budgétaire des administrations de sécurité sociale – près de 11 milliards d’euros – et des administrations publiques locales – plus de 2 milliards d’euros –, ainsi que par une diminution de la charge de la dette rendue possible par la baisse des taux d’intérêt.
Cette amélioration repose par ailleurs essentiellement – et c’est ce qui est préoccupant – sur des facteurs conjoncturels, et non structurels, comme l’a d’ailleurs rappelé notre rapporteur général.
Ainsi, le déficit public structurel, conséquence du report des réformes structurelles, ne diminue pratiquement pas en 2018. De surcroît, autre sujet d’inquiétude, la France demeure en queue du peloton des pays européens : la moitié de nos partenaires sont aujourd’hui en excédent budgétaire, et seules Chypre et la Roumanie ont un déficit supérieur à celui de la France, qui se trouve à égalité avec l’Espagne.
Les dépenses de l’État ont continué d’augmenter en 2018, de près de 1 %, notamment en raison des hausses de dépenses de personnel. Celles-ci sont essentiellement dues aux recrutements de 2017 et à la montée en charge du protocole sur les parcours professionnels, carrières et rémunérations.
Les dépenses des administrations de sécurité sociale ont également augmenté de 2,4 % en 2018, notamment les dépenses de la branche vieillesse, mais ces hausses ont été compensées par des recettes dynamiques.
En revanche, les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales ont été pour leur part maîtrisées, indépendamment du fait, d’ailleurs, qu’elles aient fait ou non l’objet d’une contractualisation.
Parallèlement, leurs dépenses d’investissement ont été particulièrement dynamiques en 2018, ce qui est le signe d’une meilleure santé financière. La Cour des comptes note en effet que ces dépenses ont augmenté de plus de 6 % pour le bloc communal, de près de 4 % pour les départements et de près de 2 % pour les régions.
Côté recettes, en 2018, celles de l’État diminuent légèrement par rapport à 2017 – une baisse de 1 milliard d’euros – en raison des allégements d’impôts.
Les recettes fiscales du bloc communal continuent de progresser de 2,4 %. Cette progression est essentiellement due au dynamisme des bases. Les recettes fiscales des départements augmentent, elles, de 1 %, avec, d’ailleurs, une plus forte progression dans les départements peu peuplés. Enfin, les recettes fiscales des régions augmentent de plus de 2 %, notamment grâce au dynamisme de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE.
En regardant tous ces chiffres, monsieur le ministre, j’ai l’impression que les finances sont mieux gérées à l’échelon local qu’elles ne le sont à l’échelon national,…
M. Jérôme Bascher. C’est certain !
M. Loïc Hervé. C’est la vérité !
M. Jean-François Husson. … ce qui pourrait inspirer le Gouvernement au moment de présenter son « acte III » de la décentralisation.
En conclusion, monsieur le ministre – et je vous le dis très tranquillement –, il nous faut réformer l’État pour que celui-ci réponde mieux aux attentes des Français dans l’exercice des responsabilités qui sont les siennes, tout en dégageant de précieuses marges de manœuvre budgétaires.
Ces marges de manœuvre sont nécessaires pour alléger le fardeau de la dette pesant sur la tête de chaque Français. Elles sont indispensables pour permettre à la France de bien négocier le virage politique qu’elle entame, pour répondre aux défis écologiques, climatiques et environnementaux qui sont devant nous, et pour lesquels l’urgence à agir ne doit pas se confondre avec l’improvisation, la brutalité et la verticalité des annonces gouvernementales.
Dans sa majorité, notre groupe votera contre ce projet de loi de règlement, mais certains d’entre nous choisiront de s’abstenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en complément de l’excellente intervention que notre collègue Vincent Delahaye vient de prononcer au nom du groupe Union Centriste, je voudrais prolonger certaines de ses réflexions, pour exprimer, à la fois, les points positifs que je vois dans l’action du Gouvernement, mais aussi certaines inquiétudes.
S’agissant des points positifs, il faut saluer la baisse des impôts engagée depuis deux ans, que nous souhaitons voir se perpétuer.
Nous partageons la volonté d’une gradation de la baisse de l’impôt sur les sociétés, de façon à ne pas nous priver immédiatement de l’ensemble des recettes, même si le cap doit être tenu à l’horizon qui a été défini.
Il faudra, monsieur le ministre, veiller à ce que les mesures annoncées par M. le ministre de l’économie et des finances sur le mécénat, le CIR ou la détaxation du gazole ne se traduisent pas par une augmentation de la pression fiscale – en définitive, ce seraient des recettes supplémentaires pour les caisses de l’État – et qu’elles ne se concrétisent pas non plus par des pratiques d’évitement fiscal de la part des acteurs qui, jusqu’à présent, bénéficiaient de ces avantages.
Il faut aussi noter un point précédemment évoqué par M. le rapporteur général : l’amélioration des comptes de la sécurité sociale. Certes, nous aurions voulu les voir atteindre l’équilibre cette année… Il faut néanmoins noter une nette amélioration de la situation, et aussi relever les réformes structurelles qui ont été engagées dans le domaine de la formation ou de l’indemnisation du chômage, notamment à travers la loi dite Pacte relative à la croissance et la transformation des entreprises.
Il faut en outre signaler une situation plutôt favorable au niveau de la croissance. Celle-ci a été positive l’année dernière et, selon les données transmises par la Commission européenne ce matin, les perspectives du Gouvernement pour 2020 seraient confirmées à 1,4 %.
Enfin, la situation de l’emploi s’améliore, notamment du fait de la décision de baisser les charges sociales, politique qu’il conviendra bien sûr de poursuivre pour améliorer la compétitivité de nos entreprises.
Parmi les sujets d’inquiétude, il faut d’abord citer la question de la dette publique.
Certes, j’ai été rassuré par les propos de M. le ministre de l’économie et des finances, lorsqu’il nous a expliqué ne pas vouloir céder à ceux qui sont partisans de laisser filer le déficit. Non ! Au sein du groupe Union Centriste, nous défendons très clairement une gestion rigoureuse de nos finances, sans aggravation du déficit, qui viendrait peser sur nos enfants ou nos petits-enfants. Cela n’est pas acceptable, d’autant plus que, si des événements géopolitiques venaient à faire remonter significativement des taux d’intérêt actuellement extrêmement bas, les conséquences pourraient être particulièrement préjudiciables pour nos finances, et il faut en tenir compte.
Par ailleurs, Vincent Delahaye a largement évoqué l’impératif que représente la baisse, à l’avenir, des dépenses publiques.
On ne peut pas continuer avec un déficit en constante augmentation ! Il faut retrouver un certain équilibre des comptes ! Entre 2017 et 2018, monsieur le ministre, 20 missions sur 29 ont vu leurs crédits augmenter, contre 9, seulement, qui les ont vus baisser. Au sein du groupe Union Centriste, nous estimons que l’effort de maîtrise des dépenses publiques doit être significativement accentué, sans quoi nous ne parviendrons pas à ramener les finances publiques à l’équilibre et notre pays risque de se retrouver dans une situation préoccupante.
Comme cela a été indiqué précédemment, les agrégats montrent que l’on doit l’amélioration du rapport entre le déficit et le PIB aux comptes de la sécurité sociale et des administrations locales ; les administrations centrales, elles aussi, doivent faire l’effort ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, une lecture rapide de l’évolution des ratios de la dette pourrait donner lieu à un satisfecit : pour la première fois depuis onze ans, la dette rapportée au PIB est stable, après une hausse de 0,7 point en 2017.
En réalité, la situation patrimoniale de la France ne s’améliore pas. Malgré une augmentation des immobilisations sous l’effet de la revalorisation de l’indice des prix à la construction, la situation nette s’est encore dégradée de 33,7 milliards d’euros en 2018, sous l’effet de la hausse continue de la dette.
Le besoin de financement de l’État a augmenté de 76 % depuis la crise de 2008.
L’année 2018 ne déroge pas à la règle : 8,8 milliards d’euros d’emprunts supplémentaires ont été mobilisés par rapport à 2017 pour couvrir principalement un déficit budgétaire de 8,3 milliards d’euros. Une analyse de la Cour des comptes révèle que les déficits primaires cumulés sur la période allant de 2007 à 2018 expliquent, pour deux tiers, l’augmentation du ratio de la dette rapportée au PIB dans le cas français, contre moins d’un cinquième pour la zone euro.
Nous n’arrivons pas à nous guérir du démon de la dépense publique !
M. Jean-François Husson. Voilà !
Mme Christine Lavarde. Le montant de la dette cumulé a progressé de 56,6 milliards d’euros entre 2017 et 2018. À la fin de 2018, la dette des administrations publiques s’élève à 2 315,3 milliards d’euros. D’après l’Insee, ce montant s’établit à 2 358,9 milliards d’euros à la fin du premier trimestre de 2019, soit une augmentation de 43,6 milliards d’euros en trois mois !
La politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne, la BCE, avec une politique de taux très bas, joue temporairement un rôle d’anesthésiant pour ce qui est de l’effet de la dette sur l’équilibre des finances publiques. La charge d’intérêt a ainsi baissé de 200 millions d’euros en 2018.
Selon la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques, l’Ifrap, le maintien des taux à leur niveau de 2010 a permis à la France d’économiser près de 19 milliards d’euros entre 2010 et 2016 ; le Gouvernement annonce que 10 milliards d’euros supplémentaires seront économisés jusqu’en 2021.
Cette situation conjoncturelle favorable ne doit pas nous rendre aveugles : une épée de Damoclès est suspendue au-dessus de nos têtes ! Selon les prévisions de l’Agence France Trésor, une augmentation des taux de 1 point se traduirait par une hausse de la charge de la dette de 2 milliards d’euros la première année, de 4,7 milliards d’euros la deuxième année et de 18,8 milliards d’euros la dixième année.
Jusqu’à présent les conditions de financement favorables de la dette française par rapport à celles des autres pays de la zone euro ont masqué notre incapacité relative à réduire notre déficit structurel.
Pour notre pays et pour les générations futures, nous espérons, comme le Gouvernement, que la croissance de la dette restera limitée en 2019 au niveau de 0,5 point annoncé.
Nous constatons simplement qu’en un an le volontarisme a laissé place à une succession de dépenses budgétaires de court terme : alors que la réduction de la dette rapportée au PIB entre 2017 et 2022 devait être de 7,8 points dans le programme de stabilité d’avril 2018, contre 5 points prévus dans la loi de programmation des finances publiques, elle n’est plus que de 1,6 point dans le document d’orientation des finances publiques.
Dans son rapport de janvier 2019, intitulé La dette des entités publiques : périmètre et risques et réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes relève que « l’augmentation de la dette publique résulte en partie de l’absence de mécanismes contraignants de désendettement ».
Monsieur le ministre, pourquoi ne pas copier les initiatives de la Suisse, de la Suède ou de l’Allemagne ?
Le Parlement suisse a ainsi défini un frein à l’endettement, mécanisme budgétaire visant à éliminer le déficit structurel des finances fédérales. Le frein à l’endettement repose sur une règle simple : « sur l’ensemble d’un cycle conjoncturel, le montant total des dépenses ne doit pas excéder celui des recettes ». Dit autrement, dans ce paradigme budgétaire, seul un déficit conjoncturel est toléré.
Ce mécanisme a fait ses preuves : en 2018, la Confédération suisse a dégagé un excédent de 2,9 milliards de francs suisses, après en avoir dégagé un de 4,8 milliards en 2017. Voilà qui laisse rêveur !
En 2009, en Allemagne, la CDU-CSU et le SPD ont voté ensemble la loi dite Schuldenbremse, qui fonctionne sur un équilibre des finances publiques à terme. Les objectifs que s’était donnés le gouvernement allemand en juillet 2015 à l’horizon de la fin de l’année 2019 seront tenus au-delà des espérances, puisque la dette publique est désormais inférieure à 60 % du PIB.
Les exemples de nos voisins nous montrent que la dette n’est pas une fatalité !
À l’image de l’article 115 de la Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne, pourquoi ne pas inscrire également dans le marbre de notre Constitution que les recettes et les dépenses doivent s’équilibrer ?
Par ailleurs, l’État devrait s’imposer à lui-même la règle d’or des collectivités locales : la section de fonctionnement doit s’équilibrer sans recours à l’emprunt ; l’endettement n’est pas mauvais en soi s’il sert à financer l’avenir.
Le ministre Bruno Le Maire a invité l’Eurogroupe à signer un pacte de croissance, visant à profiter des taux d’intérêt bas pour avancer dans trois directions : « la poursuite des réformes structurelles », « le respect des règles européennes en matière de dépenses publiques » et « plus d’investissements pour l’innovation, plus d’investissements pour la recherche, plus d’investissements pour les infrastructures ». Voilà ce que nous invitons le Gouvernement à faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’an passé, un effort est fait en matière de sincérité ; comme l’an passé, le déficit s’accroît ; comme l’an passé, les perspectives sont plus mauvaises ! Du coup, comme vous n’écoutez pas la Chambre haute, monsieur le ministre, j’aurais pu reprendre mon discours de l’année dernière…
M. Jérôme Bascher. Mais j’ai plutôt décidé de reprendre vos derniers documents relatifs au débat d’orientation des finances publiques, documents ô combien minces, puisqu’ils comptent vingt-huit pages. Sur ce total, onze pages d’encadrés vantent allègrement la politique gouvernementale, sans vraiment avancer de chiffres. Heureusement, nous avons pu prendre connaissance ce matin, et je vous en remercie, monsieur le ministre, des dépenses budgétaires arrêtées par votre gouvernement.
Comme aurait pu le dire Bruno Retailleau, il y a un prix que nous aurions dû vous décerner : un Molière. Oui, monsieur le ministre, vous êtes le « Molière » des finances publiques ! Avec la loi de programmation des finances publiques, c’est un chef-d’œuvre que vous avez créé : votre propre Tartuffe ! En effet, le temps que nous avons passé ici à examiner ce document n’a servi à rien ! C’était juste une grande comédie de finances publiques !
Sur le fond, où en est la politique en matière de finances publiques dans ce pays ? C’est simple ! La croissance ne se porte pas bien ; la dette atteint un niveau considérable, comme l’a souligné Christine Lavarde à l’instant ; le déficit structurel est catastrophique ! Nous ne répondons pas aux impératifs européens et je vous donne rendez-vous l’an prochain, mes chers collègues : l’Union européenne nous sanctionnera sur ce sujet sans nul doute ! Je le dis ici tout à fait solennellement à cette tribune.
Parlons de politique économique – les politiques menées en matière de finances publiques servent en fait la politique économique, pour le bénéfice final de nos compatriotes.
L’output gap est fermé, et le Gouvernement annonce des perspectives de croissance potentielle. C’est bien logique, car, en l’absence de politique économique, on ne peut pas espérer de croissance !
C’est ainsi, monsieur le ministre, que nous quittons Molière pour rejoindre Marivaux et la Double Inconstance caractérisant votre politique, et qui nous amène à cette situation. Stop and go sur la fiscalité des grandes entreprises : sa baisse est sans cesse repoussée ! Stop and go sur la fiscalité verte : après avoir matraqué les uns et ignoré les avertissements de Jean-François Husson, vous avez dû revenir en arrière ! Stop and go sur les retraites : il est question d’une grande réforme ; il en a été question cette année, mais aussi l’année d’avant, et maintenant elle pourrait même être intégrée au projet de loi de financement de la sécurité sociale, cher Jean-Marie Vanlerenberghe.
Les perspectives sur les finances locales, chères à Charles Guené, ne sont toujours pas au rendez-vous, alors que vous savez, pour avoir dirigé une mairie, combien la question de la taxe d’habitation pose actuellement problème aux maires. Il en va de même des perspectives sur l’assurance chômage : nos partenaires sociaux sont inquiets. Je citerai également les perspectives en matière de politique de la dépendance. En effet, comme l’a rappelé à juste titre le rapporteur général des comptes sociaux, avoir revendu plusieurs fois la contribution à la réduction de la dette sociale, la CRDS, alors que la dette sociale est toujours extrêmement importante, n’a rien de très encourageant.
Bruno Le Maire l’a bien dit : il faudrait une économie qui investisse ! Mais pour investir, il faut des perspectives claires !
Il a indiqué qu’il fallait investir dans la recherche, mais on va couper le crédit d’impôt recherche ; qu’il fallait investir dans l’écologie, mais, là encore, on va commencer par supprimer quelques crédits d’impôt ; qu’il fallait aussi investir dans la culture, mais, évidemment, on va se priver d’un peu de mécénat.
Bref, il a invité les autres pays à fournir des efforts dans un certain nombre de domaines, sans que nous nous préoccupions d’en faire nous-mêmes. C’est un peu comme si un mauvais élève demandait à un bon élève de lui donner sa copie afin qu’il puisse faire ses devoirs ! Le Gouvernement ne fait rien d’autre !
Vous avez expliqué, monsieur le ministre, que tout était budgété. C’est vrai ! Je reconnais la sincérité des comptes, même s’il manque sans doute – j’en suis sûr – dans le budget le financement du canal Seine-Nord Europe, dossier sur lequel nous sommes tous les deux très sensibilisés.
Je terminerai néanmoins par une phrase de François Mitterrand,… (Exclamations.)