Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par M. Chaize, Mmes Deromedi et Lassarade, M. D. Laurent, Mme Di Folco, MM. Milon, Daubresse et Savary, Mme Bories, M. Laménie, Mme Lamure, M. B. Fournier et Mme Noël, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Remplacer les mots :
peuvent confier
par le mot :
confient
La parole est à Mme Catherine Di Folco.
Mme Catherine Di Folco. Les services de communication au public en ligne, qui, sous l’effet du fonctionnement normal de leurs prestations, reproduisent ou communiquent automatiquement des contenus, n’ont pas les moyens juridiques et techniques leur permettant de présumer de la nature du contenu reproduit. Ils ne peuvent donc savoir si ce dernier est ou non couvert par un droit voisin des éditeurs et agences de presse.
La gestion collective permettra aux services de communication au public en ligne de connaître les publications bénéficiaires du droit voisin, et d’en rémunérer l’exploitation par l’intermédiaire de l’organisme de gestion collective.
Or, s’il existe une possibilité que des éditeurs ou agences de presse ne confient pas la gestion de leurs droits à un tel organisme et ne se fassent pas connaître auprès des opérateurs de plateformes, ces derniers encourront un risque important de poursuites et de demandes de dédommagements en cas de reproduction non autorisée de publications de presse.
Cet amendement tend à assurer la proportionnalité des obligations créées par la présente proposition de loi.
M. Guy-Dominique Kennel. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Cet amendement vise à instaurer une gestion collective obligatoire pour les droits voisins ; je conclurai d’ailleurs mon propos par une remarque annexe sur une sorte de lettre ouverte que j’ai découverte tout à l’heure en séance.
L’objet de cet amendement rejoint ma première intuition sur le sujet : pour que la gestion collective soit efficace, il faut que le plus grand nombre possible d’éditeurs et d’agences de presse s’allient, c’est indéniable. Une gestion collective obligatoire pourrait donc donner l’impression de représenter un gage d’efficacité.
La proposition de loi prévoit la possibilité pour ces titulaires de droits de se rassembler au sein d’un organisme de gestion collective, afin de peser davantage dans le rapport de force qui les oppose aux acteurs numériques. Elle privilégie une gestion collective volontaire, pour deux raisons.
D’une part, il existe un argument juridique. Le droit européen et le droit constitutionnel encadrent strictement les conditions dans lesquelles les États peuvent imposer une gestion collective. La gestion collective obligatoire n’est en pratique admise que dans des cas très particuliers – par exemple, la gestion d’une exception ou la mise en œuvre d’une licence légale –, mais elle ne l’est jamais lorsqu’il s’agit de l’exercice d’un droit d’exploitation d’importance majeure, comme l’est, en l’espèce, le droit voisin.
D’autre part, le caractère facultatif de cette gestion a constitué, lors de l’élaboration de la proposition de loi, l’un des points conditionnant l’accord des éditeurs et des agences de presse. Ces derniers n’ont pas souhaité être enfermés dans les négociations. Il s’agit donc d’un point d’équilibre délicat, qui pourrait fragiliser juridiquement l’édifice.
Je vous demande par conséquent, ma chère collègue, de retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.
Cela dit, je l’avais souligné lors des débats du mois de janvier, je suis, comme l’auteur de cet amendement, intimement persuadé que la clé du succès pour tous reposera non pas sur une obligation juridique, mais sur une obligation que je n’hésite pas à qualifier de morale. Il est impératif que la profession soit unie en totalité, et que les acteurs les plus importants ne jouent pas leur partition de leur côté. Il nous appartiendra à tous d’y veiller et de soutenir l’unité quand les négociations seront lancées.
Je profite de cette occasion pour souligner que certains représentants des auteurs s’insurgent, se disant les oubliés de ce texte. Or nous avons veillé de façon attentive à ce que, s’agissant de la presse, les journalistes puissent bénéficier des retombées de ce droit voisin. Par définition, les auteurs n’en bénéficient pas, le droit voisin n’étant pas un droit d’auteur.
Mme la présidente. Je vous prie de conclure, monsieur le rapporteur ; vous avez très largement dépassé votre temps de parole.
M. David Assouline, rapporteur. Je pensais m’exprimer aussi sur les deux amendements suivants, mais je le ferai tout à l’heure.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Franck Riester, ministre. J’adhère totalement aux arguments avancés par M. le rapporteur.
Je comprends votre préoccupation, madame Di Folco : vous craignez que les plateformes n’éprouvent de grandes difficultés à identifier les éditeurs et les agences avec lesquelles elles devront négocier, ainsi que les publications concernées par le droit voisin.
Néanmoins, je crois vraiment que ces craintes ne sont pas fondées. En effet, la liste des services de presse en ligne et des agences de presse agréées par la Commission paritaire des publications et agences de presse, la CPPAP, est disponible sur le site de celle-ci. En outre, cette commission tient à la disposition des plateformes, en tant que de besoin, la liste des publications de presse disposant d’un numéro d’inscription à la commission, laquelle peut également être consultée sur le site data.culture.gouv.fr.
Enfin, bien évidemment – cela mérite d’être rappelé –, en cas de contentieux, le juge ne manquerait pas de tenir compte de la bonne foi des plateformes qui, en dépit de diligences raisonnables, auraient méconnu les droits d’un éditeur individuel.
Votre objectif me semble donc atteint par le texte actuel ; aussi, je vous propose, à l’instar de M. le rapporteur, de retirer votre amendement. À défaut, je serai obligé d’émettre un avis défavorable.
Mme la présidente. Madame Di Folco, l’amendement n° 5 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Catherine Di Folco. J’entends les arguments de M. le rapporteur et de M. le ministre, madame la présidente ; je retire donc mon amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 7, présenté par M. Assouline, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Remplacer les mots :
prend notamment en compte
par les mots :
prend en compte des éléments tels que
La parole est à M. le rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur. Cet amendement vise à clarifier les modalités, définies par la commission, de prise en compte des éléments susceptibles de concourir à la détermination de la rémunération du droit voisin des agences de presse et des éditeurs de presse. Le caractère à la fois non cumulatif et non exhaustif des critères serait ainsi mieux affirmé.
Cette disposition ne suscitera sans doute pas beaucoup de discussion ce jour, mais l’adhésion assez consensuelle à ce texte dans les milieux concernés a longtemps dépendu des quelques mots en question, car, derrière ceux-ci se cachaient des rapports de force. Je préfère que les choses soient transparentes ; il a fallu fournir des efforts de persuasion, de conviction, de diplomatie et de négociation pour aboutir à cette rédaction.
Les organes de presse d’information politique et générale, qui, depuis le début, se sont fortement battus, notamment à Bruxelles et dans les médias, pour empêcher leur spoliation par les géants du numérique, voulaient que l’on spécifie que leur rôle en faveur de la démocratie était plus important que celui de la presse people ou que celui des attrape-clics, fondés sur des titres racoleurs ; on peut en effet le concevoir.
Ils considèrent donc qu’ils concourent à l’exercice de la démocratie et qu’ils devraient faire l’objet d’un traitement particulier, et il est également évident pour nous que ce sont ceux-là qu’il faut conforter au travers de ce texte ; mais, dès lors, d’autres publications se sentaient exclues. Or il y a aussi, c’est vrai, une presse professionnelle, qui est nécessaire au pays, une presse de la connaissance, et d’autres secteurs de la presse, qui sont importants.
Il fallait donc que tout le monde s’unisse, ce qui est maintenant possible avec cet amendement, car, je peux vous le dire, toutes les familles de la presse ont souscrit à cette disposition, qui rassurera les acteurs et suscitera le consensus.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Franck Riester, ministre. Je veux saluer le travail du rapporteur, qui a fait preuve de beaucoup de diplomatie et de sens du rassemblement, pour faire en sorte de préciser encore le texte.
Il est important de le rappeler, la contribution à l’information politique et générale est un élément à prendre en compte dans le cadre de la rémunération du droit voisin. Je le réaffirme avec force, bien sûr.
Cela étant, s’il s’agit d’un élément important, ce n’est évidemment pas le seul, je le disais précédemment à la tribune. Il n’est nullement question d’exclure telle ou telle famille de presse du bénéfice de ce droit, exception faite, je le rappelle, de la presse scientifique et universitaire, explicitement exclue par la directive elle-même.
Ce droit appartient à tous les éditeurs de presse, sans aucune distinction, et nul éditeur n’en sera exclu.
Information complémentaire : le texte parle non pas du caractère d’information politique et générale des publications de presse, mais de leur « contribution […] à l’information politique et générale ».
Je le répète, les éditeurs et agences de presse doivent être rassemblés, pour que leurs droits soient défendus le mieux possible ; leur force sera d’autant plus importante dans la négociation qu’ils seront unis. C’est ce que j’appelle de mes vœux et cette proposition qui est faite à la Haute Assemblée constitue une très belle précision.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour explication de vote.
M. Stéphane Piednoir. Je veux être en accord avec l’observation que j’ai déjà faite en commission à propos de cette disposition, qui serait un tout petit peu modifiée.
Il était listé, à l’alinéa 13 de l’article 3, un certain nombre de critères introduits par l’adverbe « notamment », que je trouvais superfétatoire. Je l’ai exprimé en commission, car nous sommes tous opposés aux lois bavardes. Dans la mesure où il n’y a pas exhaustivité des critères, où cet adverbe n’apportait rien de précis, et où il n’y avait aucune pondération dans les critères, la disposition proposée me semblait inutile.
Je constate que cet amendement tend à supprimer l’adverbe « notamment ». C’est un premier pas, mais j’aurais souhaité que l’on aille beaucoup plus loin et que l’on s’en tienne à des dispositions plus simples.
N’y voyant aucun élément de précision, à titre personnel, je voterai contre cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur. Monsieur Piednoir, je veux insister sur l’importance de maintenir un équilibre.
Chacun d’entre nous est attaché à la liberté de la presse telle que nous la connaissons depuis 1945. Je prendrai l’exemple de la presse quotidienne régionale qui est souvent la plus lue et qui ne touche pourtant, parfois, qu’un territoire limité. Cette presse participe à faire vivre la démocratie dans notre pays et, j’insiste, notre démocratie s’appuie sur le pluralisme de la presse.
Or un journal de la presse quotidienne régionale qui n’est distribué que sur un petit bassin de vie – il en existe, dont le ressort est infradépartemental – a naturellement une audience limitée, en tout cas une audience plus faible que la presse, disons, sensationnelle. C’est pour sauver cette presse, à laquelle nous sommes tous attachés, que nous devons inclure des critères dans la loi, et pas seulement celui de l’audience.
Et c’est pour cette raison que nous avons inscrit, parmi ces critères, les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse – un éditeur qui n’a pas de journaliste ne doit pas être traité de la même manière que les autres –, ainsi que la contribution à l’information politique et générale, c’est-à-dire à la démocratie.
Voilà pourquoi nous avons mentionné trois critères, même si nous précisons dans le même temps qu’ils ne sont pas exhaustifs. Je revendique cette manière de faire, car elle est juste et équitable et c’est elle qui permettra à ce texte de remplir son objectif.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre. Monsieur le sénateur Piednoir, je veux également insister sur ce point.
Le premier objectif visé est de transposer rapidement ce droit voisin au droit d’auteur et nous pouvons en être fiers collectivement – j’anticipe bien sûr sur le vote qui aura lieu dans quelques instants, mais les propos que j’ai entendus dans la discussion générale m’y incitent… La France sera alors le premier pays à transposer cette partie de la directive et, je le redis, nous pouvons en être fiers.
Le second objectif est de rassembler les éditeurs de presse autour de ce texte et je veux une nouvelle fois remercier le rapporteur et la présidente de la commission de leur mobilisation et des efforts, démultipliés, qu’ils ont fournis pour arriver à ce résultat. Le Gouvernement a également joué son rôle, me semble-t-il, mais rien n’aurait été possible sans le rapporteur et la présidente de la commission.
Monsieur le sénateur, je pense que vous connaissez bien le sujet dont nous débattons et je vous assure que, dans une négociation qui aboutit à un accord qui rassemble tous les acteurs, tout est important, en particulier les éléments qui peuvent apparaître anodins ou comme des détails – ce sont d’ailleurs souvent ces points-là qui font la différence.
Soyez convaincu de l’importance de cet amendement pour rassembler l’ensemble des éditeurs de presse ! C’est un point fondamental pour que le droit voisin que nous allons créer dans la loi française, en transposant la directive sur le droit d’auteur, apporte quelque chose de concret aux éditeurs de presse lors des négociations qu’ils mèneront avec les plateformes. Je peux vous assurer que c’est important. C’est pourquoi je vous demande de soutenir cet amendement.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Leleux et Piednoir, Mme de la Provôté, MM. Brisson, Schmitz, Savin, Kern et Lafon et Mme Lopez, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 13
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les organismes de gestion collective mentionnés à l’article L. 218-3 sont tenus de mettre à la disposition des services de communication au public en ligne, dans un format ouvert, tous les éléments d’identification relatifs aux publications de presse faisant l’objet des droits couverts par le présent chapitre.
II. – Après l’alinéa 14
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les services de communication au public en ligne ne peuvent voir leur responsabilité engagée en raison d’une reproduction ou communication au public mentionnée à l’article L. 218-2 s’ils n’avaient pas effectivement connaissance de la qualité d’éditeur de presse ou d’agence de la personne dont les publications de presse ont été reproduites ou communiquées au public. Cette qualité est présumée acquise lorsque l’éditeur de presse ou l’agence a confié la gestion de ses droits à un organisme de gestion collective mentionné à l’article L. 218-3.
La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.
M. Jean-Pierre Leleux. Nous avons tous le sentiment, me semble-t-il, qu’il serait plus efficace que l’ensemble des éditeurs et agences de presse adhère à un organisme de gestion collective, mais je partage l’avis de M. le rapporteur : il faut maintenir une adhésion facultative et volontaire. Cela étant, nous créons de ce fait un petit vide juridique, un trou dans la raquette pour reprendre une expression parfois utilisée…
Cet amendement qui concerne surtout les plus petits des opérateurs – ce sont aussi les plus fragiles – vise à ajouter une présomption de connaissance de la nature du contenu reproduit au bénéfice des éditeurs de presse ayant confié la gestion des droits voisins de leurs publications à un organisme de gestion collective.
En effet, la proposition de loi fait peser sur les opérateurs de plateformes une obligation, en l’absence de licence, de ne reproduire que des mots isolés ou de très courts extraits de publications de presse. Or aucun dispositif ne permet à ces plateformes de savoir que le contenu qu’elles reproduisent est un contenu produit par un éditeur ou une agence de presse.
Il est donc nécessaire que les organismes de gestion collective communiquent aux opérateurs de plateforme la liste des sites internet, sur lesquels la connaissance de la nature journalistique du contenu doit être présumée acquise.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Mélot et MM. A. Marc, Guerriau, Capus, Wattebled, Chasseing, Lagourgue, Decool, Bignon et Laufoaulu, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 13
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les organismes de gestion collective mentionnés à l’article L. 218-3 sont tenus de mettre à la disposition des services de communication au public en ligne, dans un format ouvert, tous les éléments d’identification relatifs aux publications de presse faisant l’objet des droits couverts par le présent chapitre.
II. – Après l’alinéa 22
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 218-… – Les services de communication au public en ligne ne peuvent voir leur responsabilité engagée en raison d’une reproduction ou communication au public mentionnée à l’article L. 218-2 s’ils n’avaient pas effectivement connaissance de la qualité d’éditeur de presse ou d’agence de la personne dont les publications de presse ont été reproduites ou communiquées au public. Cette qualité est présumée acquise lorsque l’éditeur de presse ou l’agence a confié la gestion de ses droits à un organisme de gestion collective mentionné à l’article L. 218-3.
La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Cet amendement est quasiment identique à celui qui vient d’être présenté ; je considère donc qu’il est défendu.
Quoi qu’il en soit, il est nécessaire que les organismes de gestion collective communiquent aux opérateurs de plateforme la liste des sites internet à propos desquels la connaissance de la nature journalistique du contenu doit être présumée acquise, obligeant ainsi les plateformes à un traitement respectueux du droit voisin créé par la présente proposition de loi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Ces amendements sont quasiment identiques et, pour la transparence de nos débats, je dois dire qu’ils reprennent – cela n’ôte rien à leurs qualités – une préoccupation émise par Qwant, opérateur qui constitue une alternative aux géants d’internet et que nous voulons soutenir de manière générale à la fois du fait de son origine française et européenne et en raison de son éthique.
Il est vrai que les petits opérateurs n’auront pas les mêmes moyens que les géants du net pour se mettre en conformité avec les exigences des futures dispositions législatives. En ce sens, c’est un amendement intéressant, car il traduit les inquiétudes de certains services de communication en ligne qui souhaitent une plus grande sécurité juridique.
Cependant, j’ai auditionné ces opérateurs, nous avons évoqué ces questions et je crois les avoir rassurés – c’est en tout cas ce qu’ils m’ont dit. Pour autant, ils souhaitent que le ministre puisse aussi les rassurer…
En tout état de cause, la solution proposée par le biais de ces amendements paraît insatisfaisante et juridiquement risquée.
En effet, la directive consacre un droit exclusif au profit des éditeurs et des agences de presse, et ce droit est opposable à toutes les plateformes. Or l’adoption de ces amendements impliquerait que le droit voisin ne serait pas opposable aux plateformes, dans l’hypothèse où les éditeurs et les agences de presse n’auraient pas confié leurs droits à un organisme de gestion collective et n’auraient pas publié une liste des publications de presse concernées par le droit voisin.
La loi imposerait alors des conditions supplémentaires à l’exercice du droit voisin ; elles ne figurent pas dans la directive et constitueraient donc des restrictions à l’exercice de ce droit.
Je note d’ailleurs que l’insécurité juridique mise en avant par les auteurs des amendements ne doit pas être exagérée : la négociation contractuelle avec les éditeurs et les agences devrait permettre de lever les principales difficultés soulevées et la jurisprudence tiendra nécessairement compte de l’information dont les plateformes auront disposé en ce qui concerne les publications pour lesquelles une rémunération est demandée.
Je tiens cependant à souligner l’intérêt de ces propositions ; les préoccupations qu’elles soulèvent devront trouver des réponses lors des négociations à venir entre les éditeurs, les agences de presse et les plateformes. J’appelle tous ces acteurs à travailler sur ces questions dès l’adoption de ce texte et j’espère que le ministre pourra nous apporter des éclairages pour convaincre les auteurs de ces amendements de les retirer.
La commission demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, son avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Franck Riester, ministre. J’ai déjà répondu très longuement et en détail à une question précédente qui était très similaire.
La liste des services de presse en ligne et des agences de presse agréés par la Commission paritaire des publications et agences de presse est disponible sur le site de cette commission. Celle-ci tient par ailleurs à la disposition des plateformes la liste des publications de presse qui possèdent un numéro d’inscription à la commission et ces informations sont également accessibles sur le site data.culture.gouv.fr.
En cas de contentieux, le juge ne manquera pas de tenir compte de la bonne foi des plateformes qui, en dépit de diligences raisonnables, auraient méconnu le droit d’un éditeur individuel.
Pour ces raisons, je demande le retrait de ces amendements. À défaut, l’avis du Gouvernement sera défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Leleux, l’amendement n° 2 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Leleux. Non, je le retire, madame la présidente, afin de faciliter l’adoption définitive de ce texte par l’Assemblée nationale en deuxième lecture. Sur le fond, je n’ai pas dit que le risque juridique était exorbitant ; il est limité, mais il existe !
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.
Madame Mélot, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
Mme Colette Mélot. Non, je le retire également, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.
L’amendement n° 6 rectifié, présenté par Mmes Duranton, Micouleau, L. Darcos et Deromedi, M. Kern, Mme Morhet-Richaud, M. Piednoir, Mme Gruny, M. Guerriau, Mmes Kauffmann et Bories, M. Lefèvre, Mme Goy-Chavent, MM. Decool et Charon, Mme Lamure, MM. Longeot, Gabouty et B. Fournier, Mme Férat et MM. Poniatowski et Moga, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Après la deuxième occurrence du mot :
presse
insérer les mots :
, dans un délai fixé par négociation entre les parties concernées,
La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Nous devrions être le premier État européen à transposer dans son droit national les dispositions de la directive relative au droit voisin et ainsi servir de modèle aux autres pays. Dans un souci d’efficacité, mais aussi de protection des acteurs concernés au-delà même de nos frontières, il est souhaitable d’apporter une précision à l’article 3 de la proposition de loi.
Cet article prévoit que les services de communication au public en ligne fournissent aux éditeurs et agences de presse tous les éléments d’information nécessaires à l’évaluation de la rémunération due au titre des droits voisins. Or les modalités d’application de cette obligation n’ont pas été fixées, notamment en ce qui concerne le délai de transmission desdites informations par les Gafam.
La question devrait être abordée lors d’une négociation entre les différents acteurs. Néanmoins, et en raison du rapport de force asymétrique entre les Gafam et les agences et éditeurs de presse, il est possible que cette négociation n’apporte pas les garanties souhaitées, ce qui laisserait libres les Gafam de donner les informations au compte-gouttes, de manière discontinue, ou au contraire en un bloc et tardivement. Cela pourrait porter préjudice aux agences et éditeurs de presse et entraîner des difficultés d’organisation et des retards de paiements, par exemple pour le pigiste qui est en bout de chaîne.
Cet amendement vise donc à fixer, par négociation entre les services de communication au public en ligne et les agences et éditeurs de presse, un délai dans lequel lesdites informations devront être transmises. Il s’agit non pas d’ajouter une négociation à une autre, mais de profiter de celle qui existe pour s’assurer que, dans l’intérêt de tous, un tel délai soit fixé.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Il est proposé que la négociation menée entre les éditeurs et les plateformes fixe également un délai pour la transmission des informations permettant de garantir l’évaluation de la rémunération.
Cet amendement part du constat, très réel, d’une asymétrie entre les plateformes et les éditeurs. Cependant, il paraît superfétatoire, voire contre-productif. En effet, il semble conditionner la transmission des informations aux éditeurs à la tenue de négociations, alors que les informations doivent actuellement être transmises sans condition.
Je tiens à dire, pour rassurer les auteurs de l’amendement, que les négociations à venir, longues et assurément complexes, sont rendues obligatoires par le texte, puisque sans elles les plateformes ne pourront utiliser aucune publication de presse, ce qui serait inenvisageable.
Ces négociations vont nécessairement prévoir les délais et les modalités de remise des informations qui pourront d’ailleurs être différents selon les éditeurs et les cas de figure. Dans le cas extrême, et très peu probable, où les négociations échoueraient, les plateformes devraient quand même fournir des informations aux agences et aux éditeurs, ce qui ne serait pas le cas si cet amendement était adopté.
Il me paraît donc préférable de laisser se mener la négociation, sans l’entourer de trop de contraintes. C’est pour cette raison que je demande le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis de la commission sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Franck Riester, ministre. Madame la sénatrice Duranton, je partage votre préoccupation, mais comme l’a très bien expliqué M. le rapporteur, cet amendement pourrait avoir des effets contre-productifs, car il donne le sentiment de conditionner la mise en œuvre de l’obligation de transparence à un accord préalable entre les parties. Ainsi, en l’absence d’accord, nous n’obtiendrions pas cette transparence, qui est pourtant nécessaire.
C’est pour cela que je vous invite à retirer votre amendement. À défaut, je serai contraint de donner un avis défavorable.