Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pierre Laurent. Vous l’aurez compris : nous ne soutiendrons pas ce traité. Nous pensons qu’une autre voie est possible pour nos deux peuples et pour l’Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Martine Filleul applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Boutant. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Richard Yung applaudit également.)
M. Michel Boutant. Le traité d’Aix-la-Chapelle, plus précisément appelé traité sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, complète, comme indiqué en son article 27, le traité de l’Élysée signé cinquante-six ans plus tôt. Le paragraphe 4 des dispositions finales du traité de l’Élysée prévoit en effet que « les deux gouvernements pourront apporter les aménagements qui se révéleraient désirables pour la mise en application du présent traité ».
Signé dix-huit ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le traité de l’Élysée a une portée à la fois historique, symbolique, politique, diplomatique et culturelle.
Historique : après des siècles de brouilles, de querelles et de guerres, il ouvre une voie à la réconciliation entre nos deux peuples.
Symbolique : à l’esprit de confrontation et à la guerre succède un espoir de paix, et de paix durable. Pour la première fois, on tire une leçon exaltante des drames qui ont mis l’Europe et même le monde à feu et à sang et ont causé tant de malheurs et des millions de morts. Enfin semble cassé ce cercle infernal de guerres et de traités humiliants pour l’une, puis l’autre, des deux parties, produisant le conflit suivant !
Politique : nos deux États prennent conscience de l’intérêt qu’ils ont à coopérer, à se rassembler, à s’unir, plutôt que de s’ignorer ou de se tenir dans une relation de provocation et de rivalité permanentes. À tous les niveaux, ou presque, des ponts sont lancés. Le rapprochement de nos instances, des ministres de la défense et des états-majors de nos deux pays, inédit jusqu’alors, illustre à lui seul cette démarche d’amitié.
Diplomatique : les relations se font plus étroites, croisées ; les partenariats s’expriment par la présence de l’un dans les instances de l’autre, et réciproquement.
Culturelle, enfin : l’enseignement de la langue et de la culture de l’autre est vecteur d’une meilleure compréhension et d’une meilleure entente, d’une envie d’ouverture. Les jumelages entre les communes, voire entre les régions, rapprochent les mentalités et les cœurs.
Ce traité de l’Élysée aura, au bout du compte, insufflé à nos deux pays un esprit de compréhension et d’amitié. En cet instant, je me souviens de mon père, qui eut 20 ans en pleine guerre, disant : « Ma jeunesse, je l’ai passée à chasser les Boches ; maintenant, je veux vivre en paix avec les Allemands : nous avons trop souffert. »
Qu’en est-il aujourd’hui de nos relations, à l’heure où, grâce au traité signé par le Président de la République française et la Chancelière fédérale d’Allemagne le 22 janvier dernier, nous discutons de la révision ou du rafraîchissement de ce traité de l’Élysée ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le monde a changé : l’histoire, la géographie politique, le contexte économique, le personnel politique également, ont changé.
En 1963, on est encore dans l’après-guerre, et les effets de la guerre se font ressentir : l’Europe est coupée en deux, comme l’Allemagne ; la guerre froide entre l’Est et l’Ouest divise les peuples et les États et fait peser sur le monde un risque permanent d’embrasement ; à l’OTAN fait face le Pacte de Varsovie. Élisabeth II est reine d’Angleterre ; le Royaume-Uni est toujours dans son splendide isolement. Les membres fondateurs du traité de Rome sont au nombre de six et l’Europe connaît une prospérité économique qui absorbe des centaines de milliers de gens venus, pour la France, de nos anciennes colonies, et, pour l’Allemagne, de Turquie, de Grèce et de Yougoslavie. Bonn est la capitale de l’Allemagne ; Churchill a 89 ans ; de Gaulle, ancien grand résistant, est Président de la République française, Adenauer Chancelier d’Allemagne ; le mark vaut 1,21 franc.
2019 : le franc et le mark ont été remplacés par l’euro – soit dit en passant, au moment de ce remplacement, le mark valait 3,60 francs ; Angela Merkel est Chancelière ; Churchill est mort, de Gaulle aussi ; Élisabeth est toujours reine d’Angleterre ; le Royaume-Uni s’apprête à quitter l’Union européenne, qui compte désormais vingt-huit membres, ou plutôt vingt-sept. Rome a été révisé par Lisbonne ; l’Allemagne est réunifiée et Berlin est redevenu sa capitale ; le rideau de fer s’est déchiré ; l’Europe centrale et l’Europe de l’Est se sont ouvertes à l’économie de marché ; le Pacte de Varsovie a fondu ; l’OTAN est remise en cause dans son financement par les États-Unis.
Le monde est instable ; le terrorisme frappe ; il fait de plus en plus chaud ; les migrants meurent en Méditerranée. Les eurosceptiques, les europhobes, remettent en cause le fonctionnement voire l’existence de l’Union européenne ; ils font des scores jamais vus aux élections européennes. La Chine, de son côté, continue à grandir, et à grandir encore ; les États-Unis, eux, se replient pour gagner en grandeur. Des peuples s’émancipent ; d’autres continuent à mourir. Internet et les réseaux sociaux quadrillent notre vie. Hélas, on apprend de moins en moins l’allemand dans les écoles françaises et de moins en moins le français dans les écoles allemandes.
Pourquoi, me direz-vous, faire le tour du monde et de l’histoire quand ce qui nous intéresse, ici, aujourd’hui, c’est le traité d’Aix-la-Chapelle ? Précisément : nous sommes au cœur du sujet ! Ou plutôt, nous n’y sommes pas tout à fait, car ce traité semble passer à côté de tous ces changements, autant de changements qui nous concernent, qui nous touchent, qui impactent nos vies. Seuls, nous sommes une goutte d’eau dans le monde ; à deux, nous pesons un peu plus, surtout quand ces deux-là sont la France et l’Allemagne, passées de la déchirure, de la haine la plus profonde, à la réconciliation, à la paix, à l’amitié. Quel exemple pour l’Europe ! Quel exemple pour le monde !
Alors, je reste sur ma faim : on aurait aimé, dans ce traité, de l’enthousiasme, un grand dessein, une refondation susceptible de contaminer heureusement l’Union européenne ; au lieu de quoi nous avons une longue liste, un catalogue de bonnes intentions. Ainsi sont proposées une photographie de nos sociétés à un instant t et la déclinaison d’un grand nombre de mesures qui, certes, ne sont pas à rejeter, mais, hélas, ne s’inscrivent pas dans un grand mouvement permettant de redonner du souffle à nos deux pays et à l’Europe, à un moment où les situations se crispent, où les grains de sable s’accumulent. Les divergences assumées des uns, les bouderies des autres, ne servent pas l’idéal d’humanité qui a guidé nos deux pays depuis la sortie de la guerre.
Je ne suis pas naïf pour autant ; je lis, comme vous, dans l’actualité, et dans les analyses qui en sont faites, que, partout, les rivalités s’exacerbent, que ce soit dans le domaine économique ou militaire, financier ou commercial. Les uns souhaitent un gouvernement économique européen, d’autres le rejettent, forts de leur prédominance et sûrs d’eux.
On a longtemps parlé, en Europe, du couple franco-allemand, moteur de la construction européenne. Ce couple tire sa légitimité de son parcours, qui l’a conduit de la haine à la compréhension et de la compréhension à la réconciliation. Nous avons besoin d’une coopération féconde, au lieu de quoi notre relation offre souvent une image de désunion ; ainsi des propos récents de Mme Annegret Kramp-Karrenbauer et des rivalités au sujet de certaines nominations ou, entre partenaires industriels, autour de programmes d’armement, pour ne citer que quelques exemples.
Me dirigeant vers ma conclusion, je voudrais maintenant, madame la secrétaire d’État, vous poser deux questions.
La première a trait à l’Assemblée parlementaire franco-allemande, point déjà abordé par les intervenants précédents. Celle-ci compte seulement des membres de l’Assemblée nationale et du Bundestag. Le Sénat ne fait-il pas pleinement partie du Parlement français ? Dans le domaine de la défense, par exemple, les députés français et allemands et les sénateurs des commissions concernées se rencontrent déjà, échangent, travaillent ensemble, comme l’a dit le président Cambon il y a quelques instants. Le fondamental ne rejoint-il pas là l’essentiel, nonobstant la dichotomie des douzième et treizième alinéas du préambule de ce traité ?
Ma deuxième interrogation porte sur la forme que prendra l’information du Parlement, et donc du Sénat, sur l’application de ce traité.
Voici ma conclusion : en dépit du caractère généraliste, cumulatif et plutôt formel de ce traité, qui aurait dû faire fond sur une analyse des mésententes au plus haut niveau et des difficultés qu’elles engendrent, ou, inversement, des difficultés au plus haut niveau et des mésententes qu’elles engendrent, afin de clarifier la relation franco-allemande, de la dynamiser et d’en faire un modèle pour la relance européenne, le groupe socialiste et républicain votera en faveur de la ratification de ce traité. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche. – M. Robert del Picchia applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, qui aurait pu imaginer, dans les décombres de la guerre, en 1945, que la France et l’Allemagne parviendraient à dépasser leur opposition séculaire pour sceller une profonde amitié ?
En effet, à un destin longtemps lié par la guerre et la haine s’est substitué un horizon fait de paix et de projets communs.
De déclarations en actes fondateurs, en passant par des gestes symboliques, nombreuses sont les initiatives qui ont permis de forger les liens qui font aujourd’hui du couple franco-allemand une évidence que nul ne peut contester.
La fameuse déclaration de Robert Schuman, en 1950, avait ouvert le temps de la réconciliation. Schuman avertissait : l’Europe ne saurait s’édifier sans la France et l’Allemagne réunies.
Quant au temps de la coopération, c’est bien entendu le traité de l’Élysée qui l’engage, en 1963, sous l’impulsion du général de Gaulle et de Konrad Adenauer, avec des objectifs en matière d’affaires étrangères, de défense et d’échanges culturels.
Pour ce qui est, enfin, de l’œuvre de consolidation de cette entente entre la France et l’Allemagne, elle fut marquée par des gestes forts. Je ne citerai que le plus connu : François Mitterrand et Helmut Kohl, main dans la main, à Verdun, en 1984.
À l’époque, la logique de guerre froide est toujours sous-jacente aux rapports internationaux, tandis que l’Europe s’enlise. Aussi cette gestuelle fraternelle n’est-elle pas uniquement symbolique ; elle fait l’histoire, montrant au monde qu’il y a, entre les deux grandes puissances, la communauté européenne.
Mes chers collègues, c’est parce que la coopération franco-allemande a permis une relation pacifiée que tout ce qui peut contribuer à la favoriser mérite d’être soutenu.
Le nouveau traité signé le 22 janvier dernier à Aix-la-Chapelle suppose toutefois que les actes et les paroles suivent les bonnes intentions, ce qui ne se vérifie pas toujours.
Il est d’ailleurs des décisions prises par la Chancelière et des propos tenus par des membres de son gouvernement qui – disons-le franchement – écornent quelque peu certaines des ambitions contenues dans le traité.
S’agissant déjà du chapitre 1er, consacré aux affaires européennes, que dire du vœu de « prises de parole coordonnées », parfois négligé à des moments politiques importants ?
Prenons un exemple récent : si les nominations aux postes clés des institutions européennes – certains diraient aux « top jobs » – sont enfin arrêtées, force est de constater qu’elles ont été très mal engagées. Tout le monde, depuis soixante-douze heures, applaudit ; certains ont la mémoire courte ! Cette réalité bien regrettable, nous la devons en grande partie aux atermoiements franco-allemands affichés au lendemain des élections européennes. Et le plan Timmermans, préparé en marge du G20 à Osaka, est malheureusement intervenu trop tard dans ce marasme européen.
Au regard des indécisions franco-allemandes, on s’interroge sur la capacité des deux États à relever ensemble les défis qui s’annoncent dans des domaines substantiels relevant de la puissance de l’Union européenne.
Saura-t-on conserver tout son sens à l’article 4 du traité, qui prévoit l’élaboration d’une approche commune en matière d’exportation d’armements ?
Au chapitre 2, il est question d’une forte ambition commune, notamment dans le domaine industriel de la défense.
Il est donc important de ne pas affaiblir ce volet de la coopération, comme l’a très justement rappelé l’ambassadrice de France en Allemagne, dans une brillante tribune dont je vous recommande la lecture – elle y souligne la « tentation du German free ».
Les industriels des deux rives ont besoin de clarté, comme l’a rappelé le président Cambon, surtout dans la perspective du programme de construction de l’avion du futur, le SCAF, ou dans celle du projet terrestre MGCS, visant à remplacer les chars de combat.
Je ne reviendrai pas sur la polémique déplacée qui s’est développée autour du siège de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, si ce n’est pour me réjouir que le traité d’Aix-la-Chapelle précise l’objectif d’un siège pour l’Allemagne.
J’évoquerai brièvement, pour finir, l’article 20, qui fixe des priorités en matière économique.
Il y est question de la coordination régulière des politiques économiques, et en particulier de l’institution d’un conseil d’experts qui se penchera sur le principe de convergence. Sur ce point également, il est important que les partenaires soient réellement responsables des engagements pris et les respectent.
Je pense en particulier aux progrès que nous devons réaliser en matière de convergence fiscale ou sociale, pour mettre fin aux situations de dumping entre pays européens. Je rappelle d’ailleurs, avec plaisir, que l’Allemagne est l’un des derniers pays à avoir créé un salaire minimum légal.
C’est ainsi que nous avancerons ensemble.
En 1984, François Mitterrand s’adressait en ces termes au président de la République fédérale d’Allemagne : « Nous attendons beaucoup de vous. Vous attendez beaucoup de nous. Souvent, les déceptions suivent de près les espérances, mais le parti de l’espérance reste le plus fort. Nous ne pouvons progresser qu’ensemble. »
En conséquence, madame la secrétaire d’État, nos rapports avec Berlin doivent reposer sur la confiance, la transparence et la solidarité.
S’inscrivant dans cette approche positive, le groupe du RDSE approuvera le projet de loi, car, malgré tout, comme on a pu le voir lors du sommet de Meseberg, le couple franco-allemand continue d’apparaître comme une vraie force d’entraînement pour la construction européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Christian Cambon, rapporteur, et Robert del Picchia applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que nous nous penchons sur ce nouveau traité d’amitié entre la France et l’Allemagne, force est de constater que les sujets de discorde entre les deux côtés du Rhin ne manquent pas. Qu’il s’agisse de la politique industrielle, de la question des exportations d’armements ou encore des sujets européens, les points de dissension semblent en effet se multiplier.
En tant qu’Alsacien, je ne peux que regretter tout ce qui ne va pas dans le sens d’une coopération plus étroite entre nos deux pays. Aussi, malgré le contexte actuel, j’accueille avec joie ce nouvel accord, dont mon groupe votera bien entendu la ratification.
Ainsi que l’a rappelé le président Cambon dans son excellent rapport, le traité d’Aix-la-Chapelle de 2019, comme celui de l’Élysée de 1963, a en effet pour ambition de graver dans le marbre l’amitié non seulement entre les gouvernements, mais aussi et surtout entre les peuples. Cette amitié est absolument essentielle à la paix de l’ensemble de notre continent, ainsi qu’à son bien-être et à sa prospérité. Elle est en outre la condition de la pérennité du projet européen, auquel nous sommes si fermement attachés.
Affirmer la force des liens qui nous unissent, c’est également affirmer une alliance de valeurs – je pense notamment à la défense du multilatéralisme, n’en déplaise à ses détracteurs, si puissants soient-ils.
Je souhaiterais plus particulièrement évoquer les dispositions renforçant nos liens en matière culturelle, moins spectaculaires que celles qui ont trait à la coopération militaire – mon collègue Olivier Cigolotti en parlera – ou aux grands contrats, mais ô combien essentielles pour toucher l’ensemble de nos deux peuples.
Le traité évoque ainsi, de manière bienvenue, le « développement de l’apprentissage mutuel de la langue de l’autre ». Or, si l’enseignement de l’allemand reste stable en France, l’enseignement du français connaît une baisse constante en Allemagne depuis dix ans : alors que 16 % des élèves apprenaient le français en 2007, ils n’étaient plus que 14 % en 2017, et ce à tous les niveaux d’apprentissage. Cette situation est pour le moins inquiétante, tant la langue véhicule la culture de chaque peuple, et tant elle est cruciale pour les voyages et les échanges.
Je salue par ailleurs le lancement d’une plateforme numérique franco-allemande, destinée en particulier aux jeunes et adaptée aux nouvelles cultures médiatiques. France Médias Monde, associé à Deutsche Welle, d’une part, et à Arte, d’autre part, a manifesté son intérêt, ce dont nous nous félicitons.
S’agissant de la coopération transfrontalière, qui – vous vous en doutez – m’est chère, le traité prévoit la création d’un nouveau comité de coopération, composé notamment des principales collectivités territoriales. Sont également évoquées d’éventuelles dérogations à la législation permettant aux collectivités territoriales de surmonter des obstacles à la coopération transfrontalière. Il y a là une avancée intéressante, qui est demandée localement. Le modèle des coopérations franco-allemandes en matière médicale, concernant notamment les urgences ou les soins cardiaques, constitue à cet égard un exemple de dispositif local efficace riche d’enseignements.
Toutefois, il apparaît qu’une modification de l’article 72 de la Constitution serait nécessaire pour rendre véritablement applicables les dispositions du traité. Nous sommes donc demandeurs, madame la secrétaire d’État, de clarifications à ce sujet.
Je signalerai enfin, sans m’y attarder, le ridicule des fausses nouvelles qui ont accompagné la signature du traité en janvier dernier : vente de l’Alsace-Lorraine, cession de notre siège au Conseil de sécurité de l’ONU. J’en profiterai seulement pour rappeler, en tant que membre de la commission de la culture, que les travaux que nous menons pour lutter contre de tels phénomènes sont plus que jamais d’actualité. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce traité intervient exactement cinquante-six ans après le traité de l’Élysée entre nos deux peuples, qui était le moyen le plus sûr de préserver la paix ; d’autres pays européens nous ont rejoints depuis.
Aujourd’hui, d’autres défis sont à relever. Le monde évolue très vite. Le duopole sino-américain se livre à une compétition sans merci pour s’assurer un leadership mondial. La prise de contrôle des réseaux internet est une illustration parmi tant d’autres. D’autres grands États, comme l’Inde et le Brésil, ambitionnent également de prendre place parmi les grandes nations planétaires.
Et, pendant ce temps, les pays européens peinent à parler d’une seule voix. Que pèsent 80 millions d’Européens par-ci ou 60 millions par-là, face à 1,4 milliard de Chinois, à 300 millions d’Américains ou à 1,3 milliard d’Indiens ? Ensemble, les 550 millions d’Européens peuvent, et doivent, faire entendre leur voix et défendre leurs valeurs.
Les critiques d’une coopération franco-allemande sont souvent le résultat de manipulations nationalistes. Cette idéologie a déjà montré de quelles catastrophes elle était capable.
Le groupe Les Indépendants ne voit pas dans ce traité un abandon. Il y voit l’expression d’une souveraineté ouverte, coopérative et tournée vers l’avenir.
Le général de Gaulle, dans un discours prononcé en Allemagne et en allemand, déclarait en 1962 : « [La] base sur laquelle peut et doit se construire l’union de l’Europe […], c’est l’estime, la confiance, l’amitié mutuelles du peuple français et du peuple allemand. »
Notre groupe considère ce traité, qui vise à renforcer les liens entre la France et l’Allemagne, comme une heureuse initiative. Nous avons une forte relation commerciale avec notre voisin d’outre-Rhin. En 2017, l’Allemagne est le premier client, mais aussi le premier fournisseur de la France.
Pour autant, ce traité nous semble insuffisant quant au chapitre des coopérations industrielles qui font défaut à l’Europe pour faire face aux grandes puissances. De même, il aurait pu intégrer une coopération concernant la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales, qui coûtent chaque année des milliards à des États membres de l’Union.
Ce traité met en lumière le bilinguisme des zones frontalières. C’est le quotidien des populations transfrontalières – mon collègue Claude Kern vient de le rappeler –, qui se connaissent, se côtoient et vivent ensemble. C’est une chance.
Le rapprochement de nos pays en matière culturelle est assez naturel. Nous partageons les mêmes valeurs : la démocratie, l’État de droit, le respect des minorités ou encore le respect de la vie privée.
Ces échanges mutuels nous apportent beaucoup et sont une source d’avancées concrètes. Je pense notamment à la chaîne de télévision publique franco-allemande à vocation culturelle européenne, Arte.
Notre proximité dépasse la sphère culturelle. Dans le domaine de la sécurité notamment, la France et l’Allemagne ont des intérêts communs. À nos yeux, la coopération en matière de sécurité tant extérieure qu’intérieure ne peut qu’améliorer la qualité du travail de nos services et la sûreté de nos concitoyens.
Avec 47 milliards d’euros, le budget de la défense de l’Allemagne dépasse celui de la France depuis cette année. Bien que les groupes politiques allemands soient très partagés sur les questions de défense, nous devons rapprocher davantage nos nations pour réduire la trop forte dépendance de l’Europe à l’égard des États-Unis.
Au-delà de ce traité, le Fonds européen de la défense est également un excellent outil. Il devrait permettre de canaliser des moyens financiers au bénéfice de nos entreprises.
Les projets franco-allemands d’avion de chasse et de char attestent de l’opportunité d’une telle coopération. Les différences de vues, récemment mises en lumière par les divergences en matière d’exportation d’armes, nous rappellent l’utilité et la nécessité d’une coordination entre les gouvernements allemand et français tout en respectant le choix de chacun.
Nous avons besoin d’harmoniser nos doctrines, afin d’augmenter encore notre intégration. L’Europe s’essouffle face à l’hégémonie de ceux qui profitent de telles divisions. Nous devons reconstituer une capacité d’action stratégique à l’échelon européen.
Le couple franco-allemand a un rôle essentiel à tenir, afin de rester le moteur de l’Union européenne, d’autant qu’il ne faut pas sous-estimer les risques de démantèlement européen.
En 2018, les élections en Italie, fondatrice de l’Europe, sont de nature à nous inquiéter. En 2019, la Ligue de Matteo Salvini a gagné les élections européennes et a rejoint le Rassemblement national dans un même groupe. Hier, les députés britanniques pro-Brexit ont tourné le dos à l’hymne européen. C’est bien sûr choquant.
Dans ce contexte de départ du Royaume-Uni, une forte intégration franco-allemande est nécessaire, mais elle ne suffira pas à elle seule à faire vivre l’Union européenne.
Le groupe Les Indépendants est convaincu que l’Europe à beaucoup à perdre dans la division. Notre richesse et nos talents comptent dans le monde, à la condition que nous soyons unis.
L’actualité montre chaque jour la difficulté à prendre une décision au sein d’un club de vingt-huit membres. « Unie dans la diversité » est un slogan qui trouve ces limites ; comme le disait Georges Clemenceau : « Pour prendre une décision, il faut être un nombre impair de personnes, et trois, c’est déjà trop. » (Sourires.)
Ce traité crée par des accords bilatéraux une unité d’action entre la France et l’Allemagne. Sur certains aspects, nous pouvons considérer qu’il est a minima. Mais l’essentiel est qu’il existe et qu’il va dans le bon sens. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’instar de M. le président de la commission des affaires étrangères, je me réjouis de la nomination des différents titulaires des postes clés de l’Union européenne. Je pense notamment à la présidence de la Commission européenne, avec Mme Ursula von der Leyen, et à celle de la Banque centrale européenne, avec Mme Christine Lagarde. Ce tandem, dans les deux sens du terme, nous permettra d’espérer le retour d’une dimension franco-allemande à la tête de l’Europe. Je regrette moi aussi l’absence de Michel Barnier dans l’architecture communautaire au regard de l’importance de son engagement sur le dossier du Brexit et pour la refondation de l’Union européenne.
Depuis l’acte fondateur qu’a constitué le traité de l’Élysée, la haine héréditaire que se vouaient réciproquement la France et l’Allemagne s’est progressivement muée en amitié indéfectible, à tel point d’ailleurs que le lien privilégié qui unit nos deux pays peut parfois nous apparaître comme une évidence.
Si je me réjouis que cette perception traduise l’immense succès qu’a été la réconciliation entre nos deux nations, il me semble toutefois que la relation franco-allemande est trop importante pour être regardée avec des œillères, fussent-elles bienveillantes.
Or, bien que notre coopération bilatérale bénéficie toujours d’une densité et d’une profondeur sans pareilles, il nous faut bien constater que, depuis plusieurs années déjà, la dynamique du couple franco-allemand semble quelque peu marquer le pas. C’est alors, par voie de conséquence, le cœur même de la construction européenne qui se trouve ainsi frappé d’essoufflement. Bien sûr, l’équilibre des forces a changé et l’axe franco-allemand ne peut plus tenir dans une Europe élargie un rôle aussi prépondérant que par le passé. Mais il n’en reste pas moins que, sans son impulsion, rien ou presque d’ambitieux ne peut se faire en Europe.
Les enjeux du rapprochement franco-allemand dépassent donc largement nos deux pays. Ils concernent l’ensemble du continent, même s’il faut naturellement se garder de donner à nos autres partenaires le sentiment d’une relation qui se voudrait exclusive ou, pire, hégémonique.
Le contexte actuel doit cependant nous conduire à nous débarrasser de toute pudeur excessive en la matière. L’Europe reste à la croisée des chemins, les forces populistes et nationalistes continuent malheureusement de prospérer et le Brexit n’est toujours pas derrière nous. Elle doit s’atteler d’urgence à sa refondation pour regagner enfin la confiance des peuples. Pour ce faire, elle devra notamment apporter des réponses crédibles et collectives aux défis internationaux tels que l’exacerbation de la compétition commerciale, économique ou technologique, la montée des tensions géopolitiques ou les enjeux environnementaux et climatiques.
Dans ces conditions, la responsabilité particulière de la France et de l’Allemagne est évidente. Il était donc essentiel de conjurer le spectre d’une panne durable du moteur franco-allemand et de prendre une initiative visant non seulement à lui donner un nouveau souffle, mais également à réaffirmer son engagement et son ambition pour l’Europe.
Le traité signé le 22 janvier à Aix-la-Chapelle s’inscrit dans cette perspective. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains se prononcera en faveur de sa ratification.
Je me félicite notamment de ce que ce traité développe des objectifs ambitieux en matière d’intégration économique et de coopération militaire. Permettez-moi néanmoins de formuler quelques réserves quant aux résultats à attendre dans ces deux domaines éminemment stratégiques.
En effet, si le traité d’Aix-la-Chapelle énonce des principes, des intentions ou des ambitions, qui ont d’ailleurs pour la plupart déjà été formulés dans le cadre européen, il n’esquisse pas le chemin que Paris et Berlin entendent suivre pour dépasser les nombreux blocages qui empêchent actuellement leur réalisation.
C’est le cas en matière économique. Nous le savons tous, un fossé s’est creusé entre les deux économies, accentuant le déséquilibre désormais profond de la relation franco-allemande. Ce déséquilibre, qui pèse sur la relation de confiance entre nos deux pays, porte en lui les germes d’un découplage politique et stratégique mortifère.
Emmanuel Macron semblait l’avoir compris, lui qui affirmait pendant sa campagne présidentielle vouloir « regagner la confiance de l’Allemagne » en réalisant des réformes structurelles et en assainissant les finances publiques. Pourtant, force est de le constater, malgré ces engagements, la France peine plus que jamais à enclencher une dynamique qui lui permettrait de commencer à combler réellement la divergence qui s’est installée avec notre partenaire.
Dans ces conditions, l’objectif d’une convergence économique, budgétaire, sociale et fiscale franco-allemande et, plus largement, européenne, que nous soutenons résolument, risque de demeurer longtemps un vœu pieux, et les projets français de renforcement de l’Union économique et monétaire, seulement soutenus du bout des lèvres par nos amis allemands, une vue de l’esprit.
C’est vrai également en matière stratégique. Nos amis allemands doivent, me semble-t-il, comprendre qu’ils ne pourront différer encore longtemps le moment où ils devront assumer leurs responsabilités sur la scène internationale. M. le président de la commission des affaires étrangères l’a souligné encore plus nettement que moi.
Bien sûr, je n’ignore pas que les mentalités ont commencé à évoluer sur ce sujet outre-Rhin, mais aussi que l’Allemagne ne pourra pas s’aligner du jour au lendemain sur la posture française ou endosser le rôle aujourd’hui tenu par le Royaume-Uni dans la coopération stratégique et opérationnelle en matière militaire.
Je me réjouis par ailleurs que la France et l’Allemagne soient engagées dans des coopérations industrielles majeures en matière de défense, tout en regrettant les nombreuses incertitudes qui pèsent encore sur les projets communs.
Mais Berlin doit entamer sa mue stratégique et sortir de son statut de puissance exclusivement civile, sans quoi l’idée même d’une Europe, je n’ose dire puissance, mais tout au moins capable de défendre ses intérêts de manière autonome, restera lettre morte.
Je regrette d’ailleurs que cette ambition, alors même qu’elle semble peu à peu prendre corps à l’échelon européen, en matière tant militaire que commerciale ou industrielle, soit assez largement absente du texte paraphé par le Président de la République et la Chancelière allemande.
La signature du traité d’Aix-la-Chapelle a suscité des réactions nombreuses et pour le moins contrastées. Elle a en particulier déclenché une véritable avalanche de fake news, dont la plupart prêteraient franchement à sourire, si toutefois elles n’avaient reçu un si large écho et, surtout, si elles n’illustraient pas une forme de délabrement du débat public, dont nous sommes malheureusement de plus en plus souvent témoins.
À la vérité, ce traité ne mérite ni cris d’orfraie ni enthousiasme démesuré. Il s’agit d’un jalon indéniablement important dans l’histoire de la relation franco-allemande, d’une impulsion nécessaire à un moment décisif de la coopération bilatérale et européenne.
Cela exigera comme toujours, mais peut-être plus que jamais que, des deux côtés du Rhin, chacun soit prêt à se remettre en question et à évoluer. Chacun devra en particulier être prêt à entrer pleinement dans le XXIe siècle : la France en assumant les exigences de la compétitivité économique imposées par la mondialisation, et l’Allemagne en assumant les responsabilités qu’imposent les bouleversements du contexte géostratégique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)