M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous été frappés par cette enquête menée par l’Association des maires de France et le Cevipof, selon laquelle 49 % des maires ne souhaitaient pas se représenter aux échéances locales de 2020. Ce nombre atteint même 60 % pour ceux qui réalisent en ce moment même leur premier mandat électif.
Cette étude révélait une tendance sous-jacente, dont, pour fréquenter quotidiennement les élus locaux, nous avions pleinement conscience : le malaise de ces derniers atteint un niveau critique et affaiblit notre République des territoires, celle-là même que nous défendons chaque jour au sein de la Haute Assemblée.
Alors, comment expliquer ce malaise ? Celui-ci tient à deux éléments.
Cela tient tout d’abord à l’exercice du mandat local. Les conditions de celui-ci se sont complexifiées, ce qui représente un frein, une désincitation, pour de futurs engagements, en raison de la difficile conciliation du mandat avec la vie professionnelle et personnelle, alors que, a contrario, la limitation du cumul des mandats appelle davantage de fluidité dans le parcours entre le mandat et la vie professionnelle.
Cela tient ensuite à d’autres facteurs, qui se sont récemment ajoutés et qui aggravent ce phénomène, qui accentuent ce malaise. Alors que la décentralisation a confié un nombre toujours croissant de responsabilités aux élus locaux, le droit que l’élu doit appliquer a continué de se complexifier, sous l’effet d’un mouvement continu de réformes.
Je suis donc ravi que le Sénat soit force de proposition, avec la loi, d’origine sénatoriale, du 31 mars 2015 visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, et avec l’organisation, en 2017, par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont je salue le travail de grande qualité, d’une consultation et de différentes tables rondes sur ce sujet. Si nous représentons, à notre échelle, les collectivités territoriales, il est de notre responsabilité d’améliorer les conditions des engagements des élus locaux et de ne pas participer à cette complexification et à l’accroissement de cette insécurité. En effet, les élus communaux incarnent dans notre République des territoires, je le disais, la première ligne de notre démocratie.
Ainsi, au regard des insuffisances régulièrement soulignées, il est impératif d’améliorer les conditions concrètes d’exercice des mandats locaux, sans que soit remise en cause la conception française de la démocratie locale.
Le statut d’élu communal doit permettre de concilier le mandat avec la vie professionnelle et personnelle des élus, de donner à ces derniers les moyens d’exercer leurs fonctions et de fluidifier la circulation entre vie professionnelle et mandat local.
Les maires ont besoin de garanties supplémentaires, et ce texte comporte d’intéressantes propositions, qu’il s’agisse du renforcement du droit à la formation des élus communaux ou d’aménagements de la carrière professionnelle des élus, puisque, je le répète, la limitation du cumul des mandats dans le temps rendra ces garanties de plus en plus impérieuses. De même, je salue la revalorisation des indemnités des maires et des adjoints, bien que je ne sois pas d’accord avec les modalités de celle-ci.
Je salue donc la démarche de nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de même que le travail sérieux de notre collègue rapporteur, le sénateur Darnaud, dont je partage l’analyse ; les pistes de réflexion vont dans le bon sens.
Toutefois, s’il faut donner des garanties et renforcer les droits des élus, il ne s’agit nullement de les professionnaliser en revenant sur le principe de gratuité des fonctions électives. De même, s’il est nécessaire d’étendre la formation des élus, le mécanisme de financement prévu à cet effet pourrait avoir des effets pervers et à rebours de l’objectif souhaité.
Enfin, s’il faut limiter – c’est très important – le risque pénal pesant sur les élus, en précisant les notions parfois ambiguës d’autorité légitime ou de prise illégale d’intérêts, concevoir une nouvelle cause d’irresponsabilité, telle que celle qui est envisagée, pourrait ajouter davantage de confusion et de complexité ; cela ne me paraît donc pas répondre aux enjeux soulevés.
En outre, alors qu’un projet de loi, faisant suite aux propositions émises par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, est annoncé sur ce sujet pour l’automne prochain, et alors que les discussions sont encore en cours avec les représentants des élus locaux, il est sans doute prématuré de se prononcer en faveur de mesures qui pourraient fortement évoluer dans les prochains mois. Cela alimenterait une insécurité juridique que dénoncent les élus locaux.
Les élus communaux peuvent avoir confiance en nous, car, en privilégiant une réflexion globale et en étant force de proposition dans la concertation actuellement menée et dans les débats à venir cet automne, nous serons à même d’apporter des évolutions concrètes, de faciliter l’exercice de leur engagement et de traduire ainsi certaines propositions soumises à notre examen aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, conformément à sa vocation constitutionnelle de représentant des collectivités territoriales, le Sénat s’intéresse depuis longtemps au statut de l’élu local et aux conditions d’exercice des mandats locaux, ainsi que l’illustrent les consultations, les rapports d’information publiés par les commissions et les délégations et les propositions de loi déposées par les sénateurs. Le texte que nous examinons cet après-midi constitue une nouvelle initiative sénatoriale, et l’on ne peut que s’en réjouir.
En effet, face à l’insuffisance des garanties données aux élus locaux pour exercer leur mandat, cette proposition de loi offre des pistes intéressantes de réflexion. Toutefois, à titre personnel, je pense que l’amélioration des conditions d’exercice des mandats locaux ne doit pas passer par la voie de la professionnalisation. Je le maintiens, être élu local n’est pas un métier, c’est un service rendu à la collectivité. L’élu local n’est pas rémunéré, il voit son engagement bénévole compensé, et cette compensation doit couvrir l’ensemble des frais liés au mandat. Un mandat, qu’il soit local ou national, découle d’une élection au suffrage universel ; non, il ne peut pas s’agir d’un métier ! En outre, la suppression du bénévolat des seuls élus communaux n’entraînerait-elle pas une différence de traitement entre certains élus, qui demeureraient bénévoles, et d’autres, qui seraient professionnalisés ?
De façon plus générale, cette proposition de loi se heurte à un problème financier, car elle crée des contraintes nouvelles pour les collectivités territoriales, alors que le Sénat est toujours attentif à ne pas accroître inutilement leurs obligations. L’impact financier d’un certain nombre de mesures proposées n’a malheureusement pas été pleinement mesuré.
Par ailleurs, faisant suite aux propositions émises, en juillet dernier, par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, un projet de loi a été annoncé sur ce sujet pour la rentrée parlementaire. Des discussions sont en cours entre le Gouvernement et les représentants des élus locaux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants considère que ce texte arrive à contretemps et qu’il soulève des difficultés d’un point de vue financier. Il apportera sa contribution au débat, par le biais d’amendements déposés par ses membres, et il déterminera son vote à l’issue des discussions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Monsieur Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi, vous disiez craindre l’enterrement de cette proposition de loi.
M. Pierre-Yves Collombat. Oui, et c’est bien parti…
M. Arnaud de Belenet. L’un de nos collègues évoquait aussi des funérailles républicaines. Toutefois, j’ai également entendu M. le ministre proposer, pour filer la métaphore, une résurrection républicaine de ce texte, qui serait intégré à un dispositif plus vaste. Nous partageons cet objectif.
Un certain nombre de choses ont été dites par les précédents orateurs, à commencer par Mathieu Darnaud ; je ne les répéterai évidemment pas, mais je veux exprimer la parfaite convergence qui existe entre ce qui a été exprimé et ce que pense le groupe La République En Marche, afin de souligner combien celui-ci partage les objectifs cités.
Nous entendons souvent les élus, non pas récriminer, mais évoquer un certain nombre de problèmes. Leurs discours portent souvent sur le sentiment que les moyens d’action – non seulement les moyens financiers, mais, de manière générale, la capacité à agir – vont en diminuant. Nous entendons ainsi nos collègues évoquer les impacts de la loi NOTRe, de la loi Maptam et de la recomposition des intercommunalités, ainsi que les effets dévastateurs de la baisse des dotations entre 2011 et 2017 ; cette dotation est heureusement stabilisée depuis maintenant deux ans. Nous connaissons donc bien ces problématiques.
Je veux ouvrir ici une parenthèse relative aux moyens financiers, notamment en matière de dotation : les très petites communes ont subi, nous le savons, un triple effet. Elles ont donc certainement besoin d’une attention particulière dans les projets à venir, notamment en matière de concours financiers de l’État. Ces communes, celles qui sont à 10 000, 15 000 ou 20 000 euros près, nécessitent, pour pouvoir sortir la tête de l’eau et retrouver, au minimum, un confort de gestion, un traitement particulier.
La complexité des normes décourage également les élus, de même que le sentiment de certaines contraintes liées aux contrôles. Bien évidemment, les insuffisances de ce que l’on a tendance à appeler le statut de l’élu et la difficulté à concilier l’exercice de fonctions électives avec la vie familiale et professionnelle se retrouvent aussi dans le discours de nos collègues.
Plus que le statut de l’élu, ce sont bien évidemment les conditions de l’engagement préalable à l’élection, les conditions d’exercice du mandat et la période qui suit la cessation de celui-ci qui importent ; ce diagnostic se retrouve dans le long travail entrepris par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, qui a abouti au rapport en six tomes précité, qui liste une série de recommandations portant sur le régime indemnitaire, le régime social, la formation, la reconversion, la responsabilité pénale et la déontologie.
Ce travail très complet a sans doute servi de base au projet de loi en cours de rédaction. Le ministre Sébastien Lecornu exprimait il y a quelques minutes, à cette tribune, son souhait de travailler, avec la délégation aux collectivités territoriales, l’ensemble du Parlement et les organisations représentatives des territoires, à ce projet plus vaste. Je le salue également, mais je veux dire à mon tour que cette proposition de loi contribue utilement au débat qui s’engage sur les conditions d’exercice des mandats électifs.
Je me réjouis de l’impatience exprimée par mes collègues à propos du futur texte gouvernemental, en cours de finalisation. J’en suis certain, nous pourrons l’enrichir ensemble.
Je veux vous le dire, Pierre-Yves Collombat, ce sujet nous préoccupe et nous pouvons converger autour d’un certain nombre d’objectifs, même si les dispositions proposées dans la proposition de loi peuvent faire l’objet d’améliorations, notamment juridiques et relatives au financement.
Nous adhérons à l’objectif du droit au congé pendant la campagne électorale et au fait de renforcer l’offre de formation à destination des élus locaux. Je pense en particulier à la validation des acquis de l’expérience, au travers d’un bilan de compétences et non seulement d’une formation, y compris dans les communes de moins de 3 500 habitants.
Vous proposez également, dans cette proposition de loi, des dispositifs de revalorisation indemnitaire, notamment pour les maires de commune de moins de 10 000 habitants qui ont cessé leur activité professionnelle. Publiquement, nos collègues revendiquent rarement une augmentation de leurs indemnités ; néanmoins, dans des cadres plus intimes, nous les entendons dire que le poids de la responsabilité de budgets importants et de centaines d’agents peut être comparé à la situation de chefs d’entreprise. Il n’y a évidemment pas de leur part de velléité d’obtenir une rémunération comparable à celle de chefs d’entreprise de taille équivalente, mais, même si elle n’est pas exprimée publiquement, la question de la valorisation des responsabilités se pose tout de même, notamment en matière de ressources humaines et de budget.
Cela étant dit, nos collègues élus locaux nous disent tous être passionnés ; ils s’intéressent d’abord au fait d’œuvrer pour l’intérêt général, de contribuer à la dynamique de leur territoire et de porter leur collectivité humaine locale vers un destin commun et partagé ; nous savons bien tout cela.
L’auteur de la proposition de loi propose aussi un droit à la suspension du contrat de travail pendant la durée du mandat et un droit à la réintégration dans l’entreprise.
M. le président. Il faut conclure !
M. Arnaud de Belenet. C’est une question opérationnelle sur laquelle nous pourrons également nous retrouver.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce qui fonde l’initiative du groupe communiste républicain citoyen et écologiste sur le statut de l’élu, c’est que, tout le monde en conviendra, la démocratie locale est inséparable de la démocratie nationale – inséparable ! Or nous vivons un moment qui n’est pas si simple du point de vue de la cohésion sociale et de la vie démocratique de notre pays.
J’ai entendu deux appréciations du texte, de la part du ministre et de plusieurs intervenants : utilité et convergences. Nous verrons, à la fin du débat, si l’utilité est reconnue et si les convergences sont confirmées. En même temps, il y a aussi des questions qui font débat, et c’est normal.
Quelque chose m’a un peu interpellé ; j’ai regardé le débat à la commission des lois et j’ai lu la contribution de la délégation aux collectivités territoriales, et j’y ai senti un doute, une sorte d’hésitation, à propos du terme de « statut » de l’élu. Mes chers collègues, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalités parle depuis des années du « statut de l’élu local » !
Ce statut ne provoquera pas d’immobilisme ; il est révisable et sera révisé chaque année. En outre, il n’institue pas de professionnalisation de la vie politique ; n’ayons pas de faux débats. En revanche, il faut donner des garanties et des obligations aux élus de la Nation.
Je veux maintenant faire quelques observations. Vous dites, monsieur le ministre, que le statut n’est pas adéquat.
M. Pascal Savoldelli. Ce « statut de l’élu », c’est une reconnaissance, puisque la démocratie locale est inséparable de la démocratie nationale. Donc, donnons-leur un « statut ».
Vous parlez aussi de prévoir des dispositions sur l’engagement des élus, dans le projet de loi à venir. Cela nous fait drôle, je vous l’avoue, d’entendre parler d’engagement des maires à neuf mois des élections municipales ; croyez-moi, notre groupe sera extrêmement vigilant quant aux mesures qui seront proposées. Je ne dis pas que ça a été votre propos, mais ne faites ni une manipulation, ni une instrumentalisation, ni une recomposition politique au travers d’un projet de loi arrivant en septembre, quelques mois, je le répète, avant les municipales.
Pourquoi est-ce que je dis ça ? Parce qu’on passe, au travers de plusieurs textes, et celui-ci pourrait en avoir l’essence ou l’ADN, de la République des lois à la République du contrat. Ce même gouvernement a passé un contrat avec les 343 collectivités territoriales les plus grandes ; qu’est-ce qui nous assure que, demain, sans évolution des garanties et des droits des élus, il n’y aura pas un contrat entre l’État et les élus, c’est-à-dire, en quelque sorte, un contrat entre une majorité politique et des élus locaux ? Il faudra donc faire preuve d’une grande vigilance.
Vous nous dites aussi que la gratuité est un problème, que les élus ne sont pas là pour gagner de l’argent. D’accord, monsieur le ministre, mais ils ne sont pas là non plus pour en perdre ; d’où le propos de Pierre-Yves Collombat, qui a été repris par certains. Que proposons-nous à cet égard ? La majoration indemnitaire de 50 % pour les maires non retraités des communes de moins de 10 000 habitants qui cessent leur activité professionnelle pour se consacrer à leur mandat.
Nous prenons également en compte les difficultés des petites communes en étendant le bénéfice de la dotation particulière relative à l’exercice des mandats locaux aux communes de 1 000 à 9 999 habitants. Il ne manque donc plus que la volonté politique.
Selon vous, monsieur Darnaud, le fonds national de formation poserait problème. Je sais bien qu’il ne s’agit pas de la formation, mais du financement. Nous devons nous tourner vers le Gouvernement pour obtenir les moyens nécessaires pour abonder ce fonds.
Je viens d’évoquer la majoration indemnitaire accordée aux maires des communes de moins de 10 000 habitants. Mais il est aussi question, aux articles 5 et 6, des problèmes de frais de garde ou de questions fiscales… Quels représentants veut-on ? On souhaite la parité, dans les couples homosexuels ou hétérosexuels, mais on hésite à s’attaquer à la question des frais de garde ou aux problèmes de fiscalité, c’est-à-dire à tout ce dont un homme ou une femme doit tenir compte avant de s’engager dans une élection. Il ne faut pas faire preuve de frilosité sur ces sujets.
Une des premières questions soulevées par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation dans son enquête concerne la protection juridique, avec le statut pénal, à côté de la conciliation avec une activité professionnelle du régime indemnitaire, de la formation et de la protection sociale.
Le code pénal français relativise la prise illégale d’intérêts et se montre particulièrement sévère : hors même tout enrichissement personnel, un élu peut être mis en cause s’il accorde des subventions à une association dont il est membre ou responsable, alors même qu’elle est d’intérêt général. Or plus de 80 % des 7 500 élus ayant participé à cette enquête estiment que le risque pénal est une cause importante, voire très importante de la crise des vocations.
Si les dispositions que nous proposons sont utiles, le débat ne peut se limiter à refuser chaque article, les uns après les autres, ou à supprimer des alinéas. J’ai bien compris qu’un projet de loi était en préparation. Et c’est justement la raison pour laquelle il faut encourager les convergences entre nos textes.
Mes chers collègues, il me semble que certains des amendements déposés pourraient être retirés. Nous devons changer d’attitude : le Sénat, garant de la représentation des collectivités territoriales, doit faire un geste sur la question de l’élu local. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous allons engager est un débat du moment à en croire les annonces du Président de la République, qui parlait d’un « statut digne de ce nom », à en croire aussi le discours de politique générale que nous venons d’entendre et à en croire les propos que M. le ministre vient de tenir voilà quelques instants.
Tout vient à point à qui sait attendre ! Nous sommes heureux que l’exécutif s’intéresse enfin aux élus locaux et aux territoires, sous l’angle de la confiance et de la bienveillance.
En matière de dialogue entre l’État et les collectivités locales, on ne peut pas dire que l’année 2018 ait été caractérisée par la joie et la bonne humeur : contractualisation déséquilibrée, conférence nationale des territoires en échec, démission des élus locaux, dérapage du « BalanceTonMaire »… Tout cela suivi par le mouvement des « gilets jaunes », par l’opération « mairie ouverte » et par le grand débat pour revenir à de meilleurs sentiments et réaliser enfin le rôle indispensable joué par les bâtisseurs du quotidien que sont les élus locaux dans notre République, sans oublier, bien évidemment, la perspective des municipales de 2020…
Monsieur le ministre, je partage votre avis : beaucoup de communes n’auront peut-être aucun candidat aux prochaines élections municipales et certains maires en place n’arriveront pas à boucler leur liste. Les études menées par le Cevipof et par le Sénat soulignent que cette proportion peut s’élever jusqu’à 50 %, voire même dépasser ce taux dans les plus petites communes.
Vous qui avez de l’influence, pourriez-vous demander à Mme Jacqueline Gourault de répondre à la question écrite que je lui ai posée en novembre 2018 et en janvier 2019 pour obtenir enfin une comptabilisation exacte, et par strate, des démissions d’élus. Elle s’y était engagée lors d’une audition devant la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Je lui ai rappelé la nécessité de répondre à cette question en janvier dernier, et j’ai échangé avec plaisir avec ses collaborateurs… Il ne s’agit pas d’avoir des informations pour avoir des informations, mais de savoir où ont lieu ces démissions. Cette question a toute son importance dans la définition du statut de l’élu.
Cette vague de démissions et ces potentielles situations inédites que vous évoquez, monsieur le ministre, ont révélé publiquement le désenchantement qui touche les élus locaux. S’il n’y a pas de raison univoque à ce malaise – il ne s’agit pas uniquement des effets de la dernière loi d’organisation territoriale –, il faut s’interroger sur les conditions d’exercice du mandat d’élu local, ce dont Pierre-Yves Collombat nous donne aujourd’hui l’occasion.
La perspective est double : améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux est tout simplement une exigence démocratique. De multiples dispositions se sont structurées et sédimentées depuis les grandes lois de décentralisation de 1980. Plusieurs lois, en 1992, en 2002 et, plus récemment, en 2015, sur l’initiative de Mme Gourault et de notre collègue Jean-Pierre Sueur, sont venues compléter ces premières mesures.
Ces différentes dispositions ont été rendues nécessaires par le changement du contexte d’exercice des mandats : technicisation, responsabilités croissantes, temps consacré aux mandats, exigence de nos concitoyens justifient un changement de braquet.
Les résultats de la consultation menée par le Sénat auprès des 17 000 répondants et à laquelle j’ai pu participer au titre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ont mis en lumière cette nécessité de transformation. Un point saillant ressort de cette consultation : il faut démocratiser les fonctions électives.
Quand on parle de statut, certains pensent privilèges ou avantages indus. Ce n’est absolument pas la question : il s’agit, bien au contraire, de restituer la vitalité démocratique locale et de mieux représenter notre population, ce que ne permettent pas aujourd’hui les conditions du statut d’élu local.
La situation actuelle et la législation en vigueur profitent à certaines professions – comme les professions intellectuelles ou les cadres, au détriment des ouvriers –, à certains statuts sociaux – les fonctionnaires, au détriment des représentants du secteur privé –, à certaines classes d’âge – les retraités et préretraités – et, d’une façon plus générale, aux hommes, aussi bien en termes quantitatifs qu’en termes de responsabilité. L’ensemble de ces éléments a forcément un effet sur les politiques publiques choisies. Le statut de l’élu doit donc permettre d’ouvrir les fonctions électives à de nouveaux profils et d’éviter une représentation monolithique.
Le deuxième aspect qu’il convient de souligner est qu’il est peut-être nécessaire de rompre avec une vision strictement homogène du statut et d’aller vers davantage d’adaptabilité.
Tout d’abord, d’un point de vue démographique, on observe une véritable césure entre le rural et l’urbain liée à la rareté des ressources. Le poids des responsabilités est plus difficilement vécu par les élus des structures les moins peuplées avec, pour corollaire, le risque accru d’un départ.
Ensuite, d’un point de vue fonctionnel, on constate une rupture de plus en plus tranchée au sein de la population des élus entre ceux qui disposent de pouvoirs exécutifs et les autres.
Tous ces critères se superposent, ce qui amène nécessairement à prendre en compte cette complexité. Au risque de me répéter, l’amélioration des conditions d’exercice des mandats locaux est avant tout une exigence de notre démocratie, qui se justifie encore plus en ces temps parfois troubles pour notre système politique et pour notre République.
Cette proposition de loi du groupe CRCE répond justement à ce débat. Pierre-Yves Collombat souligne que le statut de l’élu a pour but de « faciliter l’accession du plus grand nombre aux fonctions électives sans préjudice professionnel ou financier. Il doit permettre la représentation de la population dans toute sa diversité. » Peut-être incomplet, ce texte comporte néanmoins des apports certains.
Comme M. le rapporteur l’a souligné, on peut relever une forme d’incomplétude : un certain nombre des dispositifs proposés mériteraient de faire l’objet d’une étude d’impact pour en mesurer l’efficacité. On pourrait également modifier certains seuils ou taux… Toujours est-il que cette proposition de loi va dans le sens d’une amélioration de l’existant, ce que nous réclamons tous.
Avant d’en venir à mon dernier point, je voudrais signifier un petit regret personnel, celui de n’avoir pu faire aboutir un amendement – jugé irrecevable au titre de l’article 40, que nous chérissons tous – visant à reporter la suppression des indemnités de fonction des présidents et vice-présidents des syndicats.
M. Éric Kerrouche. C’est effectivement un des effets de la loi NOTRe, monsieur le ministre, auquel je ne doute pas que le Gouvernement saura répondre.
M. André Reichardt. Subito ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Éric Kerrouche. La proposition de loi pose une question fondamentale, celle de la persistance du mythe de l’amateurisme républicain. Nous n’avons pas encore tranché sur la question de l’aspect professionnel de certains mandats électifs.
À vrai dire, depuis le 22 novembre 1906, depuis le débat sur l’augmentation de l’indemnité des parlementaires, la question de la professionnalisation revient comme un serpent de mer dans l’ensemble des discussions, sous les différentes Républiques.
Ma collègue Élodie Lavignotte, auditionnée par le Sénat, soulignait que tous les textes parus depuis 1992 et la décentralisation conduisent, de fait, à une professionnalisation de certains mandats électifs locaux.
Toutefois, pour des raisons à la fois historiques et liées à la tradition, l’exercice d’un mandat est toujours un entre-deux : entre métier et entre profession. Le principe de gratuité demeure le fondement de la légitimité de l’identité de l’élu, mais, dans le même temps, toutes les dispositions viennent consacrer l’idée d’une professionnalisation.
On peut chérir le mythe de l’amateurisme républicain et se rendre compte qu’il ne correspond plus, pour certaines fonctions, à la réalité. Et à un moment donné, il va bien falloir traiter de cette réalité !
L’ensemble des propositions de Pierre-Yves Collombat permettent de progresser dans la réflexion sur le statut de l’élu local et de souligner que ce statut est une nécessité pour tous, singulièrement pour notre démocratie locale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)