Mme Catherine Troendlé. Absolument !
Mme Josiane Costes. Aujourd’hui, 38 % des élèves de lycées professionnels poursuivent leur cursus après le bac. Ils n’étaient que 17 % en 2000. C’est une belle progression !
Toutefois, leurs résultats en BTS sont mitigés : seuls 62 % d’entre eux décrochent le diplôme, pour 87 % des bacheliers généraux. En réduisant la part de l’enseignement disciplinaire, on risque de creuser l’écart entre le lycée professionnel et la poursuite d’études.
Les lycéens professionnels ne doivent pas être privés de culture générale. C’est une erreur de croire qu’ils n’en auront pas besoin. Privilégier la pratique et la technique est certes une bonne chose, mais cela ne doit pas se faire au détriment de matières fondamentales pour le développement intellectuel de ces élèves. Seul un socle de valeurs culturelles et citoyennes permettra à ces jeunes de s’adapter aux évolutions du monde et aux métiers qu’ils pratiqueront.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous pallier la baisse de ce nombre d’heures d’enseignement des matières générales en lycée professionnel ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, j’ai déjà partiellement répondu à votre question, même si j’essaye de dire des choses nouvelles à chaque fois. (Sourires.)
Encore une fois, il s’agit d’une évolution qualitative. Avec la réforme, nous arrivons à 995 heures sur un parcours comprenant la seconde, la première et la terminale – respectivement 360 heures, 336 heures et 299 heures –, auxquelles il faut ajouter les heures de consolidation, d’accompagnement personnalisé et de choix d’orientation, soit 265 heures supplémentaires sur l’ensemble du parcours. La réduction n’est donc pas si forte que cela, et il faut y ajouter la co-intervention. Par comparaison avec d’autres pays, nous conservons un enseignement général extrêmement fort au sein de notre enseignement professionnel.
J’en profite pour adresser un message de considération et d’estime aux 50 000 professeurs des lycées professionnels de France, que ceux-ci enseignent les disciplines professionnelles ou générales. Je sais bien que, là encore, les inquiétudes sur l’avenir sont présentes. Mais leur carrière est importante et, je le dis officiellement, nous avons besoin d’eux pour que leurs compétences servent encore mieux aux élèves, dans un contexte de co-intervention et d’enseignement plus personnalisé.
Je pense que nous avons besoin aussi de plus de coopération et d’un travail d’équipe entre les différentes catégories de professeurs. C’est un point important.
Nous avons besoin d’imprégnation de la culture générale. C’est pourquoi, parmi mes priorités, figurent aussi les projets culturels menés en dehors des heures de cours. J’ai demandé aux recteurs d’accorder la priorité à l’enseignement professionnel en la matière. En outre, bien évidemment, l’enseignement professionnel recèle en lui-même une dimension conceptuelle et culturelle.
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes, pour la réplique.
Mme Josiane Costes. Monsieur le ministre, de nombreux élèves en échec scolaire au collège retrouvent confiance et réussite au lycée professionnel.
Un enseignement avec des pratiques pédagogiques souvent très innovantes, dont l’enseignement général s’inspire d’ailleurs, redonne confiance à ces élèves et les remet sur la voie de la réussite.
L’enseignement général au sein de ces établissements permet justement à ces élèves de retrouver confiance en eux en réussissant dans les matières dans lesquelles ils étaient en échec au collège, comme les lettres, les mathématiques ou encore les langues. Il est donc fondamental.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a, de manière fort ambitieuse – nous saluons cette action – rénové le statut des apprentis en s’attachant à corriger son opacité et sa complexité, ainsi qu’à effacer les travers qui contribuaient à en donner une image largement dégradée.
Or l’augmentation de la rémunération des apprentis, le remplacement du système d’aides par une aide unique aux employeurs d’apprentis pour les entreprises de moins de 250 salariés et la suppression des exonérations totales de charges sociales se traduisent par un surcroît significatif pour les employeurs dans certaines situations ; cela concerne particulièrement les apprentis plus âgés.
Par ailleurs, l’aide unique aux employeurs d’apprentis ne couvre pas les diplômes et titres de niveau III.
Or, si cette réforme a, en principe, pour objectif d’améliorer largement le dispositif, il ne faut pas qu’elle induise des conséquences financières délétères pour les employeurs, ce qui in fine les découragerait.
Par exemple, le coût global d’un apprenti de 27 ans embauché dans une entreprise de moins de 250 salariés pour préparer un CAP boulanger, s’élevait, dans le cadre d’un contrat conclu jusqu’au 31 décembre 2018, à 16 744,54 euros, contre 31 845,40 euros pour un contrat conclu à compter du 1er janvier 2019. Ce delta a été constaté dans d’autres secteurs comme la coiffure.
Compromis entre productivité et observation, l’apprentissage d’un jeune représente, malgré tous ces avantages, une charge pour l’entreprise, qu’il ne faut pas négliger.
Aussi, je souhaiterais recueillir votre avis sur deux points d’amélioration, monsieur le ministre.
Quid d’une éventuelle révision du système de rémunération des apprentis, à savoir la création d’un salaire minimum légal de l’apprenti basé sur le seul critère du niveau de diplôme préparé, et ce quel que soit l’âge ?
Par ailleurs, l’aide unique aux employeurs d’apprentis peut-elle être élargie aux formations de niveau III, à savoir le BTS ou le brevet de maîtrise ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Je vous remercie, monsieur le sénateur, d’avoir rappelé la dynamique de l’apprentissage que nous avons voulu favoriser.
Le développement de l’apprentissage est au cœur de l’action que nous menons. Nous souhaitons que l’apprentissage ne soit pas contradictoire avec le développement de l’enseignement professionnel, mais, au contraire, qu’ils se confortent l’un et l’autre.
Développer l’apprentissage implique, entre autres, de simplifier les démarches des employeurs afin d’augmenter le nombre de contrats offerts aux jeunes.
Désormais, dans les entreprises de moins de 250 salariés lorsqu’est signé un contrat d’apprentissage pour préparer un diplôme de niveau inférieur ou égal au baccalauréat, une aide unique, qui remplace les quatre aides précédentes, est versée aux employeurs d’apprentis. De plus, l’employeur n’a aucune démarche à engager : cette aide est versée immédiatement.
Ainsi, dès que le contrat d’apprentissage est enregistré par la chambre consulaire, l’aide est versée par l’Agence de services et de paiement chaque mois par anticipation de la rémunération. Le montant de l’aide unique est dégressif : 4 125 euros au maximum pour la première année d’exécution du contrat ; 2 000 euros au maximum pour la deuxième année et 1 200 euros pour la troisième. Un simulateur de calcul de rémunération est disponible sur le portail de l’alternance.
Par exemple, s’agissant d’un apprenti de 16 ans qui prépare un CAP dans une entreprise de moins de onze salariés, le reste à charge mensuel pour l’employeur, déduction faite de l’aide unique et des exonérations de cotisations sociales, s’élève à 73 euros par mois la première année et à 436 euros la seconde année.
Par ailleurs, vous avez insisté sur l’apprentissage après le baccalauréat. C’est un point fort de la France, vous le savez, et, là aussi, des moyens publics viennent en appui des employeurs.
Aujourd’hui, nous concentrons, il est vrai, les dispositifs nouveaux et notre capacité à encourager l’apprentissage sur les niveaux inférieurs parce que c’est là qu’il convient d’encourager le plus l’apprentissage. Mais nous considérons que l’apprentissage dans l’enseignement supérieur n’est pas contradictoire avec les niveaux inférieurs : au contraire, il joue un rôle de locomotive.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur la question de l’orientation des élèves vers les filières professionnelles.
En effet, une étude du Conseil national d’évaluation du système scolaire réalisée auprès des 18-25 ans et publiée l’automne dernier a montré que ces jeunes ne sont pas suffisamment accompagnés dans la définition de leurs projets scolaire et professionnel. Ainsi, d’après cette étude, un jeune sur deux déclare ne pas avoir été bien accompagné dans son établissement pour ce qui concerne son projet d’orientation et un jeune sur cinq estime qu’il n’a pas eu le choix de son orientation.
En parallèle, l’objectif des gouvernements successifs de faire en sorte qu’un fort taux d’une même classe d’âge obtienne le baccalauréat – ce taux est passé de 20 % en 1970 à 80 % en 2017 – est de nature à augmenter ce ressenti chez les élèves.
La voie générale est souvent plébiscitée par le corps professoral et les professionnels de l’orientation. Pourtant, nombre de bacheliers échouent ensuite à l’université ou se lancent dans des études parfois longues et se rendent compte, en cours de route, qu’ils ne parviendront pas à les finir ou qu’ils se sont trompés de voie.
En parallèle, des heures de français et d’histoire-géographie ont été supprimées, ces dernières années, dans les filières professionnelles et des bacs pro ont été réduits de quatre à trois ans, voire moins bientôt. Pourtant, cet enseignement est important et les cursus, pourvu qu’ils soient dotés de suffisamment d’heures de cours bien sûr, sont déterminants pour la formation des futurs professionnels.
Au moment où l’on peine à embaucher dans de nombreuses filières professionnelles, ces formations devraient être valorisées.
Monsieur le ministre, je vous poserai deux questions.
Premièrement – c’est une question plus générale –, pourriez-vous nous préciser les mesures que le Gouvernement entend mettre en place pour faire en sorte que l’enseignement professionnel retrouve ses lettres de noblesse et redevienne le pourvoyeur de jeunes employés formés pour les filières professionnelles qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être, et ce en adéquation avec le marché de l’emploi ?
Deuxièmement, ne pensez-vous pas que la professionnalisation des parcours devrait être abordée dès le collège, à partir de 14 ans, afin d’éviter le décrochage scolaire de certains jeunes, qui sont confrontés à des notions parfois trop abstraites dans les formations classiques ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, évitant tout suspense, je répondrai positivement à vos deux questions.
Premièrement, l’orientation est évidemment un thème fondamental. C’est d’ailleurs un sujet d’actualité : ce matin même, j’ai signé, ainsi que Frédérique Vidal, une convention avec Régions de France, la convention-cadre de la coopération entre l’État et les régions en matière d’orientation. Concrètement, cela signifie que, désormais, les régions ont un rôle direct pour ce qui concerne les heures d’orientation que nous dédions aux différentes classes du collège et du lycée.
Je réponds donc tout de suite positivement à votre seconde question : nous prévoyons 12 heures d’orientation en classe de quatrième, 36 heures en classe de troisième, 54 heures en classe de seconde – c’est une réalité cette année –, ainsi qu’en classe de première et de terminale. Nous concevons toutes ces heures en partenariat avec les régions.
Les lycées sont ainsi appelés à avoir une dynamique particulière, ainsi que les collèges, au travers des semaines d’orientation, des journées portes ouvertes, des initiatives qu’ils souhaitent prendre et qui correspondent à ce volume horaire ou à un volume plus important encore, le tout en collaboration avec les régions, qui ont désormais compétence, en coordination avec l’enseignement supérieur et le monde économique, pour que soient présentés les métiers et les filières de formation. Il s’agit donc une nouvelle dynamique d’orientation.
Concernant la question du prestige et de l’orientation en fin de collège, comme je l’ai dit précédemment, nous avons opté pour la non-hiérarchisation des vœux établissement par établissement : depuis juin 2018 – ce sera a fortiori le cas en juin 2019 –, le collège n’est pas évalué en fonction du nombre d’élèves qui partent dans l’enseignement professionnel – c’en est fini !
C’est le vœu de l’élève qui compte. Selon moi, l’un des indicateurs sociaux et l’un des indicateurs de réussite d’un système scolaire est de voir que le premier vœu sur Affelnet à la fin de la troisième est satisfait, satisfaction que nous visons évidemment à accroître.
Il y aurait beaucoup à dire à propos de vos deux questions, mais, je le répète, c’est en effet dès le collège que nous devons engager un travail d’orientation pour valoriser l’enseignement professionnel.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Corinne Féret. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de l’enseignement professionnel, annoncée dans ses grandes lignes au mois de mai dernier, doit entrer en vigueur à la prochaine rentrée.
Dans les rangs de la communauté éducative, les choix opérés par le Gouvernement, censés « conduire la voie professionnelle vers l’excellence », interpellent : déspécialisation et déqualification par la réduction des 80 formations existantes à quelques familles de métiers ; diminution des heures de cours ; personnalisation à outrance des parcours ; suppressions de postes d’enseignants ; nombre d’élèves par classe plus élevé. Il est vrai que l’on ne voit pas très bien comment toutes ces mesures peuvent conduire vers « l’excellence »…
L’excellence, nous la connaissons bien dans le Calvados. À cet égard, je citerai le lycée Victor-Lépine à Caen, qui propose le bac pro « Artisanat et métiers d’art option tapisserie d’ameublement », ou encore le lycée Paul-Cornu à Lisieux, qui propose un CAP et un BMA, le brevet des métiers d’art, « Arts de la reliure et de la dorure ». Là-bas, comme ailleurs, cette réforme suscite de légitimes inquiétudes. En effet, la baisse de la part de l’enseignement général dans les formations est considérée comme paradoxale par rapport, je le répète, à l’ambition d’« excellence » affichée.
Si je reconnais que l’école, en particulier l’enseignement professionnel, a pour rôle de préparer des jeunes au monde du travail, je n’oublie pas qu’elle doit aussi, et surtout, former des citoyens et des citoyennes.
Or les élèves seront privés chaque semaine de plusieurs heures de français, de mathématiques, d’histoire-géographie, et l’enseignement de ces matières générales sera principalement au service du métier et des seules compétences techniques.
Très souvent, nous le savons, l’enseignement professionnel permet à des jeunes qui se sentaient exclus du savoir et de la réussite scolaire de se remettre sur les rails.
L’équilibre entre des disciplines professionnelles destinées à l’apprentissage d’un métier et des matières générales qui ne sont pas systématiquement connectées à la profession est essentiel. Or cette réforme appauvrit les contenus des formations et risque de priver les élèves d’une insertion professionnelle véritablement qualifiante, comme de la possibilité de poursuivre des études.
Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous expliquer en quoi le fait de réduire les enseignements généraux dans la formation professionnelle des élèves permettra à ces derniers d’accéder à « l’excellence » ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, j’ai déjà répondu à votre question. J’essaierai, là encore, d’apporter un élément d’information complémentaire.
C’est un fait certain, je le répète, au travers des mesures qui ont été prises, on ne peut pas parler de dévalorisation de l’enseignement professionnel. Il s’agit plutôt d’une approche qualitative.
Dans l’énumération des reproches que vous faites, un terme m’a interpellé : vous avez parlé de « personnalisation à outrance ». Je ne sais pas ce que peut être la personnalisation à outrance, mais plus on personnalise, mieux c’est ! Il est évidemment nécessaire d’avoir une approche personnalisée du parcours de l’élève. Peut-être faites-vous référence au fait que nous ouvrons, par exemple, la possibilité, qui d’ailleurs, en pratique, existe parfois déjà, de préparer un CAP en un an, en deux ans ou en trois ans. Nous sommes fiers de cette personnalisation à outrance.
Comme je l’ai évoqué précédemment, si un élève titulaire d’un master veut préparer un CAP de pâtisserie, il est bon de lui proposer de le passer en un an. A contrario, si un élève a des difficultés d’apprentissage, pourquoi ne pas lui proposer de le faire en trois ans, pour s’adapter à son rythme ? C’est cette souplesse que nous proposons.
Le fait de raisonner par familles de métiers est de nature à éviter que les élèves ne décrochent. Cela leur permettra au contraire d’éprouver progressivement un intérêt de plus en plus précis. Quand on prend des mesures inverses, on nous accuse, je le sais parfaitement, de spécialiser trop tôt.
En raisonnant par grands domaines, l’objectif est de proposer quelque chose d’attractif en seconde. Par exemple, il est souhaitable qu’un cuisinier voie ce que fait un pâtissier et expérimente le service en salle pendant la classe de seconde pour connaître les autres métiers. Cette vision est évidemment au service de l’élève.
Je terminerai mon intervention en évoquant le chef-d’œuvre, l’une des innovations très importantes qui va dans le sens du prestige de la voie professionnelle et qui englobe la dimension professionnelle et celle de l’enseignement général dans une même approche, avec la dimension de fierté que nous voulons mettre au cœur de cet enseignement professionnel.
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Bories.
Mme Pascale Bories. Madame la présidente, monsieur le ministre, de nombreux professionnels de tous horizons de mon département font remonter du terrain une pénurie croissante de personnes correctement formées aux besoins de l’entreprise. Pourtant, l’enseignement professionnel représente plus de 200 CAP et 100 bacs professionnels différents.
Par ailleurs, dans mon territoire du Gard rhodanien, situé en limite géographique départementale et régionale, la plupart des formations professionnelles situées à moins de vingt kilomètres sont installées dans la région voisine, avec un réseau de transport en commun accessible. Malgré tout, ces jeunes n’y ont pas accès, pour la seule raison qu’ils ne sont pas scolarisés dans la bonne académie.
Ma première question sera la suivante : comment permettre enfin à ces jeunes d’accéder à ces lycées professionnels en se fondant sur un raisonnement de bassin économique et d’infrastructures de transport en commun et non plus sur les limites d’académie ?
Ma deuxième question, qui revient sur mon propos en préambule, porte sur l’adéquation entre les demandes de formation et les besoins actuels des entreprises, notamment dans leur secteur géographique. Certaines entreprises n’hésitent plus à ouvrir leur propre centre de formation. Monsieur le ministre, pourriez-vous faciliter la création de ces centres de formation, en vue de développer l’accès à l’emploi ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, votre question est évidemment très importante, j’y ai fait quelque peu référence lors de mon discours liminaire. En effet, il y a un scandale français – il y en a plusieurs, mais c’est peut-être le premier des scandales ! –, c’est l’existence d’un chômage de masse.
Même si les chiffres du chômage s’améliorent – le taux de chômage est aujourd’hui au plus bas depuis 2009 –, la situation reste inacceptable, avec un taux d’un peu plus de 8 %, qui touche particulièrement les jeunes, alors même que des entreprises ne trouvent pas les personnes compétentes pour occuper les emplois qu’elles offrent. Cette situation est évidemment totalement anormale, c’est une spécificité française – nos voisins ne connaissent pas l’ampleur de ce phénomène –, et nous devons évidemment y remédier.
C’est le sens de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et du développement de l’apprentissage, et c’est aussi l’un des objets de la réforme de la voie professionnelle : il s’agit d’ouvrir des perspectives d’avenir.
Je l’ai dit précédemment en prenant l’exemple des industries : des emplois industriels attractifs, bien payés et offrant des perspectives de carrière sont aujourd’hui à pourvoir, mais les jeunes ne le savent pas assez. Il faut évidemment le leur faire savoir, parce que c’est leur intérêt d’y répondre.
Pour répondre concrètement à votre question, je dirai deux choses.
Aujourd’hui, des lycées professionnels offrent des formations magnifiques, qui permettent d’aller vers un emploi. Si des jeunes savaient qu’elles existent, ils les suivraient. Or ces lycées sont en sous-capacité.
Je cite toujours l’exemple d’un lycée que j’ai visité récemment dans les Hautes-Alpes et qui propose une formation à la fois de charpentier et de moniteur de ski : il offre 350 places, mais il compte 220 élèves environ, et l’internat n’est pas complet. Si des jeunes le savaient, il est certain qu’ils s’y rendraient.
Mme Catherine Troendlé. Oui !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C’est pourquoi nous lançons en ce moment même une campagne de publicité en faveur de ces lycées – nous avons recensé toutes les formations de ce type – sur internet. Nous essayons de faire en sorte que l’offre et la demande se rencontrent.
Concernant la création de nouvelles formations, je n’encourage pas les formations ad hoc, car elles peuvent avoir des effets pervers, et il ne me semble pas souhaitable de fragmenter la formation. En revanche, nous devons évidemment favoriser les partenariats entre les lycées professionnels et les branches ou les entreprises, pour faire coïncider les besoins avec les formations, et c’est l’un des objectifs de la présente réforme.
Mme la présidente. La parole est à Mme Samia Ghali.
Mme Samia Ghali. Monsieur le ministre, le littoral français est le deuxième le plus étendu au monde. Il est une chance pour notre pays et un levier de croissance à ne pas négliger.
À Marseille, avec près de soixante kilomètres de façade maritime, la ville dispose d’importants atouts dans ce domaine et pourrait même à l’avenir être une vitrine pour notre pays. Pour ce faire, il est primordial d’encourager nos jeunes à se tourner vers les métiers de la mer, en créant un pôle des métiers d’activités maritimes.
Au-delà des traditionnelles activités portuaires, des filières émergentes, comme la protection de l’environnement et l’aménagement du littoral, l’exploitation des ressources biologiques marines, les énergies marines renouvelables ou encore la promotion de la culture de la mer, sont autant d’activités porteuses à stimuler.
Dans une ville où le chômage frappe plus qu’ailleurs et où de nombreux jeunes souhaitent rapidement s’orienter vers un parcours scolaire professionnalisant, ces activités représentent une chance, voire une aubaine.
Aussi, nous devons les inciter à se tourner vers ces métiers de la mer, car la demande est forte, tellement forte qu’elle pousse aujourd’hui, malheureusement, les professionnels à recourir à des travailleurs détachés ou à des entreprises étrangères, lesquelles répondent parfois à des marchés publics ou privés. Or nous pouvons former des jeunes.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Je vous remercie, madame la sénatrice, de cette question très importante sur un sujet qui m’est cher.
Vous avez raison, la France est un grand pays maritime, le deuxième domaine maritime mondial. Or nous ne sommes pas à la hauteur de cet immense potentiel dont nous disposons, pour les raisons que vous avez décrites.
Le problème que vous soulevez revêt plusieurs dimensions, au premier rang desquelles celle de l’outre-mer. L’outre-mer français, qui est évidemment à l’origine de cet atout, ne bénéficie pas assez de son potentiel maritime.
C’est pourquoi, dans le cadre des assises de l’outre-mer et des suites de ces travaux, j’ai particulièrement veillé à ce que, dans onze territoires d’outre-mer, soit lancé un projet de lycée de la mer – il en existe parfois déjà un –, de telle sorte qu’il en existe partout.
Dans la logique que j’ai évoquée précédemment, nous voulons créer, dans le futur, un réseau entre les lycées de la mer d’outre-mer et ceux de l’Hexagone. Ce grand réseau de la mer français sera de nature à tirer tous les atouts que recèle le littoral français.
Ce point me paraît très important. Sont concernés aussi bien les métiers de l’environnement, ceux du transport maritime que ceux qui sont en relation avec la marine nationale, pour ne prendre que ces exemples. Ce réseau peut nous rendre plus forts.
Par ailleurs, j’ai confié une mission à l’inspecteur général Tristan Lecoq, à laquelle participera aussi la navigatrice Maud Fontenoy, pour engager un travail autour de ces métiers et de ces propositions, non seulement en lycée professionnel d’ailleurs, mais aussi en amont. Trouver les compétences maritimes dans les lycées professionnels contribuerait au prestige de ces établissements.
Le temps me manque pour vous communiquer tous les détails des mesures que l’on pourrait prendre en lien avec votre question, mais nous pourrons en discuter ailleurs. Nous avons la même sensibilité que vous, et ces mesures peuvent aussi concerner le territoire auquel vous avez fait référence, c’est-à-dire Marseille.
Mme la présidente. La parole est à Mme Samia Ghali, pour la réplique.
Mme Samia Ghali. Je veux remercier M. le ministre de sa réponse, qui est essentielle. Si nous voulons que Marseille devienne une capitale euro-méditerranéenne et ne se fasse pas voler par les autres ports ce savoir-faire français, il importe d’aller dans cette voie. J’ai compris que vous vous l’avez entendu, et, pour moi, c’est important.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur les sections d’enseignement général et professionnel adapté, plus connues sous l’acronyme Segpa.
Comme vous le savez, les Segpa ont été créées en 1996, afin de répondre aux difficultés rencontrées par les élèves en situation d’échec scolaire important. Ces classes, restreintes en nombre d’élèves, ont pour vocation de mener les élèves vers une qualification diplômante, le plus souvent dans une filière d’enseignement professionnel. Ces classes spécialisées permettent, chaque année, à des élèves ayant décroché de rattraper un peu le train de leur scolarité. Cependant, des améliorations sont certainement possibles.
À une époque où chacun s’accorde sur le fait qu’il est nécessaire de revaloriser les professions manuelles, comme vous l’avez souligné, j’estime qu’il est fondamental que les formations préparant à ces professions bénéficient d’une image positive et attractive. Or, si l’on cantonne les enseignements manuels et la préparation au lycée professionnel aux seuls élèves en difficulté, on associe indirectement la profession manuelle à l’échec scolaire.
C’est pourquoi, tout en étant consciente que les élèves dans ces classes sont en grande difficulté, une modification de la structure des classes de Segpa me semble nécessaire et souhaitable, afin de rendre à ces derniers un peu de fierté dans la préparation de leur métier.
Ainsi, nous pourrions envisager des classes d’enseignements mixtes qui accueilleraient des élèves se prédestinant à une filière professionnelle où l’enseignement général et l’enseignement professionnel pourraient cohabiter de manière constructive, afin de les accompagner vers les filières professionnelles, tout en ne négligeant pas l’acquisition des savoirs fondamentaux. Peut-être vous souvenez-vous des classes de transition, mais les élèves de Segpa sont en plus grande difficulté encore.
Monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement concernant l’éventualité de faire évoluer le cadre de la filière Segpa, en vue de l’inscrire dans un processus de revalorisation à la fois des élèves et des filières professionnelles ?