M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon.
M. Jérôme Bignon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous tous, j’ai été profondément touché par l’incendie de la cathédrale Notre-Dame, incendie qui l’a lourdement dégradée, mais heureusement pas détruite. J’étais sur le pont des Arts à l’instant où le panache de fumée et les flammes sont apparus derrière la préfecture de police. L’émotion était gigantesque.
Notre-Dame de Paris n’est pas une cathédrale comme les autres. Cet incendie a ému le monde entier. Cette cathédrale est un élément du patrimoine mondial, comme vient de le rappeler Mme Morin-Desailly. Les nombreuses marques de soutien venues du monde entier nous rappellent l’attachement à cet édifice et à ce patrimoine français qui rayonne largement au-delà de nos frontières pour appartenir au patrimoine mondial.
La date du 15 avril restera sans doute gravée dans les mémoires, du fait de l’ampleur de l’incendie, mais également, cela a été dit, du courage des soldats du feu, de tous les hommes de sécurité qui ont réussi à sauver non seulement l’édifice, mais les éléments qu’il contenait.
Cette date restera également marquée par l’élan de solidarité qui a suivi, de nombreux Français ou étrangers, des entreprises, des collectivités, des citoyens sans fortune ou disposant au contraire d’une grande fortune s’étant mobilisés pour offrir qui quelques euros, qui des sommes bien plus importantes.
Notre-Dame appartient bien à notre patrimoine historique, spirituel, architectural, littéraire. Sa restauration doit répondre à de multiples attentes. Elle doit être à la hauteur de cet élan de soutien massif.
Même si, aux dires de certains, ce projet de loi n’était pas indispensable, il a le mérite de nous permettre d’échanger sur des sujets qui forment notre société : la solidarité et la conception que nous nous faisons de la préservation de notre patrimoine.
Le mécénat constitue un puissant levier pour agir à l’échelon local en faveur de l’intérêt général. Les Français sont attachés à leur patrimoine, à leurs 42 300 monuments historiques répartis sur l’ensemble du territoire, mais également à l’ensemble du petit patrimoine monumental, cultuel ou vernaculaire. Pourtant, les acteurs de proximité, notamment les collectivités territoriales, sont parfois loin de s’être approprié sa protection.
Une réflexion plus globale sur le mécénat en France doit être menée dans les prochains mois, à la lumière de ces événements. Plus largement, il faut évaluer les besoins des collectivités locales. Le mécénat représente un moyen de refonder le lien entre l’État et les contribuables, sur la base de l’intérêt général, tout en favorisant l’initiative privée.
Cela nous conduit évidemment à nous interroger également sur la restauration que nous souhaitons pour Notre-Dame. Victor Hugo écrivait : « Chaque flot du temps superpose son alluvion, chaque race dépose sa couche sur le monument, chaque individu apporte sa pierre. » Il avait raison. Même si nous devons veiller à préserver l’identité, l’authenticité et l’intégrité du monument, ne nous empêchons pas de faire preuve d’audace et de laisser nos générations marquer cet édifice de leur empreinte, comme cela s’est fait au fil des siècles, à de nombreuses reprises. Pourquoi nous en priverions-nous ?
Le projet de loi permet à la fois d’encadrer cet élan de générosité sans précédent et de préparer au mieux les mois et les années à venir pour la conservation et la restauration de notre chère cathédrale.
Les articles 1 à 5 vont ainsi dans le bon sens. Ils permettent d’éviter toute incertitude quant à l’utilisation des fonds, aux possibilités de collectes et à la gestion des versements. Le texte permettra d’organiser la souscription dans un cadre sécurisé et transparent, en faisant appel aux acteurs de référence en matière de levées de fonds et de philanthropie.
Les apports de l’Assemblée nationale, complétés par le Sénat, sur les articles 5, 5 bis, 7 et 8 sont judicieux. Ils assurent une transparence totale sur les donateurs, les sommes versées, les réductions octroyées. Il s’agit là encore d’être exemplaire.
Cette exemplarité devra aussi s’appliquer tout au long de la préparation du chantier, puis lors de la réalisation des travaux. Il sera également essentiel de prendre en compte les différents usages cultuels, culturels et touristiques de Notre-Dame pour que sa restauration permette d’améliorer le fonctionnement quotidien. N’oublions pas l’hyperfréquentation dont sont souvent victimes les sites monumentaux.
La création d’un établissement à caractère administratif de l’État semble pertinente, compte tenu de la nature exceptionnelle du chantier et de la nécessité de réunir toutes les parties prenantes.
Le Gouvernement n’a pas encore fixé le ministère qui exercera la tutelle sur cet établissement. Peut-être M. le ministre nous donnera-t-il des indications à cet égard dans sa réponse. La commission de la culture serait favorable, d’après ce que j’ai compris, à ce que cela soit le ministère de la culture. Même si cela paraît plutôt pertinent, cette précision relève-t-elle du domaine de la loi ?
La France est une terre de patrimoine. La propriété de ce patrimoine est souvent publique, parfois privée. Tous les propriétaires, qu’il s’agisse de collectivités ou de personnes privées, n’ont pas, dans la plupart des cas, les moyens techniques et financiers de respecter les contraintes qu’entraîne la détention d’un patrimoine ancien, parfois mal entretenu. Progressivement, des règles, nombreuses et complexes, ont été instaurées afin de protéger ce patrimoine lors de sa restauration.
Il arrive que certains s’en plaignent, comme l’a souligné le rapporteur pour avis de la commission des finances.
S’agissant de Notre-Dame, le Gouvernement a souhaité que l’immense chantier de sa reconstruction, de sa restauration soit exempt de cette réglementation, à la fois parce que les plus grands experts sont déjà à l’œuvre pour organiser la restauration, mais aussi pour gagner le temps nécessaire à opérer ces travaux dans des délais raisonnables.
Je vais sans doute vous choquer, mais notre groupe est partagé sur ce texte – c’est le privilège des Indépendants : certains y sont favorables, d’autres défavorables. Je fais partie de ceux qui sont favorables à une législation exceptionnelle pour une œuvre exceptionnelle (M. André Gattolin applaudit.), permettant d’aller plus vite et mieux.
Il faudra, par exemple, trouver des pierres et, pour cela, rouvrir des carrières.
Mme Catherine Procaccia. Exactement !
M. Jérôme Bignon. La question fut abordée lors d’une audition extrêmement intéressante organisée, la semaine dernière, par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’Opecst.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Jérôme Bignon. Je vous laisse imaginer le temps qu’il faudra pour rouvrir des carrières si l’on respecte la législation… (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préalable à mon propos, je tiens tout d’abord à saluer ici l’esprit de cohésion et de solidarité nationale qui a présidé le soir du 15 avril lorsque nous avons appris l’incendie qui a très lourdement endommagé ce joyau national qu’est la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Chacun a justement souligné l’extraordinaire réactivité de nos soldats du feu, les risques considérables qu’ils ont pris pour sauver ce qui pouvait encore l’être et le « sans-faute » du commandement des opérations, qui, dans l’urgence de ce funeste moment, a mis en œuvre les meilleurs choix qui pouvaient être pris en pareille situation. Je le dis ici : l’opération « Sauver Notre-Dame » restera dans l’histoire comme un exemple de bravoure et d’intelligence en matière d’opération de sécurité civile, et ce à l’échelle mondiale !
Je veux saluer aussi l’extrême réactivité du Président de la République, qui, quelques dizaines de minutes seulement après le déclenchement de l’incendie, a choisi d’annuler l’intervention télévisée très attendue qu’il devait faire pour se rendre immédiatement sur les lieux du sinistre et valider les décisions qui étaient à prendre en temps réel.
M. Pierre Ouzoulias. Il s’est rattrapé après…
M. André Gattolin. C’est avec le même esprit de détermination que le Président a décidé très rapidement d’engager « l’après-incendie » et que le Gouvernement a présenté un texte de loi pour conserver et restaurer Notre-Dame, pour réparer cette plaie ouverte laissée au cœur de Paris, au cœur de la France et au cœur de chacune et de chacun d’entre nous.
Non, Paris n’est pas Rome, et le culte magnifié des ruines n’appartient pas à notre culture, n’en déplaise à quelques esprits romantiques. L’amour de notre patrimoine, depuis plusieurs siècles, nous a toujours conduits à le protéger, à l’entretenir, à le faire vivre ou revivre. Il faut le rappeler ici : aucun pays au monde ne prête autant d’attention que le nôtre à son patrimoine. Alors, pour ce faire, l’argent manque toujours, mais ce manque doit être mis en regard de l’incroyable richesse de notre patrimoine, qui ne cesse, siècle après siècle, décennie après décennie, de s’étoffer.
Depuis ce drame, et surtout depuis les polémiques attisées par certains, on entend sur ces bancs un cortège de lamentations et de dénonciations quant au manquement dont l’État serait coupable à l’endroit de notre patrimoine national. D’aucuns disent que ce serait l’actuel Gouvernement, celui qui précisément a engagé le plus d’actions en faveur du patrimoine au cours des trente dernières années, qui serait le coupable tout désigné de ce prétendu abandon.
Je rappelle tout de même que Notre-Dame de Paris n’était pas en déshérence au moment du drame et que le terrible incendie s’est précisément produit durant l’important chantier de rénovation de sa flèche.
Je rappelle aussi que lors du dernier projet de loi de finances, discuté en fin d’année passée au Sénat, le président de notre commission des finances, Vincent Éblé, très fin connaisseur du patrimoine, donnait même un satisfecit à l’accroissement des engagements financiers de l’État dans ce domaine.
M. Pierre Ouzoulias. J’ai voté contre !
M. André Gattolin. Je rappelle encore que, toujours lors de ce même projet de loi de finances, et à l’exception d’un amendement assez général du groupe CRCE, aucun amendement visant à accroître davantage ces budgets n’a été déposé dans notre chambre.
Mais venons-en au fond du sujet, c’est-à-dire au texte de loi tel que profondément amendé en commission, la semaine dernière, et que nous étudions aujourd’hui. La commission a bien entendu le droit de récrire la proposition initiale si celle-ci ne lui convient pas. Néanmoins, dans le cas présent, je cherche encore la cohérence et la sincérité effective du propos.
En commission, le président Bruno Retailleau a solennellement dénoncé l’ombre projetée de l’« hybris présidentielle » dans ce dossier, affirmant même au passage qu’il n’y avait nul besoin d’une loi pour restaurer Notre-Dame.
Franchement, je dois dire qu’on trouve bien pire exemple d’hybris présidentielle sous la Ve République, y compris chez certains ex ou futurs candidats à la fonction. D’ailleurs, il est intéressant aussi de noter que nos collègues Les Républicains au Sénat, contrairement à leurs homologues de l’Assemblée nationale, ont fait preuve de retenue en ne déposant aucun amendement de suppression de l’alinéa 2 de l’article 1er, qui place pourtant la souscription ouverte « sous la haute autorité du Président de la République française ».
Je ne reviendrai pas ici point par point sur les différents ajouts et amputations auxquels notre commission s’est livrée. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’étude du texte. Je voudrais, dans le temps qui me reste, simplement revenir sur l’un des points qui semble cristalliser la polémique : il s’agit de la fameuse question de l’authenticité et de la reconstruction à l’identique de l’édifice.
Je veux souligner ici le procédé pour le moins étonnant, pour ne pas dire fallacieux, qui a présidé à la réécriture de l’alinéa 2 de l’article 2. Pour arguer en faveur d’une reconstruction à l’identique de la cathédrale et la restituer « dans le dernier état visuel connu », le rapporteur n’hésite pas à invoquer la Charte de Venise de 1964, qui n’a aucune valeur contraignante et qui, par ailleurs, a fait l’objet d’une intense rediscussion pour être modifiée par le Document de Nara de 1994 sur l’authenticité et l’interprétation relative à lui donner.
L’invocation dans ce même alinéa de la Convention de l’Unesco de 1972 sur le patrimoine mondial, qui elle est contraignante, est néanmoins inappropriée puisque dans aucun de ses articles il n’est fait mention d’une obligation de respecter une quelconque authenticité ou intégrité des monuments classés au titre de ladite convention.
Victor Hugo a très souvent été cité dans les débats que nous avons eus en commission, et c’est une très belle référence, mais pas au point de s’autoriser, presque deux siècles après, à rejouer la fameuse bataille d’Hernani entre Classiques et Modernes dont l’œuvre de l’écrivain fut l’objet. (M. Jérôme Bignon applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son Historia Francorum, Grégoire de Tours rapporte que de son temps, en 586, l’île de la Cité fut dévastée par un terrible incendie. L’historien explique que la consécration de la ville la protégeait jadis contre le désastre des flammes, mais que lors du curage des égouts « on y avait trouvé un serpent et un loir d’airain ; qu’après qu’on les eut ôtés il parut dans Paris des loirs et des serpents sans nombre, et qu’après cela la ville fut prise de l’incendie ».
Aussi loin que nous portent dans le temps les écrits et les témoignages matériels des humains, l’île de la Cité est l’espace des destructions, des relèvements et des créations. La cathédrale de Notre-Dame a succédé ainsi à un groupe épiscopal plus ancien qui fut détruit et dont les pierres ont été réutilisées pour l’édifice nouveau. Enfin, la configuration actuelle des lieux doit beaucoup aux travaux de Rambuteau, de Viollet-le-Duc et surtout d’Haussmann.
Sans le dévouement exceptionnel des pompiers, des personnels du ministère de la culture et de la mairie de Paris, du diocèse et des entreprises, il est possible que la vieille cathédrale eût connu un destin aussi funeste que les édifices qui la précédèrent. Aujourd’hui, l’essentiel est sauvé, mais la très longue histoire du bâtiment et du lieu nous impose l’humilité. En juillet 1798, le général Bonaparte, devant les pyramides, déclarait : « Songez que du haut de ces monuments quarante siècles vous contemplent. » Regardant Notre-Dame, nous pourrions dire à sa suite : du haut de ces deux tours vingt siècles nous regardent. Non seulement il convient d’agir en pleine connaissance de la richesse patrimoniale de ce monument et de son environnement architectural, mais nous devons aussi intervenir dans le respect de sa destination première et actuelle, celle d’un lieu de culte qui tente d’offrir à ses pratiquants un espace de recueillement dans un bâtiment qui est le plus visité d’une capitale qui est la première destination touristique mondiale.
Le ministère de la culture et ses services patrimoniaux ont une pratique longue et assurée de la gestion de ces problématiques multiples, car celles-ci sont consubstantielles de la plupart des travaux réalisés dans des monuments historiques. Certes, il est heureusement rare qu’un tel sinistre survienne dans un ensemble architectural aussi vaste et complexe que celui de la cathédrale Notre-Dame. Cependant, les lois et règlements forgés à la suite d’une expérience pluriséculaire dans ce domaine offrent justement les cadres adaptés pour élaborer, discuter et mettre en œuvre les projets de restauration les plus difficiles.
Fort de ces expériences anciennes, notre pays a contribué à l’élaboration d’une doctrine qui a servi de socle aux traités internationaux destinés à protéger le patrimoine historique : la Charte de Venise, la Convention de Malte et le Document de Nara. À propos du concept d’authenticité introduit par la Charte de Venise, ce dernier texte précise : « Les couches d’histoire acquises au fil du temps par un bien culturel sont considérées comme des attributs authentiques de ce bien culturel. »
Tous ces travaux ont contribué à la constitution d’une conscience patrimoniale internationale qui a pour dessein « de clarifier et d’éclairer la mémoire collective de l’humanité ». Elle s’est manifestée avec force lors de la destruction des Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan, ou des vestiges archéologiques de Palmyre en Syrie. Par un renversement singulier du destin, cette conscience patrimoniale universelle s’est exprimée, dès le 15 avril, pour nous témoigner sa tristesse, sa compassion et sa volonté de participer à nos côtés au relèvement de ce qui a été détruit.
Cette mansuétude universelle nous honore et nous oblige. Elle doit nous astreindre à respecter scrupuleusement les préconisations patrimoniales des chartes internationales pour l’élaboration desquelles notre pays a fortement collaboré. La très récente loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine peut être considérée comme une transposition aboutie dans le droit français de ces principes. Nous ne comprenons donc pas pourquoi vous nous proposez d’y déroger aujourd’hui. Certes, le chantier de restauration de la cathédrale sera exceptionnel par sa durée et les moyens humains et financiers qui seront mobilisés, mais rien dans son organisation juridique et administrative ne justifie cette loi d’exception.
S’agissant de l’article 8 et de votre souhait d’instituer par ordonnance un nouvel établissement public chargé de la rénovation, dans l’étude d’impact qui accompagne ce projet de loi, le Gouvernement défend son utilité par la seule nécessité d’assurer une gouvernance du chantier « reflétant pleinement la diversité des personnes intéressées à la restauration ». Est-ce à dire qu’avant l’incendie la collaboration entre le ministère de la culture et ses services, la mairie de Paris et le diocèse était déficiente ? Le sentiment qui prévaut est plutôt celui d’une dépossession des autorités actuellement compétentes au profit d’un dispositif contrôlé depuis le plus haut sommet de l’État.
Sur le fond, cet exercice de contournement de la loi et des services chargés de l’appliquer jette le discrédit sur toutes nos institutions patrimoniales pour organiser le fait du Prince. Comment obtenir de l’élu et du citoyen le respect de la loi si le premier magistrat de la République exige de nous, par ce texte, de s’en affranchir absolument ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sortons d’une séquence électorale qui a mis en lumière nos différences. Mais s’il est des moments dans notre vie commune qui peuvent nous opposer, il en est d’autres qui nous rassemblent parce qu’ils transcendent nos désaccords, et l’incendie dramatique de Notre-Dame de Paris a été évidemment de ceux-là.
Ce soir-là, le feu a éteint pour un temps nos querelles, et tous nous étions derrière ceux qui s’élançaient au cœur du brasier, ces pompiers au courage exemplaire. Ce soir-là, les fumées s’échappant de Notre-Dame ont pour un instant recouvert les clivages et rallié les regards de tous ces Français reliés dans une même émotion et rassemblés comme une seule nation.
Ce soir-là sous les flammes, mes chers collègues, a percé notre âme, celle d’un peuple qui, malgré ses fractures, ses blessures, a montré qu’il pouvait encore vivre du même esprit, celui de l’unité, aimer du même cœur, un cœur souffrant tant les maux qui divisent la France font souffrir les Français, mais un cœur toujours battant pour ce qui nous rassemble.
Et d’un mal peut sortir un bien. Ce soir-là, du malheur a surgi, comme un bonheur, notre bien le plus précieux, le plus fragile aussi : l’unité nationale, cette grande œuvre française, qui toujours est à recommencer. Il y a là comme un signe réconfortant.
Malheureusement, je crains que ce signe ne soit obscurci par le signal que vous envoyez avec certaines dispositions de ce projet de loi, un projet qui me semble à contretemps, car Notre-Dame de Paris est d’abord l’œuvre du temps. Il a fallu des siècles pour écrire « ce livre d’histoire de France » dont parle Jules Michelet, des siècles de patience pour conjuguer ses formes, du chœur jusqu’aux portails, des siècles de persévérance pour ciseler cette synthèse de roses, de stalles et de chimères.
Or à la patience vous substituez l’urgence, qui justifierait de s’exonérer de toutes les règles urbanistiques, patrimoniales du code des marchés publics ; et à la persévérance vous substituez la performance : reconstruire Notre-Dame en cinq ans !
Alors, y a-t-il urgence ? Oui, il y a une urgence à sécuriser, à consolider, à protéger, en liaison étroite avec les acteurs culturels, mais aussi, comme vient de le dire Pierre Ouzoulias, cultuels, sans toucher aux lois de 1905 et de 1907, car si Notre-Dame de Paris est bien plus qu’une cathédrale, elle est d’abord une cathédrale.
Et même s’il faut d’urgence protéger l’édifice, il n’y a rien qui justifie de restaurer dans l’urgence, à la va-vite. Faudrait-il bâcler le chantier pour boucler un calendrier ? Choisir le béton plutôt que le chêne pour une charpente qu’après tout le flot de touristes n’apercevra même pas ? Faudrait-il restaurer ce haut lieu de notre identité comme on construit ces non-lieux de notre surmodernité : au plus simple, au plus vite parce que le présent n’attend pas, exige son dû, et peu importe le don du passé ?
Non, Notre-Dame mérite plus, Notre-Dame mérite mieux ! Elle mérite plus que ce « présentisme » dans lequel vous vous enfermez. Elle mérite mieux que ce « bougisme » auquel, une fois de plus, vous cédez.
Car cette urgence, c’est vous qui l’avez créée, comme l’a d’ailleurs souligné avec intelligence Jean-Louis Bourlanges, qui appartient à votre propre majorité. En la créant, vous prenez le risque de décrédibiliser l’État qui, avec l’article 9 de ce projet de loi, s’exonère des règles qu’il exige de tous, des maires qui veulent restaurer leur patrimoine protégé, de n’importe quel citoyen dont l’habitation est située dans un périmètre protégé et qui ne peut pas choisir la couleur de ses volets. À ceux-là, vous dites ceci : « les règles, c’est pour vous ; l’exception, c’est pour nous. »
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Une fois de plus, l’État ne montre pas l’exemple. Et quel contre-exemple ! Pour Notre-Dame de Paris, de deux choses l’une : soit ces règles sont mauvaises, et dans ce cas ne vous en exonérez pas, mais supprimez-les pour tout le monde ;…
M. Jean-Raymond Hugonet. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. … soit elles sont utiles et nécessaires, ce que je pense, et alors respectez-les !
Plus grave encore, vous prenez le risque de décrédibiliser la France : parce que c’est sous son impulsion que l’Unesco a établi des critères précis pour la protection du patrimoine mondial de l’humanité, parce que c’est aussi grâce à la France que la Charte de Venise a été adoptée, et parce qu’enfin c’est en France que l’on trouve une excellence inégalée, celle de nos architectes en chef, de nos historiens de l’art, celle aussi de nos compagnons. Leur savoir-faire est mondialement reconnu, alors accordez-leur un peu de crédit quand ils vous exhortent à vous accorder un peu de temps ; accordez-leur un peu de considération en leur confiant, à eux plutôt qu’à d’éventuels gagnants d’un concours international, la reconstruction de la flèche de Viollet-le-Duc.
Quant à la performance, vouloir reconstruire Notre-Dame « plus belle encore », pour reprendre les mots du Président de la République, c’est, pardonnez-moi, faire preuve d’une ambition qui confine à la prétention. L’un des grands travers de notre époque, mes chers collègues, c’est son arrogance : elle se croit supérieure aux précédentes ; elle ne voit dans celles qui l’ont précédée qu’un passé à dépasser, à surpasser. Mais les Français n’attendent pas une prouesse, la prouesse d’un chef d’État qui voudrait laisser sa marque au-dessus de Notre-Dame de Paris.
La seule marque que nos compatriotes veulent voir, celle à laquelle ils sont réellement attachés, ce n’est pas celle d’un Président, c’est la marque du temps, la trace du génie des siècles inscrite dans la pierre de Notre-Dame. De même, le seul geste que nos concitoyens attendent, ce n’est pas un geste de « modernité », comme cet improbable « geste architectural contemporain » voulu par Emmanuel Macron, mais c’est un geste de fidélité, qui a quelque chose à voir avec tous ces gestes de générosité dont ont fait preuve des milliers de Français. Car pourquoi ont-ils donné sinon pour qu’on leur rende ce qui leur a été enlevé ?
Et de grâce, ne faites pas de Notre-Dame un nouveau clivage entre les Anciens et les Modernes, à plus forte raison en matière patrimoniale ! Dans l’affaire qui nous préoccupe, les préférences esthétiques importent peu : il s’agit non pas de préférer, mais de respecter ; il s’agit non pas de « disrupter », mais de restaurer. Du reste, le seul vrai juge en matière d’art, c’est le temps. C’est dans la profondeur du temps que naît la grandeur des œuvres. Notre-Dame de Paris est née voilà neuf siècles. Le temps a fait de ce joyau français un trésor d’humanité.
Alors, si vous voulez redonner tout son éclat à ce trésor, donnez-vous du temps : ne confondez pas vitesse et précipitation ! Donnez-vous des règles également : ne confondez pas audace et prétention ! Je sais parfaitement, monsieur le ministre, que votre tâche, votre rôle ne sont pas simples. Si vous vous donnez du temps, si vous vous donnez des règles, nous vous donnerons notre confiance ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, Notre-Dame est exceptionnelle, mais elle ne doit pas faite l’objet d’une loi d’exception. L’incendie n’a pas uniquement ravivé notre émotion, il a aussi réveillé notre conscience collective sur la place éminente du monument dans notre histoire et dans notre présent. Notre-Dame nous était familière, tellement familière que nous avions fini par oublier qu’elle était vulnérable. Parce qu’elle est là depuis des siècles, ayant franchi des époques parfois tumultueuses, nous étions enfermés dans la certitude de son immobilité, comme le dit l’historien Yann Potin. En bref, le temps passe, mais Notre-Dame reste.
C’est pourquoi, le 15 avril dernier, nous avons tous été abasourdis : nous avons redécouvert que Notre-Dame était fragile. Les élans d’affection spontanés, mêlés d’une profonde inquiétude sur la survivance de l’édifice, ont soudainement mis en lumière l’attachement viscéral des Français, mais également du monde entier, à cette cathédrale qui, depuis fort longtemps, était devenue bien plus que cela. Partie intégrante du site « Paris, rives de la Seine », inscrit au patrimoine mondial, Notre-Dame est une évidence : elle est un bien commun, pas seulement national, mais de l’humanité tout entière.
À l’heure de sa restauration, cette vérité nous oblige. En tant que législateurs, le cadre et les lignes directrices que nous allons fixer conditionneront en partie la fluidité et la réussite du projet. C’est donc une réelle responsabilité qui nous incombe, responsabilité dont nous allons débattre aujourd’hui, mais qui a en réalité une portée internationale.
Au-delà du financement du projet, le premier facteur décisif se situe au niveau de la gouvernance du futur établissement qui conduira et coordonnera les opérations de restauration. Sur ce point, nous ne pouvons que saluer le travail du rapporteur et les avancées obtenues dès le stade de la commission, puisqu’il est désormais précisé qu’il s’agira d’un établissement public à caractère administratif – EPA – de l’État placé sous la tutelle du ministère chargé de la culture.
Pour notre part, nous souhaiterions encore affiner et clarifier ce schéma, en inscrivant un principe simple dans la loi : la séparation entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre. Si l’EPA a la charge de la maîtrise d’ouvrage, les opérations de maîtrise d’œuvre doivent bien sûr être conduites sous la direction d’un architecte en chef des monuments historiques.
Ce qui est en jeu autour de ces considérations d’apparence technique, c’est bien la qualité de la restauration de Notre-Dame. Or qui mieux que les services du patrimoine du ministère de la culture, reconnus pour leur expérience et leur expertise, sont-ils à même d’assurer cette qualité ? Architectes, inspecteurs, conservateurs, tous sont qualifiés, compétents et ont fait leurs preuves pour réussir un tel chantier ; faisons-leur confiance !
En revanche, ils ne peuvent pas tout, et ils ne peuvent pas aller à l’encontre des règles qui auront été définies par la loi. C’est pour cette raison qu’en préambule de mon intervention j’ai clairement exprimé mon opposition à une loi d’exception. Le message de la commission a été limpide, monsieur le ministre : nous vous soutenons pleinement, mais nous ne voulons aucunement d’une loi ÉLAN bis.
Ainsi, nous ne voulons pas entendre parler de dérogations aux codes du patrimoine, de l’environnement, de l’urbanisme, de la commande publique. Nous ne voulons pas rebâtir « plus vite » Notre-Dame ; nous voulons « bien » la rebâtir.
Elle mérite une restauration exemplaire, dans la transparence la plus totale, qui s’oppose radicalement à la logique de « dénormer » par ordonnances, et selon les règles de protection patrimoniale de droit commun saluées unanimement à travers le monde entier pour leur efficacité. Cet esprit soucieux du patrimoine, ce respect à l’égard de la pierre et du monument doivent être d’autant plus confirmés et affutés qu’il est question justement de Notre-Dame. Y déroger, c’est affaiblir considérablement et durablement la tradition de préservation patrimoniale de notre pays.
Enfin, Notre-Dame n’est pas un lieu détaché ; elle est au cœur de la Cité, au kilomètre zéro de notre mémoire commune. Si beaucoup d’entre nous ont été affectés par l’incendie, c’est précisément parce que nous sommes nombreux à nous être approprié cette « dame aux multiples visages ». En un sens, l’histoire de Notre-Dame est une histoire d’appropriation perpétuelle et de symbolisme politique récurrent.
Je crois qu’il est important que ce processus d’appropriation perdure pendant les travaux de restauration, autrement dit que Notre-Dame demeure ouverte sur la ville et sur le monde, notamment via l’aménagement des abords, qui permettra d’organiser des ateliers, d’expliquer le chantier et, par conséquent, d’accueillir le public. D’ailleurs, cette période est de nature à valoriser, et peut-être même à redécouvrir, tous ces métiers du patrimoine qui travaillent les matériaux d’une main d’orfèvre.
Pour conclure, je citerai Victor Hugo : « Tout d’un coup, il se souvint que des maçons avaient travaillé tout le jour à réparer le mur, la charpente et la toiture de la tour méridionale. Ce fut un trait de lumière. » Monsieur le ministre, mes chers collègues, afin que ce « trait de lumière » redevienne éblouissant, prenons le temps qu’il faut. Le temps de Notre-Dame n’est pas le nôtre, et nul ne peut être plus grand ni plus rapide qu’une cathédrale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)