Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Pierre Laurent. Il est temps, pour l’avenir démocratique de l’Union européenne, que soient créées les conditions d’un choix équitable des Français, qui supportent de moins en moins qu’on les prive de leur libre jugement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Mmes Françoise Gatel, Jocelyne Guidez et Brigitte Lherbier ainsi que M. Pierre Louault applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en apparence, ce projet de loi relève du simple pragmatisme ; il répond à un besoin très spécifique : préciser comment, à la date éventuelle de sortie du Royaume-Uni, les cinq sièges supplémentaires qu’obtiendrait alors la France seraient pourvus.
Ces sièges seront donc, aux termes des dispositions de ce texte, attribués aux candidats qui auraient été élus le 26 mai prochain si la France disposait de cinq sièges supplémentaires.
Rappelons en effet que vingt-sept des soixante-treize sièges qui reviennent aujourd’hui au Royaume-Uni seraient redistribués en cas de Brexit effectif, les quarante-six autres étant conservés pour répondre aux besoins d’éventuels élargissements futurs. Sur ces vingt-sept sièges, cinq sont attribués à la France.
J’entends ceux qui crient au scandale, sur le thème : « Les Britanniques ont décidé de sortir, mais vont continuer à choisir pour nous l’avenir de l’Europe ou à peser sur ses choix. »
Observons ce qui se passe au Royaume-Uni – Olivier Cadic en a parlé – : le Brexit fait l’effet d’un trou noir absorbant intégralement la capacité des forces politiques et économiques de ce pays de se projeter dans l’avenir. Les parlementaires britanniques se sont imposé deux contraintes : non à l’accord signé – ils savent pourtant qu’il s’agit du seul possible – et non à une sortie sans accord. Ce problème n’a pas de solution dans un espace euclidien ! Deux qualités britanniques se livrent aujourd’hui une compétition acharnée : l’opiniâtreté et le pragmatisme. Qui va l’emporter ? On ne le sait pas ; je parie sur le pragmatisme, comme Olivier Cadic, mais nous verrons bien.
En tout état de cause, dans la situation actuelle, constatons que les Britanniques sont toujours maîtres des horloges. Tant que nous accepterons qu’ils repoussent la date de sortie, la date sera repoussée ! Et s’ils souhaitent finalement ne pas sortir, nous ne pourrons pas nous y opposer : ils révoqueront l’application de l’article 50 du traité sur l’Union européenne.
M. Jean Bizet. Exactement !
M. Jean-Yves Leconte. C’est bien pour cette raison qu’Olivier Cadic appelle à une réflexion sur ce sujet : en réalité, c’est l’État qui a activé l’article 50 qui est maître des horloges.
On n’est pas obligé de se laisser happer par ce trou noir qui absorbe les forces britanniques : poursuivons notre route, et travaillons. Les Britanniques, aujourd’hui, me semblent incapables de peser sur l’avenir de l’Union européenne – ils ont de toute façon, en quelque sorte, pris l’engagement de ne pas le faire, même si l’on peut espérer qu’à l’avenir ils retrouvent des forces, si d’aventure le Brexit n’avait pas lieu. Quoi qu’il en soit, nous pouvons, quant à nous, continuer à travailler à l’avenir de l’Europe, sans nous alarmer outre mesure sur ce sujet.
Constatons malgré tout que les citoyens européens ont été les principales victimes de ce débat sur le Brexit. Ils ont été pris en otage – je pense notamment aux Britanniques qui vivent dans l’Union européenne, hors Royaume-Uni, et ne savent pas à quelle sauce ils seront mangés : quid de leurs droits au séjour, à prestations sociales, à la mobilité et au travail ? Je pense aussi aux Européens non britanniques qui vivent sur le sol du Royaume-Uni. Je pense encore à ceux qui, Britanniques, sont nés avec la citoyenneté européenne, laquelle faisait partie de leur identité ; on la leur arrache.
Le Brexit aura, de ce point de vue, sauf correction, un effet régressif majeur : il va signer la perte de la citoyenneté européenne, qui, construite depuis vingt ans, n’existe quasiment plus. Les citoyens européens, à l’occasion du Brexit, sont redevenus des sujets des États membres, traités comme tels par les différents États, et pas mieux, d’ailleurs, par les autres membres de l’Union que par le Royaume-Uni, car chacun a préféré défendre sa souveraineté plutôt que l’idée de la citoyenneté européenne. Ce n’est pas ainsi que nous pourrons construire une Europe démocratique !
L’élection du 26 mai est, à ce titre, essentielle ; et ce n’est pas en nous contentant d’une réédition de l’élection présidentielle de 2017 que nous pourrons promouvoir les choix essentiels qui doivent être faits pour les Français et pour l’Europe.
Deux sujets méritent d’être abordés dans le cadre de l’examen de ce projet de loi que, en raison de son caractère très pragmatique – il répond à une urgence –, nous soutiendrons.
J’évoquerai premièrement, monsieur le président de la commission des lois, un avis du Conseil d’État rendu public le 6 mai dernier sur l’implication financière des partis politiques européens dans la campagne des élections européennes. Cet avis change totalement la manière dont nous avons pensé ici même, en tant que législateurs, le financement des campagnes électorales. Il consacre une disposition qui figure dans le règlement européen sans que nous l’ayons correctement intégrée dans notre législation nationale – la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques essayait, quant à elle, de mettre en œuvre ce que nous avions édicté. Cette disposition est la suivante : les partis politiques européens peuvent intervenir dans le financement de la campagne européenne.
De ce point de vue, nous allons devoir très rapidement mener une réflexion pour faire évoluer les règles françaises de financement électoral dans le sens des décisions prises au niveau européen. Il va falloir également accélérer la convergence, au niveau européen, des différentes modalités de financement des partis politiques et de l’activité politique qui coexistent dans l’ensemble de l’Union européenne. Une mission de notre commission et de la commission des affaires européennes sur ce sujet serait bienvenue.
Deuxième sujet, monsieur le secrétaire d’État : la situation des citoyens européens qui vont ou peuvent voter dans un pays qui n’est pas celui dont ils possèdent la nationalité. En la matière, l’administration française est en train, me semble-t-il, de faire une erreur.
Je rappelle que le double vote, en France, est puni par le code électoral d’une peine de 15 000 euros d’amende et de six mois à deux ans d’emprisonnement. Il est certes techniquement possible – par exemple, un citoyen français vivant en Allemagne peut en principe voter tant au consulat que dans la mairie de sa ville de résidence –, mais surtout illégal : l’électeur qui voterait deux fois encourrait une sanction pénale.
Il ne saurait pour autant être question, monsieur le secrétaire d’État – c’est pourtant ce que l’administration s’apprête à faire –, de refuser à un électeur régulièrement inscrit sur la liste consulaire la possibilité de voter au consulat, au prétexte que l’administration française aurait connaissance de l’inscription dudit électeur sur la liste électorale de la commune de son pays de résidence. Il n’est pas possible que les choses se passent de cette manière !
Informer les citoyens, le cas échéant, qu’ils sont inscrits sur les deux listes et encourent une sanction pénale en cas de double vote, c’est très bien. Mais leur refuser la possibilité de voter au consulat – selon les instructions que vous avez données–, alors qu’ils sont régulièrement inscrits sur les listes électorales, me paraît juridiquement contestable.
Je profite donc de ce débat pour vous demander, monsieur le secrétaire d’État, de bien nous préciser que, dès lors qu’une personne est inscrite sur la liste électorale consulaire, elle aura la possibilité de voter après avoir été informée des sanctions pénales qui pourront lui être appliquées en cas de double vote.
Symétriquement, s’agissant des ressortissants européens résidant en France et inscrits sur les listes électorales françaises, il faut là aussi veiller à ce que tout le droit européen et tout le droit français soient respectés, mais en rejetant les interprétations hasardeuses contre lesquelles, malheureusement, il me semble que vous n’êtes pas prémuni – c’est pourquoi j’attire votre attention sur ce point.
Cela dit, et dans l’attente de vos précisions, monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie et confirme notre soutien à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Josiane Costes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, entre le 23 et le 26 mai prochain, l’ensemble des citoyens européens est appelé aux urnes pour désigner les membres du Parlement de Strasbourg.
Cette année, ce renouvellement se déroulera dans un contexte de grande incertitude, à la suite des rejets successifs par le Parlement britannique des accords de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Nous avons bien conscience, en outre, que près de 40 000 citoyens britanniques inscrits sur les listes électorales en France se trouveront, le 26 mai, dans une situation très paradoxale, alors que le dénouement de ce feuilleton devrait intervenir d’ici le 31 octobre prochain, avec l’adoption d’un accord de sortie auquel nous continuons de croire.
Le groupe du RDSE se félicite malgré tout que 330 000 citoyens de l’Union européenne résidant en France se soient inscrits pour pouvoir voter aux côtés de nos concitoyens, tandis que 1,35 million de Français prendront part au scrutin depuis l’étranger. C’est le signe que les citoyens européens s’emparent de toutes les modalités de vote mises en place pour accroître la représentativité de notre système électoral.
Néanmoins, l’absence d’accord de sortie placera également les électeurs français dans une situation inédite. Selon la solution entérinée par le Conseil européen du 28 juin 2018, nos concitoyens, comme ceux des États membres restants, voteront par anticipation du retrait britannique pour cinq représentants supplémentaires, qui entreront en fonction après ce retrait.
Dans l’intervalle, le Parlement européen pâtira d’une légitimité affaiblie. C’est pourquoi nous espérons que l’accord que Theresa May s’est engagée à négocier avant l’élection du président du Parlement européen et la désignation de la Commission sera adopté.
Dans le cas contraire, les parlementaires britanniques fragiliseraient toutes les démocraties européennes, dans un contexte de montée des populismes. Cela paraît inconcevable quand on connaît l’influence du modèle britannique sur la démocratie dans le monde ! C’est sur la base de cette logique que nous avions soutenu la position du gouvernement français de refuser un nouvel ajournement des négociations jusqu’en 2020.
Comme l’écrivait Musset dans un tout autre registre : « Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. »
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
Mme Josiane Costes. Celle entre le Royaume-Uni et l’Union n’est ni l’un ni l’autre ; il ne faudrait pas que les Européens en subissent plus longtemps les conséquences ! C’est ce qu’ont rappelé en substance les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement en adoptant la déclaration de Sibiu, la semaine dernière.
Dans ce climat particulièrement confus, nous sommes favorables à l’adoption de règles claires, et donc à ce que la règle de désignation des eurodéputés supplémentaire reste la même que celle s’appliquant au reste de leurs collègues – c’est ce que prévoit le projet de loi non amendé.
Nous l’avions déjà rappelé l’an dernier, au moment de l’adoption du projet de loi portant rétablissement d’une circonscription unique : aucun système électoral n’est parfait. S’agissant des temps de parole applicables dans les campagnes électorales, la recherche d’une meilleure représentativité, d’une part, et, d’autre part, la nécessité de préserver le pluralisme, difficiles à concilier, sont de nature à produire des débats sans fin.
Le grand nombre de listes enregistrées, que personne n’avait anticipé, rend aujourd’hui la mission du CSA, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, particulièrement délicate, et nous voyons déjà bourgeonner les polémiques. Ces trente-quatre listes ont d’ailleurs pris de court les mairies et les préfectures sur la question des panneaux d’affichage…
M. Philippe Dallier. C’est bien vrai !
Mme Josiane Costes. Notre collègue Jean-Yves Roux avait déposé un amendement, hélas jugé irrecevable, sur ce sujet. Sans entrer dans les détails de ce débat, il me semble que l’allongement de la durée totale de la campagne serait la seule solution consensuelle pour atténuer les frustrations.
Nous savons également que, au temps des réseaux sociaux, les campagnes, désormais, se jouent peut-être ailleurs, et que notre combat pour le pluralisme devrait se mener dorénavant sur ces nouveaux terrains d’échange et d’expression.
Les membres du groupe du RDSE sont ainsi tout à fait favorables à ce que, à la suite du scandale de Cambridge Analytica et de la publication du rapport Mueller, le Gouvernement prenne des initiatives au niveau national et international pour protéger les utilisateurs français de ces réseaux sociaux de tentatives d’influence malveillante, ce qu’il semble enclin à faire. Il y a là une réflexion essentielle à mener au bénéfice de notre jeunesse, dont les techniques d’information diffèrent considérablement des nôtres.
Alors que la campagne électorale a commencé lundi dernier, je voudrais également rappeler à nos concitoyens l’importance du rôle du Parlement européen sur les nombreuses matières relevant de la codécision avec le Conseil, lorsqu’il ne se prononce pas à l’unanimité. Beaucoup de ces thématiques recoupent celles du grand débat : il s’agit donc d’un rendez-vous essentiel pour convertir les réflexions amorcées ces derniers mois en actions concrètes.
Au sein du Parlement européen, nos représentants sont en nombre suffisant pour peser dans les débats, contrairement à ce que certains voudraient laisser entendre – on sait à qui profite l’abstention ! Après le retrait britannique, la France y restera la deuxième nation représentée, derrière l’Allemagne, et la nouvelle répartition portera la part des représentants français dans l’hémicycle européen de 9,8 % à 11,2 % des sièges.
À chacun de donner à nos futurs représentants une légitimité à la hauteur des nombreux défis qui les attendent, en participant à ce scrutin crucial pour l’avenir de l’Europe ! (MM. André Gattolin, Franck Menonville et Jean-Claude Requier applaudissent.)
M. Alain Richard, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre excellent rapporteur a défendu il y a quelques semaines, en commission des lois, dans le cadre d’une proposition de loi qu’il a présentée, une disposition tendant à interdire, au cours de l’année précédant un scrutin, toute modification du régime électoral.
Je suis donc très surpris de constater aujourd’hui, à dix jours d’un scrutin, que l’on modifie les règles du jeu. Certes, on peut arguer du fait qu’il s’agit de l’Union européenne. Mais je suis le premier à dire que l’Union européenne, c’est la chienlit ; et on n’est pas obligé de se coucher devant elle.
Se pose donc un problème de cohérence ; quant à moi, je refuse de m’incliner devant l’argument selon lequel il faudrait voter ce texte parce qu’il y aurait urgence. Non ! Nous ne sommes pas à la botte de l’Union européenne ; nous n’avons pas à céder devant elle. Et je partage tout à fait la position de notre rapporteur sur l’indécence qu’il y a à modifier les règles du jeu une semaine avant les élections.
C’est d’ailleurs une double modification qui est proposée. Nous venons en effet d’apprendre que, depuis quinze jours, les partis européens peuvent financer les campagnes électorales. C’est extrêmement dangereux, mes chers collègues. Vous savez très bien que les partis européens sont financés par les structures de lobbying et que, par exemple, un parti européen que je ne citerai pas est financé par Bayer-Monsanto pour défendre le glyphosate !
M. François Bonhomme. Ça faisait longtemps !
M. Jean Louis Masson. Aujourd’hui, donc, on autorise Bayer-Monsanto, par l’intermédiaire d’un parti européen, à intervenir dans les élections françaises. Mais où va-t-on, avec l’Europe ? On nous interdit, à nous, de bénéficier de quelque financement que ce soit émanant d’une personne morale, et je trouve que c’est normal. Mais on autoriserait des partis européens à toucher des millions d’euros, dans le cadre du lobbying au profit du glyphosate, pour faire ensuite campagne chez nous ?
Il y a là une aberration complète ; il est véritablement scandaleux que l’on accepte que des partis européens financés par des personnes morales, en l’occurrence des lobbies, viennent mettre leur nez dans les structures électorales françaises !
À ce compte, je ne vois pas pourquoi la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques mettrait en cause les comptes de campagne de Dupont ou de Durand au motif qu’il aurait acheté de la farine pour préparer des pizzas ! Aujourd’hui, on annule des comptes pour rien du tout ; et, dans le même temps, on accepterait des énormités comme celle que je viens de décrire ?
Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais avoir votre avis sur cette situation qui me semble anormale. Il y a vraiment quelque chose qui cloche, et ces élections européennes sont complètement biaisées.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean Louis Masson. J’en ai terminé, madame la présidente – je reviendrai bientôt, néanmoins ; il me reste du temps de parole dans ce débat ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, passé le Masson Show – pardonnez-moi cette expression, que j’emploie en manière d’hommage à notre collègue –, il me semble qu’il n’est point besoin de disserter trop longtemps sur la légitimité de ce texte et l’opportunité de son adoption conforme, dans les termes votés lundi dernier par l’Assemblée nationale.
Nous sommes en effet à dix jours du scrutin des élections européennes, et ce texte a le grand avantage d’apporter un petit peu de sécurité juridique dans un monde et un moment excessivement incertains.
Les incertitudes sont de tous ordres dans le contexte actuel, s’agissant du Brexit et de l’avenir européen. Il y a de petits et de grands suspenses. Des incertitudes entourent le calendrier du Brexit. On sait que les Britanniques voteront aux élections européennes – ils le feront le 23 mai, quand, dans la plupart des autres États membres, le scrutin aura lieu le 26 mai ; un petit suspense aura donc cours entre le 23 et le soir du 26, puisqu’il faudra attendre pour connaître les résultats britanniques. À observer les sondages actuels et les résultats des précédentes élections européennes, en 2014, au Royaume-Uni, on peut penser que les votes britanniques ne modifieront pas le rapport de forces général – je constate que mon collègue Olivier Cadic, fin connaisseur de ces sujets, approuve.
L’incertitude la plus importante porte sur le résultat global des élections européennes, dans les vingt-sept autres pays : nous ne disposons pas encore d’une vue tout à fait nette des nouveaux équilibres et du degré de fragmentation de la composition du futur Parlement européen.
On aura également un nouveau vote. En effet, après s’être entretenue avec l’opposition travailliste, Mme May a annoncé qu’elle soumettrait de nouveau l’accord au vote au début du mois de juin. L’incertitude quant à l’issue de ce quatrième vote est, là encore, très faible : ce sera certainement un nouveau vote négatif.
On aura malgré tout l’élection d’eurodéputés britanniques. La question se pose effectivement de savoir quelle sera leur attitude lors des deux sessions du Parlement européen au mois de juillet prochain. Je pense notamment à la première, celle du 2 juillet, qui désignera le président du Parlement européen, les quinze vice-présidents et les questeurs.
On a une incertitude sur la composition des groupes politiques. Je le rappelle, M. Nigel Farage fait partie du groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe, EFDD, qui compte plus de vingt-cinq membres, mais qui a des représentants dans tout juste sept pays. Imaginez que ce groupe se reconstitue au Parlement européen, toujours avec les soutiens de Cinque Stelle et de quelques députés isolés, Lituaniens ou autres : si le Brexit a lieu alors que sept pays seulement sont représentés, le groupe explosera lors de la sortie des Britanniques, et ses parlementaires devront être répartis ailleurs.
On a encore et toujours une incertitude quant au calendrier de sortie. Il a été fixé au 31 octobre. Certes, au regard de l’imprécision juridique de la rédaction de l’article 50, on pourrait envisager, d’un point de vue technique et juridique, que les Britanniques retirent leur demande de retrait pour la redéposer. Mais, politiquement, cela me paraît totalement surréaliste. Sachant qu’une prolongation nécessite l’accord unanime des Vingt-Sept, je ne vois pas comment il serait acceptable – et je n’imagine pas les Britanniques oser le faire – de contourner l’obstacle par un subterfuge juridique.
Enfin, et c’est le plus important, nous avons un problème plus général : celui du calendrier institutionnel de l’Union européenne. Dans les jours qui viennent, de l’élection de début du mois juillet jusqu’au 1er novembre, les principaux grands mandats européens seront remis à plat. Je pense à la présidence du Parlement européen, sur laquelle je reviendrai, à la présidence et à la composition de la Commission européenne, à la présidence du Conseil européen et à la désignation du Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Nous le savons, pour préserver la force, la cohésion et l’avenir de l’Union européenne dans le contexte post-Brexit, il faudra que les désignations fassent l’objet d’équilibres savants : équilibres politiques, qui seront en grande partie définis à la suite des résultats des élections européennes et des alliances qui se seront constituées ; équilibres entre les grands pays européens et les petits pays européens ; déséquilibres entre les pays dits « de l’Ouest » et les ex-pays de l’Est ; et, enfin, système de parité hommes-femmes.
La grande difficulté réside dans le fait que ce qui constitue généralement, disons-le, une sorte de lot de consolation, le poste le moins important en termes d’influence, c’est-à-dire celui de président du Parlement européen, fera l’objet d’une désignation au début du mois de juillet. En d’autres termes, le pays et la famille politique qui auront obtenu la présidence du Parlement européen auront de fortes chances d’être disqualifiés pour les autres grands postes.
C’est pourquoi je trouve très opportune et intelligente la décision de M. Donald Tusk, président sortant du Conseil européen, de réunir, outre le Conseil européen des 20 et 21 juin prochain, un Conseil européen informel dès le 28 mai pour que les principaux pays, notamment la France et l’Allemagne – ils ont un rôle majeur à jouer dans cette dynamique –, se mettent d’accord sur le package global de répartition des présidences.
À mes yeux, la France, l’Allemagne et d’autres pays ont une très grande responsabilité pour que notre architecture institutionnelle ne soit pas désorganisée au-delà des termes du Brexit. Il faut travailler très sérieusement et anticiper pour que tout soit en place au 1er novembre et que nous puissions engager les réformes dont l’Europe a besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc de la commission.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, je me réjouis de la qualité de nos débats et sollicite une suspension de séance d’une dizaine de minutes. En effet, nous allons devoir examiner une motion et plusieurs amendements n’ayant pas été examinés par la commission. Nous avons donc besoin de quelques minutes de travail en commun, en espérant que les membres de la commission voudront bien faire preuve de concision dans leurs interventions, comme ils en ont d’ailleurs l’habitude.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à douze heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Masson, d’une motion n° 17.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’entrée en fonction de représentants au Parlement européen élus en France aux élections de 2019 (n° 499, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.
M. François Bonhomme. Bis repetita !
M. Jean Louis Masson. Si j’ai présenté cette motion, c’est parce que j’estime que la discussion du présent projet de loi aurait pu être l’occasion d’un réexamen beaucoup plus large d’un certain nombre de problématiques par la commission.
L’un de nos collègues a abordé la question des temps de parole. La situation me paraît en effet tout à fait anormale. Dans un système vraiment démocratique, tout le monde doit être traité sur un pied d’égalité. Il est profondément injuste d’accorder plus de temps à tel ou tel candidat sous prétexte qu’on le trouverait plus « sérieux » que les autres. C’est un peu comme si, sur un cent mètres, on permettait à un participant jugé meilleur que les autres de courir dix mètres de moins.
En fait, on spécule sur le résultat final. On demande plus d’efforts au candidat dont on pense qu’il fera 10 % qu’à celui dont on pense qu’il fera 40 %. C’est, me semble-t-il, la négation de la démocratie. En démocratie, chacun est candidat à égalité, avec une équité dans la répartition des temps de parole. Or, dans le cadre des élections européennes, des candidats jugés importants vont passer aux heures de grande écoute tandis que d’autres, jugés moins importants, pourront s’exprimer à l’heure où tout le monde est couché. Et l’on s’étonne ensuite que certains candidats soient moins connus que d’autres !
De quel droit spécule-t-on sur le résultat des élections avant qu’elles aient lieu en attribuant trois fois plus de temps de parole à celui dont on pense qu’il fera un meilleur score ? C’est un vrai problème. J’ai déjà eu l’occasion de le dénoncer, en séance comme en commission. Je me réjouis qu’un autre collègue ait abordé le sujet.
La question de l’argent est également problématique. Je pense notamment aux prêts bancaires, que j’ai déjà évoqués. Des candidats ayant la certitude de faire au moins 3 % ne pourront pas utiliser des sommes qui leur seraient remboursées par l’État faute de prêt bancaire. Certains feront donc campagne avec un maximum de moyens alors que d’autres, pourtant assurés d’obtenir au moins 3 %, feront campagne à l’économie. Là encore, c’est inégalitaire. Le système ne me paraît pas sain.
Il n’est pas sain non plus s’agissant du mode de scrutin. Notre collègue a fait référence au seuil de représentativité. Je vous renvoie à ce qu’a indiqué la Cour constitutionnelle allemande. Je conçois qu’il faille constituer une majorité de gestion pour pouvoir désigner un gouvernement ; dans ce cas, il est logique d’opter pour un scrutin majoritaire ou un scrutin proportionnel à forte correction majoritaire. Mais, dans une assemblée comme le Parlement européen, ce qui compte, c’est la représentativité : tout le monde doit être représenté. Comme l’a souligné notre collègue, le système retenu en Allemagne est beaucoup plus objectif et sain : chacun a une représentation équitable en fonction du nombre de suffrages obtenus.
J’aimerais également aborder le principe de proportionnalité dégressive pour l’attribution du nombre de sièges au sein du Parlement européen. Certes, dès lors que le principe figure dans le traité de Lisbonne, nous devons le respecter ; en l’occurrence, nous ne le respectons pas… Mais ce principe est, à mon sens, complètement antidémocratique. On est très loin du système : « un homme une voix ». Ainsi, Malte a un député européen pour 40 000 habitants, tandis que nous en avons un pour 900 000 habitants. Peut-on parler de démocratie dans ces conditions ? Je conçois qu’un petit pays doive avoir au moins un ou deux représentants. Mais pourquoi imposer qu’il en ait six au minimum ? Si la principauté de Monaco adhérait à l’Union européenne, elle aurait six députés européens pour quelque 100 000 habitants. C’est à la fois totalement incohérent et injuste pour les grands États ! Le système n’est pas vraiment démocratique. La démocratie, c’est « un homme une voix ». Or la voix d’un citoyen français pèse douze fois moins celle d’un citoyen de Malte ou du Luxembourg.
Tous ces éléments auraient, me semble-t-il, mérité de faire l’objet d’un débat et d’être lissés en commission. C’est le sens de la présente motion tendant au renvoi du texte à la commission. Certes, je ne me fais guère d’illusions sur le sort qui lui sera réservé.