M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat, organisé sur l’initiative de nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, mériterait sans doute plus qu’une heure, compte tenu de tout ce qui a déjà été écrit ou dit sur les critères européens et des discussions qu’ils continuent de susciter. Ces dernières ne se limitent d’ailleurs pas au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de 2012, qui n’est que le dernier étage d’un ensemble de règles instaurées avec les traités de Maastricht en 1992, puis d’Amsterdam en 1997, à l’origine du pacte de stabilité et de croissance.
Si l’on remonte encore un peu plus loin, la règle des 3 % de déficit public ramené au PIB serait apparue lors du premier septennat de François Mitterrand. La raison de ce chiffre est donc historique et conjoncturelle ; il est surcroît empreint d’une certaine simplicité, voire d’une symbolique. Cette règle a ensuite été reprise lors des négociations du traité de Maastricht et de l’instauration de l’Union économique et monétaire.
Il faut donc inverser la vision commune de cette règle des 3 % : ce n’est pas l’Europe qui aurait imposé une règle budgétaire arbitraire aux États membres ; celle-ci a été introduite dans les traités sur l’initiative de la France, avec l’accord de l’Allemagne, qui souhaitait garantir une certaine discipline budgétaire au sein de l’Union.
Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union européenne, adopté en 2012-2013 dans les conditions que l’on sait, n’a fait que renforcer ou affiner ces règles, en introduisant la notion de solde structurel et l’objectif de moyen terme, que nous avons adopté en loi de programmation, en fixant un objectif de réduction de la dette d’un vingtième par an – le « pacte budgétaire » – et en renforçant la coordination des politiques économiques et la gouvernance de la zone euro.
Aujourd’hui, force est de constater que, depuis l’origine, aussi bien le pacte de stabilité et de croissance que le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ont été relativement peu respectés par les États membres, en particulier par la France, qui, hélas, ne figure pas parmi les bons élèves.
En effet, notre pays présente encore un déficit structurel supérieur à 0,5 point de PIB, même s’il existe des débats d’experts sur la délimitation exacte de ce qui relève respectivement du conjoncturel et du structurel, voire de l’exceptionnel. Ainsi, sur 2019, nous avons des discussions sur le delta de ce pourcentage, compte tenu de la double charge liée au transfert du système du CICE, le crédit d’impôt compétitivité emploi, qui n’est pas rattaché à l’année budgétaire.
La crise financière de 2008 et la crise des dettes publiques ont porté le coup le plus sévère aux règles du pacte de stabilité. De nombreux États qui avaient redressé la barre ont dû recourir à des déficits très supérieurs à 3 %. Cela a entraîné une hausse spectaculaire de l’endettement public : alors que la France était en 2008 tout juste dans la limite des 60 % d’endettement, elle approche désormais des 100 %, avec toutefois une stabilisation depuis 2017.
La situation des déficits s’est améliorée. En 2018, seule l’Espagne affichait un déficit encore supérieur à 3 %, et quatorze pays, dont la Grèce, présentaient un budget en équilibre ou en excédent. Depuis 2017, la France a un déficit inférieur à 3 % du PIB et elle est enfin sortie de la procédure de déficit excessif.
En revanche, le niveau d’endettement reste élevé : la moitié des États membres présentent une dette publique supérieure à 60 %, et cinq pays ont une dette supérieure à 100 % du PIB. La dette moyenne dans la zone euro était de 86 % en 2018.
Nombreux sont ceux qui, depuis l’origine ou plus récemment, remettent en question les critères de convergence européens. De fait, au niveau de l’Union, la France, qui porte depuis longtemps le projet d’une Union économique et politique plus étroite, avec une véritable gouvernance de la zone euro et un budget commun, doit composer avec les réticences de l’Allemagne et d’autres États, qui craignent de devoir payer pour la mauvaise gestion réelle ou supposée de leurs voisins.
Alors que le fédéralisme est aujourd’hui très poussé en matière monétaire, et qu’il s’est renforcé dans le domaine bancaire, la politique budgétaire reste le parent pauvre de l’Union, ce qui laisse le système européen incomplet et déséquilibré.
Dans ce contexte, qu’apporterait réellement une sortie des traités ? La situation outre-Manche est éclairante à cet égard. Au-delà des négociations difficiles sur le Brexit, le Royaume-Uni offre l’exemple d’un État membre qui n’a pas signé le Pacte budgétaire et qui présente des niveaux de déficit et d’endettement qui sont loin d’être exemplaires, même s’ils se sont améliorés ces dernières années par rapport à la France. Comme les autres États, le Royaume-Uni doit émettre de la dette sur les marchés, avec un taux fixé par ces derniers.
Nos voisins britanniques ont aussi dû mettre en place leurs propres règles contraignantes, afin de maîtriser leurs finances publiques. Depuis de nombreuses années maintenant, ils pratiquent une austérité budgétaire qui n’aurait probablement pas de quoi enchanter nos collègues. Brexit ou pas à la fin de l’année, il n’est pas sûr qu’ils y mettent un terme dans un avenir proche. Cet exemple semble donc indiquer qu’une sortie pure et simple des traités ne ferait pas disparaître certaines contraintes qui s’exercent sur nos finances.
Enfin, il faut rappeler le contexte de l’adoption du Pacte budgétaire. C’était alors la condition qu’avaient posée l’Allemagne, les Pays-Bas et d’autres pays pour poursuivre l’aide aux pays en difficulté financière, en particulier la Grèce.
La volonté d’apporter une réponse aux causes structurelles des déficits n’est pas critiquable en soi, me semble-t-il. En revanche, la question de la convergence continue de se poser.
L’absence de politique budgétaire proprement européenne reste un frein à une véritable coordination et à une politique plus tournée vers l’investissement, la croissance, l’emploi et la transition énergétique, ce à quoi devait répondre le Pacte pour la croissance de 2012. C’est le sens de la proposition réitérée par le Président de la République à nos partenaires européens. Le rôle des parlements nationaux, tel qu’il est défini aux articles 3 et 13 du traité, mériterait également davantage d’attention.
Ces quelques remarques montrent la complexité du sujet. Il est improbable qu’une sortie sèche des traités fasse disparaître les contraintes qui pèsent sur la politique budgétaire des États membres. En revanche, la zone euro doit mettre beaucoup plus l’accent sur l’investissement, l’emploi et la coordination budgétaire et fiscale.
Pour conclure, si cette règle des 3 % qui nous est imposée par l’Europe – il est facile de renvoyer l’impopularité de telles contraintes sur d’autres ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) – n’existait pas, nous devrions nous l’imposer à nous-mêmes.
L’objectif est non pas de se limiter à la règle des 3 %, mais d’avoir un budget a minima en équilibre et même, si possible, excédentaire, afin d’amorcer la réduction de l’endettement public. Notre surendettement nous prive aujourd’hui de toute marge de manœuvre. Il affaiblit politiquement notre pays, en nous privant des moyens financiers qu’il serait souhaitable de mobiliser pour la modernisation de nos infrastructures routières, ferroviaires, fluviales ou hospitalières, pour la transition énergétique ou encore pour l’aide au développement en faveur, par exemple, des pays africains.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Marc Gabouty. L’absence de contraintes budgétaires est synonyme non pas d’autonomie budgétaire, mais plutôt d’impuissance politique. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que nous célébrons aujourd’hui la journée de l’Europe, je remercie nos collègues du groupe CRCE d’avoir fait inscrire ce grand et beau projet qu’est le projet européen à l’ordre du jour de notre assemblée.
Cependant, quel paradoxe de polariser le débat sur la gouvernance de la zone euro le 9 mai, non pas pour célébrer l’Union européenne, non pas pour saluer les presque soixante-dix ans de paix qu’elle a permis, mais pour la critiquer.
Mme Éliane Assassi. Nous n’avons pas choisi la date !
M. Olivier Henno. C’est légitime, bien sûr,…
Mme Éliane Assassi. En effet !
M. Olivier Henno. … mais c’est paradoxal.
Cette critique, mes chers collègues, vous ne pouvez pas nous empêcher de penser qu’elle est motivée autant par une forme de nostalgie que par une volonté de justice sociale ou territoriale. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Quel dommage que votre vision de l’Union européenne soit ainsi centrée sur les contraintes, les seules contraintes qu’elle imposerait aux États ! Mettons tout d’abord les choses au clair : malgré ce que l’on peut lire dans une certaine presse, le traité de stabilité dont il est question aujourd’hui n’est pas caduc.
Mme Éliane Assassi. Si, il l’est !
M. Olivier Henno. Le retard pris, il est vrai, par rapport aux dispositions de son article 16, ne saurait en entraîner la caducité. Toujours en vigueur, il mérite tout notre sérieux.
Le contenu et la philosophie de ce traité placent de fait la discipline budgétaire en son cœur. Cependant, et de manière cohérente avec l’esprit des règles européennes, elle s’accompagne de deux autres piliers tout aussi importants : la coordination des politiques économiques des États membres et la gouvernance de la zone euro. Ces trois composantes ne sauraient aller l’une sans les autres, au risque de déséquilibrer l’approche même de l’Union européenne sur ce sujet.
Les dispositions relatives à la discipline budgétaire énoncent en effet des règles complémentaires à celles du pacte de stabilité et de croissance pour les pays de la zone euro. Je n’entrerai pas ici dans le détail des mesures techniques, ce qui a déjà été fait, mais je ne puis qu’insister sur le fait que de telles dispositions sont aujourd’hui encore nécessaires au bon fonctionnement de l’espace économique commun et intégré qu’est l’Union européenne.
L’établissement, pour chaque pays, d’un objectif de réduction de sa dette devient alors un gage de pérennité pour l’ensemble du système, la crise grecque ayant démontré le danger que peut représenter le risque de défaut d’un seul État. Par ailleurs, notons que le traité introduit une évolution intéressante avec le choix d’évaluer le déficit structurel des États membres. Cela permet de mieux prendre en compte l’impact d’une crise économique que l’étude du seul déficit public tant décrié.
Le traité organise par ailleurs une coordination accrue des politiques économiques des États membres. Si cette approche était essentielle au moment de la signature du texte en 2012, elle ne l’est pas moins en 2019, pour les pays membres de la zone euro comme pour l’ensemble de l’Union. En effet, le traité engage notamment les États membres à débattre préalablement de leurs mesures économiques domestiques et à les coordonner au maximum.
Cela peut paraître évident, mais il est toujours bon de rappeler que l’Union européenne ne pourra faire face aux grands blocs économiques que sont les États-Unis et la Chine qu’en abordant les grands enjeux du moment d’une seule voix. La coordination est, à cet égard, plus que jamais nécessaire.
Enfin, la gouvernance de la zone euro s’est trouvée renforcée par ce traité grâce à l’institution des sommets de la zone euro, ainsi que par une association plus étroite des parlements nationaux au débat économique européen. Les marges de progrès existent encore, bien sûr, dans ce domaine, tant les implications de l’adoption d’une monnaie unique sont nombreuses et complexes, mais ces mesures allaient dans le bon sens.
Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance est donc un texte important, qui enrichit le cadre de nos règles budgétaires. Né d’une crise grave, celle de la dette grecque, il place logiquement la discipline en vertu cardinale. Je ne dis pas que cet accord est parfait. Il a d’ailleurs été complété depuis lors, et sa mise en œuvre ne s’est pas faite sans un certain pragmatisme.
Mes chers collègues, dans ce débat, le groupe Union Centriste souhaite mettre en avant quelques idées simples.
Avec l’euro, nous disposons de l’arme de souveraineté monétaire indispensable pour peser par rapport aux empires continents que j’ai cités tout à l’heure, à savoir les États-Unis, la Chine, et peut-être d’autres demain.
M. Éric Bocquet. Mais non !
M. Olivier Henno. Avec l’euro, et grâce à la politique de la BCE, nous permettons aux particuliers, aux entreprises, aux collectivités et à l’État français d’emprunter à des taux d’intérêt très peu élevés, il faut le dire.
Grâce à ces taux très bas, les pays de la zone euro ont une autonomie budgétaire qui est non pas affaiblie, mais, d’un certain point de vue, renforcée ; ils disposent d’une capacité d’agir, de construire l’avenir et d’investir plus forte.
Sincèrement, laisser penser que, sans ce pacte de stabilité, nous pourrions dépenser sans compter, faire tourner la planche à billets, comme on disait autrefois, sans conséquence sur l’inflation, sans conséquence économique et sans conséquence sociale, c’est une blague !
Nous partageons en partie l’observation de notre collègue Jean-Yves Leconte : il serait intéressant de différencier l’endettement selon son origine, le fonctionnement ou l’investissement, notamment si l’on veut réussir la transition écologique. Mes chers collègues, il n’empêche, heureusement que ce traité existe !
Si nous avons une critique à faire à la zone euro, c’est que ce traité ne va pas encore assez loin. Si nous rêvons d’un euro aussi fort que le dollar, c’est-à-dire qui soit une monnaie de change, une monnaie internationale, il faut aller plus loin en matière de convergence monétaire et budgétaire.
J’irai même plus loin : il faut dépasser la convergence monétaire et budgétaire pour aller vers une convergence économique, fiscale, sociale, écologique par le haut, bien sûr, et non pas par le bas.
Mes chers collègues, dans mon bureau, il y a un seul portrait d’homme politique : celui de Robert Schuman, l’homme de la déclaration du 9 mai 1950. Aussi, je trouve heureux que, ici, au Sénat, chaque groupe saisisse ce moment et profite de ce débat pour s’interroger sur ses convictions européennes, le jour de la fête de l’Europe et à quelques semaines d’un scrutin européen essentiel. Vive l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en cette journée de l’Europe, nous abordons un sujet ô combien européen et ô combien important : la prétendue caducité du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, et ses éventuelles conséquences.
Le TSCG est un traité intergouvernemental, conclu en 2012 afin de renforcer les règles du pacte de stabilité et de croissance de 2001. Ce pacte stipule que le budget des États de la zone euro ne doit pas présenter un déficit supérieur à 3 % du PIB. De même, la dette publique ne doit pas être supérieure à 60 % du PIB de l’État.
Ce pacte a été plusieurs fois complété, et c’est l’objet du TSCG. Ce dernier contient des règles budgétaires, dont celle de la limitation du déficit structurel des États parties au traité à 0,5 % de leur PIB.
Le déficit structurel ne tient pas compte des effets conjoncturels de tel ou tel accident. Des aléas peuvent en effet toujours influer ponctuellement et temporairement sur les finances d’un État. C’est un progrès majeur.
Mes chers collègues, rappelons-nous que le TSCG est un traité intergouvernemental. En clair, les vingt-cinq États qui en sont parties ont librement et contractuellement consenti aux obligations qu’il contient. Le TSCG n’a pas été imposé par Bruxelles !
Le débat d’aujourd’hui se fonde sur l’idée que le TSCG est caduc, puisqu’il n’a pas été transcrit dans le droit de l’Union dans le délai fixé à son article 16. Or l’obligation de transposition du TSCG dans le droit de l’Union n’était pas formulée à peine de nullité. Il se trouve, de source européenne, qu’une telle transposition est suspendue, mais pas annulée, par la commission du Parlement européen qui en a la charge.
Mme Éliane Assassi. C’est rassurant !
Mme Colette Mélot. Au-delà de ces considérations, le groupe Les Indépendants considère que cette supposée caducité ne change pas grand-chose, et cela pour deux raisons.
Tout d’abord, les parties à ce traité ont volontairement souhaité son application.
Ensuite, les dispositions du TSCG ont été inscrites dans les droits nationaux. La France a d’ailleurs procédé à cette inscription par le vote de la loi organique du 17 décembre 2012. Nous pensons cependant qu’il est possible et souhaitable de faire encore mieux.
Le TSCG permet un déficit, si mineur soit-il. Nous souhaitons pour notre part qu’un budget ne puisse être voté qu’à condition qu’il soit excédentaire ou équilibré.
Le véritable enjeu de ce débat sur la caducité du TSCG semble être ailleurs. Certains ont exprimé le sentiment que les États parties au TSCG, dont la France, ont été privés de leur autonomie budgétaire. Si l’on suit leur logique, retrouver cette autonomie ne signifierait rien d’autre que de pouvoir faire ce que nous nous sommes interdit : un déficit incontrôlé, voire incontrôlable.
Les chantres du « dépenser plus en gagnant moins » rêvent peut-être, pour la France, de ce qui a conduit la Grèce et l’Europe au bord du gouffre : une dette à 177 % du PIB et un déficit à 13 %… Tel n’est pas le credo du groupe Les Indépendants, ni, je suppose, celui de la majorité des groupes qui composent cette assemblée.
L’idée d’une dépense publique sans borne est une douce utopie, mais il s’agit d’une utopie dangereuse, qui enverrait le pays par le fond, comme elle l’a déjà fait pour un certain nombre d’autres États.
Nous ne souhaitons pas une politique de dépense publique effrénée, parce qu’une telle politique mettrait en danger l’économie du pays et les avoirs des Français. Au contraire, nous sommes convaincus qu’il faut persister dans le choix de finances assainies, afin de fortifier notre économie et d’assurer l’indépendance de la Nation.
De quelle autonomie budgétaire pourrait-il d’ailleurs être question, alors que la dette de la France atteint 98 % de son PIB ? Les Français dénonçaient déjà les excès de « Mme Déficit » voilà quelque deux cent cinquante ans. Ils ont réaffirmé dernièrement qu’ils en avaient assez de l’irresponsabilité budgétaire. Nos concitoyens aspirent à ce que leur revenu et leur patrimoine ne soient pas dévalorisés par une gestion délirante du budget de l’État.
Si, par extraordinaire, les obligations du TSCG venaient à tomber, au niveau tant national qu’international, le pacte de stabilité de 2001 continuerait à s’appliquer. Or lui aussi contient des mécanismes de sanction.
Quand bien même nous serions entièrement autonomes sur la question budgétaire, faudrait-il que nous fassions n’importe quoi ? L’autonomie n’est pas la gabegie ! Les sanctions prévues par le TSCG visent à prévenir un danger bien plus redoutable : la sanction de l’Histoire.
Tous ne le savent peut-être pas, mais, lorsque le chat n’est pas là, les souris ne sont pas obligées de danser. Elles peuvent choisir de travailler à préparer leur avenir ; elles peuvent choisir d’être responsables.
Si nous respectons une saine gestion de nos finances publiques, ce n’est pas par peur des sanctions. C’est simplement le mieux que nous pouvons faire pour nos concitoyens et pour les générations à venir. Notre liberté, c’est aussi celle de nous engager. Or nous avons fait le choix de nous engager à assainir nos finances, et c’est tout à notre honneur.
Contre le dangereux miroir aux alouettes d’une politique fondée sur le déficit, le groupe Les Indépendants continuera de promouvoir l’équilibre budgétaire. Il y va du sort de la France et de l’Europe.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant toute chose, je remercie le groupe CRCE de m’avoir fait rajeunir de quinze ans. En effet, j’ai eu l’impression, en préparant cette intervention, de me retrouver face à un sujet d’oral de concours. (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. Et vous l’avez réussi ?
Mme Christine Lavarde. Mes chers collègues, vous allez vous rendre compte que je n’ai pas compris le sujet de la même manière que les orateurs précédents. Comme dans tout oral, je répondrai à cette question en trois parties, après m’être attardée quelques instants sur l’essence même du débat, à savoir la notion de caducité.
En droit, un acte juridique, régulier et valable lors de son édiction ou de sa création devient caduc dès lors que la survenance de certaines circonstances ou de certains faits l’empêche d’être exécuté. Il perd ainsi ses effets juridiques. L’anéantissement s’opère de plein droit du seul fait de la défaillance de la condition à laquelle il était soumis. La caducité résulte donc soit d’une condition qui était présente à l’origine, mais qui vient à disparaître ultérieurement, soit de la sanction d’une négligence, lorsqu’il incombait à une personne de réaliser une condition.
La caducité est un acte extérieur à la volonté du législateur, qui s’impose à lui. Elle ne remet pas en cause la validité juridique du texte à l’origine, mais l’empêche de poursuivre ses effets.
Avant de réfléchir sur les liens de cause à conséquence entre le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union européenne, que vous me permettrez de désigner par l’abréviation TSCG, et l’autonomie budgétaire des États, il s’agit de vérifier que le postulat du groupe CRCE, à savoir la caducité dudit traité, est vérifié. Si tel est le cas, c’est que nous aurons répondu par l’affirmative à l’une de ces deux questions : une condition à l’origine du traité a-t-elle disparu ? Une négligence a-t-elle entraîné la non-réalisation de l’une des conditions ?
Selon le premier paragraphe de l’article 1er, le TSCG tend à « renforcer le pilier économique de l’Union économique et monétaire en adoptant un ensemble de règles destinées à favoriser la discipline budgétaire au moyen d’un pacte budgétaire, à renforcer la coordination de leurs politiques économiques et à améliorer la gouvernance de la zone euro, en soutenant ainsi la réalisation des objectifs de l’Union européenne en matière de croissance durable, d’emploi, de compétitivité et de cohésion sociale ».
De manière évidente, aucune condition à l’origine du traité n’a disparu, l’Union européenne n’a pas disparu et nous utilisons toujours des euros.
Se trompant sur le sens juridique de la caducité, certains ont affirmé un peu vite la fin du TSCG devant l’incapacité de certains États signataires à respecter les règles fixées à l’article 3 – un déficit structurel autorisé de 0,5 % pour l’objectif de moyen terme –, ainsi qu’à l’article 4 – une réduction d’un vingtième par an de l’écart entre la dette observée et la référence de 60 % du PIB.
Moins de deux ans après son entrée en vigueur, force était de constater que l’Italie, le Portugal ou la Grèce avaient abandonné le chemin imposé de la réduction de leur dette. En France, le PLF pour 2015 reposait sur un déficit structurel de 2,2 %, soit le double du niveau fixé dans la loi de programmation budgétaire, loi d’application du traité. À l’époque, on n’envisageait pas un retour de la France dans le droit chemin avant 2019. Tel n’est malheureusement pas le cas.
En effet, avant même les annonces du 10 décembre 2018 et celles du 25 avril 2019, le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis rendu sur le projet de budget pour 2019, soulignait que « les ajustements structurels prévus pour 2018 – 0,1 point – et 2019 – 0,3 point –, qui seront soumis à l’appréciation de la Commission, ne sont pas conformes aux règles du “bras préventif” du Pacte de stabilité ».
Ce n’est pas parce que la France, sous François Hollande, comme sous Emmanuel Macron, ne réussit pas à s’astreindre à la rigueur budgétaire attendue que le TSCG devient inopérant pour autant. On peut simplement et malheureusement faire le constat de son inefficacité.
C’est dans le titre VI, « Dispositions générales et finales », que nous pourrions trouver une négligence ayant entraîné la non-réalisation d’une des conditions. Comme l’a rappelé M. Laurent, l’article 16 précise que, dans un délai de cinq ans maximum à compter de sa date d’entrée en vigueur, le présent traité doit être intégré dans le cadre juridique de l’Union européenne. La date butoir se trouvait donc fixée au 1er janvier 2018.
À plusieurs reprises, les différentes instances européennes ont rappelé cet impératif : résolutions du Parlement européen des 12 décembre 2013 et 24 juin 2015 ; document de réflexion sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire présenté par la Commission en mai 2017 ; discours sur l’état de l’Union de 2017 ; proposition de directive du Conseil du 6 décembre 2017 établissant des dispositions en vue du renforcement de la responsabilité budgétaire et de l’orientation budgétaire à moyen terme dans les États membres.
Cependant, la résolution adoptée le 23 juin dernier par l’Assemblée nationale révèle que l’inscription du TSCG dans le droit de l’Union est loin d’être simple. On y lit notamment, au point 15 : « La proposition de la Commission européenne n’est pas consensuelle et son adoption est, aux yeux de certains États membres, compromise par d’importants obstacles juridiques ; [l’Assemblée nationale] invite, par conséquent, la Commission européenne à envisager des options alternatives pour renforcer le Mécanisme européen de stabilité dans l’hypothèse, fort probable, où l’unanimité exigée ne serait pas atteinte. »
Ensuite, au point 16, l’Assemblée nationale « considère, dans cette perspective, que le renforcement du Mécanisme européen de stabilité pourrait se faire via une révision du traité intergouvernemental qui l’instaure et souhaite qu’une réflexion soit engagée pour doter ce mécanisme d’instruments et de pouvoirs préventifs de gestion des crises ».
La non-réalisation de son article 16 fait-elle tomber le TSCG ? C’est la lecture faite par M. Mélenchon, et que partage M. Laurent. Ce n’est pas la mienne. Il me semble que la non-réalisation de l’article 16 est surtout révélatrice des difficultés de la construction européenne, notamment sur le plan économique, dans un contexte de croissance économique atone.
Comme je parviens à la conclusion que le TSCG n’est pas caduc, la question du groupe CRCE, de mon point de vue, devient absurde. Cependant, je rappellerai simplement que, si de telles règles de gouvernance n’étaient pas érigées et si chaque pays de l’Union avait des politiques budgétaires irresponsables, nous serions bien vite rattrapés par un principe de réalité : la réalité des marchés. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)