M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur la troisième proposition de résolution européenne émanant du groupe de suivi sur la PAC, mis en place conjointement en 2016 par la commission des affaires européennes et celle des affaires économiques, dont je salue les rapporteurs. Les deux précédentes PPRE ont été approuvées à l’unanimité par notre assemblée, respectivement en septembre 2017 et en juin 2018.
Cette troisième proposition de résolution survient à un moment très particulier du calendrier.
Nous sommes, en effet, à moins de trois semaines d’un scrutin européen très important, lequel définira les contours politiques du nouveau Parlement européen de Strasbourg qui, lui-même, déterminera les équilibres et les orientations de la future Commission européenne qui prendra officiellement ses fonctions le 1er novembre prochain.
On sait d’ores et déjà que M. Jean-Claude Juncker passera la main puisqu’il n’est pas candidat à sa succession.
On sait aussi que, fort probablement, le Royaume-Uni aura choisi de quitter l’Union européenne à ce moment-là.
La Commission qui achève son mandat, comme toutes celles qui l’ont précédée, a fait l’objet de nombreuses critiques. Si certaines sont justifiées, je veux dire ici qu’il faut néanmoins rendre hommage à bon nombre de décisions et d’engagements pris par cette dernière, notamment au cours des deux dernières années.
Le discours sur l’état de l’Union prononcé en septembre dernier par le président Juncker était particulièrement riche et offensif, insistant sur la nécessité pour l’Union d’affirmer sa souveraineté – on parle ici de souveraineté alimentaire – dans le cadre des valeurs fondatrices qui sont les siennes, à un moment où l’édifice européen est en proie à des menaces à peine voilées, tant à l’intérieur de son périmètre qu’à l’extérieur de celui-ci.
Ce discours n’est pas sans faire écho à celui qui a été porté par le Président de la République française tout au long de sa campagne présidentielle et maintes fois réaffirmé depuis.
Depuis deux ans, la Commission ainsi que les présidences successives du Conseil et les commissions du Parlement européen travaillent ardemment à la préparation du prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, qui fixera les choix budgétaires de l’Union pour la prochaine mandature et même au-delà.
La Commission, en dépit du Brexit qui occupe beaucoup ses services, a voulu aller vite pour tenter d’éviter les affres et parfois la confusion qui avaient régné – on s’en souvient ! – lors de la préparation et de l’adoption in extremis du précédent cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020.
Cette volonté d’anticiper et d’accélérer le processus européen peut avoir ses bons côtés : ainsi, la réactivité accrue de l’Union quant à la production de directives sur des questions stratégiques s’est largement améliorée par rapport à l’enlisement dont elle souffrait parfois dans le passé.
Mais, dans le contexte particulier du prochain cadre financier pluriannuel, l’espoir de la Commission – heureusement déçu ! – de le faire adopter en amont des échéances électorales de cette année avait quelque chose de très gênant d’un point de vue démocratique : en effet, une Commission et un Parlement sortants auraient, purement et simplement, défini par anticipation le cadre budgétaire de toute la mandature à venir, sans que les nouvelles instances concernées par celui-ci aient eu leur mot à dire.
Si nous sommes parvenus à échapper à cette ineptie démocratique, la Commission sortante nous a cependant laissé un testament très directif et qui risque de peser lourd dans les négociations à venir.
À sa décharge, il faut dire que le financement de l’Union européenne repose plus que jamais sur les contributions nationales des États membres, qui, rigueur budgétaire oblige, sont assez malthusiens quant aux moyens à allouer à l’Union et de plus en plus vigilants sur le taux de retour pour leur pays des investissements budgétaires.
En contrepartie, les exigences de nouveaux investissements réclamés par tous dans les domaines de la défense, de la sécurité, de la politique de la recherche et de l’innovation et pour développer Erasmus – j’en passe et des meilleurs ! – conduisent à des arbitrages des plus complexes.
On est aujourd’hui loin des années 1980 et 1990, au cours desquelles les ressources propres dites « classiques » et de TVA représentaient environ 80 % des ressources globales de l’Union, rendant plus facile l’allocation des dépenses pour les différentes politiques communautaires.
Cela n’excuse évidemment pas les coupes importantes proposées par la Commission et soutenues par un certain nombre d’États quant au budget de la PAC pour la période 2021-2027, mais contribue quelque peu à les expliquer.
Certes, il faut adapter et ajuster la PAC aux nouveaux défis de l’époque, comme cela a déjà été fait à de très multiples reprises depuis les années 1980.
Il faut le dire, certaines des propositions de l’actuelle Commission pour le prochain cadre pluriannuel financier sont louables, comme le renforcement des aides aux jeunes agriculteurs, la volonté de consolider l’ambition environnementale et la recherche et l’innovation dans ce secteur, ainsi que la création d’une réserve de crise pluriannuelle.
Mais la baisse du budget global de la PAC pour la période 2021-2027, en particulier des aides au développement rural, telle que proposée par la Commission, n’est pas acceptable pour la France et ne correspond pas au principe fondateur de la PAC à sa création : celle de garantir la souveraineté alimentaire de l’Europe.
La proposition de la Commission de consacrer 10 milliards d’euros, tirés du futur programme Horizon Europe, à la recherche et à l’innovation dans les domaines de l’alimentation, de l’agriculture, du développement rural et de la bioéconomie, contre seulement 3,8 milliards d’euros dans l’actuel programme Horizon 2020, est certes une bonne chose.
Ce qu’on appelle le smart farming, autrement dit l’agriculture de précision, peut apporter beaucoup à notre agriculture, tant en termes de qualité des produits que d’optimisation de la production, en ayant notamment moins recours aux intrants, qui représentent des charges très chères pour les exploitants.
Mais, il faut le dire, les moyens financiers proposés aujourd’hui par la Commission ne sont pas encore suffisants et, en l’état, ces technologies appliquées à l’agriculture restent encore, pour diverses raisons, dont la formation et la connectivité du monde agricole, assez inaccessibles à près de 80 % de nos agriculteurs.
Pour toutes ces raisons et aussi pour toutes celles qui ont été rappelées par les rapporteurs, le groupe La République En Marche votera en faveur de cette proposition de résolution européenne, qui donnera à notre gouvernement un appui lors les négociations difficiles qui se rouvriront dans les mois prochains à Bruxelles. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à excuser ma collègue Cécile Cukierman qui devait prendre la parole aujourd’hui, mais qui est retenue dans la Loire.
« Faire mieux avec toujours moins de moyens » : monsieur le ministre, si je devais résumer en une seule phrase la direction prise pour l’avenir de la PAC, ce serait celle-là.
Les négociations actuellement en cours sur la future PAC confirment nos craintes, que nous avions déjà exprimées lors des précédents débats, puisque la Commission européenne fait le choix d’un abandon de toute régulation publique des marchés agricoles et d’une renationalisation de la PAC. Ajoutons à cela une baisse du budget et vous voyez combien l’avenir de cette PAC, pourtant politique européenne historique, est sombre.
Alors, oui, les objectifs annoncés par la Commission européenne sont louables ; sans faire de liste exhaustive, nous pouvons nous féliciter de la volonté annoncée d’assurer un revenu équitable aux agriculteurs, de rééquilibrer les pouvoirs dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire, ou encore d’agir contre le changement climatique. Mais soyons sérieux : comment réaliser tout cela avec un budget amputé de près de 16 % et, surtout, sans instrument de régulation ?
À l’heure où la Commission européenne fait des annonces vertueuses, l’Union multiplie les accords de libre-échange – seize accords sont sur la table –, alors que, comme nous le disons depuis longtemps, il est temps d’en finir avec ce modèle économique de libre-échange. Celui-ci nuit aux agriculteurs comme aux citoyens et, surtout, les conséquences environnementales sont désastreuses.
Pourtant les États généraux de l’alimentation ont montré que l’on a impérativement besoin de construire un nouveau modèle fondé sur la recherche de la qualité et sur la relocalisation de productions créatrices d’emploi. Le CETA va exactement dans le sens opposé des objectifs annoncés… comme une certaine loi Égalim.
Alors, monsieur le ministre, est-ce un discours de façade ou l’expression d’une réelle volonté ? Je laisse à chacun le soin de se faire son avis.
De plus, la Commission européenne a même précisé que « l’aide aux agriculteurs ne doit pas avoir ou peu d’incidences sur les échanges commerciaux pour que l’Union puisse respecter ses obligations […] dans l’accord de l’Organisation mondiale du commerce ». Elle fait donc fi de la question de la rémunération des agriculteurs, de la régulation du fonctionnement des marchés et de la volatilité des cours des produits agricoles.
Pire encore, la réforme à venir ne se prononce pas sur le protectionnisme de certains États et les conséquences du CETA – monsieur le ministre, j’en profite pour vous demander à quelle date aura lieu la ratification, qui devait initialement intervenir en septembre dernier ; peut-être attendez-vous la fin des élections européennes ? – ou des autres traités de libre-échange. La nouvelle PAC ne définit pas de politique européenne en termes d’échanges avec le reste du monde : à défaut de définir des tarifs douaniers ou des règles d’importation des produits agricoles venant d’autres zones du monde, cette PAC s’inscrit dans un marché mondialisé et dérégulé.
Dès lors, je ne peux que me féliciter de la qualité du rapport conjoint de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques, qui ne se sont pas trompées. Oui, mes chers collègues, la réforme qui se profile sera un coup fatal porté à notre modèle agricole. Pour la première fois, la PAC va peu à peu être dissoute au profit des politiques agricoles nationales, variant d’un pays à l’autre, tout comme va l’être l’idéal européen, qui était de construire une destinée agricole commune.
Cet abandon se reflète d’ailleurs dans la position de la Commission européenne tout comme dans celle du gouvernement français. Lors des négociations, monsieur le ministre, vous avez mis en avant la nécessité de préserver un budget stable, ce qui est certes impératif, mais vous semblez avoir oublié que les modalités de gestion de la PAC sont tout aussi importantes et déterminantes.
Au travers d’un nouveau mode de gestion censé être moins bureaucratique, c’est l’approche uniforme, jusqu’ici en vigueur, qui est remise en cause, remplacée par des plans stratégiques élaborés par les États membres, puis validés par la Commission.
Chaque pays pourra ainsi définir des objectifs en compétition avec ceux de ses voisins, ce qui introduira de fait un risque de dumping puisque les règles environnementales, mais aussi sociales, peuvent être adaptées.
Dans cette nouvelle PAC, seuls les grandes firmes agroalimentaires et les grands acteurs de la distribution seront en mesure d’avoir des projets à dimension européenne, à grand renfort de rachats et de fusions-acquisitions. À l’opposé, nous prônons une PAC à l’échelle européenne, afin de permettre une transition vers l’agriculture paysanne et le maintien de paysans nombreux sur tous les territoires.
Face au défi climatique et alimentaire, c’est d’une PAC ambitieuse et rénovée que les Européens ont besoin, et cela implique la reconnaissance d’une exception agricole, l’exclusion du secteur agricole des accords de libre-échange et l’indispensable besoin d’une coopération fondée sur des objectifs partagés.
Nous devons sortir la PAC de cette politique productiviste mortifère. À l’inverse, les Français et les Européens dans leur ensemble veulent une agriculture favorisant les circuits courts, permettant une meilleure traçabilité des produits et favorisant de nouvelles formes de distribution.
Ce qu’ils veulent surtout, c’est une redirection des aides vers les exploitations paysannes en faveur de la transition écologique et une sortie du glyphosate et des substances nocives pour la santé.
Pour conclure, les Européens veulent non pas d’une PAC au rabais, mais d’une PAC en faveur de l’emploi paysan et d’une transition vers l’agriculture paysanne, projet qui répond aux attentes sociétales et environnementales de nos agriculteurs et des citoyens. C’est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (M. Éric Gold applaudit.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette nouvelle proposition de résolution européenne sur la réforme de la PAC reprend quelques-uns des grands principes formulés dans les deux textes que le Sénat avait successivement adoptés en 2017 et 2018, et que nous avions pour la plupart approuvés.
Pourquoi renouveler aujourd’hui une attention soutenue sur cette question ? Parce que nous mesurons, au Sénat, combien il est fondamental d’encourager une agriculture performante et durable à l’échelle européenne et de garantir l’avenir des exploitations dans nos territoires.
Est-il utile de rappeler tous les enjeux que recouvre l’agriculture ? J’ai déjà eu l’occasion de les énumérer : indépendance alimentaire, qualité des produits agricoles, santé publique, emplois non délocalisables, exigences environnementales et aménagement du territoire, sans oublier une réponse aux mutations sociétales et aux attentes des consommateurs.
Cela invite à poursuivre avec détermination notre travail d’alerte face aux difficultés, comme la volatilité des prix et les crises sanitaires et climatiques : rares sont les secteurs économiques qui cumulent autant d’aléas.
Ce contexte génère un mal-être qui pousse trop souvent nos paysans au geste fatal : un agriculteur se suicide tous les deux jours. Je ne cesserai de le répéter tant ce chiffre, qui ne fait pas l’actualité, est inacceptable. Pourtant, la filière ne ménage pas sa peine, consciente depuis bien longtemps des mutations.
De PAC en PAC, les paysans jouent le jeu de l’adaptation. Quand il a fallu produire plus dans les années 1960, ils l’ont fait. Quand on leur a demandé de produire moins avec les quotas, ils l’ont fait aussi. Aujourd’hui, on leur demande de produire mieux. Beaucoup le font déjà, et les autres attendent tout simplement qu’on leur en donne les moyens.
La PAC pour 2021 à 2027 va-t-elle dans le bon sens ? Les propositions européennes, publiées par la Commission le 1er juin 2018, donnent-elles les clefs pour une agriculture à la fois compétitive, rémunératrice et respectueuse de l’environnement ?
Les auteurs de la proposition de résolution n’ont pas caché leurs inquiétudes, et je souscris, ainsi que mes collègues du groupe du RDSE, à la plupart d’entre elles.
J’évoquerai d’abord la question des moyens budgétaires, avec, en avant-propos, une parenthèse concernant le constat alarmant sur la PAC actuelle : seulement 3 % des 700 millions d’euros dédiés au programme Leader ont été consommés. C’est un gâchis 100 % français, car nous avons un gros problème qui se résume en une simple phrase : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
M. Laurent Duplomb. Tout à fait !
M. Henri Cabanel. Les territoires ruraux font les frais d’une complexification, mais aussi d’un transfert de gestion de ces dossiers aux régions, alors que celles-ci n’y avaient pas été préparées. À un an de la perte de ce budget, la solution est urgente : simplifier les modalités d’instruction.
Sur la prochaine PAC, tout a été dit. On ne peut se satisfaire d’une baisse de 15 % des crédits par rapport au budget 2014-2020. Sans méconnaître les nouvelles priorités de l’Union européenne, l’agriculture ne doit pas devenir la variable d’ajustement.
Cette diminution est à contre-courant de ce que font les grands pays, comme les États-Unis, la Chine et le Brésil, qui renforcent au contraire les moyens qu’ils consacrent à l’agriculture, bien conscients de son rôle stratégique, sans oublier les logiques d’accaparement des terres dans lesquelles certains s’engagent aussi.
Se profile le défi alimentaire global d’un monde à 9 milliards d’individus d’ici à 2050, auquel l’Union européenne devra prendre toute sa part. Il faut nous y préparer dès aujourd’hui.
Le métier d’agriculteur est un métier d’avenir.
La question des moyens de la PAC est aussi pour chacun des États membres celle du niveau des aides que l’on peut apporter à nos agriculteurs à l’échelon local pour soutenir leurs revenus, ainsi que les transitions qu’ils doivent opérer sur leurs exploitations.
Dans le cadre de la loi Égalim, nous avons beaucoup discuté de la question des revenus, car il n’est plus admissible que les agriculteurs vivent à peine, ou plus du tout, de leur travail et se retrouvent victimes de la guerre des prix de la grande distribution.
Sur ce point, j’en profite pour saluer les avancées du projet de directive sur les pratiques commerciales déloyales, qui accentuera ce que l’on a pu déjà faire au niveau national.
Pour revenir à la PAC, je note avec satisfaction un meilleur ciblage des aides au sein de la nouvelle architecture des paiements.
En parallèle, il faut mettre en place un système très opérant de gestion des crises, ce qui implique de reconquérir les esprits au niveau européen pour que le mot « régulation » ne soit pas tabou. On se souvient de l’attentisme des institutions européennes lors de la crise du lait en 2015.
Par ailleurs, la PAC n’a de sens que si elle garantit aussi pour ses agriculteurs un cadre intra-européen de concurrence loyale.
À cet égard, la proposition de résolution insiste sur le principal écueil du nouveau mode de mise en œuvre de la PAC, qui instaure davantage de subsidiarité.
Mais la Commission est-elle prête à revoir sa copie pour éviter que ne s’instaure un dumping social ou normatif, lequel serait notamment défavorable aux exploitants qui s’engagent dans la transition agroécologique ?
J’en viens au dernier point important de la réforme : le relèvement notable des ambitions environnementales. Je suis très attaché à ce volet, sous réserve que soit respectée l’équité entre États membres.
On pourrait, par exemple, inscrire les PSE comme objectif commun.
La proposition de résolution en faveur de la création de paiements pour services environnementaux va dans ce sens. Je l’ai cosignée avec mes collègues Franck Montaugé et Jean-Claude Tissot, mais cette proposition est également soutenue par Joël Labbé, qui a d’ailleurs organisé un colloque au Sénat pour la mettre en avant.
Ce serait un juste retour des choses, pour tout ce qu’apportent à la collectivité les milliers de femmes et d’hommes qui s’investissent au quotidien dans leurs exploitations. À l’heure de l’agribashing, au lieu de stigmatiser nos paysans, il faut soutenir ceux qui ont opté pour des modes de production vertueux.
Les conclusions du rapport 2019 de l’IPBES sur la perte de la biodiversité nous obligent à une responsabilité commune, notamment dans le cadre d’une politique européenne d’agriculture durable que nous devons coconstruire avec tous les États membres. Car, aujourd’hui, nous sommes devenus concurrents, alors que la véritable menace économique vient de l’extérieur.
J’ai été récemment choqué par un reportage, diffusé le 1er mai dernier, qui montrait des agriculteurs espagnols obligés de tronçonner leurs arbres face la commercialisation d’oranges provenant d’Australie ou de Nouvelle-Zélande.
Nous sommes tous concernés et nous devrions être tous solidaires face à l’iniquité des charges sociales et des cahiers des charges concernant les modes de production, en adoptant une réelle politique commune qui lisse déjà en interne les obligations de chacun.
Enfin, je pense vraiment qu’il faut exclure les produits alimentaires des accords de libre-échange, car on ne peut absolument pas garantir une transparence sur ces produits à l’heure actuelle.
En attendant ces avancées, le RDSE approuvera la proposition de résolution européenne sur la prochaine réforme de la PAC, que nous souhaitons, d’un mot, plus ambitieuse. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jackie Pierre applaudit également.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la France, première puissance agricole de l’Union européenne, la PAC constitue un enjeu majeur : un enjeu alimentaire, un enjeu économique, un enjeu d’aménagement du territoire. Cela a été dit, nous examinons aujourd’hui une troisième proposition de résolution, les deux premières ayant été peu ou pas entendues.
À l’heure où l’Union européenne doit s’affirmer face aux pressions américaines ou asiatiques, il nous apparaît essentiel de ne pas manquer le rendez-vous de la PAC de 2020.
Cette réforme doit être à la hauteur du nouvel ordre mondial qui se dessine. Pour s’imposer, l’Union européenne doit s’appuyer sur ce qui constitue le socle de sa cohésion, la politique agricole commune, et affirmer très clairement une vision stratégique pour l’agriculture de demain.
Comment alors admettre une PAC qui s’orienterait vers une diminution de plus de 15 % des aides directes, bien au-delà des 13 milliards d’euros induits par le Brexit et qui se traduirait par des baisses importantes de revenus des agriculteurs ?
Quand nous savons qu’un tiers des agriculteurs français vivent avec moins de 350 euros par mois, ces perspectives ne sont pas acceptables, d’autant qu’elles s’inscrivent – nous le savons – dans une mondialisation et une dérégulation grandissantes des marchés, qui font peu de cas des standards européens et d’une concurrence loyale.
Monsieur le ministre, quelles sont les chances de survie de notre modèle agricole familial et extensif dans un tel contexte ? Avec, qui plus est, un risque de renationalisation des politiques et le retour en force des stratégies du moins-disant, de dumping social et environnemental, pour conquérir les marchés du voisin.
On s’interroge : où est la vision communautaire ? (M. Laurent Duplomb applaudit.) Soyons donc plus cohérents ! Nous avons voté, il y a quelques mois, une loi Égalim, qui préconise la contractualisation, le regroupement en organisations de producteurs, une montée en gamme, l’inversion de la construction du prix et une meilleure répartition de la valeur entre producteur, transformateur et distributeur.
Pour mettre en place cette loi et être cohérents, il nous faut une PAC qui protège et qui permette d’agir pour une meilleure reconnaissance et une plus juste rémunération du producteur, lui permettant de vivre dignement de son métier, mais aussi – vous l’avez dit, monsieur le ministre – d’investir, d’innover et de gagner en compétitivité agricole.
Les citoyens, les élus, les consommateurs veulent une PAC forte et ambitieuse, mais également réaliste, et non une PAC de repli face aux puissances agricoles conquérantes, américaine, asiatiques ou russe, celles-là mêmes qui semblent avoir bien saisi toute la dimension hégémonique de l’enjeu agricole dans les prochaines décennies et investissent massivement.
Ils veulent une PAC qui s’adapte sans ignorer les pratiques protectionnistes grandissantes de ces mêmes acteurs, lesquels viennent conquérir les marchés européens mais protègent les leurs. Nous concluons pourtant avec ces acteurs des accords de libre-échange portant sur nos filières les plus vulnérables, parce que les plus exigeantes en qualité – je pense notamment au piège dans lequel nous poussons nos producteurs de viande –, et ce sans respecter l’article 44 de la loi Égalim, qui interdit la vente de produits alimentaires ne respectant pas les normes de production ou de traçabilité européennes.
Avec cette nouvelle PAC, cela a été dit, c’est ni plus ni moins la subsistance du modèle d’agriculture français, mais aussi européen, familial, extensif, de qualité et de proximité, présent sur l’ensemble de nos territoires, nourrissant les populations et exportant dans le monde entier, qui est en jeu. Ce modèle crée des emplois et aménage le territoire.
C’est la raison pour laquelle le Sénat réaffirme une fois de plus, en cette période cruciale, que le rendez-vous de la réforme de la PAC ne doit pas être manqué.
Comme ses prédécesseurs l’ont fait avec succès, le Président de la République doit lui-même peser dans les négociations à venir et tracer la voie de l’agriculture européenne du XXIe siècle, compétitive et responsable.
Il faut soutenir les agriculteurs, en priorité ceux qui produisent de la qualité dans le respect de l’environnement, en favorisant, entre autres, la mise en place de paiements pour services environnementaux.
Il faut assurer la viabilité des exploitations, notamment de celles qui se trouvent dans les zones les plus défavorisées.
Il faut prôner une coopération d’un nouveau genre, avec des traités internationaux où la qualité des productions, la santé des consommateurs et le respect de l’environnement deviennent les maîtres mots.
Pour le groupe Union Centriste, qui apporte son total soutien à cette résolution, c’est ainsi que la France apportera sa contribution à une Europe agricole plus juste et plus responsable, une Europe forte qui relève les défis du XXIe siècle, faisant écho aux attentes clairement exprimées par les jeunes générations. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)