M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier le président de notre commission des finances et notre rapporteur général d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat au Sénat, puisque le Gouvernement ne l’avait pas jugé utile… Certes, ce débat est percuté de plein fouet par l’actualité, mais c’est ainsi.
En effet, monsieur le ministre, le Gouvernement est en séminaire, pour plusieurs jours, nous précise-t-on – c’est dire si la tâche est ardue ! –, afin de trouver 9 à 10 milliards d’euros, coût en année pleine des mesures annoncées jeudi dernier par le Président de la République, lesquelles s’ajoutent aux 10 milliards d’euros votés en décembre dernier.
Comment croire que toutes ces décisions n’auront pas d’impact sur la trajectoire que vous nous présentez et dont nous débattons aujourd’hui ? Je crois que personne ne le pense ici. Mais ce n’est pas tout : il y a à la fois les mesures annoncées et les déclarations du Président de la République, qui laissent perplexe. Lors de sa conférence de presse, il a en effet annoncé son intention de ne pas tenir l’objectif de suppression de 50 000 postes dans la fonction publique d’État. Quel est donc le nouvel objectif ? Quelles seront ses conséquences sur la trajectoire des finances publiques ? Nul ne le sait.
S’y ajoute une autre réforme majeure pour l’équilibre à venir de nos finances publiques : celle des régimes de retraite. Coincés par la promesse électorale de ne pas toucher à l’âge de départ, vous avez perdu des mois, et certainement la confiance des partenaires sociaux, en laissant finalement entrevoir votre point d’arrivée : un départ toujours possible à 62 ans, mais avec une décote. Ce sera d’ailleurs, manifestement, votre argument majeur : la liberté de choisir entre obtenir une pension avec décote ou travailler plus longtemps. Quel manque de courage !
Surtout, comment anticiper les effets d’un tel système sur l’équilibre du futur régime, puisqu’il dépendra de ce choix laissé aux Français ? Seule une décote importante les contraindra à travailler plus longtemps. Sur quelles hypothèses sera donc bâtie la réforme ? Quel sera son impact sur nos finances publiques ? Nous ne le savons toujours pas.
Je pourrais également parler de nos collectivités territoriales, qui depuis 2014 ont été largement mises à contribution au titre du redressement des finances publiques et qui sont – rappelons-le ici, au Sénat – les bons élèves de la classe.
Pourtant, elles sont de nouveau sollicitées par le Président de la République depuis jeudi dernier, pour l’ouverture de maisons de services publics dans tous les cantons de France et la réduction du nombre d’élèves par classe. Ces mesures impliqueront forcément des investissements et des dépenses de fonctionnement nouvelles. Or votre collègue Gérald Darmanin le déclarait ce matin sur une radio périphérique : si l’État ne réduira pas de 50 000 le nombre de ses fonctionnaires, les collectivités territoriales sont priées de bien vouloir tenir l’objectif de 70 000 postes en moins.
Comment feront-elles pour concilier tout cela ? Avec quelles ressources, puisque vous avez repoussé à l’automne la réforme de la fiscalité locale ? Elles ne le savent toujours pas.
Au total, 20 milliards d’euros de mesures nouvelles ont été accumulés depuis décembre ; certains objectifs sont clairement abandonnés ; des réformes sont annoncées, mais elles sont toujours si floues et sans calendrier précis. Dans ces conditions, comment croire en ce programme de stabilité ?
Au-delà des chiffres, le plus important est certainement l’abandon pur et simple de l’objectif de retour à l’équilibre de nos comptes publics en 2022. Il en va donc de ce quinquennat comme de celui de François Hollande, toutes proportions gardées… Moins de deux ans après son commencement, on change de politique et l’on repousse encore et toujours le retour à l’équilibre des finances publiques. En 2012, François Hollande le promettait pour 2015 : on connaît la suite. En 2017, vous le promettiez pour 2022 : c’est terminé.
Le point commun de ces deux tournants, c’est bien sûr le ras-le-bol fiscal.
Certes, monsieur le ministre, vous n’avez pas assommé les Français de 30 milliards d’euros d’impôts nouveaux, comme le fit le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, cher Claude Raynal (Sourires.),…
M. Claude Raynal. Et Sarkozy ?
M. Philippe Dallier. … mais vos choix – taxe carbone, hausse de la CSG, désindexation des retraites – ont exaspéré les Français. Sous la pression de la rue, vous voilà donc contraints de faire marche arrière, sans avoir engagé les grandes réformes de l’État, et au moment même où la croissance mondiale connaît une faiblesse.
Sur ce point, vos prévisions à la baisse semblent prudentes, mais le sont-elles assez ? Comme ce fut le cas en 2008 et 2009, la situation en Allemagne se dégrade plus vite qu’en France. Certains s’en réjouissent. Mais souvenons-nous, mes chers collègues, que cette situation est d’abord due au fait que l’Allemagne exporte beaucoup et que nos exportations sont bien moindres, ce qui est l’une de nos faiblesses.
Monsieur le ministre, vous anticipez effectivement ce ralentissement, mais n’êtes-vous pas encore trop optimiste ?
Si, dans ce contexte, les mesures de décembre et celles de jeudi dernier soutiendront opportunément la consommation et le pouvoir d’achat des ménages, elles constituent certainement – il faut en avoir conscience – la dernière cartouche de votre gouvernement, sauf à laisser s’emballer le déficit et la dette, en cas de coup dur, bien au-delà des 100 % du PIB.
Ainsi, onze ans après la crise de 2008, alors que la plupart de nos partenaires européens ont rétabli ou grandement amélioré le solde de leurs comptes publics, la France est toujours à la traîne, au moment même où les nuages s’amoncellent de nouveau. La petite phrase du Président de la République – » l’important ce n’est pas la comptabilité, mais la transformation de l’État » – est un renoncement inquiétant, qui s’apparente à un « après nous, le déluge », d’autant que, pour la transformation de l’État, nous attendons toujours de voir.
Encore une fois, il aura été démontré que les erreurs commises en début de quinquennat ne se rattrapent pas et se paient cash.
Il ne nous reste plus qu’à prier le ciel, pour que le trou d’air de la croissance ne soit pas trop violent ; pour que le prix du pétrole ne remonte pas trop ; pour que la guerre commerciale ouverte par les États-Unis trouve enfin un terme ; pour que le Brexit se dénoue sans trop de dommages ; et pour que les taux d’intérêt restent relativement bas. Que d’incertitudes !
Plus le temps passe, plus le sort de la France dépend fortement d’éléments extérieurs, plutôt que de ses propres choix. Voilà où nous en sommes, deux ans à peine après l’avènement du « nouveau monde ».
Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas considérer cette situation comme satisfaisante. Ce soir, le Sénat ne sera pas appelé à voter, et nous le regrettons ; mais, vous l’avez compris, si un vote avait eu lieu, les élus du groupe Les Républicains se seraient prononcés contre ce programme de stabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Claude Raynal. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je commencerai par relever les biais méthodologiques que subissent, dans leur construction, le programme de stabilité et le programme national de réforme qui lui est joint.
Tout d’abord – ce constat a déjà été fait –, la perspective du Brexit, si elle est évoquée, ne donne lieu à aucune simulation dans les hypothèses macroéconomiques formulées.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On ne peut rien savoir !
M. Claude Raynal. Pourtant, les travaux conduits par notre commission des finances laissent à penser qu’un « hard Brexit » pourrait se traduire par une perte de 1 point de PIB pour la France, et qu’un Brexit négocié aurait également des conséquences, tout comme un report du Brexit.
Par ailleurs – vous l’indiquez vous-même, monsieur le ministre –, le document transmis n’inclut aucune des annonces qui viennent d’être formulées par le Président de la République et qui auront un impact significatif sur les scénarii de finances publiques projetés, avec notamment la baisse des prélèvements de 5 milliards d’euros et la réindexation des retraites, en partie pour 2020, totalement pour 2021, pour 1,5 milliard d’euros au total.
En ce sens – nous le savons tous –, le document est d’ores et déjà dépassé au moment où nous nous exprimons.
Si le Haut Conseil des finances publiques a pu qualifier le scénario macroéconomique de ce programme de stabilité de crédible, je reste très réservé, pour les raisons indiquées. Du fait de cette conjoncture très particulière, il eût très certainement été opportun de solliciter la Commission européenne pour obtenir d’elle un report de quelques jours pour la remise du document, afin de prendre en compte ces éléments.
Après l’épisode du projet de loi « gilets jaunes », débattu dans des conditions pour le moins baroques, le Gouvernement réitère et transmet au Parlement un document de toute évidence très approximatif. Nous en prenons acte.
J’en viens maintenant au fond. En tant que tels, les éléments mis en avant dans le programme de stabilité ne sont pas à proprement parler originaux, mais ils méritent à certains égards d’être évoqués, car la présentation qui en est faite me semble lacunaire.
La prévision de croissance pour 2019 et les années suivantes s’établit à 1,4 % du PIB, soutenue principalement par la consommation des ménages, traditionnellement plus favorable à la France qu’à ses principaux partenaires. Si l’on peut se réjouir de cette embellie, elle ne signifie pas forcément, malheureusement et contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, que le pays se porte mieux et que l’appareil productif est relancé.
Le document s’appuie également sur une amélioration notable de la balance commerciale de la France. Néanmoins, il convient de rappeler, d’une part, que la France reste largement déficitaire en la matière, et, d’autre part, que la remontée en cours des prix du baril par rapport aux prévisions établies dans le document, tout comme l’importance accrue de la consommation des ménages, risque de conduire à une dégradation de cette balance commerciale. Monsieur le ministre, je ne peux que vous inviter à la plus grande prudence sur ce point ; je ne doute pas que vous en fassiez preuve.
Ainsi, comme le document l’établit, la demande mondiale adressée à la France devrait perdre 1 point en 2019, pour s’établir à 2,7 %. Cette décélération, plus marquée que celle du commerce mondial, témoigne des risques pesant sur le solde commercial du pays. Les prévisions d’amélioration de ce solde à partir de 2019 et 2020 m’apparaissent, en ce sens, très hypothétiques.
En matière de croissance, il convient également de noter les aléas frappant le programme de stabilité, liés aux difficultés tant européennes – Brexit, montée de l’euroscepticisme et du populisme – que mondiales, qui jouent sur le commerce. Ainsi, comme le note le document, « les perspectives d’investissement des entreprises françaises demeurent soumises à un aléa » : comme c’est bien tourné ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
C’est dans cette perspective qu’il faut envisager les mesures de pouvoir d’achat prises, sous la contrainte, je le rappelle, alors que le groupe socialiste et républicain du Sénat, et même la Haute Assemblée dans sa quasi-totalité vous y avaient appelés des semaines plus tôt, en décembre dernier.
Je ne peux que me satisfaire de mesures qui accroissent le pouvoir d’achat et reviennent pour partie sur vos politiques profondément inégalitaires. Ainsi, il est amusant de lire : « La consommation des ménages serait fortement soutenue en 2019 par les mesures de soutien au pouvoir d’achat, notamment celles décidées en décembre. » Pour un peu, on croirait à une volonté politique, et non à ce qui fut une retraite en désordre face au mécontentement de la rue !
Toutefois, à ce stade du moins, cette action est menée au détriment des finances publiques, dans la mesure où les dispositions annoncées ne sont, à ce jour, que très imparfaitement financées. Ce n’est pas la taxe sur les services numériques, qui sera soumise à notre examen le mois prochain, qui permettra de trouver 11 milliards d’euros par an, auxquels s’ajoutent les montants liés aux dernières décisions, pour un total proche de 20 milliards d’euros.
Ce constat me conduit à évoquer le déficit public, qui est annoncé pour 2019 à 2,5 % du PIB.
Monsieur le ministre, je note votre acharnement à ne plus intégrer dans ce calcul le doublement du CICE pour l’année 2019. Mais je vous rappelle quand même que, en politique comme ailleurs, les décisions prises ont des conséquences : refuser d’assumer cette mesure et de l’inclure dans vos calculs ne la rend pas moins coûteuse pour les finances publiques. De plus, même si elle est ponctuelle, elle fait de la France le seul pays européen à se situer cette année au-delà des 3 % de déficit public. Encore bravo !
J’avais déjà évoqué le sujet l’an dernier, et je vous pose de nouveau la question : quel objectif vous étiez-vous initialement fixé en matière de progression de la dépense publique ?
Je me souviens : vous aviez pris pour engagement 0 % de progression en volume des dépenses publiques sur toute la durée du quinquennat. Certes, en 2018, une inflation particulièrement élevée a permis d’y arriver. Mais je note que, à l’échelle du quinquennat, l’ambition est passée de 0 % en volume en moyenne à 0,2 %, toujours en moyenne, et que nous commençons par 0,4 % cette année, ce qui augure mal de votre capacité à tenir cet engagement.
De plus, je rappelle une nouvelle fois que le gouvernement Philippe n’a rien engagé de neuf depuis deux ans. Il se contente de poursuivre une démarche vertueuse amorcée durant le quinquennat précédent (Exclamations amusées sur plusieurs travées.),…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Oh, ce n’est pas vrai !
M. Philippe Dallier. On l’attendait !
M. Claude Raynal. … et même sous le quinquennat Sarkozy – vous voyez si je vais loin ! (Mêmes mouvements.) J’avais d’ailleurs eu l’occasion de l’indiquer le 18 avril 2018, lors du débat sur le précédent programme de stabilité.
Durant le quinquennat précédent – je m’arrêterai là –, le déficit a diminué de 2,4 points de PIB, avec une croissance de 1 % en moyenne.
M. Philippe Dallier. Sous Sarkozy, la croissance était à 2 % !
M. Claude Raynal. Vous nous présentez une diminution de 1,6 point avec une croissance moyenne supérieure de 50 %. Sur ce plan, comme sur beaucoup d’autres, vous faites donc largement moins bien que vos prédécesseurs.
Au contraire, loin d’être plus vertueuses que celles des gouvernements précédents, vos politiques ont accru les inégalités. Les allégements d’impôts et de taxations décidés pour le premier décile de la population, voire pour le premier centile, accroissent les disparités et contreviennent à votre objectif de rééquilibrage des comptes publics, sans que les études disponibles montrent un véritable différentiel en matière d’investissement, qui serait le fait de votre action.
Ainsi, le document présenté indique à juste titre : « L’investissement des entreprises continuerait de croître à un rythme élevé dans le prolongement de ce qui est observé depuis 2015. » J’attends d’ailleurs avec impatience l’aboutissement des travaux du Sénat en la matière. Je ne doute pas que vous aurez alors la lucidité de réorienter votre politique.
La seule certitude dont on dispose, c’est que les très riches ont été les grands gagnants de votre politique fiscale. Quant aux prévisions à plus long terme, il me semble risqué, du fait des grandes incertitudes macroéconomiques et politiques de la période, de donner trop de crédit à des prévisions n’intégrant que de manière marginale ces risques. J’observe cependant que, comme souvent, les deux dernières années du programme sont celles des plus gros efforts… Prière d’y croire !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ah, ça…
M. Claude Raynal. Pour nous éclairer, rappelons que, l’année dernière, le programme de stabilité prévoyait un solde public nominal de -0,9 % en 2020. Cette année, vous nous parlez de -1,2 % en 2022.
Enfin, le document évoque la problématique de la gouvernance budgétaire et la juge « pleinement opérationnelle ». Or le Parlement travaille bien souvent sur la base d’hypothèses mal assurées, voire de mesures non évaluées, et les éléments statistiques utiles ne sont pas toujours transmis aux parlementaires, par exemple en matière d’évaluation des dépenses fiscales.
J’aurais pu évoquer en détail le programme national de réforme annexé, mais l’heure tourne : je serai donc extrêmement bref.
Comme le programme de stabilité, ce document n’intègre pas les suites données au grand débat national par le Président de la République : on ne peut que le regretter.
Dans sa construction, il part du postulat que la France souffre de faiblesses structurelles en matière d’emploi, de travail et d’insertion, ce malgré un taux de prélèvements obligatoires très élevé et un modèle social coûteux, qui permet de contenir les inégalités, mais pas de les corriger.
Je tiens à le dire clairement : toutes les analyses macroéconomiques publiées permettent d’affirmer que les inégalités dans notre pays, si elles tendaient à se résorber durant le quinquennat précédent, progressent de nouveau, du fait notamment des allégements de la fiscalité pesant sur les plus fortunés. Le symbole de cette orientation, assumée politiquement par le Gouvernement, est sans conteste la suppression de l’ISF. Mais j’aurais également pu évoquer la tentative d’élargissement de la niche dite « Copé », ou encore la suppression de l’exit tax, votée dans le cadre de la dernière loi de finances.
Pourtant, on peut penser qu’une solution réside dans une meilleure répartition de la charge fiscale dans notre pays,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Et l’augmentation de l’impôt sur les sociétés, c’était une bonne idée ?
M. Claude Raynal. … dans la mise en place d’une redistribution accrue et plus pertinente et dans le maintien d’un haut niveau de service public, lequel constitue un avantage comparatif hors coût significatif pour la France sur le plan international ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai retenu de mes années étudiantes que tenir compte des remarques du correcteur permettait de progresser pour le devoir suivant. Assez naturellement, j’ai donc relu l’évaluation du 25 mai 2018 du Conseil européen portant sur le programme national de réforme de la France pour 2018 et sur le programme de stabilité de la France pour 2018.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
Mme Christine Lavarde. Ledit Conseil formule trois recommandations à l’élève France pour améliorer ses performances macroéconomiques.
La première a particulièrement retenu mon attention : « Veiller à ce que le taux de croissance nominale des dépenses publiques primaires nettes ne dépasse pas 1,4 % en 2019,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Raté !
Mme Christine Lavarde. … ce qui correspondrait à un ajustement structurel annuel de 0,6 % du PIB » ; « utiliser les recettes exceptionnelles pour accélérer la réduction du ratio d’endettement public » ; « réduire les dépenses en 2018 et pleinement préciser les objectifs et les nouvelles mesures nécessaires dans le contexte de l’Action publique 2022, afin qu’ils se traduisent en mesures concrètes de réduction des dépenses et de gain d’efficience dans le budget 2019 » ; et « uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite pour renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes ».
Monsieur le ministre, vous ne serez pas étonné que, en tant que représentant du Sénat au sein du comité Action publique 2022, je me sois particulièrement intéressée à la déclinaison opérationnelle du chantier de transformation de l’action publique.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il a fait pschitt !
Mme Christine Lavarde. Vous devez également savoir à quel point j’ai été déçue par le résultat et la conduite de ces travaux, alors même que je m’étais engagée avec enthousiasme dans la démarche.
Je note que les termes « Action publique 2022 » ne figurent nulle part dans le programme de stabilité de la France pour 2019, alors que le document d’avril 2018 leur accordait dix mentions, ainsi qu’un encadré aux pages 48 et 49.
Dans le programme national de réforme 2018, Action publique 2022 était la source des réponses au deuxième axe du quatrième défi, « transformer l’État et restaurer l’équilibre de nos finances publiques ».
Dans la version 2019 de ce programme, si l’on en croit le tableau de la page 124, l’action de transformation est en marche : « transformation des administrations centrales, déconcentration, refonte du cadre de gestion publique, nouveau contrat social, mise en place d’un suivi de l’exécution à haut niveau, révision de la gestion du parc immobilier de l’État, nouveaux services publics de proximité sur le territoire »… soit « 75 % des recommandations du comité Action publique 2022 », du moins, vous me permettrez de le préciser, après intervention de la direction interministérielle de la transformation publique dans l’écriture du rapport final.
À cette même page 124, on peut lire : « Les transformations issues d’AP 2022 vont notamment se traduire par des baisses du nombre d’emplois publics, déjà mises en œuvre par les lois de finances pour 2018 et 2019. » Cette affirmation ne manquera certainement pas d’étonner les analystes de la Commission européenne, car elle apparaît en décalage avec la réalité, comme l’a révélé, données chiffrées à l’appui, l’iFRAP.
En effet, la baisse annoncée de 4 164 postes en équivalents temps plein coïncide avec une augmentation du plafond d’emplois cumulé de l’État et de ses opérateurs de 1 322 postes entre 2018 et 2019. Dans le même temps, certains postes sortent de l’emploi public sans être supprimés pour autant, par la simple transformation d’un opérateur en établissement public à caractère industriel et commercial, ou EPIC.
Lors de sa conférence de presse de jeudi dernier, le Président de la République a d’ailleurs fait preuve de réalisme, en se disant « prêt à lever » son objectif de réduction de 120 000 du nombre de fonctionnaires – promesse de campagne ! –, s’il n’était pas tenable au regard de la sortie du grand débat.
Les effets annoncés du programme Action publique 2022 ne sont pas là : entre les versions 2018 et 2019 du programme de stabilité, la baisse des dépenses publiques est moindre de 42 milliards d’euros. En douze mois, l’excédent de 0,3 point de PIB, soit 7,9 milliards d’euros, en 2022 a laissé place à un déficit de 1,2 point. Avant même les dernières annonces du Président de la République, la baisse de la dépense s’est donc dégradée de 1,5 point de PIB.
Monsieur le ministre, comment votre gouvernement va-t-il donc financer les moindres recettes et les nouvelles dépenses évoquées jeudi soir, dont le coût avoisine les 10 milliards d’euros ?
Il ne vous a pas échappé que, pour la maîtrise de la dépense publique, les efforts annoncés dans le programme de stabilité sont très loin d’être suffisants : l’effort structurel n’est que de 0,1 point en 2019, et il s’établit entre 0,2 et 0,3 point jusqu’en 2022. Nous sommes donc très loin de l’objectif, fixé par Bruxelles, de 0,5 point.
En juillet 2017, vous aviez pourtant posé le bon diagnostic, en déclarant : « Depuis vingt, trente ans, la France est droguée à la dépense publique. C’est une prison qui va peser sur les générations futures. »
Ces générations, ce sont celles de mes enfants et de mes petits-enfants. Je m’en sens donc responsable. Au cours des vingt dernières années, dans seize pays de l’Union européenne, la diminution des dépenses publiques a été supérieure à 3 points de PIB potentiel sur cinq ans. Un tel effort est donc réalisable. C’est la voie dans laquelle nous devons nous engager pour atteindre les objectifs de la stratégie Europe 2020, pour une croissance économique « intelligente, durable et inclusive ».
À cette fin, des choix courageux s’imposent : il s’agit, par exemple, de dire aux Français qu’ils devront travailler plus longtemps ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, les précédents orateurs l’ont souligné : par un hasard du calendrier, nous débattons du programme de stabilité au moment même où le Gouvernement est réuni en séminaire – monsieur le ministre, je vous remercie d’autant plus de votre présence.
Ce qui nous frappe, c’est sans doute l’importance des choix qui sont devant nous collectivement, qu’il s’agisse du Gouvernement ou des représentants de la Nation. Il nous faut retisser le lien social, reconstruire la cohésion sociale, qui, dans notre pays, est fragmentée, voire atomisée. Nous devons également consolider une crédibilité financière que nos partenaires européens nous dénient parfois.
J’en ai la conviction : nous ne devons pas perdre le fil de la nécessaire amélioration de nos comptes publics. Au-delà du programme de stabilité, nous devons tenir compte des annonces faites par le Président de la République au cours de sa conférence de presse et des suites que nous devinons, ou que nous tentons de deviner, au travers des intentions du Gouvernement.
Cela étant, le document qui nous est soumis contenait des prémices : à cet égard, je vois non pas de rupture, mais plutôt un approfondissement – dans le sens de la dépense, diront certains –, dans les mesures annoncées par le Président de la République, avec, bien sûr, des inflexions.
Monsieur le ministre, la soutenabilité financière de cette politique pose question. À ce titre, je tiens à dire quelques mots de la stratégie globale : c’est bien de cela qu’il s’agit. En effet, la croissance faiblit en France – moins qu’ailleurs en Europe, certes, mais elle faiblit tout de même. Votre programme de stabilité prend acte de cet élément, et il en tire diverses conséquences.
Premièrement, le retour à l’équilibre des finances publiques est retardé. Jean Pisani-Ferry l’a déclaré hier à un grand journal du dimanche : en ajoutant au programme de stabilité transmis les mesures annoncées par le Président de la République, on atteint 30 milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires et de moindres recettes. Ce chiffrage inclut la suppression de la taxe d’habitation. Or, à ce stade, le Gouvernement n’annonce que 10 milliards d’euros d’économies et de recettes nouvelles. Ce montant comprend les 5 milliards d’euros de réduction des niches fiscales. Si l’on s’en tient à ce chiffrage, il y aurait donc 20 milliards d’euros à trouver, soit 1 % du PIB.
Deuxièmement, je m’interroge quant à la nature de la politique suivie. Jusqu’à présent, il s’agissait clairement d’une politique de l’offre. On peut comprendre que des ajustements conjoncturels aient été nécessaires, et – M. le rapporteur général l’a rappelé –, le Sénat les a votés pour ce qui concerne la première partie en décembre dernier.
Toutefois, si, au titre de ces ajustements, des dépenses nouvelles semblent inévitables, prenons garde à ne pas passer à une politique de la demande : l’on risquerait de basculer vers une politique du pouvoir d’achat et du déficit. Le choc du pouvoir d’achat, si choc il y a, peut avoir des effets positifs, mais la dette, comme les erreurs, finit toujours par se payer. En résumé, si une prise de risque est nécessaire, elle suppose que la conjoncture tienne et que les mesures prises aient un effet vertueux sur l’emploi, avec les conséquences économiques et financières que l’on pourrait en attendre.
Je ne crois pas que la réduction des déficits puisse s’accommoder durablement d’une moindre baisse du nombre de fonctionnaires. Viser une réduction de la dépense publique sans une baisse significative du nombre de fonctionnaires revient même, à mon sens, à poser une équation impossible.
Troisièmement et enfin, j’évoquerai la réduction des impôts. Bien sûr, elle est souhaitable – chacun le sait, la France bat des records d’imposition –, à condition toutefois que les baisses accordées à certains n’impliquent pas des augmentations pour d’autres catégories. La réduction des niches des entreprises est une voie ; mais, même si l’instabilité sociale est pire encore que l’instabilité fiscale, veillons à préserver la stabilité fiscale pour les entreprises.
L’hyperconcentration fiscale semble s’accentuer de plus en plus. La réforme fiscale sera donc, demain, une nécessité.
En résumé, deux marqueurs s’imposent pour l’avenir : la réforme de l’État et l’âge de la retraite. Les deux sujets sont posés. Pour ce qui concerne l’âge de la retraite, les termes du débat sont connus. La réforme de l’État est, à mon sens, la question essentielle.
Je conclurai en formulant une mise en garde quant au risque d’augmentation des taux d’intérêt : si les États-Unis modifient leur politique d’endettement, ce danger sera réellement devant nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – MM. Jean-Claude Requier et M. Michel Vaspart, ainsi que M. le rapporteur général de la commission des finances, applaudissent également.)