Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. « La dénomination “Collectivité européenne d’Alsace” a disparu ; vive le département d’Alsace ! » C’est ainsi que pourrait s’intituler la chronique d’une mort annoncée.
Non, nous ne voulons pas d’un simple « département d’Alsace », qui ne correspond pas au mandat que les Alsaciens nous ont confié ! Le « désir d’Alsace », porté par les deux présidents des conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, a conduit le Gouvernement à exprimer une volonté d’accompagnement qui nous semblait pourtant claire. Mais était-elle aussi explicite et aussi volontariste ? J’ai encore la faiblesse de le croire.
L’accord signé à l’hôtel de Matignon, arraché aux forceps au Gouvernement, a créé la Collectivité européenne d’Alsace, le 29 octobre dernier. Cette collectivité doit être dotée de compétences élargies, supradépartementales, dans les domaines dans lesquels l’Alsace excelle ou doit se renforcer, comme la coopération transfrontalière, le tourisme, le bilinguisme ou la mobilité. Fin de l’acte Ier.
Il nous fallait attendre les deux délibérations concordantes des conseils départementaux, puis le décret en Conseil d’État, et enfin le texte de loi ; c’est chose faite. Fin de l’acte II.
Mes chers collègues, nous allons écrire ensemble l’acte III d’un événement historique qui pourrait se terminer en drame ou en espoir pour les Alsaciens, les citoyens et les élus, tous unis pour défendre le même objectif.
Mais loin de moi une démarche de repli ! Nous voulons assurément que l’expérience alsacienne puisse être transposable, pour ce qui concerne certaines de ses compétences élargies et renforcées, à d’autres territoires.
Je ne reviendrai pas sur les sondages, les pétitions, les mobilisations ou les délibérations prises en conseil municipal. Toutes ces actions ont conduit à construire et à réitérer le désir d’Alsace. Des milliers d’Alsaciens se sont exprimés.
À cet appel, nous devons répondre par une action construite, institutionnelle et efficiente dans les domaines qui ont été déclinés dans l’accord de Matignon.
À cet instant, je veux remercier tout particulièrement Mme la rapporteur, Agnès Canayer, de son écoute, de sa grande disponibilité et de son souci permanent d’accompagner ce texte jusqu’à la fin du parcours législatif dans les meilleures conditions possible. Je la remercie également d’avoir repris à son compte quelques-uns de mes amendements.
Le texte de loi est un premier pas dans la bonne direction. Mais il ne va évidemment pas assez loin.
Les coopérations transfrontalières doivent être renforcées. Je proposerai donc un amendement tendant à ce que la collectivité soit chargée d’organiser les modalités de mise en œuvre du schéma alsacien de coopération transfrontalière.
En matière de mobilité, l’Alsace doit pouvoir se battre à armes égales avec l’Allemagne contre le trafic insupportable des poids lourds, notamment en instaurant des contributions spécifiques qui pèseront sur les usagers des routes concernées.
De plus, le texte doit prévoir la prise en charge par l’État des éventuels surcoûts des opérations de travaux inscrites au contrat de plan État-région 2015-2020 et transférées à la collectivité en 2021.
S’agissant du tourisme, de nouvelles prérogatives sont nécessaires. Je pense notamment à la possibilité donnée à la collectivité de coordonner sur son territoire la politique du tourisme.
Enfin, si deux collectivités vont fusionner pour devenir une collectivité unique, originale, il n’est nullement question de fusion des deux entités administratives, même si le Gouvernement a exprimé un engagement en ce sens. Je vous présenterai donc un amendement tendant à conforter la pérennité de la préfecture du Haut-Rhin comme chef-lieu de la nouvelle collectivité. (Exclamations.) Je vous rappelle qu’il en fut de même pour la région Grand Est et Strasbourg ; personne ne s’en est ému. Mon amendement ne fixera en rien le siège à Colmar, la collectivité restant totalement libre de son choix.
Mes chers collègues, après tant d’attentes et d’espoirs déçus pour les Alsaciens, ce texte se doit d’être ambitieux. Je suis convaincue que nous y contribuerons tous ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy-Dominique Kennel.
M. Guy-Dominique Kennel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi un instant de revenir en 2013. Nous proposions alors de créer une vraie région Alsace, regroupant les compétences de la région et des deux départements, avec des conseillers territoriaux pour élus. C’eût été, j’en suis persuadé, la meilleure formule pour notre territoire et pour bien d’autres.
Malheureusement, le référendum ne fut pas concluant. Ce fut pour moi un échec douloureux ! Mais rien n’étant jamais définitif, l’espoir revint le 22 janvier 2018, par le biais de la lettre de mission du Premier ministre demandant au préfet, M. Jean-Luc Marx, de mener une réflexion sur l’évolution des deux départements alsaciens.
Espoir donc à la lecture du rapport très fouillé de M. Jean-Luc Marx, dont je vous livre quelques extraits. Premièrement : « l’Alsace s’est forgé une identité propre au cœur de l’Europe ». Deuxièmement : « Depuis la création, au 1er janvier 2016, de la région Grand Est, il n’existe plus de collectivité territoriale d’Alsace. » Troisièmement : « Au-delà des interrogations sur l’avenir administratif du territoire, le “désir d’Alsace” dépasse le registre institutionnel. » Quatrièmement, et c’est le point qui me semble le plus important : « une simple addition des deux départements serait mal comprise […] un véritable projet de territoire […] pourrait se traduire par l’attribution de compétences nouvelles. »
Espoir encore, madame la ministre, lorsque, à la suite de ce rapport, vous avez organisé, avec vos services, de multiples réunions, aussi bien dans votre ministère qu’à l’occasion de nombreux déplacements en Alsace, ce dont je vous sais gré ! Vous connaissez par ailleurs la sympathie que je vous porte depuis bien longtemps.
Espoir enfin, lorsque vous annonciez la volonté du Gouvernement de conclure cette démarche par une déclaration commune suivie d’un projet de loi.
Mais l’espoir a rapidement cédé la place au doute le 29 octobre 2018, à la lecture de la déclaration de Matignon, que j’ai qualifiée le soir même, de « légère, voire transparente » ; elle reporte l’essentiel en 2021.
J’ai également des doutes sur la volonté du Gouvernement d’aller au-delà de la fusion des deux départements et de répondre réellement au fort et légitime « désir d’Alsace ».
Finalement, à la lecture du projet de loi dont nous allons débattre, le doute a disparu, au profit, malheureusement, de la déception !
Je ne m’attarderai pas sur la dénomination de cette nouvelle collectivité, dite européenne, car transfrontalière. La France étant européenne, toutes les collectivités le sont !
Oui, déception quant à la notion de chef de file à propos de l’action transfrontalière. Vous la bridez par de nombreux critères, à tel point que la nouvelle collectivité organisera peut-être, mais n’aura aucune compétence à décider. Gérer les fonds européens, par exemple, eût été une réelle compétence à lui confier.
Déception encore, en constatant que le seul et réel transfert de compétence proposé est en réalité un transfert de charge à moyen et long termes. Je veux parler des routes nationales et des autoroutes non concédées. La charge nette est d’au moins 50 millions d’euros, compensation déduite. Belle opération de générosité de l’État à son propre égard !
Déception aussi quant aux autres compétences évoquées dans le projet de loi. Elles ne sont ni nouvelles ni renforcées, puisqu’elles existent déjà et sont exercées par ailleurs, qu’il s’agisse de la politique en matière de bilinguisme, du tourisme ou du sport.
Déception enfin de constater que trop de mesures seront prises par voie d’ordonnance, alors qu’elles pourraient être utilement précisées dans la loi.
Madame la ministre, j’ai salué votre qualité d’écoute. Je vous exhorte à entendre pareillement la demande des Alsaciens en répondant positivement aux amendements de la commission des lois. Je salue d’ailleurs notre excellente collègue Agnès Canayer, rapporteur sur ce texte.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Guy-Dominique Kennel. L’Alsace souhaite non pas se singulariser, mais être une nouvelle fois terre d’expérimentation au profit de tous, comme elle l’a toujours été.
Mme la présidente. Veuillez conclure !
M. Guy-Dominique Kennel. La France est riche de ses diversités : se sentir savoyard, basque, berrichon, corse ou alsacien, c’est avant tout se sentir français, et être fier de sa région ! Madame la ministre, l’Alsace vaut mieux, la France vaut plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jacques Bigot. Cher Guy-Dominique Kennel, l’Alsace aussi est riche de sa diversité ; il arrive qu’il y ait un socialiste en Alsace ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.) Certes, il s’exprime ce soir entre plusieurs membres du groupe Les Républicains, pour exhorter à rechercher une synthèse et à essayer de trouver un point d’accroche. En examinant ce texte, nous devons faire preuve d’exigence en matière de décentralisation à l’égard du Gouvernement.
J’entends le « désir d’Alsace ». Il est logique. Nous parlons d’une vallée rhénane de quasiment 2 millions d’habitants, sur un territoire relativement restreint. Il est évident que les Alsaciens peuvent ressentir le besoin d’exister. D’ailleurs, ils existent, mais pas forcément ainsi que vous les décrivez.
Lorsque les Alsaciens se sont exprimés en 2013, ils n’ont, me semble-t-il, pas réussi telle synthèse. Je le rappelle, le département du Haut-Rhin a voté contre le projet de regroupement en une seule région, et le débat sur la place respective de Colmar et de Strasbourg – il faut peut-être évoquer aussi celle de Mulhouse – était déjà vif ; parfois, il faut trouver des accords.
Le vrai problème des Alsaciens vis-à-vis du Grand Est, mais c’est vrai aussi pour d’autres régions, se pose en ces termes : s’agit-il d’une véritable décentralisation ou d’un moyen pour l’État d’opérer une recentralisation ?
Nos concitoyens réclament de la proximité. Je le rappelle, les grandes régions que nous avons adoptées étaient déjà prônées dans les rapports Mauroy, Balladur et Raffarin-Krattinger, ce dernier rapport recommandant par exemple de réduire le nombre de régions françaises à dix ou onze. Mais lorsque nous avons adopté ce projet, nous n’avons jamais dit qu’il ne devait y avoir qu’une seule agence régionale de santé, une ARS, ou qu’un seul rectorat dans le Grand Est ; d’ailleurs, M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse étudie la possibilité d’avoir trois rectorats dont l’un chapeauterait les deux autres.
Ce que réclament nos concitoyens, c’est de la proximité sur les territoires. M. Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, a déclaré aujourd’hui dans Les Échos qu’il faudrait faire une loi des territoires. Mais est-ce que cela garantira la proximité sollicitée par nos concitoyens ?
La fusion des départements, à laquelle je suis favorable, est décidée par les deux conseils départementaux ; elle permet effectivement à l’Alsace d’exister en tant que département. Dès lors, pourquoi s’accrocher au nom ? En fait, si vous vous y accrochez, c’est parce qu’il y a une forme de tromperie.
Mme Catherine Troendlé. Sûrement pas !
M. Jacques Bigot. Certains Alsaciens – Guy-Dominique Kennel vient de le rappeler – souhaitaient une collectivité à statut particulier ; je pense qu’André Reichardt, auteur d’un amendement en ce sens, le confirmera dans quelques instants. (M. André Reichardt acquiesce.)
Mais si on veut une collectivité à statut particulier, il ne faut pas l’appeler « Collectivité européenne d’Alsace ». Madame la rapporteur, je vous remercie d’avoir, à l’issue de votre excellent travail, reconnu qu’il s’agissait simplement d’un département. Faut-il dès lors l’appeler autrement que « département » ? On peut se poser la question, mais ce n’est pas le sujet.
Soyons clairs à l’égard de nos concitoyens : disons-leur que c’est la fusion des deux départements. Au demeurant, madame la ministre, la Direction générale des collectivités locales, la DGCL, devra un jour traiter un problème. Nous aurons à la fois deux départements qui correspondent à des circonscriptions administratives d’État, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, et le département qui correspond à la désignation d’une collectivité territoriale. Cela va créer de la confusion et des incompréhensions.
Mais, comme l’a souligné le Conseil d’État, cela ne justifie pas le terme « Collectivité », encore moins ceux de « Collectivité européenne ». À la limite, on pourrait envisager de garder l’adjectif « européenne » si, à l’issue du débat, le département d’Alsace avait une véritable compétence transfrontalière, d’ailleurs indispensable – depuis Paris, on voit les choses de manière hexagonale. Avoir une compétence transfrontalière, c’est pouvoir discuter et négocier directement avec le Land voisin, qui a des compétences.
Je vous propose de permettre au département d’Alsace de négocier directement des échanges d’enseignants avec les Länder qui engagent des enseignants. Je vous propose de faire un schéma régional transfrontalier en matière de santé, là où l’ARS le refuse : du point de vue de cette dernière, il faut s’occuper des hôpitaux jusqu’aux frontières ; ce qui se passe de l’autre côté du Rhin n’a aucun intérêt. Je vous propose de permettre au département de faire une programmation pluriannuelle.
Mes chers collègues, si nous réussissons à donner aux Alsaciens ce département avec quelques compétences nouvelles qui seront peut-être utiles pour d’autres départements frontaliers, nous aurons réussi. Ayons donc ce débat sur la décentralisation au lieu de nous battre sur un nom qui va tromper les Alsaciens ; je pense qu’il faut leur dire la vérité. Ce que nous avons réussi est un pas, un petit pas. Mais le grand pas que nous devons à tous les Français, c’est une vraie décentralisation ; celle-là, nous ne l’avons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, autant être clair tout de suite : la Collectivité européenne d’Alsace est une mauvaise réponse à une bonne et vraie question. Car même si ce projet de loi est censé mettre en œuvre la déclaration de Matignon du 29 octobre dernier, les Alsaciens, dans leur immense majorité, n’ont jamais demandé la nouvelle structure territoriale qu’on leur propose ! Ils ont dit ce qu’ils revendiquent dans trois sondages successifs réalisés sur les deux dernières années, à savoir, pour plus de 83 % d’entre eux, une collectivité territoriale disposant des pouvoirs de leur ancienne région Alsace et, pour 66 %, une sortie de la région Grand Est !
En d’autres termes, dès l’origine, ils ont fait partie de ces Français qui n’ont pas accepté le découpage totalement arbitraire et absurde des nouvelles régions, ainsi que la loi NOTRe qui a suivi.
Leur souhait à ce jour reste le même : revenir à la raison, grâce au retour à des collectivités régionales qui ont un sens en termes d’identité, d’espace et de projet. Ce serait pour eux, ce serait pour nous, ouvrir un nouvel acte de la décentralisation dans notre beau pays, la France !
Aujourd’hui, on leur propose de fusionner leurs deux départements en un, avec les seules compétences départementales, auxquelles on ajoute un unique transfert de la part de l’État, celui des routes non concédées et des autoroutes situées en Alsace. Autant dire que cette proposition ne les satisfait pas : ils entendent à tout le moins que d’autres compétences significatives soient ajoutées. Ce sera l’objet d’amendements qui vont être examinés tout à l’heure.
Ce qui est au moins aussi grave, c’est que malheureusement ce texte suscite des incompréhensions dans les deux autres anciennes régions du Grand Est, en premier lieu chez nos collègues et amis de ces territoires, et qu’il divise, au lieu de rassembler sur les objectifs d’une vraie décentralisation que nous sommes nombreux dans cet hémicycle à appeler de nos vœux.
In fine, il ne satisfait personne ! Sans compter que sur le plan juridique, le projet de loi soulève un certain nombre de questions que le Conseil d’État n’a pas manqué de relever, mais que le Gouvernement a décidé d’ignorer.
La Haute Assemblée peut-elle sortir de ce débat par le haut ? À mon sens, oui, si elle voit dans la satisfaction du désir profond des Alsaciens une sorte de galop d’essai d’un acte III de la décentralisation pour notre pays. Il faut faire droit, mes chers collègues, à divers amendements déposés par les sénateurs d’Alsace, le premier d’entre eux visant à la reconnaissance dans cette Collectivité européenne d’Alsace d’une collectivité territoriale à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution.
Dès lors que ce statut lui aura été reconnu, des compétences spécifiques à son territoire, même si elles ne devaient s’exercer qu’à titre de chef de file, peuvent et pourront lui être dévolues. Ce serait un signe fort manifesté par le Sénat en faveur de la respiration de nos territoires. Cela pourrait incontestablement inspirer d’autres expériences dans notre pays.
Le Sénat, chambre des territoires, y est-il prêt ? Ces trois jours de débat nous le montreront. Mes chers collègues, nous avons là une occasion à ne pas manquer !
Mme la présidente. La parole est à M. François Grosdidier.
M. François Grosdidier. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, comme je l’ai dit en soutenant la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, ce projet de loi est une mauvaise réponse à de bonnes questions. Je pense à la question du « désir d’Alsace ». Mais il existe en France d’autres désirs de reconnaissance d’identités territoriales ou régionales tout aussi légitimes. Je pense aussi à la question du besoin de décentralisation, de subsidiarité et de proximité.
La réforme mettant en place le conseiller territorial conservait la proximité avec l’élection cantonale, simplifiait et faisait économiser en supprimant les doublons entre le département et la région. Elle respectait la subsidiarité en permettant d’exercer chaque compétence à l’échelon le plus pertinent. Son abolition avait conduit le gouvernement socialiste à constituer d’immenses régions dont beaucoup – c’est le cas de celle du Grand Est – n’étaient souhaitées par personne.
L’actuel gouvernement aurait pu revenir sur cette décision et reprendre l’idée du conseiller territorial. Il a décidé de maintenir ces grandes régions. Il est vrai que tous sont fatigués des réformes de structure, de l’intercommunalité à la région. Elles accaparent les élus au détriment de leur mission, qui est d’abord de s’occuper des problèmes des citoyens et de soutenir des projets concrets. Or, quand on est accaparé par soi-même, on n’a pas le temps de s’occuper des autres.
Mais ces grandes régions ne pourraient avoir un sens qu’avec des compétences et des moyens. Le président François Hollande prétendait les bâtir sur le modèle de celles de nos voisins européens. Pourtant, ailleurs en Europe, les régions ne sont pas nécessairement grandes. Le Land de la Sarre, voisin de mon département, la Moselle, compte moins d’habitants que celui-ci, mais le budget par habitant est dix fois plus important que ceux de la Moselle et de la région réunis !
Ces grandes régions ne pourraient avoir un sens que par le transfert massif des compétences non régaliennes de l’État, avec les moyens correspondants. Mais voilà, l’État ne lâche pas prise.
L’État, qui est en difficulté, pour ne pas dire en faillite, quant à ses missions régaliennes, si l’on en juge par l’état matériel des armées et de nos forces de sécurité intérieure, et pire encore de la justice – juridictions et administration pénitentiaire –, aurait tout à gagner à se concentrer sur le régalien. Or il ne lâche pas prise, y compris sur les compétences déjà décentralisées.
Son rôle devrait se limiter à l’édiction des normes, comme pour l’Europe, et au contrôle juridictionnel. Or il cherche toujours à régenter la mise en œuvre des compétences décentralisées.
Il n’y a plus de doublons entre les collectivités territoriales, mais il y a systématiquement doublon entre l’État et les collectivités. Une commune ou un EPCI ne peut pas faire un plan local d’urbanisme, un PLU, sans qu’un fonctionnaire de la direction départementale des territoires, la DDT, ne vienne lui expliquer où placer telle zone et comment la classer !
Les départements ne sont pas libres dans l’exercice de leurs compétences sociales, mais ils sont les agents d’exécution de la technostructure d’État, et ce, à la lettre. Idem pour les régions en matière de formation.
L’État devrait aussi et surtout transférer ses compétences non régaliennes aux régions : le service public de l’emploi, celui de l’orientation, l’environnement, les routes encore nationales et les autoroutes non concédées… Il devrait permettre aussi une organisation beaucoup plus libre et souple des collectivités territoriales à tous les niveaux.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. François Grosdidier. Voilà pourquoi le Gouvernement a tort quand il renforce cette tendance technocratique et accorde un régime particulier à ceux qui ont crié le plus fort leur demande légitime de reconnaissance !
J’ai bien entendu que ces problématiques n’avaient pas échappé à la commission des lois et que cette dernière appelle à un prolongement.
Mme la présidente. Je vous demande de bien vouloir conclure !
M. François Grosdidier. J’ai bien noté l’ouverture de Mme la rapporteur à certains amendements tendant à généraliser certains droits que le Gouvernement entendait réserver à la seule collectivité alsacienne. Les débats en décideront !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est vrai !
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Grosdidier, d’une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En l’application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace (n° 413, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. François Grosdidier, pour la motion.
M. François Grosdidier. Je n’utiliserai pas tout mon temps de parole, d’autant qu’en présentant la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité j’ai assez souligné la faiblesse de ce projet de loi, qui est de donner à une fraction du territoire des droits demandés par l’immense majorité des territoires de notre pays.
Au-delà de la question juridique et constitutionnelle, j’ai également expliqué comment une solution acceptée pour une collectivité, mais refusée pour sa voisine, pouvait créer des désordres sur le terrain et être la cause de préjudices considérables. Je crains que ce texte de compromis ne crée des frustrations de part et d’autre.
Les grandes régions ont été imposées aux territoires contre leur volonté et en dépit du bon sens. Ce découpage est absurde pour gérer les compétences des anciennes régions et celles qui remontaient des départements. Il n’aurait un sens que pour gérer des compétences qui descendraient de l’État !
Comme nous l’avons vu en commission, ce texte ne concernant que l’Alsace et non l’ensemble du territoire national est, hélas !, difficilement amendable. Comment en effet le modifier pour que les nouvelles compétences reconnues à l’Alsace soient étendues à tous les départements ? Les débats nous le diront. Et il sera encore plus difficile d’étendre ces nouvelles compétences aux autres départements quand elles visent des routes nationales, par exemple, qui devraient relever des régions.
Enfin, la question d’une révision du périmètre d’une région ne devrait pas être taboue. Pour autant, on ne peut l’aborder sans mesurer les incidences d’une telle révision notamment pour les territoires agglomérés à la nouvelle région, lesquels devraient quoi qu’il en soit donner leur avis.
Bref, qu’il s’agisse du périmètre ou des compétences, il est difficile de traiter de telles questions au détour d’amendements sur un texte qui ne concerne qu’un territoire. C’est encore plus difficile quand certains amendements sont frappés d’irrecevabilité. Tout cela appelle un autre projet de loi ou à tout le moins à un renvoi du texte à la commission.
M. Yves Détraigne. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda, contre la motion.
Mme Muriel Jourda. Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, dans l’objet de cette motion, François Grosdidier, même s’il ne l’a pas détaillé en séance, fait état de l’injustice qu’il y aurait à conférer aux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin des compétences que d’autres départements ne peuvent avoir et auxquelles ils ne peuvent prétendre. Le cas de la Moselle a notamment été évoqué au prétexte que ce département présenterait certaines similarités avec l’Alsace, en particulier le régime concordataire. Pour autant, je ne crois pas que le régime concordataire ait beaucoup de rapport avec les compétences dont nous parlons ce soir, je pense notamment à la gestion des réseaux autoroutiers et à la promotion du bilinguisme !
De surcroît, la similitude n’est pas l’identité. En réalité, l’Alsace présente certaines particularités. Je citerai l’exemple de la gestion des réseaux autoroutiers. Je vous renvoie à l’avis du Conseil d’État, qui a souligné les problématiques inhérentes au transport routier dans le sillon rhénan.
Par ailleurs, et c’est le point le plus important, renvoyer ce texte à la commission reviendrait pour le Sénat à ne pas jouer son rôle de chambre des collectivités territoriales !