Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je me suis rendu au Canada dans la foulée de la mise en place de notre plan d’action que j’ai présenté aux autorités. À cette occasion, j’ai répété systématiquement, tant au niveau fédéral qu’à l’échelon provincial, à Québec, qu’il était impensable que les pas en avant obtenus à travers l’accord soient remis en cause par des limitations à la vente dans les grandes surfaces ou par d’autres mesures.
J’ai présenté les choses ainsi, car nous avions eu les mêmes retours que vous. Je ne doute pas que la très active ambassadrice du Canada en France, Mme Hudon, nous écoute et qu’elle aura compris que la représentation nationale était particulièrement attentive à cette question.
Je le répète avec la même force que vous : c’est un combat que nous partageons.
Madame Loisier, le quota de viande bovine est de 45 000 tonnes et non 64 500. Au-delà de ce que j’ai déjà pu dire de la filière bovine, la crainte de voir des pièces nobles, comme l’aloyau, remplir l’ensemble du quota ne semble pas fondée.
Je sors d’une réunion avec les inspections qui ont été missionnées sur cette question et avec des représentants des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le Canada va aussi exporter des carcasses et le risque évoqué semble bien infondé.
Les membres de la mission sont également allés à la rencontre des filières dans le Limousin voilà seulement quelques jours. Si nous restons très vigilants, nous ne sommes pas inquiets au regard des éléments dont nous disposons et de ceux que nous avons pu obtenir au Canada.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Le CETA est un accord qui se veut novateur. Il a pour objectif de dynamiser les échanges commerciaux entre l’Union européenne et le Canada, d’accroître la croissance, de créer des emplois et de nouveaux débouchés pour les entreprises européennes et françaises.
En effet, l’Union européenne et le Canada nous ont promis d’établir une communication continue et transparente. Le Canada publiera tous ses appels d’offres sur un site web consacré aux marchés publics. Ce site aidera les PME françaises, puisque l’accès à l’information est l’un des principaux obstacles auxquels elles sont confrontées pour accéder aux marchés internationaux. Vous nous avez dit voilà quelques instants, monsieur le secrétaire d’État, que les premiers résultats étaient encourageants.
Le présent débat nous offre aussi et surtout l’opportunité de dresser un bilan de la façon dont l’Union européenne négocie pour nous les accords commerciaux, puisque c’est l’une de ses compétences exclusives.
D’une manière générale, je pense que la Commission devrait mieux prendre en compte les spécificités des régions ultrapériphériques, comme l’a souligné un précédent orateur.
Les grands accords commerciaux peuvent en effet avoir un effet désastreux sur les producteurs locaux dans nos outre-mer. Il faut y veiller, alors que nous allons signer des accords avec l’Amérique latine ou l’Australie.
Il me semble également que les enjeux climatiques et de développement durable devraient davantage être inclus dans nos accords. Le commerce doit être un levier européen pour étendre ses standards de protection de l’environnement au monde entier.
Enfin, il convient de s’assurer d’une meilleure réciprocité avec nos partenaires.
Sans sombrer dans un protectionnisme stérile, il est fondamental que l’Europe réagisse et prenne des mesures pour faire face aux États-Unis ou à la Chine qui renforcent leurs instruments de défense commerciale ou bloquent l’accès à leurs marchés publics.
L’Union européenne ne peut se permettre d’être naïve sur les enjeux commerciaux, alors qu’elle est la troisième puissance commerciale du monde.
Le Canada est un pays riche en ressources naturelles et constitue un vaste marché, essentiel pour les exportations européennes. L’Europe et la France en ont besoin, mais pas à n’importe quel prix.
Je voudrais donc savoir, monsieur le secrétaire d’État, quelle position défendra la France pour moderniser la politique commerciale de l’Union européenne à la lumière du bilan du CETA.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur Guerriau, la France défend systématiquement les intérêts des régions ultrapériphériques, les RUP, au sein du Conseil européen.
Je vais vous en donner une illustration très concrète : lors des discussions préalables à l’adoption des mandats de négociation pour les futurs accords de commerce avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, au premier semestre 2018, nous avons pu faire inscrire expressément dans le préambule des deux mandats la prise en compte des intérêts des RUP par le négociateur européen. Nous ne baissons pas la garde.
En ce qui concerne le climat, nous avons obtenu un certain nombre de références aux enjeux qui nous sont chers. Ainsi, l’accord entre l’Union européenne et le Japon inclut-il un engagement explicite à respecter, à mettre en œuvre de manière effective, l’accord de Paris, ainsi qu’une référence expresse au principe de précaution.
Nous avons obtenu, dans l’accord conclu entre l’Union européenne et Singapour voilà quelques mois, en marge de l’ASEM, l’inclusion de règles spécifiques pour les biens verts : les barrières non tarifaires seront levées plus facilement pour des biens qui contribuent à la lutte contre le changement climatique, à la protection de l’environnement. Nous nous inscrivons bien dans cette ambition affirmée.
Quant à la réciprocité, vous parlez d’or. L’Europe ne peut effectivement pas être naïve. J’avoue me féliciter que le trilogue ait abouti avec le Parlement européen sur le mécanisme de filtrage des investissements étrangers. Il importait de disposer d’une législation à même de protéger un certain nombre d’industries stratégiques. Il y va de notre souveraineté industrielle et technologique européenne.
Il s’agit d’un pas qui montre bien que nous sommes ouverts aux investissements, mais que nous avons un droit de regard très clair, dès lors que certains secteurs sont considérés comme stratégiques.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Comme l’a souligné Mme Loisier à l’instant, nous avons inscrit dans la loi ÉGALIM l’interdiction de la vente de denrées alimentaires non conformes à la réglementation européenne.
Cette proposition forte du Sénat réaffirme notre attachement aux exigences sanitaires de production, dans un objectif de protection des consommateurs et de notre filière agricole.
Dans le même temps, la France ouvre de plus en plus son marché à des denrées provenant de pays aux exigences différentes. À ce titre, le CETA permet au Canada d’exporter chaque année, sans droits de douane, jusqu’à 45 000 tonnes de viande bovine produite selon des techniques d’élevage très différentes de celles de nos producteurs français.
Les négociations entre l’Union européenne et le Mercosur pourraient, quant à elles, autoriser l’importation de 99 000 tonnes de viande non tracée, issue d’élevages utilisant de manière intensive les antibiotiques et les farines animales.
Les États-Unis, qui ne veulent pas être en reste, demandent maintenant de nouveaux quotas d’exportation de viande bovine, produite selon des pratiques d’élevage souvent interdites en France.
Monsieur le secrétaire d’État, je m’interroge sur le manque de vision globale de la politique commerciale extérieure de la France et de l’Union européenne : le Parlement s’engage en faveur de la protection des consommateurs et de la filière agricole et, dans le même temps, le Gouvernement donne à la Commission européenne un total blanc-seing pour négocier, sans que la France soit directement impliquée, une multitude d’accords ouvrant de larges brèches dans notre système de surveillance sanitaire.
Il y a un vrai déficit d’évaluation a priori des conséquences de chaque accord sur les filières. L’effet cumulé de ces différents accords bilatéraux n’est pas non plus étudié.
Monsieur le secrétaire d’État, comment assurer que nous connaissons l’impact global sur chaque filière de l’ensemble des accords et comment en évaluer les conséquences au moment où les frontières de nos ports vont être très fragiles ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la présidente Primas, nous souscrivons pleinement à l’article de la loi ÉGALIM que vous évoquez.
Encore une fois, nous avons des normes et nous entendons bien qu’elles soient respectées pour faire en sorte qu’aucun produit y contrevenant ne puisse pénétrer sur notre territoire.
En ce qui concerne l’accord avec le Mercosur – mais il existe d’autres pays aux traditions d’élevage différentes avec lesquels nous négocions, comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, par exemple –, nous souhaitons disposer d’un certain nombre de garanties en termes de traçabilité, notamment après les scandales qui ont éclaté au Brésil.
Le consommateur doit pouvoir disposer d’un système robuste lui procurant une information correcte. La France fédère régulièrement les États membres de l’Union européenne pour tracer des lignes rouges dans le cadre des négociations.
Bien évidemment, un accord est possible s’il est équilibré. Il s’agit aussi de respecter les sensibilités agricoles. En décembre dernier, par exemple, la France s’est portée à la tête de treize États membres pour peser dans les discussions auprès de la Commission.
La question de l’impact cumulé est un combat que nous menons de longue date, de pair avec nos amis belges. Là aussi, petit à petit, nous parvenons à progresser : nous avons obtenu qu’il soit fait référence, dans le cadre du mandat de négociation avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, à l’impact cumulé des traités de libre-échange. Nous en avions débattu dans cet hémicycle. Il s’agit d’une première qui montre qu’il est possible, à force de persévérance et de persuasion, de faire bouger les lignes de la politique commerciale européenne.
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. La politique commerciale de l’Union européenne a souvent focalisé les critiques contre l’Union en général.
On a souvent reproché à cette dernière d’être trop axée sur le marché, sur le commerce international, sur le business is business… On lui a aussi souvent reproché de fonctionner en silo : quand on parle argent ou commerce, les droits de l’homme et les autres questions de fond ne sont pas toujours intégrés aux discussions.
Enfin, on a beaucoup reproché à la Commission d’être d’abord une industrie de production de traités. Dans cet hémicycle, voilà environ deux ans et demi, Matthias Fekl, alors secrétaire d’État au commerce extérieur, nous disait que l’Union européenne produit des négociations de traités sans en assurer le suivi.
Pour autant, j’ai le sentiment que, ces deux ou trois dernières années, sous l’impulsion des opinions publiques et de la présidence Juncker, les modes de négociation sont plus équilibrés.
De même, la volonté du Président de la République de construire un plan d’action et des comités de suivi dans le cadre du CETA a renforcé cette tendance : les premières négociations, plutôt sombres et secrètes, ont ainsi laissé place à quelque chose de plus démocratique.
Enfin, j’ai le sentiment que, au-delà du CETA, l’Union européenne met enfin du politique dans sa politique commerciale en posant des conditions sur les droits de l’homme, sur les droits des travailleurs.
C’est ce qu’elle fait dans le cadre de négociations compliquées avec le Vietnam et le Cambodge. Elle a ainsi montré que nous étions capables de remettre en cause des accords conclus avec le Cambodge dans le cadre de l’initiative Tout sauf les armes si les conditions sociales et les droits de l’homme n’étaient pas respectés.
Monsieur le secrétaire d’État, partagez-vous également ce sentiment d’une inflexion vers des accords plus politiques, englobant plus largement les valeurs de l’Union européenne, ou n’est-ce qu’une illusion ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Oui, monsieur Gattolin, la politique commerciale européenne est en profonde mutation. Les méthodes ont considérablement évolué vers plus de transparence des mandats et des informations.
Vous avez raison : au-delà de la négociation et de la conclusion d’accords, ce qui est important, c’est la mise en œuvre et le suivi. À cet égard, la France plaide pour la mise en place d’une sorte de procureur commercial, qui pourrait, au sein des services de la Direction générale du commerce, s’assurer que les accords soient bien respectés. Autrement, il ne s’agit que de tigres de papier…
Nous nous réjouissons de disposer, pour la deuxième année consécutive, d’un rapport de la Commission sur l’application des accords déjà conclus.
Nous en avons discuté lors du conseil des ministres du commerce, voilà dix jours. Nous avons ainsi pu apprendre que l’accord de libre-échange conclu avec la Corée en 2011 a permis au commerce européen de redevenir excédentaire, nos exportations de vins et spiritueux ayant augmenté de plus de 150 %.
Il s’agit donc d’outils qui nous permettent désormais d’avoir une vision de la mise en œuvre.
Par ailleurs, vous avez raison, la politique commerciale n’est pas isolée. De ce point de vue, l’Union européenne ne fonctionne pas « en silo », pour reprendre votre expression. Cette politique s’inscrit dans une ambition environnementale, politique et sociale. Par conséquent, la référence à un certain nombre de normes de l’OIT, l’Organisation internationale du travail, aux droits humains et aux libertés est désormais présente, notamment pour ce qui concerne le Vietnam, le Cambodge, ou encore la Birmanie, avec le drame des Rohingyas. Vous le savez, des discussions s’enclenchent en vue d’éventuelles sanctions contre telle ou telle entité.
Naturellement, l’Europe promeut ses valeurs dans le cadre des discussions commerciales.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le secrétaire d’État, le 14 février dernier, Nicolas Hulot déclarait à l’Assemblée nationale que le CETA et le Mercosur « ne sont pas en l’état climato-compatibles ». Cette lucidité ne nous étonne pas de la part de l’ancien ministre d’État, bien conscient que libre-échange et lutte contre le réchauffement climatique sont incompatibles.
Fabien Gay l’a rappelé, il n’est pas besoin d’être un expert du GIEC pour faire ce constat : le fret mondial représente 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et son volume devrait augmenter de 290 % d’ici à 2050.
Le rapport neutre et dépassionné de la commission d’évaluation du CETA, remis au Premier ministre le 14 septembre 2017, l’a confirmé. Mais la France avait déjà décidé d’appliquer le CETA de manière anticipée dès le 21 septembre, sans attendre l’aval du Parlement. Une décision peu démocratique ! C’est à se demander d’ailleurs pourquoi le Gouvernement s’est donné la peine de commander un rapport le 3 juillet. Sans doute pour permettre à Nicolas Hulot de sauver la face en brandissant une recommandation du rapport visant à instaurer un veto climatique.
Il va de soi que, sans rouvrir les négociations sur le CETA, l’entreprise s’annonçait juridiquement complexe. Il suffisait d’entendre les propos de votre collègue Brune Poirson, secrétaire d’État, pour s’en convaincre : « Nous avons sollicité la commissaire européenne au commerce, qui a indiqué être d’accord pour travailler sur le veto climatique ». Ce dernier prendrait « la forme d’une déclaration juridique interprétative, qui sera adossée à la partie consacrée aux investissements dans le CETA ».
Nicolas Hulot le confirmait dans cet hémicycle le 8 mars dernier : « Je ne vous le cache pas, nous devrons faire durant le printemps un véritable travail de conviction à la fois auprès de nos partenaires européens et évidemment de nos amis canadiens. » Depuis, c’est un silence radio, ou presque, ce qui n’invite pas à l’optimisme.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser où en est la demande française d’instauration d’un veto climatique ? J’ai cru comprendre que ce sujet était déjà en bonne voie.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. S’agissant de l’entrée en vigueur provisoire de l’accord, c’est une décision non pas française, mais européenne, qui tient compte de l’intégration de cette politique et de sa communautarisation.
C’est d’ailleurs parfait : un an après, nous pouvons voir que le monde ne s’est pas arrêté de tourner. Nous n’avons pas été envahis par un certain nombre de substances dont nous n’aurions pas voulu.
S’agissant du veto climatique, la France a tenu la plume : nous avons transmis un projet de texte, qui est un véritable mécanisme d’interprétation conjointe contraignant. Il permettra de préserver le droit étatique à réguler. Il est hors de question de remettre en cause une législation que vous auriez votée, mesdames, messieurs les sénateurs, sous couvert d’un investissement.
Nous avons donc progressé sur ce point : initialement, le CETA possédait un dispositif dit ISDS, dont les lacunes étaient nombreuses. Je me suis battu contre un tel mécanisme. Nous avons évolué vers un dispositif meilleur, avec des arbitres qui ne sont pas désignés pour chaque affaire, mais préfigurent une cour permanente d’investissement. C’est le projet que nous portons, et nous avons bon espoir d’avancer aussi en la matière.
Pour ce qui concerne notre ambition climatique, le Président de la République l’a d’ailleurs affirmé, dans la mesure où les États-Unis se retirent de l’accord de Paris, il est hors de question d’avoir avec eux un accord commercial global. Nous défendons en effet l’accord de Paris. Il est donc important de ne pas consentir des préférences à des États qui le remettraient en question.
Quant à la prise de position de Nicolas Hulot, je me souviens au contraire d’un travail très fructueux avec ses équipes, avec Matthieu Orphelin, à l’Assemblée nationale, pour trouver le chemin de crête permettant une ambition environnementale et, en même temps, le développement de flux commerciaux.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Vous ne m’avez pas complètement rassuré, monsieur le secrétaire d’État ! Je sais également qu’un certain nombre d’associations environnementales sont inquiètes. Ce ne sont pas des petits morceaux de sparadrap qui nous permettront d’y arriver.
À défaut de remettre en cause cet accord, la mise en œuvre d’un véritable veto climatique est nécessaire. Vous dites que Nicolas Hulot avait travaillé sur la question. Certes, mais il a également démissionné, en partie pour montrer l’incohérence du Gouvernement en matière de politique environnementale.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez fait référence dans votre propos liminaire au rapport d’experts dit « rapport Schubert » et au plan d’action annoncé par le Président de la République.
Si, sur le plan commercial, l’accord est présenté de façon positive, le moins qu’on puisse dire, c’est que, du point de vue environnemental – mon collègue vient de s’en faire l’écho – les inquiétudes persistent. Le calendrier de l’accord de Paris peut expliquer que ses conclusions ne se retrouvent pas dans le CETA, mais il est temps aujourd’hui qu’elles soient prises en compte.
La France doit convaincre la Commission européenne de conclure un accord complémentaire prévoyant la neutralité du CETA en matière d’émissions de gaz à effet de serre, l’interconnexion des marchés carbone, et une taxation spécifique sur le transport maritime.
De même, nous attendons une déclaration interprétative précisant le sens à donner aux dispositions sanitaires et environnementales insuffisamment claires dans le traité, ainsi que l’application du principe de précaution.
L’accord avec le Canada est un accord vivant. (M. le secrétaire d’État approuve.) Il doit, avant que l’on nous propose de le ratifier, être amélioré. L’Europe doit exporter ses marchandises, mais aussi ses standards sociaux et environnementaux.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous dire où en sont les discussions avec l’Union européenne sur ces sujets – respect des accords de Paris, du principe de précaution et de standards sanitaires et sociaux – et nous informer des discussions concernant l’accord sur le code de conduite relatif aux arbitres du futur mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, lequel pourrait entrer en vigueur si l’accord était ratifié ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur Marie, s’agissant du travail spécifique en matière environnementale avec le Canada, le plan d’action prévoyait que nous puissions compléter l’accord. Ce complément s’est concrétisé le 16 avril dernier, au moment où le Premier ministre Justin Trudeau est venu en France. Un partenariat avec neuf engagements très concrets a alors été signé. Par exemple, un travail commun est mené au sein de l’Organisation maritime internationale pour réduire les émissions du transport international. Le Canada s’est très clairement engagé à travailler avec nous dans un certain nombre d’enceintes internationales, notamment l’OMC, sur tous ces sujets.
S’agissant de la déclaration interprétative, j’ai recueilli un accord de la Commission européenne et du Canada. Il pourrait donc être soumis dès le prochain forum qui réunira les deux parties. Vous l’avez dit, c’est un accord vivant : les parties peuvent continuer à trouver des points d’entente sur un certain nombre de mécanismes.
Sur le code de conduite relatif aux arbitres, nous avons souhaité des règles éthiques très strictes, qui sont assorties d’un appareil de sanctions efficaces pouvant aller jusqu’à la révocation du juge par l’Union européenne et le Canada. Ces modalités devraient être adoptées courant 2019, dans tous les cas avant l’entrée en vigueur du tribunal d’investissement, laquelle n’interviendra qu’une fois l’accord ratifié par l’ensemble des Parlements.
Vous le savez, la mise en œuvre provisoire ne concerne que la partie commerciale. La partie investissements relève de la compétence des parlements nationaux, c’est-à-dire de votre compétence, mesdames, messieurs les sénateurs. Ce n’est qu’à l’issue de la ratification par l’ensemble de l’Union européenne que ce volet entrera en vigueur.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour la réplique.
M. Didier Marie. Monsieur le secrétaire d’État, les intentions sont bonnes.
Le Canada n’est pas nécessairement le plus mauvais partenaire en matière environnementale. Cela dit, les inquiétudes persistent, en particulier sur la volonté d’adhésion de l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Nous aimerions savoir si la France a réussi à convaincre l’ensemble de ses partenaires pour avancer d’un même pas dans cette direction.
Par ailleurs, pour ce qui concerne l’accord de règlement des différends, nous attendons un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne…
M. Didier Marie. … qui devrait, du moins nous l’espérons, aller dans le bon sens.
Nos inquiétudes restent donc fondées. Nous espérons obtenir une réponse définitive dans les meilleurs délais, afin de pouvoir enfin ratifier cet accord, si le Gouvernement nous le soumet.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat tombe bien ! En effet, de nombreux nuages noirs planent sur le commerce international et le multilatéralisme. Je pense au Brexit, au budget italien et aux tweets de M. Trump. Pour mon groupe, il est opportun de marquer notre attachement à un développement du commerce international régulé. Le groupe Union Centriste est favorable au CETA, raison pour laquelle nous souhaitons sa ratification par le Parlement. Ce n’est pas forcément parce qu’on est opposé à un accord qu’on souhaite qu’il soit soumis à ratification !
Cet accord nous semble judicieux, à condition qu’il soit réciproque et équilibré. Il existe en effet entre le Canada et l’Union européenne des proximités historiques, politiques, culturelles, linguistiques, et donc commerciales.
L’application, avant ratification, du CETA provisoire porte déjà certains fruits. Je pense notamment à une progression de 7 % des exportations de l’Union européenne vers le Canada.
Il convient de faire en sorte que le CETA soit une chance pour toutes les entreprises françaises et européennes, y compris les PME. Quelles sont vos actions, monsieur le secrétaire d’État, pour parvenir à ce que cet accord profite aussi aux petites et moyennes entreprises ?
Nous sommes favorables au développement des échanges commerciaux régulés. Karl Marx a été cité tout à l’heure. Pour ma part, j’évoquerai Montesquieu : « L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. » Ce n’est pas parce qu’on est favorable au développement du commerce qu’on ne souhaite pas une plus grande régulation. Nous préférons donc les termes « commerce régulé ».
Ma question porte aussi sur le bien-être animal. C’est une notion qui trouve un écho en Europe, mais qui est trop souvent ignorée au Canada. Je pense notamment à la question des abattoirs. Je voudrais donc connaître les lieux de dialogue et les mécanismes mis en œuvre pour améliorer le CETA sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Vous avez raison, monsieur le sénateur, les nuages noirs s’accumulent dans le domaine du commerce international.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Qui sème le vent récolte la tempête !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. On voit le bloc américain versus le bloc chinois. Tout cela commence d’ailleurs à avoir des répercussions : les entreprises ont parfois tendance à lever le pied pour ce qui concerne leurs investissements, tandis qu’un certain nombre d’organismes internationaux ont révisé à la baisse la croissance mondiale.
Il y a donc une impérieuse nécessité de moderniser les instruments commerciaux, notamment l’OMC. Il convient de faire respecter les règles édictées et de revoir la définition – ou l’autodéfinition – de pays en voie de développement. Sinon, l’équité sera absente du commerce international. Nous partageons, me semble-t-il, l’ambition d’un commerce international régulé.
Pour que l’accord soit un succès, encore faut-il que les entreprises aient la capacité de s’en saisir, par conséquent soient informées des potentialités offertes par celui-ci.
Aussi, tout un travail de pédagogie est nécessaire dans nos territoires, pour montrer les opportunités à explorer. Un travail est d’ores et déjà enclenché avec certaines chambres de commerce et d’industrie. Des entreprises ont saisi la balle au bond. Je pense notamment au groupe Lauak, cher à Mme la sénatrice Frédérique Espagnac. Il s’est rapproché d’une filiale du groupe Bombardier. Ainsi les échanges commerciaux et les flux d’investissements, avant même l’entrée en vigueur du volet investissements du traité, ont créé un contexte favorable.