Mme Sophie Taillé-Polian. Pas en baissant les taux d’imposition en tout cas !
M. Gérald Darmanin, ministre. C’est plutôt ce sujet qui devrait nous inciter à chercher collectivement une solution. Quels sont les moyens que l’on peut accorder à ce problème ? L’État et la sécurité sociale sont-ils les seuls à devoir mettre la main à la pâte ? Que font nos voisins dans ce domaine ? Quels sont les besoins en la matière ?
Ce débat me paraît encore plus intéressant que le simple fait de savoir si l’on garde notre système de sécurité sociale tel qu’il était exactement en 1945, malgré toutes les évolutions démographiques que j’évoquais.
Enfin, je veux rappeler que, par solidarité, l’État consacre 36 milliards d’euros de son budget à la sécurité sociale. Dans l’autre sens, le transfert ne s’élève qu’à 2 milliards d’euros. Cela devrait nous inciter à rester relativement mesurés dans un certain nombre de nos discussions.
Et puis, à la fin des fins, il n’y a de toute façon qu’un seul contribuable, un seul citoyen ! À la fin des fins, que celui-ci règle des prélèvements obligatoires pour l’État ou pour la sécurité sociale, c’est toujours de l’argent en moins qu’il aura sur son compte ! À la fin des fins, que les entreprises règlent leurs prélèvements à la sécurité sociale ou à l’État, ce sont toujours des charges et de la fiscalité qui les empêcheront de progresser !
Nous avons des débats techniques et politiques intéressants, mais n’oublions pas que, derrière ces débats, on parle des citoyens, et que ce sont eux qui paient à la fin, tout article budgétaire confondu, le prix de notre politique collective. Certes, ce coût leur assure une part de la solidarité, mais on ne doit pas ignorer que, à la fin des fins, il n’y a qu’un seul portefeuille, un seul compte en banque, un seul travailleur, une seule entreprise.
M. Bruno Sido. Exactement !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 382 rectifié bis est présenté par MM. Daudigny, Raynal et Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mmes Van Heghe et Blondin, MM. Fichet, Botrel, Carcenac et Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly, Lalande et Lurel, Mmes Taillé-Polian et Guillemot, M. Magner, Mmes S. Robert et Monier, MM. Kerrouche, Tissot, Antiste, J. Bigot, Mazuir et Jacquin, Mme Bonnefoy, M. Duran et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 511 est présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Yves Daudigny, pour présenter l’amendement n° 382 rectifié bis.
M. Yves Daudigny. Ce débat est très intéressant. Si l’amendement que je défends est symbolique, il me permet de revenir sur un sujet sur lequel nous voulons montrer notre détermination.
L’article 19, nous le comprenons bien, est au cœur de ce que le Gouvernement s’évertue à appeler la rénovation des relations financières entre la sécurité sociale et l’État, soit l’institutionnalisation du principe des vases communicants entre les comptes de la sécurité sociale et le budget de l’État, soit encore la mise sous tutelle de la santé des Français par Bercy – d’autres que nous l’ont dit. C’est la fin de l’autonomie budgétaire de la sécurité sociale, qui avait été sanctuarisée, entre autres, par la loi Veil de 1994.
Madame la ministre, monsieur le ministre, vous vous êtes appuyés dès la discussion générale sur les exceptions qui ont eu cours par le passé en matière de non-compensation. Si la règle d’or de la loi Veil de 1994 a connu, il est vrai, quelques exceptions en vingt-quatre ans, celles-ci ne justifient en rien que vous en abandonniez le principe même aujourd’hui, que vous le remplaciez par un autre et élaboriez une nouvelle règle pour l’avenir.
Il s’agit d’un tournant pour l’assurance maladie que nous estimons antisocial, et qui est à rapprocher – vous l’avez d’ailleurs reconnu tout à l’heure – de la réforme de l’assurance chômage pour laquelle le Gouvernement exige 4 milliards d’euros d’économies des partenaires sociaux après le basculement de son financement par les cotisations sociales vers l’impôt. L’objectif prioritaire est la recherche d’économies aux dépens du modèle social.
Tout se tient pour dessiner les contours d’une protection sociale du XXIe siècle, qui a été annoncée par le Président de la République et qui serait donc largement rétrécie.
Votre conception de la protection sociale, nous le craignons, consiste en un basculement vers un système d’assistance universelle. Mais universalité ne doit pas vouloir dire baisse de la qualité : une prise en charge minimale par les pouvoirs publics et à compléter, si tant est que l’on en a les moyens, par des assurances complémentaires privées, généralisées à tous les pans de la protection, ce n’est pas notre conception de l’organisation de la protection sociale du XXIe siècle. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 19.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 511.
Mme Laurence Cohen. Beaucoup de choses ont déjà été dites. Vous comprenez donc les raisons pour lesquelles nous voulons supprimer cet article.
Monsieur le ministre, vous évoquez le déficit de la sécurité sociale, mais il faut que nous nous parlions franchement : ce déficit est entretenu ! Vous nous dites que la situation d’aujourd’hui est différente de celle que l’on a connue au lendemain de la guerre. C’est vrai, mais elle est aussi différente pour les gros actionnaires et le grand patronat, compte tenu des cadeaux que vous pouvez leur faire !
Je suis désolée, mais le CICE coûte 20 milliards d’euros par an depuis 2013. Ce montant sera même multiplié par deux en 2019 à cause de votre politique. Il y a de l’argent, mais vous n’avez pas envie d’aller le chercher là où il est !
Quand vous nous dites que vous allez supprimer les cotisations sociales, en fait, vous remettez en cause la sécurité sociale, car ces cotisations sont justement au fondement de celle-ci ! Ce fondement, on le trouve donc au cœur de l’entreprise, là où sont produites les richesses. Mais non, vous persévérez à exempter les entreprises de payer leurs cotisations patronales, alors que vous savez pertinemment, votre gouvernement depuis qu’il est aux manettes comme les gouvernements antérieurs, que cette politique ne marche pas en matière d’emploi ! Sinon, cela se saurait : on observerait une diminution du taux de chômage !
Dans cet hémicycle, nous n’avons pas seulement critiqué un certain nombre de vos propositions ; nous vous en avons soumis de nouvelles. Simplement, vous les refusez, parce que ces propositions « cognent » sur le capital. Or cela ne vous convient absolument pas !
Le risque est extrêmement élevé, parce que vous remettez en cause un système qui va aussi remettre en cause in fine la qualité des soins et le droit à l’accès aux soins et à la santé pour toutes et tous. C’est ce qui nous semble le plus grave dans votre politique. Ce qui nous paraît également extrêmement grave, c’est votre façon de changer totalement les règles, de manière assez camouflée, en faisant en sorte que la manne que représente la sécurité sociale renfloue en fait, de manière artificielle et injuste, les caisses de l’État et comble leur déficit. Cela ne marche pas et c’est pourquoi nous demandons, je le répète, la suppression de cet article !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. La commission est défavorable à ces deux amendements identiques de suppression, car les dispositions de l’article 19 sont nécessaires en pratique au bon fonctionnement de la sécurité sociale cette année.
Alors, je comprends bien que nous posions le débat sur le financement de la sécurité sociale par le biais de cet article. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, les uns et les autres ont posé un certain nombre de jalons pour engager un débat, mais on ne pourra évidemment pas régler le problème ce matin au détour de l’examen de l’article 19.
Beaucoup de questions se posent. En effet, on voit que l’on en est à une répartition à égalité en termes de financement entre cotisations, c’est-à-dire un système de type assurantiel, et impôt, c’est-à-dire un système fondé sur la solidarité. La sécurité sociale a donc bien changé de nature dans son financement.
Cette évolution ne s’est pas faite insidieusement, puisque c’est nous qui l’avons souhaitée, voulue et que les changements ont été mis en œuvre au fil du temps, en soixante-dix ans. Le moment est effectivement venu de poser le débat. Je ne sais pas exactement la forme que celui-ci pourrait prendre. Je ne sais pas si la révision institutionnelle nous permettra d’avancer à ce sujet : cela me paraît difficile, parce qu’il est clair que cette question ne pourra pas accaparer toutes les discussions sur la réforme institutionnelle.
Monsieur le ministre, il nous faudra donc trouver un moment pour réfléchir au financement à venir de la protection sociale et de la sécurité sociale. C’est en tous les cas la volonté de la commission : répondre aux interrogations qui ont été exprimées sur toutes les travées de cet hémicycle. (M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, opine.)
Vous avez parlé de 36 milliards d’euros de compensation, versés cette année par l’État à la sécurité sociale. Vous compensez pour une large part des exonérations de cotisations sociales qui ont été décidées par différents ministères. Cela s’est fait au fil du temps, ce n’est pas uniquement le précédent gouvernement ou celui-ci qui en sont responsables.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Cela fait déjà plusieurs dizaines d’années.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Il faut parler de ce sujet, parce que nous en sommes arrivés à un point où on pourrait insidieusement basculer dans un système tout autre que celui qui a été voulu à l’origine, qui ne serait plus à proprement parler contrôlé par les acteurs et les partenaires sociaux ni par la représentation nationale. Il faut absolument engager une discussion plus au fond.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Tout d’abord, il est évident que je voterai contre ces amendements, suivant en cela la position de la commission. En effet, on ne peut pas se priver de l’article 19 dans le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Ensuite, je veux revenir sur les débats particulièrement intéressants qui viennent d’avoir lieu, en faisant deux petites observations.
Premièrement, il s’agit d’un débat de « sachants ». Il est important de le signaler, car cela veut dire qu’il n’est pas sûr que la population qui est derrière nous, qui nous suit, connaisse tout de ce débat. (M. le ministre opine.)
Il ne serait pas inutile que, dans l’avenir, s’il devait y avoir des orientations nouvelles par rapport à l’idéal qui a été mis en place en 1945, idéal qui risque d’évoluer en raison du changement du mode de financement de la sécurité sociale, nous en prévenions la population. Il faudrait demander à nos concitoyens s’ils sont d’accord avec ce changement de l’idéal de 1945. Cela me semble être extrêmement important.
Deuxièmement, je tiens quand même à dire, avec tout le respect que je vous dois, monsieur le ministre, et malgré tout le talent d’orateur que je vous reconnais, que Bercy n’est pas un centre de décision, et qu’il doit rester un outil permettant aux sachants de décider, et non décider à la place de ceux qui doivent le faire, c’est-à-dire le Parlement et le peuple. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Cela me paraît évident.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Or je ne suis pas sûr que dans le cadre de ce que nous faisons actuellement la population soit bien au courant des changements qui sont en train de se mettre en place en matière de financement de la sécurité sociale.
Progressivement, ceux qui encaissent les cotisations ou les impôts auront tendance avec le temps, peut-être pas sous ce gouvernement, peut-être pas ici et maintenant, mais dans l’avenir, à prendre les décisions à la place de la population.
Il me semble important de poursuivre nos réflexions et d’avoir un vrai débat populaire et démocratique sur ce sujet. Et quand je dis « populaire » – j’ai évoqué cette idée il y a quelque temps avec Mme Buzyn –, je veux dire qu’il faudrait essayer d’organiser des états généraux sur le financement et les idéaux qui fondent la sécurité sociale dans l’ensemble du territoire et avec tous nos concitoyens. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je souhaite expliciter la position de mon groupe concernant cet article 19, qui organise les flux financiers entre la sécurité sociale et l’État dans un contexte – M. le président de la commission vient d’y faire référence – de changement d’organisation.
Cette année, effectivement, une compensation est prévue pour la plupart des mesures concernant les charges, notamment le SMIC « zéro charge », le CICE 2018 et l’allégement de charges en remplacement du CICE 2019.
Mais je comprends bien que l’État a une dette publique, qu’il faut diminuer, et que l’objectif visé est de rendre nos entreprises compétitives, afin de leur permettre de vendre leurs produits à l’échelle de l’Europe et du monde. Ainsi, on crée des emplois, et l’on peut financer la sécurité sociale et les retraites.
Il y a donc compensation à l’UNEDIC, compensation de la réduction de 6 points de cotisations patronales jusqu’à 2,5 SMIC et, dans le cadre de la transformation du CICE, compensation des allégements de cotisations et contributions patronales jusqu’à 1,6 SMIC.
Pour notre part, nous ne sommes pas opposés au fait que ces compensations ne soient pas systématiques. Mais la revalorisation de 0,3 % des pensions de retraite nous est apparue trop faible et nous nous sommes dit que l’État pouvait compenser l’exonération des cotisations salariales sur les heures supplémentaires qu’il a décidée et affecter cette compensation au dispositif de retraite, afin de porter la revalorisation à 0,8 % ou, peut-être, 1 %.
Telle était notre position et nous pensions qu’un accord pouvait être trouvé, en commission mixte paritaire, sur cette question. Nous n’allions pas jusqu’au taux de 1,3 % d’inflation annoncé, mais nous nous en approchions et, en tout cas, nous faisions un peu plus pour les retraites.
Cela étant, nous voterons contre les deux amendements que nous examinons.
Mme Laurence Cohen. Quel dommage !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Je ne comprends pas bien l’argumentaire qui conduit à rejeter ces amendements. On nous sert l’argument de l’équilibre de la sécurité sociale. Mais c’est exactement l’inverse ! Il est question, ici, de ponctionner 2,3 milliards d’euros dans les caisses de la sécurité sociale pour alimenter les caisses de l’État !
Je veux également dire toute mon admiration… J’ai assisté, voilà quelques instants, au plus bel exercice d’enfumage que je connaisse ! (M. le président de la commission des affaires sociales s’exclame.)
Ce que vous nous avez servi, monsieur le ministre, est tout à fait remarquable – je dois saluer la performance.
Au fond, vous nous avez dit : tout est dans tout, peu importe qui paie, c’est toujours le même. Non ! Ce n’est pas toujours le même ; ce ne sont pas toujours les mêmes sommes ; ce n’est pas toujours dans le même objectif ; ce n’est pas toujours en fonction de la même vision de la société ! Selon que l’on veut une assurance, de la charité ou de la solidarité, on se trouve dans des registres complètement différents.
En outre, vous ne pouvez pas, en permanence, utiliser cet élément de langage consistant à dire que l’État apporte 36 milliards d’euros, sans donner plus de précisions.
Je vous ai déjà fait la remarque, et je souhaiterais que vous nous indiquiez les raisons de ce versement. Que viennent compenser ces 36 milliards d’euros ? C’est bien ça, l’histoire, monsieur le ministre ! Nous parlons de 36 milliards d’euros, qui ne sont pas des cadeaux, mais qui sont dus à la sécurité sociale ! Et il n’est pas certain, d’ailleurs, que le compte y soit !
Enfin, vous ne cessez de répéter que le Gouvernement n’a pas fait de cadeaux aux riches et qu’il veut redynamiser l’économie. Mais la suppression de l’ISF n’est ni un cadeau ni une aide aux entreprises ! Elle a bénéficié à des particuliers, à des personnes déjà très riches, qui n’avaient nullement besoin que vous leur apportiez de l’argent supplémentaire – argent dont elles ne sauront sans doute que faire, sauf à aller le placer loin de chez nous ! (MM. Roland Courteau et Christian Manable applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Mon intervention sera un peu dans la même veine que celle de mon collègue Jean-Louis Tourenne.
Pour justifier le pot commun entre le budget de la sécurité sociale et celui de l’État, monsieur le ministre, vous souligniez qu’il n’y avait qu’une poche, celle du citoyen. Mais il y a différents types de poches ! Il y a les poches pleines et les poches moins pleines ! Il y a les poches qui débordent, même, et celles qui sont vides, désespérément vides, au quinze du mois !
Malheureusement, monsieur le ministre, ce sont de plus en plus les impôts les plus injustes, les moins redistributifs, qui financent le budget de l’État, à commencer, bien sûr, par la TVA !
Ce sont les consommateurs qui vont payer les mesures d’exonération sur les heures supplémentaires ! En fait, on prend aux uns et on donne aux mêmes ! On n’améliore pas la situation globale de la population, celle des plus modestes, alors que les plus privilégiés, eux, ont vu leur imposition largement baisser – je n’y reviens pas, puisque mon collègue s’est très bien exprimé sur ce point.
Comme le rappelait Bernard Jomier, l’équilibre du budget de la sécurité sociale se fait sur le dos de l’hôpital. L’équilibre du budget de l’État, lui, se fait sur le dos des consommateurs, des citoyens qui attendent, en vain, le maintien – ils n’osent même plus espérer leur développement – de services publics de qualité dans un rayon pas trop éloigné de leur lieu d’habitation.
Dans les deux cas, ce sont les plus modestes qui paient !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je pense que nous nous éloignons un peu du débat sur l’article 19, mais très franchement, madame la sénatrice Taillé-Polian, monsieur le sénateur Tourenne, je n’ai pas de leçon à recevoir en matière sociale.
C’est vous qui avez augmenté la TVA au cours du mandat précédent ! Aujourd’hui que vous êtes dans l’opposition, vous trouvez cet impôt injuste, mais c’est vous qui l’avez augmenté !
Mme Sophie Taillé-Polian. Je n’ai rien augmenté, monsieur le ministre !
M. Gérald Darmanin, ministre. Le précédent gouvernement l’a fait ! Je me rappelle très bien, d’ailleurs, que la plupart des collectivités locales – vous en connaissez sans doute – ont dû répercuter cette hausse sur les tarifs sociaux, notamment pour les transports publics.
Des leçons en matière sociale, quand vous avez pris sur les familles comme jamais aucun gouvernement ne l’a fait… C’est vous qui avez changé le quotient familial !
Mme Sophie Taillé-Polian. Des familles les plus aisées ! Il s’agissait d’une mesure de redistribution !
M. Gérald Darmanin, ministre. Quels ont été les résultats concrets dans ma commune, où j’ai 43 % de la population en dessous du seuil de pauvreté, au RSA, le revenu de solidarité active ? Oui, madame la sénatrice, monsieur le sénateur, on a le droit d’être vertueux en matière sociale ; la difficulté, c’est qu’il faut pratiquer, aussi, de temps en temps ! Sinon vous êtes croyants, mais non-pratiquants !
Mme Sophie Taillé-Polian. C’était redistributif !
M. Gérald Darmanin, ministre. Dans ma commune, donc, j’ai dû augmenter les tarifications de solidarité dans les cantines, au moment où vous avez changé le quotient familial.
Vous faites de grandes leçons de social, mais, quand vous êtes aux responsabilités, vous mettez en place un impôt que vous jugez vous-mêmes injuste ! Je suis d’accord sur ce point, d’ailleurs, c’est pourquoi nous intervenons, non pas sur la TVA, mais sur la CSG, qui est proportionnelle et touche le capital.
Vous faites de grandes leçons de social, mais, quand vous êtes aux responsabilités, vous n’appliquez pas les mesures que vous défendez dans l’opposition !
Et puis, permettez-moi de vous le dire, monsieur le sénateur Tourenne, vous avez aussi beaucoup péché en matière de non-compensation de l’État à la sécurité sociale. Voici quelques exemples de mesures votées au cours des deux années de votre mandat où vous souteniez le gouvernement.
Vous avez mis en place la prime accordée en contrepartie des dividendes. Ce n’était pas vraiment une mesure sociale et, manifestement, elle n’a pas bénéficié aux poches les plus vides !
Vous avez également mis en œuvre la réduction de la cotisation minimale de maladie au régime social des indépendants, l’ancien RSI, tout comme l’exonération en faveur des personnes employées en chantier d’insertion.
Vous aussi, vous n’avez pas toujours décidé de compenser, car, comme M. le rapporteur général et M. le président de la commission l’ont dit, avec beaucoup d’honnêteté intellectuelle, c’est un vieux débat !
Oui, il faut avoir ce débat – je veux le souligner à l’attention de M. le président de la commission –, mais, bien évidemment, Bercy et tous les autres ministères se tiennent à la disposition du Parlement. Ce n’est pas nous qui votons les crédits !
D’ailleurs, si le Sénat a la place que la Constitution lui réserve, il ne faut pas oublier l’Assemblée nationale. Or c’est la volonté d’élus de la Nation qui s’est exprimée, de représentants qui, comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont été élus en 2017. Et ils l’ont été, M. Tourenne le sait bien pour avoir été le candidat de la majorité de l’époque aux élections sénatoriales, sur un programme proposant la suppression de certaines cotisations en échange d’une augmentation de CSG.
Peut-être faut-il donner plus d’explications à la population. Je l’entends. Peut-être faut-il évoquer ce sujet dans un cadre plus large que celui de l’article 19, qui ne traite que du changement de quelques tuyauteries à la suite de la parution d’un rapport. Oui, il faut veiller à ne pas avoir des états généraux de sachants, réunissant des sachants, mais, très certainement, organiser une grande consultation publique !
Quoi qu’il en soit, il y a eu un débat à l’occasion de l’élection présidentielle et, surtout, des élections législatives, et il était très clair que nous proposions de supprimer des cotisations et d’augmenter la CSG. Les oppositions ont très largement utilisé cette proposition.
On a tout à fait le droit d’être en défaveur d’une telle politique, mais reconnaissons que celle-ci n’a jamais été menée en catimini et il ne faudrait pas, non plus, sous-estimer le rôle important des campagnes présidentielles. C’était, je crois, la volonté du général de Gaulle : il a, certes, voulu la sécurité sociale, mais il a aussi voulu le suffrage universel du Président de la République !
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je ne compte pas arbitrer le débat qui vient d’avoir lieu ; j’interviens pour soutenir les propos de mes collègues, notamment de Laurence Cohen, mais aussi ceux de M. le rapporteur général, qui, me semble-t-il, a su prendre de la hauteur et respecter nos débats.
Vous avez indiqué, monsieur le rapporteur général, que l’on pouvait basculer dans un autre système. Vous avez tout à fait raison ! Face à un tel enjeu, il faut faire preuve d’argumentation et de sens des responsabilités, car tout cela peut se retourner contre les acteurs sociaux ou, effectivement, se solder par un déficit de contrôle du Parlement.
Vous avez d’autant plus raison que je serai très curieux de savoir – et j’ai bien écouté, avec intérêt, toute votre argumentation, monsieur le ministre – pourquoi le Gouvernement décide, dans le futur projet de loi constitutionnelle, de remplacer les termes « sécurité sociale » par l’expression « protection sociale ».
Il faut bien comprendre pourquoi ce point appelle une vigilance de la part des parlementaires, indépendamment de leur sensibilité politique. Ce n’est pas faire de la sémantique pour de la sémantique ! Entre « sécurité sociale » et « protection sociale », le projet de société n’est pas du tout le même !
Ce que voulait dire ma collègue Laurence Cohen, et c’est le sens d’un certain nombre de nos amendements, c’est que nous ne sommes pas favorables à l’étatisation de la sécurité sociale.
Or, monsieur le ministre, vous vous engagez dans un processus d’étatisation de la sécurité sociale, et ce pour effacer un rapport qui s’appelle – on pourrait certes trouver d’autres mots – le rapport entre capital et travail !
Vous avez fait référence à d’autres époques. Je peux vous dire – mais vous le savez très bien – que, s’agissant de ce rapport capital-travail, on était dans d’autres proportions, voilà trente, quarante ou cinquante ans !
Pour notre part, nous voulons attirer l’attention, notamment de nos collègues, sur le fait que nous évoluons du droit commun à une sorte de droit privé. On « marchandise » la protection sociale par un processus d’individualisation, c’est-à-dire en réduisant le concours de l’État et en renvoyant à l’individu la responsabilité de se doter du meilleur régime assurantiel.
Est-ce un vrai système de solidarité ? Est-ce un système qui respecte un équilibre entre ceux qui accumulent du capital et réalisent des profits – c’est le but d’un patron, pour être très clair – et ceux qui produisent de la force, de la valeur ajoutée et contribuent, aussi, à la croissance et à notre économie ?
C’est un débat de société !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 382 rectifié bis et 511.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)