M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous félicitons que ce sujet soit de nouveau débattu devant notre assemblée. Qui mieux, en effet, que le Sénat pour donner naissance à une agence des territoires ?
Il est de notre devoir constitutionnel de proposer aux élus locaux une institution utile et conforme à leurs attentes.
Si cette proposition de loi ne répond pas à tous les espoirs, elle fait au moins œuvre de simplification en prévoyant la dissolution de l’EPARECA et le transfert des deux tiers de l’Agence du numérique et du CGET à la nouvelle agence nationale de la cohésion des territoires. C’est un bon début, qui aurait pu être plus ambitieux, comme le préconisait le commissaire général à l’égalité des territoires, Serge Morvan.
Il faudra réfléchir à simplifier davantage le paysage de l’intervention territoriale de l’État pour tendre vers le guichet unique.
Nous espérons que cette agence, dépourvue de réelle autonomie financière, disposera des moyens nécessaires. En attendant, nous soutenons une coordination renforcée entre la nouvelle agence et l’ADEME, l’ANRU, l’ANAH, la Caisse des dépôts et consignations et les agences régionales de santé, les ARS.
Au-delà des aspects financiers, il y a surtout des problématiques techniques pour concrétiser les projets. L’agence pourra ainsi mobiliser les ressources dont disposent l’État et les opérateurs au profit des porteurs de projets locaux en matière de couverture numérique, de mobilité ou d’environnement.
Pour conclure, monsieur le ministre chargé des collectivités territoriales – je n’ai pas vu partir Mme la ministre ; c’est dommage, car mon propos allait être chaleureux ! (Sourires.) –, je constate que ce texte est conforme aux convictions de Mme Gourault : tendre à une meilleure autonomie des territoires, de meilleures relations entre l’État et les collectivités et davantage de ressources pour les élus.
Pour ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra cette proposition de loi du groupe du RDSE. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, même si Mme la ministre nous a quittés, je lui adresse mes félicitations pour sa nomination à la tête de ce grand ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales – vaste programme !
L’intitulé de ce ministère nous parle tout particulièrement ici, au Sénat, cette maison des collectivités. Le président Hervé Maurey vient ainsi de souligner, une fois encore, l’intérêt porté par les sénatrices et les sénateurs aux problématiques d’aménagement du territoire.
Ce matin et cet après-midi, nous allons discuter d’une proposition de loi qui vise à traduire un engagement présidentiel, à savoir la création d’une agence nationale de la cohésion des territoires... Une agence au service des projets !
Ce texte déposé par M. Jean-Claude Requier et nos collègues du groupe du RDSE porte une double ambition : d’une part, faciliter la conception et la réalisation des projets territoriaux envisagés par les équipes municipales, notamment dans les territoires les plus en difficulté ; d’autre part, renforcer les relations entre les services déconcentrés de l’État et les représentants locaux pour une meilleure efficacité.
Cette structure, annoncée lors de la Conférence nationale des territoires qui s’est tenue au Sénat en 2017, puis devant le Congrès des maires de France il y a maintenant un an, est, cela a été rappelé, la traduction législative d’une volonté exprimée par les élus. Que sa création soit engagée par une initiative parlementaire, et non par le biais d’un projet de loi, me paraît être, là encore, un signal positif.
Au moment de cette discussion préalable, je veux exprimer une conviction : le point névralgique de cet organe, qui commencera à fonctionner dès 2019 – au final, sa réussite et sa reconnaissance comme outil pertinent par les acteurs locaux auxquels il s’adressera –, résidera essentiellement dans le type d’organisation et de gouvernance retenu.
Oui, on nous l’a dit, cette agence est désirée, attendue par tous les élus. En premier lieu, par celles et ceux qui sont à la tête des territoires les plus fragiles et/ou les moins richement dotés en moyens financiers et techniques. Nous le voyons d’autant plus clairement aujourd’hui dans le doute, voire le désarroi, d’un certain nombre d’élus – en particulier dans les petites et très petites communes –, qui demandent un accompagnement renforcé pour exercer au mieux leur mandat en portant toujours une ambition forte pour leurs territoires.
Mais vous connaissez, autant que nous, monsieur le ministre, mes chers collègues, le climat de méfiance qui peut exister dans nos collectivités territoriales par rapport à ce qui vient de l’État. Cette nouvelle structure, qui en regroupera plusieurs et conventionnera avec d’autres, devra endosser des rôles différents selon les politiques territoriales préexistantes.
Là où, par exemple, un département a déjà mis en place des outils d’accompagnement, une question se pose sur le terrain, et je l’entends souvent : comment se fera l’articulation avec l’agence, le préfet délégué de cette dernière et l’exécutif du département, qui s’est déjà beaucoup investi ?
Ces clarifications, territoire par territoire, projet après projet, seront nécessaires. Elles seront l’objet, je le crois, de nombreuses prises de parole aujourd’hui.
Sans ce type de complémentarité, des questions peuvent se poser et des inquiétudes s’exprimer. Peut-il y avoir une volonté recentralisatrice par l’intermédiaire du préfet ? Quelle plus-value apportera l’action de cette agence ? Cette plus-value, indispensable, lui donnera en effet toute sa pertinence.
Un écueil est à éviter : qu’elle ne doublonne et qu’elle ne complexifie inutilement ce qui est déjà trop compliqué.
Vous le savez, comme nous, les polémiques peuvent naître si des ambiguïtés existent et persistent.
C’est bien le juste équilibre, le juste dosage, qu’il faudra rechercher. Alors, les élus pourront, en pleine confiance, se tourner vers cette agence. Alors, l’État sera vu non pas comme trop prescriptif, mais bien comme ce qu’il doit être : un accompagnateur et un facilitateur. Alors, l’agence nationale de la cohésion des territoires jouera pleinement son rôle, à savoir combler les manques d’ingénierie et apporter une aide concrète aux élus dans les territoires les plus en difficulté.
Je note d’ailleurs un certain nombre d’éléments rassurants à l’article 2. Ainsi, l’agence n’interviendra qu’après accord des conseils municipaux. Elle pourra jouer un rôle essentiel dans les opérations de requalification des centres-bourgs ou dans le déploiement du plan France très haut débit. Deux sujets majeurs en milieu rural !
Mes collègues du groupe La République En Marche et moi-même sommes favorables à ce texte et à certains des amendements présentés et dont nous allons discuter.
Nous serons par la suite vigilants, chacune et chacun dans nos départements, à la mise en œuvre des actions essentielles à la redynamisation des territoires qui aujourd’hui se sentent déclassés par rapport aux territoires métropolitains.
Il s’agit bien d’un enjeu essentiel pour la cohésion de notre pays. Si cette agence peut y contribuer, faisons-lui confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi portant création d’une agence nationale de la cohésion des territoires.
Sur la forme, nous ne pouvons que regretter le passage par une proposition de loi, qui prive les parlementaires d’une indispensable étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État. Nous soulignons la réactivité du président du Sénat, qui nous a permis de disposer dans des délais extrêmement courts de cet avis. Pourtant, le fait que le Gouvernement ait déjà déclaré l’urgence sur cette proposition de loi témoigne qu’en réalité, il s’agit bien d’un projet de loi déguisé.
M. François Bonhomme. Absolument !
M. Guillaume Gontard. Curieuse méthode...
Sur le fond, tout le monde sera d’accord sur le constat alarmant d’une perte d’ingénierie dans les territoires et d’un accroissement des fractures territoriales mettant à mal l’égalité républicaine. L’idée de proposer aux collectivités un nouvel outil est donc a priori plutôt positive. Mais est-ce réellement de cela qu’il s’agit ?
Il ne faut pas oublier le contexte. Premièrement, le Gouvernement, qui propose la création de cette agence, poursuit la politique de réduction de l’emploi public, tant au sein des collectivités, par la baisse des dotations, que dans les services de l’État. La perte d’ingénierie est ainsi essentiellement la conséquence du désengagement continu de l’État, tout particulièrement de la suppression de l’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, l’ATESAT.
Le Gouvernement préconise d’aller encore plus loin au travers du plan Action publique 2022 comme du projet de loi de finances, qui prépare un nouveau recul de l’emploi au sein des opérateurs concernés par la création de l’agence. Comment faire mieux avec toujours moins ?
Nous craignons donc que la création de cette structure ne serve simplement de cache-misère, fonctionnant à coût constant et ouvrant la voie à des mutualisations et à une fongibilité des crédits. Tour de passe-passe utile en période de disette budgétaire... À ce titre, il faut souligner que le Conseil d’État estime dans son avis « qu’il conviendra que l’agence soit dotée, tant au plan national que local, des ressources suffisantes ».
Nous en sommes très loin puisque, de manière incompréhensible, la question des ressources reste en suspens. Or, à défaut d’engagement financier nouveau, cette agence sera simplement une nouvelle couche dans le millefeuille territorial, un « machin » de plus qui ne réglera pas les difficultés des territoires en termes de proximité, de maintien des services publics, de présence hospitalière, éducative et judiciaire, de développement d’un réseau de transport ou numérique... Quel accès pour les collectivités les plus fragiles et les communes rurales ?
Cette agence n’est donc pas la baguette magique du retour de l’État au sein des territoires. Pour cela, il faudrait, loin des politiques gouvernementales actuelles, mener une politique offensive d’investissement public et de soutien réel aux collectivités, soutenir avec une ingénierie dédiée et de proximité les initiatives, l’innovation et le dynamisme de nos territoires.
Nous avons également des inquiétudes sur les modalités retenues pour la création de cette agence.
Premièrement, nous estimons que son statut devrait être celui d’un établissement public administratif fonctionnant avec des personnels fonctionnaires ou sous contrat public, afin d’affirmer la dimension d’intérêt général des missions de l’agence, à l’opposé d’une vision presque exclusivement commerciale. Nous nous inscrivons ainsi en faux avec la conception, soutenue dans le rapport de Serge Morvan, d’une logique de guichet faisant face à des « clients ». Les mots utilisés en disent long !
Deuxièmement, nous sommes rassurés pour ce qui concerne les missions de cette agence, car la proposition ne va pas aussi loin que le rapport Morvan en termes d’intégration des opérateurs de l’État, notamment de l’ANRU et de l’ANAH.
Pourtant, nous sommes inquiets. Alors que le CGET est intégré dans cette agence, nous constatons qu’il n’est fait aucune mention de la politique de la ville dans les missions de cette dernière. Pourquoi ce trou noir ? Qui s’occupera demain de ces politiques ? Nous proposerons donc de reprendre très explicitement toutes les missions du CGET, à l’exclusion bien sûr de ce qui relève de l’administration centrale, au sein des compétences de la future agence.
Nous sommes d’ailleurs dubitatifs : l’ensemble de la politique de cohésion des territoires serait confié à cette agence. Nous estimons pourtant que l’État conserve une responsabilité première en la matière.
L’État ne saurait être seulement un guichet. La puissance publique doit offrir une vision, un cadre et les outils pour atteindre des objectifs, outils définis avec le concours de la représentation nationale. La création de l’agence ne peut donc s’accompagner d’une déresponsabilisation de l’État ou d’une multiplication des partenariats public-privé, comme le permet la possible filialisation de la future agence.
Enfin, cette agence se place, non pas dans une volonté de décentralisation, mais dans une vision très verticale du pouvoir. Ce n’est en réalité qu’une déconcentration renforcée autour d’un préfet de département qui devient omnipotent, seul interlocuteur pour les élus locaux.
Par ailleurs, cette nouvelle agence, en se plaçant dans la position d’un guichet unique, reste dans cette même logique de collectivités usagères et non coconstructrices de politiques publiques.
Nous proposerons, à l’inverse, de rendre majoritaire la représentation des collectivités et des élus locaux dans le conseil d’administration de l’agence, au sein duquel la parité entre les femmes et les hommes a d’ores et déjà été retenue par le rapporteur, sur notre initiative. Pour retrouver de la sérénité, les rapports entre l’État et les collectivités doivent être fondés sur une confiance renouvelée et renforcée dans les collectivités.
Face aux enjeux climatiques, nous sommes tous conscients que la transition écologique et énergétique doit passer par les territoires qui sont les plus proches des citoyens, c’est-à-dire les communes et intercommunalités. Nous estimons qu’il convient d’ouvrir une nouvelle phase de décentralisation, mais avec des moyens financiers, humains et techniques de proximité. Il faut sortir du « tout privé », qui se désintéresse de l’intérêt général et de l’égalité républicaine. Les territoires ne peuvent être jugés sous le seul angle de la compétitivité.
Les mots ont leur importance. Or il n’est fait que peu de cas dans ce texte, tout comme dans le rapport Morvan, des habitants, des élus, des associations qui agissent au quotidien pour rendre nos territoires vivants, innovants et vertueux. Le mot « cohésion » a pris la place des mots « égalité » et « équité » pour ce qui est des territoires ; nous le regrettons ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la création d’une agence nationale de la cohésion des territoires comme interlocuteur privilégié des collectivités territoriales en matière d’ingénierie répond à une attente forte des territoires fragiles. Aussi, le groupe socialiste et républicain y souscrit pleinement dans son principe.
Avant d’en venir au fond, permettez-moi de revenir, à mon tour, sur les conditions de l’examen de cette proposition de loi.
Dans son discours du 17 juillet 2017 prononcé au Sénat, le Président de la République avait annoncé la création d’une agence nationale de la cohésion des territoires, confirmée quelques mois plus tard à Cahors par le Premier ministre. Une mission de préfiguration a donc été confiée à M. Serge Morvan, que je salue. Parallèlement, le groupe majoritaire du Sénat avait pris l’initiative d’une telle création dans la proposition de loi relative à l’équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale.
Nous nous étions abstenus sur le volet relatif à cette agence qui, dans l’attente de la remise du rapport Morvan, nous semblait prématuré. De même, nous avons rejeté l’amendement au projet de loi ÉLAN visant à créer cette agence par voie d’ordonnance.
C’est pourquoi, après ces annonces présidentielle et gouvernementale qui promettaient un geste fort à l’endroit des territoires qui souffrent d’un manque d’ingénierie locale, nous sommes aujourd’hui surpris de constater que le Gouvernement n’a pas jugé utile de déposer lui-même un projet de loi, qui aurait été accompagné d’une étude d’impact et d’un avis obligatoire et public du Conseil d’État. C’est une proposition de loi émanant du groupe du RDSE qui nous est soumise, sur le temps réservé au Gouvernement, pour laquelle le Conseil national d’évaluation des normes, le CNEN, n’a pas été saisi. Les associations d’élus n’ont pas non plus été impliquées, ce qui révèle un manque de concertation très regrettable.
Le Conseil d’État a rendu un avis, mais uniquement parce qu’il a été saisi de cette proposition de loi par notre président, Gérard Larcher. Cet avis s’est d’ailleurs révélé très utile, car il a permis de corriger en dernière minute certains points techniques, dont la codification.
La cohérence fait par conséquent défaut et la méthode employée nous laisse quelque peu perplexes quant à l’engagement du Gouvernement sur ce projet...
La création d’une agence de la cohésion des territoires répond donc à un véritable besoin exprimé par les élus locaux, afin de disposer d’un interlocuteur capable d’apporter des solutions opérationnelles à leurs problèmes, particulièrement dans les territoires fragiles, souvent les petites villes ou les milieux ruraux, qui manquent cruellement de ressources en termes d’ingénierie pour élaborer leurs projets.
Les élus sont parfois découragés face aux difficultés qu’ils rencontrent parce qu’ils n’ont pas toujours les outils pour capter les appels à projets nationaux, pour dialoguer avec l’État et pour bénéficier pleinement des politiques publiques que celui-ci met en œuvre. Tout cela n’est pas non plus facilité par la multiplicité de l’offre contractuelle qui leur est proposée : contrats de territoire, de ville, de ruralité, de revitalisation artisanale et commerciale, volet territorial des contrats de plan État-régions, contrats de site, de redynamisation, etc.
La multiplication des interlocuteurs rend la coordination des actions complexe, d’où un besoin de clarification, de lisibilité et d’accompagnement par un État qui joue un rôle de facilitateur, permettant localement l’articulation de toutes les politiques publiques, quelle que soit leur origine.
On trouve dans le rapport Morvan des préconisations particulièrement pertinentes à cet égard. Il recommande judicieusement un dispositif partant du projet de territoire, des besoins locaux et des demandes des élus, et s’appuyant sur des dispositifs d’État : un contrat unique de cohésion territoriale, un dossier de financement unique, et la constitution d’équipes d’appui pluridisciplinaires. Ce rapport invite à une transformation nette de la relation entre l’État et les collectivités territoriales avec, dans le respect de la décentralisation, un État partenaire des collectivités pour faire aboutir des projets à l’échelon local.
Mais l’agence prévue par le biais de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’éloigne du rapport Morvan. Elle donne une impression de réorganisation des services de l’État du type RGPP, ou révision générale des politiques publiques, plutôt que d’une véritable structure de coordination qui répondrait aux attentes de nos territoires. En effet, son objet essentiel semble la fusion des missions de l’EPARECA, de l’Agence du numérique et d’une partie de celles du CGET, assortie d’un conventionnement avec l’ANRU, l’ANAH, l’ADEME et le CEREMA.
Aucune analyse ne démontre la pertinence de la fusion d’opérateurs. Rien ne justifie que l’EPARECA et une partie de l’Agence du numérique se trouvent intégrés à l’agence par rapport aux autres opérateurs intervenant au profit des territoires.
Notons de plus que l’exposé des motifs indique, et cela a de quoi susciter notre inquiétude, que le directeur général de l’agence devra présenter sous dix-huit mois « un schéma de mutualisation des fonctions supports de tout ou partie des opérateurs mentionnés ».
Un certain flou entoure le fonctionnement de l’agence. Nous aurons bien un interlocuteur unique en la personne du préfet dans le département, mais quelle sera la nature des relations contractuelles entre les territoires et l’agence ? Comment s’opérera l’articulation entre celle-ci, le préfet et les élus ? Comment l’agence se combinera-t-elle avec ce qui existe déjà et fonctionne bien dans certains territoires, comme les agences techniques départementales ? Enfin, et c’est une question essentielle, les prestations de l’agence seront-elles ou non facturées aux collectivités ?
Nous avons aussi obtenu que, à terme, l’agence puisse disposer de fonds propres. Mais il n’est pas prévu de moyens supplémentaires autres que ceux des opérateurs qu’elle intègre et ceux qui proviennent de la Caisse des dépôts et consignations. Elle fonctionnera à coût constant. Elle devra donc abandonner certaines missions existantes pour se consacrer aux nouvelles qui lui sont ainsi confiées.
Nous proposerons donc, par nos amendements : de souligner le rôle de facilitateur que doit jouer l’État ; de positionner l’agence comme coordinatrice d’outils nationaux au service des territoires ; d’assurer qu’elle demeure une structure souple ; de garantir une gouvernance véritablement équilibrée ; de revoir la fusion des opérateurs ; de prévoir un dispositif renforcé au profit des territoires les plus en difficulté ; enfin, de s’assurer qu’elle puisse être saisie par toutes les collectivités.
Je tiens aussi à relever la satisfaction du groupe socialiste sur deux avancées significatives votées en commission, que nous proposerons d’approfondir.
La première concerne la gouvernance de l’agence. Une version proche de celle que nous avions proposée a été adoptée. Elle instaure un conseil d’administration composé de représentants de l’État et des collectivités territoriales en nombre égal, dans une logique de coconstruction donnant aux territoires toute leur place. Revenir sur cette parité entre l’État et les collectivités reviendrait à assumer une volonté recentralisatrice. Nous pensons au contraire que les collectivités doivent s’approprier l’agence et nous serons particulièrement vigilants sur cette question.
La seconde consiste en la mise en place de comités de la cohésion territoriale au niveau départemental, réunissant les collectivités, leurs groupements, ainsi que les autres acteurs publics ou privés parties prenantes à la construction des projets de territoires. Ces comités auront pour objet de faire émerger des projets innovants et de suivre les projets soutenus par l’agence. Nous serons donc attentifs à leur maintien. Nous proposerons, pour compléter leurs missions, qu’ils ne se cantonnent pas au suivi de l’exécution des projets, mais qu’ils soient aussi informés des demandes émanant des collectivités.
Pour conclure, mes chers collègues, nous nous réjouissons évidemment de la création d’une agence nationale de la cohésion des territoires, qui répond à une véritable demande. Mais vous aurez compris que nous restons très réservés et interrogatifs quant au périmètre de cette agence, à son mode de fonctionnement et aux moyens effectifs dont elle pourra disposer. Nous craignons aussi la tendance recentralisatrice. Nous devons donc veiller à ce que l’agence ne puisse pas être au service du préfet dans une logique descendante, mais, bien au contraire, au service des collectivités dans une logique ascendante.
Monsieur le ministre, avec Mme Gourault, vous avez pour mission de restaurer la confiance entre l’État et les territoires. Ne manquons donc pas l’occasion que présente cette proposition de loi pour y parvenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, animé par la volonté de représenter tous les territoires et de se faire le porte-voix des élus locaux, le groupe du RDSE a souhaité porter cette proposition de loi de création de l’agence nationale de la cohésion des territoires.
Vous le savez, face à la multiplicité des opérateurs, à la complexité des procédures et à la persistance de financements croisés, qui handicapent l’émergence des projets, les élus ont émis le souhait d’une meilleure lisibilité de l’ingénierie de projets.
Nous sommes donc partis d’un double constat, celui du manque d’efficacité du système actuel et du besoin de mieux accompagner les territoires fragiles. Sur cette base, nous avons élaboré un texte permettant la création d’un guichet unique au service des élus locaux, afin d’accompagner les initiatives locales, c’est-à-dire rendre la décentralisation effective.
Pour les collectivités ne disposant pas de l’ingénierie territoriale nécessaire, il s’agit d’un projet fondamental. Car ce sont bien les territoires les plus fragiles qui sont d’abord en attente d’une structure de conseil et de coordination. Ces dernières années, nombre d’entre eux n’ont pu faire émerger des projets par manque d’ingénierie et de moyens. Par exemple, les projets du dispositif Action cœur de ville, qui voient le jour partout en France, sont des opérations complexes et transversales pour lesquelles l’absence d’interlocuteur unique peut être un véritable frein dans certaines collectivités. Les élus locaux en sont bien conscients et sollicitent un choc de simplification.
Cela a été rappelé, le Président de la République, lors de la première Conférence nationale des territoires en juillet 2017, puis devant le Congrès des maires, s’est dit « conscient de certains défis de la situation de déclassement des villes moyennes et de leur ruralité ». La création de l’agence nationale de la cohésion des territoires, l’ANCT, doit précisément répondre aux besoins des élus de terrain pour concrétiser, selon les mots du président Requier, « la promesse républicaine de l’égalité ». C’est dans cet esprit que notre groupe a souhaité porter cette proposition de loi.
Je tiens ici à apporter quelques réponses aux inquiétudes qui ont émergé.
D’une part, l’ANCT n’est pas en concurrence avec les agences d’ingénierie locales, elle leur est complémentaire, comme le permet aujourd’hui le droit de la concurrence. Elle n’a pas plus vocation à se substituer aux structures bien établies. Nous tenions à être parfaitement clairs sur ce sujet.
Elle n’a pas non plus vocation à créer une charge supplémentaire pour les collectivités. Afin de l’inscrire dans la loi, le groupe du RDSE a déposé un amendement visant à préciser, à l’article 6, que les prestations de service susceptibles d’être facturées sont celles qui correspondent aujourd’hui aux missions industrielles et commerciales de l’EPARECA.
D’autre part, grâce à la fusion du CGET, de l’EPARECA et de l’Agence du numérique, elle doit permettre à l’ingénierie locale d’être plus efficace, plus réactive, et d’en optimiser les coûts de fonctionnement. À moyens constants – le Gouvernement s’y est engagé –, l’objectif est de faire mieux et plus vite. Il s’agit bien de renforcer l’efficacité de l’intervention de l’État et de ses opérateurs, grâce à une meilleure coordination.
En ce sens, nous avons déposé un amendement visant à supprimer la création des comités de la cohésion territoriale dans les départements, qui ajoutent de la complexité et nous apparaissent peu utiles et chronophages. Nous doutons par ailleurs du fait qu’ils puissent fonctionner sans aucuns frais et préférons assurer les élus d’une parfaite optimisation des financements.
J’en viens ici aux deux points fondamentaux auxquels nous attachons une grande importance.
S’agissant de la gouvernance de l’ANCT, nous sommes en accord avec le choix fait par la commission de donner plus de poids aux collectivités au sein du conseil d’administration. S’il s’agit bien d’une agence d’État, qui s’appuie donc naturellement sur le réseau préfectoral, elle doit avant tout son existence à l’initiative des collectivités et des élus. Nous proposerons d’ailleurs que l’outre-mer soit spécifiquement représenté. Cependant, nous nous étonnons de l’absence, au sein du conseil d’administration, de la Caisse des dépôts et consignations, qui joue pourtant un rôle essentiel dans le financement des projets. Nous vous proposerons donc de la réintégrer.
J’en terminerai bien sûr par l’article 2, modifié en commission. Sur ce point, convaincus de l’importance du numérique sur nos territoires, nous sommes en désaccord avec la majorité sénatoriale. Parmi les missions de l’Agence du numérique figure le plan France très haut débit, dont l’achèvement est prévu en 2022. Aussi, comme le Conseil d’État et le Gouvernement, nous croyons qu’il n’est pas opportun de reporter son intégration à 2021. Il faut au contraire inclure au plus vite l’Agence du numérique, dont les missions constituent une part essentielle du périmètre de l’agence nationale de la cohésion des territoires.
Reporter son intégration reviendrait à déstabiliser complètement l’édifice. Comment justifier cette absence, alors que la diffusion du très haut débit constitue aujourd’hui le cœur d’une grande partie des projets des territoires ? Quelle serait l’efficience d’une agence d’ingénierie dépourvue de prérogatives numériques ? Les risques sont élevés de voir l’ANCT devenir une coquille vide. Aussi, nous vous proposerons un amendement visant à fusionner dès 2020 le CGET, l’EPARECA et l’Agence du numérique.
Monsieur le ministre, nous avons écouté Mme Gourault attentivement lors de son audition par la commission. Nous partageons l’ambition du Gouvernement de voir une agence pleinement opérationnelle dès 2020. Nous entendrons de nouveau avec grand intérêt votre désir de voir aboutir ce projet, tel qu’il est souhaité par les élus locaux, dans les plus brefs délais.
Vous l’avez compris, le groupe du RDSE attend beaucoup des débats qui s’ouvrent, car c’est l’avenir de nos territoires, notamment les plus fragiles, qui est en jeu. Nous aborderons donc cette discussion avec la ferme volonté de faire de l’égalité des territoires une réalité. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)