M. Michel Savin. C’est vrai !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est pourquoi mon groupe reprend totalement à son compte l’argumentaire de M. le rapporteur.
J’entends par ailleurs que son avis de sagesse sur l’amendement n° 64 vaut presque avis favorable. La seule publication sur les sites de l’administration fiscale, sur lesquels, évidemment, nous nous jetons tous tout le temps, aurait tendance à réduire singulièrement l’effet du mécanisme du name and shame !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Il est tout de même assez étrange de remettre à l’ordre du jour le pilori en place de Grève ! Je trouve cela absolument désolant !
Le name and shame s’apparente à un régime un peu totalitaire : une première décision est prise ; avant même les résultats du recours, l’intéressé est exposé en place de Grève, y compris à titre personnel, et cela peut inclure son entourage familial. Parfois, il faut l’assumer, sans même être coupable. C’est tout de même extraordinaire !
Je suis très peu friand de cette méthode. Si la discrétion de Bercy et des services fiscaux est louée tous les jours, c’est aussi parce qu’elle permet à la discussion sur les sujets fiscaux – sujets ô combien compliqués – de se dérouler normalement, dans le calme et à l’abri des regards. C’est ainsi jusqu’à ce que des décisions soient prises, des décisions évidemment définitives, et non temporaires. On reste présumé innocent jusqu’à la fin des recours !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le secrétaire d’État, vous ne pouvez pas vous opposer à la mention d’une sanction définitive.
Vous ne pouvez pas envisager la publication de décisions temporaires, en avançant qu’un recours de soixante jours est prévu. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, un univers numérique, le droit à l’oubli n’existe pas. Il est impossible de retirer un lien ! On ne peut rien faire !
Vous allez créer des préjudices…
M. Gérard Longuet. Irréparables.
Mme Nathalie Goulet. Absolument, irréparables !
Franchement, je ne comprends pas que l’on discute de cette disposition. Je ne parle même pas de la présomption d’innocence ; je parle d’un simple fait : une fois l’information lâchée sur les réseaux sociaux, vous ne pouvez plus jamais la retirer ! Peu importe qui est visé – personne morale ou physique – il y aura préjudice, comme à l’article 7, d’ailleurs, lors de l’examen duquel nous reviendrons sur cette question du caractère définitif des décisions.
Vous ne pouvez pas sérieusement considérer que le justiciable sera protégé, au motif que l’on a prévu un recours. C’est incroyable ! Cette discussion est complètement irréelle !
Comment voulez-vous justifier la publication d’une sanction qui n’est pas définitive ? Voyez les effets ! Les préjudices seront difficilement réparables, voire ils ne le seront plus du tout. Je ne comprends même pas que l’on discute de cela !
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je me permets d’intervenir devant vous, monsieur le secrétaire d’État, tout comme je l’ai fait tout à l’heure devant M. le ministre de l’action et des comptes publics.
Nous avons été destinataires, à la fin du mois de mars ou au début du mois d’avril, de l’étude d’impact de ce projet de loi, une étude d’impact comportant 72 pages. La partie consacrée à l’article 6 intitulée Publication des sanctions administratives appliquées aux personnes morales à raison de manquements fiscaux d’une particulière gravité comprend plusieurs chapitres : état des lieux, options possibles, dispositif retenu et analyse des impacts des dispositions envisagées. Ce dernier chapitre distingue les impacts juridiques, les impacts budgétaires et les impacts sur les services administratifs.
Sur ce tout dernier point, il est indiqué : « La présente mesure conduira à une augmentation de la charge administrative liée [d’une part] à la préparation des dossiers à soumettre à la commission de publication des sanctions et à l’organisation des séances de la commission chargée de donner un avis sur les propositions de l’administration ; [d’autre part ] à la gestion des contentieux ».
En revanche, pour les impacts budgétaires, il est écrit : « La publicité des sanctions prononcées par l’administration fiscale est de nature à prévenir la fraude fiscale et donc à augmenter les recettes publiques spontanément acquittées ».
Si je peux comprendre ces trois amendements, et si l’article 6 est tout aussi important que les autres articles, de réelles interrogations demeurent. De ce fait, je me rallie à l’avis de la commission.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Je souhaite apporter deux précisions.
Tout d’abord, monsieur le sénateur Jérôme Bascher, vous avez évoqué une possible exposition des proches et de la famille. Or le dispositif ne concerne que les personnes morales. L’amendement n° 80, qui tendait à élargir la mesure aux personnes physiques, a été retiré par ses auteurs. Le fait que seules les personnes morales soient visées devrait calmer votre crainte.
Par ailleurs, je veux de nouveau préciser la portée du recours que le contribuable peut engager contre la décision de publication.
Voici comment se déroulerait le processus : le contribuable est poursuivi, condamné et reconnu coupable d’une fraude fiscale, d’un délit ; il reçoit une notification de la commission, au sujet de laquelle nous avons débattu précédemment, l’informant qu’une publication de la sanction est envisagée ; s’il décide d’engager un recours, nous suspendons la publication de la sanction jusqu’à épuisement de tous les recours.
En d’autres termes, les seules décisions publiées dans de brefs délais, après un jugement en première instance, seraient celles soit qui ne feraient pas l’objet d’un recours au fond, soit qui feraient l’objet de recours « non globaux » ou, en tout cas, pour lesquelles le contribuable accepterait la publication.
La publication interviendrait soixante jours après la première décision, uniquement en l’absence de recours. En cas de recours contre la décision de publication, celui-ci courrait jusqu’au terme de la procédure au fond.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué !
J’ai bien compris le processus, et je vous invite à vous référer au rapport écrit, mes chers collègues, qui comporte un schéma adapté aux personnes un peu simples comme moi !
Succinctement, la décision de publier peut faire l’objet d’un recours. Mais il se peut que, en cours de procédure, le conseil du contribuable découvre des éléments nouveaux et s’aperçoive que l’imposition n’était pas due. Tous les jours, les juges du fond, les juges de l’impôt, rendent des décisions favorables aux contribuables.
Pourquoi ne pas attendre simplement que la décision soit définitive ?
Mme Nathalie Goulet. Bien sûr !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Il est tout de même un peu plus compliqué de publier pour avoir, ensuite, à retirer la publication du fait d’une décision inverse !
Nous parlons de personnes morales, je suis bien d’accord, mais ces personnes morales ont des actionnaires, des créanciers…
M. Gérard Longuet. Des administrateurs !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Elles sont parfois cotées. Quel sera l’impact d’une publication sur une société cotée ?
Considérons qu’il suffit d’attendre la décision définitive pour publier, que l’on ne procède pas à cette publication tant que toutes les voies de recours ne sont pas épuisées. C’est beaucoup plus simple que d’en passer par ce premier procédé, où l’on peut contester la décision de publication elle-même.
Il me paraît de bon sens de prévoir que cette publication vaut pour les seules décisions définitives.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 81 et 99.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 6, modifié.
(L’article 6 est adopté.)
Article 7
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° L’intitulé du 9 du B de la section I du chapitre II du livre II est ainsi rédigé : « Sanctions à l’égard des tiers » ;
2° Après l’article 1740 A, il est ajouté un article 1740 A bis ainsi rédigé :
« Art. 1740 A bis. – I. – Lorsque l’administration fiscale a prononcé à l’encontre du contribuable une majoration de 80 % sur le fondement du c du 1 de l’article 1728, du b ou du c de l’article 1729, ou de l’article 1729-0 A et dès lors que cette sanction est devenue définitive, toute personne physique ou morale qui, dans l’exercice d’une activité professionnelle de conseil à caractère juridique, financier ou comptable ou de détention de biens ou de fonds pour le compte d’un tiers, a intentionnellement fourni à ce contribuable une prestation permettant directement la commission par ce contribuable des agissements, manquements ou manœuvres ainsi sanctionnés est redevable d’une amende.
« La prestation mentionnée au premier alinéa du présent I consiste à :
« 1° Permettre au contribuable de dissimuler son identité par la fourniture d’une identité fictive ou d’un prête-nom ou par l’interposition d’une personne physique ou morale ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;
« 2° Permettre au contribuable de dissimuler sa situation ou son activité par un acte fictif ou comportant des mentions fictives ou par l’interposition d’une entité fictive ;
« 3° Permettre au contribuable de bénéficier à tort d’une déduction du revenu, d’un crédit d’impôt ou d’une réduction d’impôt par la délivrance irrégulière de documents ;
« 4° Ou réaliser pour le compte du contribuable tout acte destiné à égarer l’administration.
« II. – L’amende est égale à 10 000 €. Son montant est porté, s’il est supérieur, à 50 % des revenus tirés de la prestation fournie au contribuable.
« Cette amende est établie selon les modalités prévues à l’article L. 80 D du livre des procédures fiscales.
« Lorsque les majorations mentionnées au I font l’objet d’un dégrèvement ou d’une décharge pour un motif lié à leur bien-fondé, l’amende qui a été prononcée à l’encontre du tiers fait l’objet d’une décision de dégrèvement.
« L’amende n’est pas applicable en cas de poursuites engagées contre le professionnel sur le fondement de l’article 1742.
« III. – La personne sanctionnée par l’amende prévue au II n’est pas admise à participer aux travaux des commissions instituées aux articles 1650 à 1652 bis, 1653 A, 1653 C et 1653 F. » ;
3° À l’article 1753, la référence : « et 1653 A » est remplacée par les références : « , 1653 A, 1653 C et 1653 F ».
II. – À l’article L. 80 E du livre des procédures fiscales, les mots : « et 1735 ter » sont remplacés par les mots : « , 1735 ter et 1740 A bis ».
III. – Après l’article L. 114-18 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 114-18-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 114-18-1. – I. – Lorsque les organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-1 notifient à un cotisant des rectifications sur le fondement de l’article L. 243-7-2 ou lorsque les caisses de mutualité sociale agricole notifient à un cotisant des rectifications sur le fondement de l’article L. 725-25 du code rural et de la pêche maritime et dès lors que ces rectifications sont devenues définitives, toute personne physique ou morale qui, dans l’exercice d’une activité professionnelle de conseil à caractère juridique, financier ou comptable ou de détention de biens ou de fonds pour le compte d’un tiers, a intentionnellement fourni à ce cotisant une prestation ayant directement contribué à la commission des actes constitutifs de l’abus de droit en cause ou à la dissimulation de ces actes, est redevable d’une amende.
« II. – L’amende est égale à 10 000 €. Son montant est porté, s’il est supérieur, à 50 % des revenus tirés de la prestation fournie au cotisant.
« Lorsque les rectifications mentionnées au I font l’objet d’un dégrèvement ou d’une décharge pour un motif lié à leur bien-fondé, l’amende qui a été prononcée à l’encontre du tiers fait l’objet d’une décision de dégrèvement.
« La prescription applicable à l’amende prévue au même I est acquise à la fin de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle la prestation sanctionnée a été fournie.
« III. – Le directeur de l’organisme de recouvrement ou de la caisse de mutualité sociale agricole lésée notifie les faits reprochés à la personne en cause et le montant envisagé de la pénalité, afin qu’elle puisse présenter ses observations écrites. Après avoir répondu auxdites observations, le directeur de l’organisme ou de la caisse prononce, le cas échéant, la pénalité et la notifie à l’intéressé par une mise en demeure adressée par tout moyen donnant date certaine à sa réception en lui indiquant les voies et délais de recours applicables. »
IV. – Le présent article s’applique aux prestations fournies le lendemain de la publication de la présente loi.
M. le président. L’amendement n° 42 rectifié, présenté par MM. Capus, Bignon, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue et Malhuret et Mme Mélot, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. L’article 7, qui crée une sanction nouvelle pour les tiers professionnels ayant participé à l’infraction, soulève une question éminemment délicate. L’ensemble des arguments tout juste exposés à l’article 6 peuvent être repris dans le cadre de l’examen du présent article, tant sur le problème du caractère définitif de la décision que sur celui du respect des principes généraux du droit.
Je ne suis absolument pas choqué par l’introduction d’une sanction très dure à l’encontre des tiers qui se rendent complices d’une fraude fiscale. Soyons très clairs sur ce point : il faut une extrême dureté !
M. le ministre nous a bien expliqué que, lors des contrôles effectués, les agents découvraient des mécanismes mis en place par des professionnels du droit, des professionnels du chiffre ou des professionnels de l’administration de biens.
Mais dans ce cas, je ne comprends pas la sanction envisagée : une amende de 10 000 euros ou 50 % des honoraires. Si l’on se trouve dans un des cas gravissimes visés à l’article, alors l’administration fiscale ne doit pas avoir de doute, elle ne doit pas avoir la main qui tremble : elle doit transmettre le dossier au parquet, et ce afin que des sanctions beaucoup plus sévères soient prises.
Tous les professionnels concernés appartiennent à des ordres – experts-comptables, avocats, administrateurs de biens – dont les règles déontologiques sont extrêmement fermes. Si ces professionnels se rendent complices d’actes d’une telle gravité, ils seront sanctionnés : radiés de leur ordre ou, à tout le moins, suspendus à titre provisoire pour des périodes assez longues.
L’administration fiscale ayant toute possibilité de transmettre le dossier au parquet, cette sanction nouvelle me paraît donc relativement inutile.
Mais elle me semble aussi extrêmement périlleuse à mettre en place !
D’une part, elle se heurte aux principes généraux du droit. Il me paraît effectivement dangereux de sanctionner un professionnel du droit au motif qu’il s’est rendu complice d’une fraude fiscale qui n’a pas encore été définitivement jugée. À ce titre, toute l’argumentation sur le caractère non définitif de la sanction peut être reprise.
D’autre part, si seuls les cas extrêmement graves étaient visés, il n’y aurait pas difficulté, mais le texte mentionne « tout acte destiné à égarer l’administration », et cette mention peut susciter des débats assez longs. Une plaidoirie brillante, dont le but, par définition, est d’exprimer une vision, d’offrir un éclairage différent de celui de l’administration, entrerait-elle dans cette catégorie ?
Nous sommes bien à la frontière de ce que M. le ministre a appelé l’optimisation fiscale, et c’est ce qui fait le caractère périlleux de cette mesure.
De ce fait, le plus simple, le plus sérieux me paraît être de supprimer cet article dangereux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Nous partageons un certain nombre des réserves très justement émises par notre collègue Emmanuel Capus.
Tout d’abord se pose la question de la combinaison entre le droit de recours du contribuable lui-même et celui de son conseil. Dans la rédaction actuelle, on pourrait tout à fait sanctionner un tiers, alors même que le contribuable, par la suite, gagnerait au fond.
A minima, il faut que la sanction du contribuable soit devenue définitive pour que le professionnel puisse être lui aussi sanctionné. Comment pourrait-on prétendre que ce dernier a concouru à un montage frauduleux que le juge de l’impôt viendrait, par la suite, à considérer comme inexistant ?
La base, c’est que le fait que l’impôt ait été éludé soit définitivement reconnu dans une décision elle-même définitive, donc que toutes les voies de recours aient été épuisées.
Par ailleurs, il y a sans doute quelques imprécisions dans le texte. Je pense en particulier à l’adverbe « notamment », auquel le groupe La République En Marche souhaite revenir.
Depuis quand la loi emploie-t-elle un tel terme ? Franchement !...
Nous travaillons sur la matière législative, mes chers collègues ! Nous ne sommes ni dans l’illustration par des exemples ni dans le commentaire d’articles !
La commission a souhaité que la rédaction soit plus précise. Elle a supprimé l’adverbe « notamment » et indiqué clairement la nature des écarts pouvant entraîner une sanction du professionnel.
Mais, dans tous les cas, la fraude fiscale doit être définitivement jugée pour que, éventuellement, le professionnel ayant concouru à cette fraude puisse lui-même être sanctionné.
La commission des finances désirant en rester là, elle demande à M. Capus de bien vouloir se rallier à sa position.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Il ne nous paraît pas opportun de supprimer l’article 7.
La mesure proposée par le Gouvernement vise à renforcer les pouvoirs de l’administration fiscale dans la lutte contre la fraude fiscale, en sanctionnant les personnes proposant les montages frauduleux ou abusifs les plus graves, et non de simples schémas d’optimisation fiscale qui, eux, peuvent être parfaitement légaux.
La suppression de cet article priverait l’administration de cette possibilité de sanctionner les professionnels dont les agissements portent une grave atteinte au principe d’équité entre les contribuables et aux règles de leur profession.
Nous sommes donc défavorables à cet amendement de suppression, sans nécessairement, nous aurons l’occasion d’y revenir, nous rallier à la position de la commission des finances.
M. le président. Monsieur Capus, l’amendement n° 42 rectifié est-il maintenu ?
M. Emmanuel Capus. Je suivrais bien la position de la commission, si j’avais la certitude que le Gouvernement en fasse de même ! Or comme M. le secrétaire d’État vient de le laisser entendre, le Gouvernement souhaite, à travers l’amendement suivant, rétablir l’absence de caractère définitif de la sanction support. On sait donc, par avance, que la position du Sénat ne sera pas suivie !
Par conséquent, bien que très partagé, je maintiens mon amendement et je laisse mes collègues trancher la question…
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Il nous semble effectivement important que la sanction soit définitivement prononcée à l’encontre du contribuable avant que celle qui s’impose à l’intermédiaire ne soit mise en œuvre.
Mais considérer que, au cas où cette règle ne serait pas maintenue, il faut supprimer toute sanction destinée à dissuader les intermédiaires d’aider certains contribuables ou certaines entreprises à frauder me semble totalement disproportionné.
Au contraire, nous avons absolument besoin de limiter fortement la propension d’un certain nombre d’intermédiaires à proposer un accompagnement des contribuables allant parfois jusqu’à la fraude – si tel n’était pas le cas, nous ne serions pas là aujourd’hui !
Il faut maintenir la capacité offerte à l’administration d’imposer des sanctions administratives aux complices d’une fraude fiscale. C’est pourquoi nous voterons contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je suis au contraire sensible aux excellents arguments de mon collègue Emmanuel Capus, et ce d’autant que la position du Gouvernement est assez raide, puisqu’il n’est pas question d’attendre une sanction définitive.
Pour détendre l’atmosphère à cet instant, je voudrais vous rappeler que nos chaînes de télévision rediffusent parfois, en noir et blanc, ce film de Sacha Guitry dans lequel Michel Simon joue le rôle d’un assassin potentiel.
Mme Nathalie Goulet. La Poison !
M. Gérard Longuet. Oui, c’est La Poison ! Donc Michel Simon, assassin potentiel, demande à un avocat de le conseiller sur les meilleures façons d’échapper à une peine, avant de commettre son crime. Puis il commet celui-ci tout en adaptant son comportement à la situation. L’avocat se trouve alors condamné pour complicité, alors qu’il n’y est strictement pour rien !
J’aimerais par conséquent que l’on préserve la liberté d’imagination des conseils, sans nécessairement en faire les complices actifs de ceux qui deviendraient ensuite, pour d’autres raisons et d’autres motivations, des criminels. En un mot, je défends le conseil !
Mme Sophie Taillé-Polian. Nous l’avions compris !
M. le président. L’amendement n° 98, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Supprimer les mots :
et dès lors que cette sanction est devenue définitive
II. – Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de désaccord portant sur les agissements, manquements ou manœuvres du contribuable mentionnés au I du présent article, les garanties et voies de recours qui lui sont offertes bénéficient également à la personne contre laquelle l’amende mentionnée au premier alinéa a été prononcée.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Le Gouvernement considère que, en suspendant la possibilité pour les services fiscaux de sanctionner les tiers complices tant que la sanction appliquée aux contribuables n’est pas devenue définitive, le texte de la commission vide de sa substance la mesure proposée.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, une sanction est définitive seulement quand tous les délais de recours sont expirés ou toutes les voies de recours épuisées, ce qui peut demander plusieurs années.
Or le délai de prescription applicable à la sanction des tiers, fixé à seulement quatre ans, est difficilement compatible avec les délais de recours contentieux dont bénéficie le contribuable, auteur de l’infraction. Ce délai de quatre ans pourrait, en effet, être largement écoulé à l’issue de la procédure contentieuse, rendant de fait impossible la sanction du tiers complice.
On pourrait d’ailleurs sans peine envisager que des tiers complices conseillent à leurs clients d’engager des recours dilatoires, à seule fin d’échapper eux-mêmes à la sanction prévue à l’article 7. Ce n’est évidemment pas ce que nous souhaitons, les uns et les autres.
Enfin, cet amendement, qui tend à revenir à la rédaction initiale du Gouvernement, nous renvoie au même débat que celui que nous avons eu précédemment sur la publicité des sanctions et les recours prévus dans ce cadre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. L’avis est évidemment défavorable.
Prenons l’exemple d’un contribuable dont le montage a été considéré comme frauduleux par l’administration. Une amende est infligée au tiers – cela peut être un expert-comptable ou un avocat. Le contribuable forme un recours et, finalement, le montage est jugé totalement légal par le juge de l’impôt ou n’entraîne pas de sanction fiscale. Quid de l’amende prononcée, dès lors que son fondement a disparu et que le montage a été validé ?
Je suis favorable à la sanction des tiers concourant aux montages frauduleux, mais le niveau minimal de droits et de garanties dans un État de droit, c’est tout de même de ne pas condamner avant le jugement de l’objet ! Ne pas attendre le jugement définitif peut devenir extrêmement dangereux !
Que se passera-t-il ensuite ? Le professionnel pourra-t-il demander la révision de sa peine, le remboursement de l’amende ?
Le choix de ne pas attendre que le juge de l’impôt se soit prononcé définitivement sur le dossier est tout de même étonnant. Après tout, c’est cette décision qui provoque la sanction. En cas de montage légal, celle-ci n’aura pas lieu d’être.
J’y insiste, autant la commission est favorable à la sanction des tiers qui concourent à la fraude, avec, de nouveau, une réserve quant à l’emploi du terme « notamment », autant elle demande que l’on attende l’épuisement des voies de recours. Cela paraît être le minimum dans un État de droit !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Même motif, même punition ! Ces sanctions doivent évidemment s’asseoir sur un jugement définitif !
Je veux vous rappeler, mes chers collègues, les problèmes soulevés en tout début d’examen de ce texte sur des divergences de jurisprudence, sur les délais, etc.
Monsieur le secrétaire d’État, vous justifiez l’amendement n° 98 en nous expliquant que les délais de procédure sont très longs et que, de ce fait, on ne pourra pas engager des poursuites contre les conseils. Mais, dans ce cas, donnez des moyens à la justice pour qu’elle puisse juger un peu plus rapidement, et le problème sera réglé !
J’espère en tout cas que l’on n’acceptera pas, dans cet hémicycle, d’adopter un tel dispositif qui serait mis en œuvre alors que les sanctions ne sont pas définitives.
Comme la Constitution que vous nous préparez à l’Assemblée nationale ressemble beaucoup aux Galeries Lafayette – on y trouvera à peu près tout –, il va falloir que l’on garantisse le droit de ne pas avoir de publication avant toute décision définitive !
Mais une solution aux difficultés de ce type, j’y insiste, c’est de donner des moyens à la justice pour permettre des jugements beaucoup plus rapides et, ainsi, ne pas risquer une prescription.
Quoi qu’il en soit, je soutiens complètement la position du rapporteur.