M. Daniel Gremillet. Cet amendement correspond à l’acte I de la résolution, que nous avons adoptée ici, sur l’interdiction d’importer des produits alimentaires n’étant pas soumis aux mêmes contraintes que celles que l’on s’impose en Europe et à l’échelon national. Je serais tenté de dire que cet amendement va encore plus loin, monsieur le ministre, puisque nous sommes en train de donner, au travers de ce projet de loi, une nouvelle dimension à l’alimentation et au rôle de l’agriculture française.
L’acte II consiste à faire en sorte que les contraintes supplémentaires que nous sommes en train d’instaurer et que les valeurs supplémentaires que nous sommes en train d’adopter soient respectées par ceux qui ont envie de vendre des produits dans notre pays.
Au-delà de la distorsion de concurrence pour les agriculteurs et pour les entreprises agroalimentaires, il y a un autre aspect : le respect des consommateurs. Puisque l’on parle beaucoup de demande sociétale, à laquelle l’agriculture devra répondre, il faut s’assurer que ce que les consommateurs trouveront dans leurs assiettes – ce qui sera vendu en Europe et surtout chez nous – corresponde à ce qu’ils auraient la chance de trouver grâce au travail réalisé par les agriculteurs et par les entreprises de nos territoires.
C’est aussi un amendement important vis-à-vis des obligations de vos services, monsieur le ministre. Cette disposition ne doit pas se limiter à des intentions ; il faut exercer les contrôles et s’assurer que les produits importés correspondent bien aux règles que nous sommes en train de définir.
M. le président. L’amendement n° 177 rectifié bis, présenté par MM. Houpert, Morisset et Longeot, Mme Goy-Chavent, MM. Grand, Bazin, Lefèvre et Pellevat, Mmes Joissains et Lassarade, MM. Buffet et Poniatowski, Mme Gruny, MM. Vogel et Paccaud, Mme Lopez, MM. Guerriau, Grosdidier, Milon, Kern et Revet, Mme Delmont-Koropoulis, M. Bonnecarrère, Mmes Garriaud-Maylam et Bonfanti-Dossat, M. Joyandet, Mme Deromedi, M. Brisson, Mme M. Mercier, MM. Cuypers et Daubresse, Mme de Cidrac, MM. Babary et Le Gleut, Mme Billon et MM. Meurant et Leleux, n’est pas soutenu.
L’amendement n° 161 rectifié bis, présenté par MM. Chasseing, Malhuret, A. Marc, Guerriau, Decool et Lagourgue, Mme Mélot, MM. Wattebled, Capus et Fouché, Mmes Vullien et Goy-Chavent, MM. Longeot, Lefèvre, de Legge et Mandelli, Mme Joissains et MM. Henno, Mizzon, Bonnecarrère, Nougein et Canevet, est ainsi libellé :
Après l’article 11 decies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 253–8 du code rural et de la pêche maritime est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« … – Il est interdit de proposer à la vente en vue de la consommation humaine ou de distribuer à titre gratuit en vue de la consommation humaine des denrées alimentaires ou des produits agricoles issus de méthodes de production interdites en France et dans l’Union européenne. »
La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Cet amendement vise à interdire l’importation en France de denrées produites en utilisant des substances interdites dans l’Union européenne et en France, même à doses résiduelles – produits phytopharmaceutiques, farines animales ou encore antibiotiques activateurs de croissance.
Il s’agit de ne pas laisser subsister de distorsion de concurrence entre les producteurs européens et les producteurs des pays tiers, tout en protégeant la santé publique et l’environnement.
Le rapport de la commission Schubert sur les impacts du CETA répertorie les activateurs de croissance et les produits phytosanitaires – quarante-six molécules – interdits dans l’Union européenne mais autorisés dans les produits exportés vers l’Union européenne, comme l’Atrazine, interdite dans l’Union depuis le début des années 2000.
Une telle situation n’est pas tenable pour les agriculteurs français, dont les produits agricoles doivent respecter des pratiques plus coûteuses et qui se trouvent concurrencés par ceux de producteurs étrangers ayant des contraintes environnementales moindres.
Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements restant en discussion, à l’exception de celui qu’elle a elle-même présenté ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur. L’ensemble de ces amendements visent tous, selon des modalités pouvant diverger, à interdire la commercialisation en France des produits importés qui ne respectent pas les normes européennes et françaises, en matière de traitement, pour les premiers amendements, ou de mode de production, pour les deux derniers.
Nous l’avons dit, ces préoccupations sont légitimes, mais elles sont intégralement satisfaites par la rédaction de l’amendement de la commission, qui est englobante. En effet, notre amendement tend à prendre en compte les traitements, les modes de production pour les denrées humaines et animales, ainsi que la traçabilité et l’identification.
Je vous propose donc, mes chers collègues, de retirer vos amendements au profit d’un vote unanime pour l’amendement de la commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je veux profiter de la discussion de ces amendements pour répondre à un certain nombre d’interrogations.
D’abord, la question des CMR est quelque chose que l’on porte à l’échelon européen, et cela fait partie de la feuille de route sur la sortie et la réduction des pesticides que le Gouvernement soutient. Nous travaillons sur la sortie des produits au fur et à mesure que nous avançons dans nos travaux.
Sur le CETA, j’entends encore un certain nombre de choses. Je veux juste rappeler un chiffre : à ce jour, à peine 100 tonnes de viande du Canada sont arrivées sur le territoire européen ; ce n’est donc pas une arrivée massive, comme on aurait pu le penser. Ne nous faisons pas peur non plus avec cela…
Concernant le MERCOSUR, une session de négociation est prévue au début de juillet ; s’il n’y a pas de signature à ce moment-là, vous le savez, cela mettra encore du temps puisqu’il y aura ensuite les élections européennes puis le renouvellement de la Commission. (M. Fabien Gay s’esclaffe.) En outre, dès lors que l’accord sera signé, il y aura six ans de mise en application, donc on a le temps de travailler avec les filières afin de prévoir tous les garde-fous nécessaires pour les protéger.
Je veux aussi vous redonner deux ou trois éléments sur la feuille de route relative aux produits phytopharmaceutiques, en commençant par l’objectif de réduction de 50 % de leur utilisation à l’horizon de 2025, avec une priorité : diminuer l’utilisation des substances les plus préoccupantes pour la santé et pour l’environnement.
Nous voulons réviser les dispositifs d’évaluation européenne, accélérer la sortie des molécules les plus préoccupantes vis-à-vis de l’Union européenne, je viens de le dire, diminuer la quantité de pesticides utilisés, revoir la redevance pour pollution diffuse en ciblant les substances les plus préoccupantes, mais aussi mieux connaître les impacts pour informer et protéger notre population et l’environnement.
Donc, là aussi, nous misons sur la recherche et sur son impact sur la santé et sur la biodiversité, en encourageant une meilleure coordination des instituts de recherche, avec l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, et l’ensemble des agences concernées, en actualisant l’expertise collective de l’INSERM sur les pesticides, notamment pour améliorer le dispositif de reconnaissance des maladies professionnelles et, enfin, en mettant en place une campagne exploratoire de la surveillance des pesticides dans l’air.
Nous avons besoin de favoriser la recherche et le développement pour trouver des méthodes alternatives pour les agriculteurs. Il faut renforcer la recherche au travers de la mobilisation des instituts et le développement du biocontrôle. Nous voulons faciliter le recours aux préparations naturelles peu préoccupantes, tout en préservant, évidemment, une évaluation sanitaire et environnementale préalable. Cela passe par le développement de la formation, par la réorganisation du conseil, par les stratégies et les plans de filière ; n’oublions pas que, dans tous les plans de filière qui nous ont été adressés – plus de trente-cinq –, il y a des engagements, notamment dans les filières végétales, sur la réduction de l’utilisation des pesticides, et nous suivons ce parcours.
Nous souhaitons développer la certification de haute valeur environnementale, la HVE, et du plan Ambition bio, sur lequel je ne reviens pas. Enfin, nous nous appuyons sur le grand plan d’investissement pour recourir à tous les moyens innovants permettant de développer notre agriculture. Nous souhaitons également renforcer le plan Écophyto II et son fonctionnement.
Voilà les objectifs que nous portons dans la feuille de route de la politique de l’alimentation 2018–2022, et c’est la France qui le fait. La France est devant, sur ces sujets, et nous devons aussi travailler à des réponses européennes.
J’en viens aux amendements présentés, notamment à celui que propose Mme Loisier, rapporteur de la commission.
Je vous rejoins tous pour dire que les produits importés doivent respecter les mêmes normes que ceux qui sont produits en Union européenne, tant pour les consommateurs que pour les producteurs et les transformateurs. Toutefois, la réglementation en matière d’importation de produits destinés à la consommation humaine ou animale est définie à l’échelon européen et ne peut l’être qu’à ce niveau.
Je souhaite rappeler que les denrées alimentaires d’origine animale importées sont soumises à un contrôle sanitaire lors de leur introduction sur le territoire de l’Union européenne, et peuvent ensuite circuler librement entre les États membres dans le cadre du marché unique.
Prendre une telle mesure en droit français, d’une part, ne serait pas efficace parce que, vous le savez comme moi, il y a des produits qui entrent par d’autres États membres, sur lesquels on appose un beau logo « UE » et qui peuvent circuler sur tout le territoire européen et arriver en France – nous avons donc besoin de cette réponse européenne pour être cohérent avec notre objectif –, et, d’autre part, pourrait conduire à une situation dans laquelle un autre État membre respecterait le droit de l’Union, mais n’appliquerait pas sa surtransposition française, ce qui nous exposerait à un contentieux devant la Cour de justice de l’Union européenne, que nous perdrions.
La France porte systématiquement à l’échelon européen la position consistant à conditionner les concessions commerciales de l’Union européenne à des garanties relatives au mode de production, y compris en matière de promoteurs de croissance et de traçabilité, et à les inscrire dans les limites soutenables pour les filières en cause. C’est ce que nous faisons sur les accords commerciaux.
C’est ainsi que la position de la France – c’est important, et cela me permet de répondre à la question posée – a porté ses fruits, madame. En matière de médicaments vétérinaires, la France a défendu vivement le fait que les viandes importées ne soient pas issues d’animaux ayant reçu des antibiotiques comme promoteurs de croissance. C’est un enjeu de santé publique, car les antibiotiques délivrés comme tels concourent au développement de l’antibiorésistance. Cet accord a été obtenu par le Parlement et par le Conseil de l’Union courant juin, il y a quelques jours, effectivement ; je me félicite de ces avancées.
Pour l’ensemble de ces raisons – ce travail est entamé et nous devons trouver une réponse européenne et maintenir la cohérence européenne –, j’émets un avis défavorable tant sur l’amendement de la commission que sur les autres amendements présentés.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. Je viens d’écouter vos arguments, monsieur le ministre, et on ne peut que se féliciter de l’unanimité du Sénat, qui va dans le sens de nos agriculteurs, lesquels veulent s’orienter vers une agriculture durable et de qualité. (M. Laurent Duplomb s’exclame.) Je pense que nous assumons nos responsabilités, même si j’ai bien entendu les limites que vous venez de souligner du point de vue de la distorsion de concurrence vis-à-vis des autres pays européens.
Néanmoins, quelques orateurs ont cité l’exemple des cerises qui contenaient une matière active que la France avait interdite, le diméthoate. Aujourd’hui, en France, 50 % des cerises que nous consommons proviennent de ce que nous produisons ; donc nous importons 50 % de notre consommation.
Dans ce cadre, si le Sénat assume ses responsabilités avec l’unanimité sur toutes les travées, je vous demande comment vos services assumeront les leurs, monsieur le ministre. En effet, je vous le disais ce matin, reprenant un article d’un journal du sud de la France relatif à des produits espagnols, les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, ont toutes les peines à contrôler ces produits en raison d’effectifs faibles. Eu égard à la volonté du Gouvernement de supprimer 120 000 fonctionnaires, je me pose une question : seront-ils supprimés au sein de la DGCCRF, ce qui nous paraît impossible au regard de la décision que nous sommes sur le point de prendre ?
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.
M. Laurent Duplomb. Premièrement, si nous sommes tous d’accord pour défendre l’agriculture française et pour dire qu’il ne faut pas que des produits entrent en ne respectant pas les règles que nous imposons aujourd’hui, c’est parce que nous sommes déjà, selon moi, dans une agriculture saine et durable.
Deuxièmement, monsieur le ministre, vous ne nous convainquez pas du tout. Si vous n’êtes pas vous-même en capacité de défendre ces amendements, de faire en sorte que les choses soient clairement dites et de défendre la position de la France à l’échelon européen, quand y arriverons-nous ?
M. Laurent Duplomb. On ne peut pas continuer de demander à tous nos agriculteurs de courir un 100 mètres en leur accrochant un boulet de plus en plus gros au pied ! Malheureusement, monsieur le ministre, le titre II de votre projet de loi revient encore à faire grossir et à faire peser un peu plus ce boulet…
Donc, faites-le si vous avez envie de le faire, mais, au moins, donnez-leur ce plaisir, travaillez à l’échelon européen pour imposer votre marque et la marque de la France, afin que l’on respecte des choses de bon sens et de pragmatisme. On ne peut pas demander plus de choses aux agriculteurs, alors que M. le Président de la République reçoit le Premier ministre argentin et lui tape dans le dos en disant que l’on va accélérer les accords avec le MERCOSUR ! On sait pertinemment que ces accords concernent des produits qui ne respectent pas les règles de nos productions françaises.
M. Fabien Gay. Il faut refuser ça.
M. Laurent Duplomb. Donc, un peu de cohérence, un peu de motivation, et allez-y, nous serons derrière vous !
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Émorine, pour explication de vote.
M. Jean-Paul Émorine. Monsieur le ministre, je vous écoute depuis longtemps dans tous les avis que vous émettez sur les amendements. Vous répondez toujours « nous sommes en train d’y travailler ».
M. Jean-Paul Émorine. Je ne dis pas que vous n’y travaillez pas (Sourires.), mais je veux vous rendre attentif à quelque chose. Vous parlez des accords CETA avec le Canada ; l’agriculture canadienne, c’est plus de deux fois l’agriculture française. Vous évoquez aussi les tonnages, mais cela ne correspond pas à la négociation à l’échelon européen ; on évoque 45 000 tonnes sur l’espace européen.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Certes, mais aujourd’hui !
M. Jean-Paul Émorine. Qu’est-ce qui pose problème, aujourd’hui, à notre pays ? Je vous l’ai démontré hier, les éleveurs n’arrivent pas à dégager une marge suffisante pour avoir des conditions de vie décentes.
L’autre problème, s’agissant du MERCOSUR, est que l’on est dans deux mondes différents. Vous négociez avec des espaces dix ou quinze fois plus grands que l’espace français. Dans les pays du MERCOSUR, il n’y a pas d’hiver, l’herbe y pousse toute l’année.
Quant aux conditions sanitaires, je vais vous donner un exemple. J’ai rédigé, voilà quelques années, un rapport d’information sur une épizootie de fièvre aphteuse. La France était bloquée pour deux cas de fièvre aphteuse sur son territoire. Eh bien, figurez-vous que, selon l’Office international des épizooties, l’OIE, auprès duquel les pays doivent déclarer – il n’y a pas d’inspection – les épizooties, il y avait au Brésil une fièvre aphteuse endémique, ce qui n’empêchait pas ce pays d’exporter ! J’appelle donc votre attention sur ce point.
Je partage l’analyse de la commission et des auteurs des autres amendements. Mon collègue Laurent Duplomb vient de le dire, nous ne pouvons pas être rigoureux pour la production française – j’y suis moi-même tout à fait favorable – et nous défausser en permanence sur des règlements européens, que vous voulez faire évoluer. Donc inscrire cette disposition dans le projet de loi vous aiderait à négocier à l’échelon européen.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. L’amendement de la commission, présenté par le rapporteur, permet d’enrichir le texte.
Je veux prendre un exemple très concret, celui de l’identification des animaux. Vous le savez très bien, monsieur le ministre, quand vos services font des contrôles en France, s’ils se présentent dans un élevage et qu’un animal n’a aucune boucle, celui-ci va à l’équarrissage. Or il y a aujourd’hui des importations de viande provenant de pays où les animaux sont bouclés juste avant d’être embarqués pour l’Union européenne. Voilà un exemple très concret, dans lequel il n’y a aucune traçabilité, aucune certitude de ce qu’il est passé dans la vie de l’animal par rapport aux exigences que l’on peut avoir à l’échelon national.
Le texte que nous examinons instaure des contraintes supplémentaires au-delà des règles européennes. On ne peut donc pas, d’un côté, imposer aux agriculteurs français cet effort et faire peser sur eux ces charges nouvelles et, de l’autre, ne pas accepter que des produits venant d’ailleurs, y compris de pays de l’Union européenne, car c’est une véritable distorsion par rapport à nos collègues européens, soient examinés en fonction des règles que nous aurons définies dans le texte que vous êtes en train de présenter.
L’amendement de notre rapporteur va au-delà, puisqu’il tend même à prévoir les moyens de contrôle au niveau national, car, comme notre collègue Henri Cabanel l’a souligné, ils n’existent pas aujourd’hui.
Nous avons les moyens de contrôler ce que font nos paysans, mais pas les produits importés. C’est un simple problème de justice et d’équité : revenons les pieds sur terre !
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, nous en revenons à la question du libre-échange. D’ailleurs, je suis très satisfait de la position quasi unanime du Sénat. Nous appartenons tous à des partis politiques représentés au Parlement européen. Certains versent des larmes de crocodile, mais je leur rappelle que leur groupe vote des deux mains tous les traités de libre-échange. D’ailleurs, il serait bon que vous interpelliez vos députés européens, car treize traités sont en cours de négociation. Si vous voulez vous y opposer et tenir le même discours localement devant les agriculteurs, dans cet hémicycle et à l’échelon européen, il est encore temps d’agir !
Monsieur le ministre, considérons-nous que l’agriculture est un bien commun de l’humanité qui doit être sorti des traités de libre-échange, une exception culturelle ? Je vous pose la question parce que nous avons un débat de très haut niveau, ce qui n’est pas le cas avec tous les ministres. J’ai eu l’occasion d’interroger le ministre de la transition écologique et solidaire, qui m’a répondu de ne pas m’inquiéter, que le CETA serait encadré. Mais vouloir encadrer un traité de libre-échange, c’est comme mettre des barrières en carton-pâte pour contenir un troupeau de taureaux : l’effet est nul !
Monsieur le ministre, nous avons eu l’occasion de débattre d’un traité de libre-échange avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Nous étions d’accord, y compris avec nos collègues de l’opposition, mais une interrogation demeure. Nous n’avions pas encore négocié le plan de répartition des quotas agricoles découlant du Brexit que nous étions déjà en train de parler avec deux mastodontes : nous nous mettons nous-mêmes en difficulté !
Pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande se posent les problèmes de l’utilisation d’hormones de croissance et de la décontamination chimique des carcasses, dont la traçabilité est très difficile. Je voudrais que vous me répondiez à ce sujet.
Enfin, pour prolonger le débat avec vous, monsieur le ministre, je vous offre Le Traité avec le Canada mis à nu, de Patrick Le Hyaric, que j’ai retrouvé pendant la suspension.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur. Je veux revenir sur le vote récent à Bruxelles de l’interdiction d’importer des produits carnés ayant été traités avec des antibiotiques activateurs de croissance.
Nous nous en réjouissons tous, monsieur le ministre, c’est un grand pas, mais nous nous réjouirons encore davantage de la mise en application rapide de cette décision. Il ne faudrait pas que la Commission mette trois ans à publier les règlements d’application.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur. Donc nous comptons sur vous pour que ce dispositif s’applique rapidement et puisse s’imposer dans le cadre des traités de libre-échange CETA, MERCOSUR et tous les autres.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Travert, ministre. Il est de ma responsabilité de défendre l’agriculture française, les agriculteurs, mais aussi l’agriculture européenne et ce qu’elle peut représenter.
Effectivement, il y a des avancées sur l’utilisation des antibiotiques et le règlement européen n° 178/2002. La France, avec le plan Écoantibio, est d’ailleurs nettement en avance par rapport à de nombreux pays. Nous avons démontré que nous savions travailler avec les éleveurs. C’est grâce à eux et aux vétérinaires que nous avons pu diminuer de 33 % l’usage des antibiotiques, alors que nous avions fixé un objectif de 25 %. Nous devons continuer à travailler ainsi.
Ensuite, gardons-nous de nous faire peur ! Je comprends, j’entends les inquiétudes que peuvent susciter un certain nombre d’accords commerciaux passés ou à venir. Reprenons-les les uns après les autres.
Pour ce qui concerne l’Australie et la Nouvelle-Zélande, le mandat de négociation n’est pas encore connu, même si l’on entend beaucoup d’extrapolations sur le sujet. Pour l’instant, rien n’a démarré. Je vous rappelle que c’est l’Union européenne qui négocie, et que la France, comme sur le MERCOSUR et le CETA, fera valoir ses intérêts et ses lignes rouges.
Sur le MERCOSUR, il est normal que le Président de la République reçoive le président argentin. Avec lui, j’ai reçu une délégation argentine pour échanger sur cet accord. Celui-ci comporte des éléments positifs pour la France, notamment sur la construction automobile, mais à aucun moment nous ne faisons d’échanges du type l’automobile contre la viande bovine. Non, nous avons fixé des lignes rouges de négociation, à savoir une limite de 70 000 tonnes de viande bovine là où les contingents pourraient dépasser, selon certains, les 100 000 tonnes. Il a ensuite été question du sucre, puis d’autres produits.
Le mandat sur le MERCOSUR n’est pas encore signé par l’Union européenne. Une nouvelle session de négociation démarre début juillet ; nous verrons à ce moment-là. La France défend ses lignes rouges à Bruxelles et au Luxembourg. Nous sommes d’ailleurs douze pays à nous associer à la défense de ces lignes rouges, également dans l’enceinte du COPA-COGECA, pour permettre à nos filières de vivre et de travailler.
À travers ce texte, nous sommes justement en train de donner aux filières la capacité de résister à tout cela. En ce qui concerne l’ouverture internationale, il faut saluer l’accord signé avec la Chine pour exporter 30 000 tonnes de viande bovine. C’est tout de même important !
M. Ladislas Poniatowski. C’est un bon accord !
M. Stéphane Travert, ministre. Ouvrir la restauration collective aux produits sous SIQO, c’est donner des débouchés commerciaux à nos filières, en particulier à la filière bovine. Comme je l’ai indiqué hier, 70 % de la viande bovine servie dans la restauration collective vient de l’étranger. La filière a une responsabilité, et nous sommes prêts à l’accompagner pour y travailler.
Le CETA, je le rappelle, s’est traduit pas l’importation de 100 tonnes de viande sur le continent européen. Là encore, pas de grandes peurs. Certes, le contingent est de 70 000 tonnes, mais au train où vont les choses, nous devrions être tranquilles. Il faut mettre ces 100 tonnes importées dans le cadre du CETA en regard des 30 000 tonnes exportées en Chine, de l’ouverture de nouveaux débouchés commerciaux, de la réouverture de la route vers le marché turc pour la viande bovine. Nous avons aussi pu apporter la démonstration que nous avions une filière de qualité, que nous pouvions exporter des produits sans danger pour les consommateurs.
Sur le CETA, le Gouvernement avait mis en place un plan d’action rappelant les lignes rouges sur la protection de nos standards sanitaires, réglementaires, afin de faire en sorte que pas un gramme de viande qui ne correspondrait pas à ces règles n’entre sur le territoire français.
Toutefois, je vous l’ai dit, nous devons aussi élaborer une réponse européenne. En effet, dès lors qu’une viande se retrouve avec le logo de l’Union européenne, il n’est plus permis d’exercer le contrôle stricto sensu que nous appelons de nos vœux.
Nous devons donc continuer à répéter incessamment à l’échelon européen, sans rien lâcher, au commissaire Hogan, aux membres de la Commission, que nous souhaitons que nos filières soient préservées, que l’Europe puisse développer une agriculture de qualité. J’entends votre demande autour de ces enjeux.
La clause de sauvegarde mise en place par mon prédécesseur sur les cerises tenait compte du mode de consommation des cerises fraîches en France, contrairement aux autres pays européens, ce qui comporte un danger, notamment pour les enfants. Nous avons donc interdit le diméthoate. Aujourd’hui, nous acceptons que la Turquie réexporte des cerises, parce qu’elle s’est engagée à ne plus utiliser ce produit et que nous instaurons des contrôles stricts. Nous avons des engagements, sinon nous ne l’aurions pas autorisé. Cela fait partie des échanges commerciaux que nous devons avoir.
Nous avons appliqué la clause de sauvegarde parce que les modes de consommation l’exigeaient, mais nous ne pouvons pas le faire sur tout. C’est la raison pour laquelle nous émettons un avis défavorable sur les amendements qui ont été présentés.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Nous avons des visions différentes de l’international, des accords commerciaux et de l’Europe ; c’est un fait. Il est bon que chacun émette ses convictions, mais je ne pense pas que nous réussissions à nous convaincre les uns et les autres…