Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi à mon tour, en qualité de coauteur de cette proposition de loi, de rappeler que celle-ci est née de la réflexion menée sur l’islam par la mission d’information sénatoriale, voilà moins de deux ans, dont le rapport portait le titre suivant : « De l’islam en France à un islam de France ».

Ses deux objectifs ayant été abondamment rappelés par les orateurs précédents, je n’y reviens pas. Je souhaiterais toutefois préciser qu’elle a été cosignée par plus de cinquante sénateurs et sénatrices des seuls groupes Les Républicains et Union Centriste, que j’ai bien voulu solliciter. Je voudrais tout particulièrement remercier ce dernier groupe, l’Union Centriste, d’avoir bien voulu inscrire dans un de ses créneaux de la semaine dite sénatoriale.

Je voudrais également remercier Mme Françoise Gatel, issue de ce même groupe, d’en avoir fait le rapport, tout en m’excusant auprès d’elle de l’importance du travail que cela lui a causé.

À ce stade, force est néanmoins de constater que ce texte ne correspond naturellement plus du tout à notre intention initiale. Au sortir de la commission des lois, le texte que nous examinons aujourd’hui est entièrement vidé de son sens.

L’article 1er concernant le recours au régime de l’association cultuelle de la loi de 1905 a été supprimé, de même que l’article 4 relatif à l’obligation de formation des ministres des cultes. S’y substitue un article 3 bis instituant un conseil consultatif des cultes, placé auprès du ministre en charge des relations avec les représentants des cultes.

Il va de soi que cette situation ne saurait me convenir, vous l’aurez compris, non pas par orgueil personnel, étant l’auteur du texte d’origine, mais parce que je pense sincèrement que le Sénat rate ici une occasion de faire réellement œuvre utile. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé des amendements visant à rétablir le sens de la proposition de loi initiale, non sans avoir tenu compte de certaines observations de Mme la rapporteur.

Ma préoccupation essentielle concerne la nécessité de rendre obligatoire pour les cadres religieux et les ministres des cultes une formation spécifique leur assurant une connaissance des principes civils et civiques, des rites de leur confession et de la langue française.

Mes chers collègues, la raison en est évidente : il s’agit bien entendu d’éviter que, faute de formation suffisante, des ministres du culte diffusent des messages contraires à la tolérance et au respect des valeurs républicaines. Au-delà, il s’agit également, grâce à cette formation, comprenez-le bien, de permettre à ces « porteurs de la parole » de contribuer à l’organisation, à terme, dans notre pays, d’un véritable islam de France.

Je suis en effet personnellement convaincu que c’est par la formation du plus grand nombre que pourront être endiguées les dérives et les politiques opaques mises au jour dans le rapport de la mission sénatoriale précitée. Pour en avoir parlé abondamment autour de moi, je relève que nombreux sont ceux qui sont du même avis.

L’opposition à cette mesure se fonde, non pas sur l’inopportunité de l’objectif visé, mais sur son éventuel caractère inconstitutionnel. À cet égard, je me suis personnellement autorisé à saisir de la question deux éminents constitutionnalistes, dont les études, sous réserve de leur accord, pourraient bien entendu être rendues publiques. Leurs conclusions sont moins radicales que les sentences prononcées ici ou là et que j’ai encore entendues à l’instant.

Je me permets ici de m’inspirer des analyses de l’un et l’autre de ces deux juristes concernant tout particulièrement le concept de l’ordre public, sur le fondement duquel des restrictions au libre exercice du culte peuvent être apportées, au sens de l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, d’une part, et de l’article 1er de la loi de 1905, d’autre part.

En l’absence de définition de la notion d’ordre public, il convient de se référer à la décision du Conseil d’État du 28 avril 2004, qui a proposé de retenir, pour l’application de la loi du 9 décembre 1905, une acception large de la notion d’ordre public, « recouvrant non seulement, comme en matière de police générale, la sécurité publique, la tranquillité publique et la moralité publique, mais aussi la prévention des activités pénalement sanctionnées ».

Le rapport Stasi de 2003, à l’origine de la loi du 15 mars 2004, qui a encadré, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les établissements scolaires, soulignait également que, « aujourd’hui, la question n’est plus la liberté de conscience, mais l’ordre public », remis en cause par « les tensions et les affrontements dans les établissements autour de questions religieuses ».

Quant à la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, dont l’objet est la prohibition du port du voile intégral par les femmes musulmanes, son fondement dans l’ordre public a même été entendu au sens immatériel des exigences fondamentales du « vivre ensemble » dans la société française. L’ordre public, mes chers collègues, peut donc s’accorder avec la recherche de l’harmonie, éloignée d’une conception répressive.

Partant, une telle définition large de la notion d’ordre public, dans son application au champ religieux, et en particulier à l’islam, est de nature, selon les deux éminents juristes précités, à justifier une conception extensive, sinon instrumentale de celui-ci. Et ils considèrent dès lors que la proposition de loi que, avec d’autres, j’ai déposée intéresse bien l’ordre public, au sens où son objet est d’empêcher la propagation de doctrines religieuses radicales incompatibles avec les lois de la République, de la part d’imams autoproclamés, qui échappent au contrôle de la communauté et qui nourrissent naturellement le terrorisme islamique.

S’il s’agit, bien entendu, d’une intrusion dans la libre organisation des religions, cette restriction est on ne peut plus « nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui », au sens de l’article 9, alinéa 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Les deux juristes ajoutent que, comme toujours lorsqu’il s’agit de concilier deux exigences constitutionnelles ou conventionnelles – la liberté religieuse, d’une part, et la sauvegarde de l’ordre public, d’autre part –, il appartiendra au juge, qu’il soit national ou européen, d’apprécier la proportionnalité et les justifications mises en avant par le législateur pour adopter une loi plus restrictive ou imposer de nouvelles obligations, le législateur étant naturellement compétent, aux termes de l’article 34 de la Constitution, pour « fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».

Mes chers collègues, compte tenu de l’absence de précédents significatifs, de la part tant du Conseil constitutionnel que de la Cour européenne des droits de l’homme, l’un des deux constitutionnalistes dont je viens de parler en arrive à la conclusion qu’« il est particulièrement délicat d’anticiper une quelconque réponse dans un sens ou dans l’autre ».

L’autre juriste indique, quant à lui, que la proposition de loi « peut éventuellement trouver sa justification dans l’ordre public, même si la distance apparaît importante entre les dispositions organiques proposées et l’objectif de police poursuivi. »

Au vu de certaines dérives sectaires et radicales, je pense pour ma part qu’il est urgent de trouver un moyen de former les cadres religieux et les ministres des cultes, afin que tous les citoyens puissent exercer leur liberté religieuse dans le respect de nos valeurs républicaines.

C’est bien là tout l’objet de ce texte. Les mesures répressives, comme on en voit à longueur de textes, ne suffisant pas, il nous faut un « rocher » préventif, « un rocher contre lequel se briseraient toutes les tentatives centrifuges des citoyens, des groupes sociaux et du communautarisme au sein de la société », pour reprendre à mon compte les propos tenus par le doyen Jean Carbonnier à la fin du XXe siècle.

Mes chers collègues, je vous remercie de votre attention, en espérant sincèrement que cette proposition de loi ouvre enfin la voie à un vrai débat, à la fois politique et juridique, car je crois que notre rôle n’est pas de rester les bras croisés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Charles Revet. Exactement !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.

M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, voilà un débat passionnant et animé. Je dois vous avouer que, en écoutant les uns et les autres, j’ai plusieurs fois raturé le texte de mon intervention.

Plus de cent dix ans après le vote de la loi consacrant la séparation des Églises et de l’État, la question de la laïcité et du lien entre l’État et les religions fait toujours débat. La preuve en est apportée aujourd’hui.

Les tribunes dans les grands quotidiens nationaux s’enchaînent, chacun pensant avoir la bonne vision de ce qu’est un État laïc. Encore la semaine dernière, M. Jean Louis Bianco, président de l’observatoire de la laïcité, me disait, à l’occasion d’un échange, qu’il sentait dans notre pays une sensibilité toujours très forte sur toute situation qui touche à la laïcité, aux cultes et au fait religieux – une sensibilité peut-être même trop forte.

Après l’intense émotion suscitée par les différents attentats de ces dernières années, il faut distinguer entre deux niveaux de problèmes : d’abord ce qui relève, au sens strict, de la laïcité, par exemple le non-respect de la neutralité d’un service public, un problème qui reste heureusement assez marginal dans notre pays ; ensuite le radicalisme violent ou le terrorisme, qui se combattent, bien sûr, sur le terrain de la laïcité, mais aussi sur celui de la sécurité et de l’ordre public. C’est en partie l’objet de ce débat.

Aussi loin que remonte notre passé, vous le savez, le fait religieux a pu entraîner chez certaines minorités une forme de dogmatisme et d’extrémisme. Le phénomène n’est pas nouveau, et il suffit de s’intéresser à l’histoire pour constater que nous avons déjà pu vivre de telles situations. Cela touche les plus fragiles, ceux qui sont en quête de sens après des moments de vie souvent difficiles et qui se laissent endoctriner par toutes sortes de prêcheurs.

Nous le savons pertinemment, certains de nos compatriotes peuvent être manipulés par des personnes dangereuses, qui profitent de leurs faiblesses. C’est le rôle de la République de protéger chacun contre ce risque. À cet égard, je voudrais saluer le travail effectué par nos collègues Nathalie Goulet et André Reichardt. Ils connaissent ce sujet, et il est bon que nous ayons ce débat. Ils nous ont permis, avec ce texte, de débattre sur un sujet essentiel, à savoir la question de la radicalisation.

Cela dit, la religion relève de la conscience, et la question posée est la suivante : peut-elle être prêchée par tous ? La République doit être capable, effectivement, de proposer un cadre qui limite les dérives. Cependant, l’État ne peut pas non plus tout contrôler. Il s’agit ici non pas uniquement de légiférer, mais de s’assurer de la capacité de l’État à rendre effective cette loi, sans limiter les libertés de chacun.

Je regardais, il y a quelques jours, un film fameux, que j’adore, La Séparation, du réalisateur François Hanss. C’était une bonne révision avant nos débats ! Comme cela a été dit, il faut bien avoir conscience que la loi de 1905, comme celle de 2001, d’ailleurs, fut un travail d’orfèvre. J’ai pour ma part la conviction, pour reprendre une formule de Montesquieu, que nous ne devrions y toucher que d’une main tremblante.

Ces lois doivent-elles aborder les questions tenant à l’ordre public ? Je n’en suis pas tout à fait certain. En tout cas, c’est tout l’enjeu du débat.

Il faut se rappeler que la loi de 1905 a été pensée dès l’origine comme universelle, s’appliquant à la métropole, mais aussi à l’Algérie, aux croyants de toutes confessions, chrétiens, juifs, musulmans, et, bien sûr, aux non-croyants. C’est à Aristide Briand, qui était, non pas le ministre, mais le rapporteur de cette loi – cela tend d’ailleurs à grandir la fonction de parlementaire ! –, que l’on doit un tel équilibre.

Notre pays doit, bien sûr, faire face aujourd’hui à certaines menaces : le terrorisme, qu’il ne s’agit pas de nier, la radicalisation d’une forme de l’islam ou l’émergence de nouvelles sectes qui mettent en danger notre République. Nous devons être capables de répondre à ces menaces sans remettre en cause ce principe de liberté.

Mes chers collègues, il faut avoir le courage de la vérité, et Mme la ministre a eu le courage de dire tout à l’heure que nous débattions aujourd’hui pour répondre à l’interrogation d’un certain nombre de nos compatriotes sur les relations entre un certain islam – j’insiste sur cette restriction – et les valeurs de la République.

Il ne s’agit surtout pas de considérer que l’islam est incompatible avec les valeurs de la République. Nous devons essayer de comprendre comment le lien peut se forger et se renforcer. Et en arrière-plan, on ne peut pas ignorer qu’il s’agit aussi de s’interroger sur la capacité de la France à assimiler des personnes d’origines culturelles et cultuelles diverses.

Voilà pourquoi nous ne pouvons ni imaginer ni tolérer que l’enseignement d’un islam radical soit admis dans notre pays. C’est l’absence de cette limite au quotidien qui met en danger nos jeunes et qui crée le terreau d’une certaine forme d’extrémisme religieux dans notre pays. L’islam de France doit être capable de se structurer, mais ce n’est pas à l’État d’imposer cette structuration. L’État doit se contenter de poser la limite du cadre républicain.

La conception de la laïcité française est celle d’une République qui ne se mêle pas de l’organisation interne des religions. L’État ne doit pas aller plus loin que de proposer des formations profanes, qui accompagnent ceux qui veulent parler ou prêcher et qui partagent l’histoire, les valeurs et les principes de la République, ainsi que notre langue française, bien évidemment.

À cet égard, je tiens à saluer les propos de Mme la rapporteur, François Gatel, dont on connaît l’engagement. Doit-on parler d’une serpe bretonne ou plutôt d’une plume vive et souple ? (Mme la rapporteur sesclaffe.) Peut-être les deux…

Notre rôle de parlementaire est de garantir à chacun non seulement la liberté de croire ou non, mais aussi l’exerce de sa croyance. L’État doit ignorer les cultes, tout en permettant le libre exercice des cultes et la pratique religieuse de chacun.

L’historien Patrick Weil a écrit, dans une très belle tribune parue dans le journal Le Monde voilà quelques semaines, que « la laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience. » Je crois, comme lui, que la liberté de conscience de chacun est au cœur de la loi de 1905. Cette liberté est, aujourd’hui encore, le meilleur moyen de lutter contre la radicalisation religieuse ; elle est au cœur de notre Constitution.

Pour conclure, je veux saluer la qualité de ce débat et confirmer que le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Charles Revet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons à la fin de la discussion générale, et bien des choses ont déjà été dites. La place de l’islam dans notre société ?… Vaste débat !

« Ouvrir une école, c’est fermer une prison. » Cette formule, souvent prêtée à Victor Hugo, est probablement, en réalité, de l’éditeur Louis-Charles Jourdan. Mais qu’importe, car le message est clair et intemporel : la science et la connaissance contre l’obscurantisme et l’ignorance ; l’esprit critique et le libre arbitre contre l’endoctrinement et le déterminisme.

La réalité, néanmoins, est un peu plus complexe que cela, et cette phrase pose deux problèmes au moins : il n’y a jamais eu en France autant d’écoles qu’aujourd’hui, et, pourtant, le nombre de prisons n’a pas diminué pour autant, loin de là ; délinquance et criminalité des jeunes explosent ; il n’y a plus seulement que les adultes qui passent à l’acte.

L’école et l’enseignement ne font pas tout. La présente proposition de loi tendant à imposer aux ministres des cultes de justifier d’une formation les qualifiant à l’exercice de ces cultes, défendue par mes collègues Nathalie Goulet et André Reichardt, prévoit, aux articles 3 et 4, un contrôle par l’État de la définition de la formation et de la qualification des ministres des cultes.

Dans le contexte que nous connaissons, l’idée est notamment de remédier au recrutement d’imams étrangers, rémunérés par des pays tiers, véhiculant les thèses d’un islam radical, prêchant en langue étrangère, poussant à la haine et encourageant les pratiques discriminatoires sur notre sol. Il s’agit de combattre le phénomène pernicieux des imams autoproclamés.

Or ces formations proposées à des radicalisés ne les « déradicaliseront » pas forcément. C’est là un premier écueil.

Si vous considérez que des imams manquant de qualification pourraient tirer quelque bénéfice de ce type de formation, ayez ceci en tête : il existait déjà l’an dernier pas moins de quatorze diplômes universitaires de formation sur le fait religieux et la laïcité, offrant une formation au contexte sociohistorique, au droit et aux institutions de la France, à la gestion d’institutions cultuelles et à une approche universitaire du fait religieux, mais les imams étrangers ne s’y sont inscrits qu’en très petit nombre. C’est là un second écueil.

Dans la mesure où elle touche au contenu même de la pratique religieuse, je suis rassurée sur le fait que ladite « qualification cultuelle reconnue », dont devront justifier les ministres des cultes, relèvera non pas du domaine de la loi, mais bien de chaque confession, selon des modalités dont celle-ci sera seule juge.

Je suis convaincue en effet que l’État n’a pas vocation à contrôler les instituts de formation théologiques, et encore moins à déterminer le programme de leur enseignement. Ainsi, l’idée de créer une faculté de théologie musulmane au sein de l’université publique, comme il est proposé en application du droit local alsacien-mosellan, ne me paraît pas être une bonne idée.

Si le problème des imams étrangers radicaux doit, bien sûr, être réglé, l’on se trompe peut-être de cible ; ou du moins, l’on se trompe d’urgence. En effet, ils ne sont pas le canal principal de la peste islamiste qui ravage le monde et notre pays. M. Amir Amghar, sociologue spécialiste du salafisme et de l’orthodoxie en islam, explique ainsi que ce n’est plus uniquement dans les mosquées que l’on se radicalise aujourd’hui, mais par des rencontres entre individus par interfaces interposées. Les fidèles sont de plus en plus jeunes et sont en recherche d’informations sur l’islam par d’autres moyens, internet notamment. Là est aussi l’un des chantiers principaux.

Le problème de la radicalisation et de la violence des jeunes n’est pas uniquement un problème de jeunes. La vraie question est la suivante : pourquoi notre génération d’adultes rencontre-t-elle plus de mal que celle d’hier à apprendre à l’enfant qui grandit à gérer sa frustration, à maîtriser son agressivité et à découvrir d’autres modes de résolution des conflits que le recours à la violence ? Les bébés du XXIe siècle ne naissent pas plus violents que ceux des siècles précédents. Le problème central est celui de l’éducation, qui est l’apanage des parents.

La formation, l’instruction, si elles peuvent aider à l’insertion dans la société par une accumulation de compétences, ne remplaceront jamais la transmission donnée par le cadre familial, qui, seule, peut marquer durablement un individu et en faire quelqu’un de bon et d’impliqué pour le bien commun.

La formation des imams est utile, certes, mais il ne faudrait pas surestimer ses effets. Il convient de garder à l’esprit qu’elle ne constitue pas uniquement la solution ultime au mal du siècle. Ce sont des structures sociales, la prévention et l’accompagnement des familles – tout ce qui peut recréer le lien social – qu’il faudrait développer davantage.

Je voterai ce texte, car j’estime qu’il va dans le bon sens. Il est une première pierre, certes imparfaite, mais une première pierre tout de même à l’édifice. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Charles Revet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je tiens tout d’abord à remercier tous les intervenants de leur expression modérée.

Je veux ensuite répondre à l’intervention de Jacques Bigot, pour son information. Monsieur le sénateur, depuis le vote de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, la loi SILT, nous avons fermé quatre mosquées. Pendant l’état d’urgence, dix-neuf avaient été fermées.

Sachez aussi que le rapporteur public au Conseil d’État, qui a pris position hier sur la requête dirigée contre ce décret, a confirmé la compétence du pouvoir réglementaire. Naturellement, nous allons attendre l’avis définitif.

M. Charles Revet. Des textes comme celui-là, cela concerne aussi les parlementaires !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Oui, mais je n’ai pas dit le contraire !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi relative aux conditions d’exercice de la liberté de culte dans un cadre républicain

Chapitre Ier

(Division et intitulé supprimés)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions d'exercice de la liberté de culte dans un cadre républicain
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 1

Article 1er

(Supprimé)

Mme la présidente. L’amendement n° 8 rectifié bis, présenté par M. Reichardt, Mmes N. Goulet et Lopez, MM. del Picchia, Danesi et Kern, Mmes Goy-Chavent et Lassarade, MM. Laménie, Mandelli, Cardoux, Joyandet et Delahaye, Mme Imbert, MM. Revet, Dufaut, Lefèvre, Mayet et Rapin, Mme Berthet, M. Daubresse, Mmes Deroche et Lherbier, M. B. Fournier, Mmes Garriaud-Maylam et Micouleau, M. Savin et Mme Keller, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

La seconde phrase de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est complétée par les mots : « et notamment le respect des principes fondamentaux et des valeurs de la République ».

La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. C’est un amendement très important que celui que je me permets de présenter en cet instant. En effet, il vise à compléter la seconde phrase de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Celle-ci indique : « La République garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après, dans l’intérêt de l’ordre public ».

Je propose d’ajouter après « ordre public », les mots « et notamment le respect des principes fondamentaux et des valeurs de la République ». En effet, la notion d’ordre public, dans son application au champ religieux, n’a jamais été définie avec précision, ni dans la loi de 1905, ni dans les discussions parlementaires.

Malgré plusieurs sollicitations des parlementaires de l’époque, Aristide Briand, qui fut le rapporteur de la loi de 1905, s’est toujours refusé à définir l’ordre public. Et ce dernier public n’a été défini dans aucun autre texte depuis lors.

Faut-il considérer que la notion d’« ordre public » concerne exclusivement une conception matérielle, laquelle inclut le bon ordre, la sécurité, la sûreté, la salubrité publique ? Ou faut-il l’entendre aussi au sens immatériel des exigences fondamentales du « vivre ensemble » dans la société française ? C’est ce point qu’il faut trancher !

Je pense, pour ma part, que les libertés individuelles – a fortiori, la liberté religieuse – trouvent une limite, non seulement pour éviter qu’elles n’aboutissent au désordre et à l’insécurité, mais aussi pour préserver une éthique commune du « vivre ensemble » à l’ensemble du peuple français. Et cela s’appelle les valeurs de la République ! Tel est l’objet de mon amendement.

Bien sûr, j’entends déjà qu’il ne faut pas toucher à la loi de 1905. C’est un totem.

Mme Esther Benbassa. Non, c’est un tabou ! (Sourires.)

M. André Reichardt. Eh bien, elle a déjà été modifiée quatorze fois ! Pour ma part, il me paraît justifié d’inscrire à l’article 1er de la loi de 1905 que la liberté religieuse s’exerce, naturellement, en respectant les principes fondamentaux et les valeurs de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Gatel, rapporteur. L’amendement défendu par notre collègue Reichardt vise à préciser une composante de la loi de 1905, bien que cela n’ait pas une valeur juridique absolument indispensable.

Après que la commission a examiné cette proposition, j’émets un avis favorable.

M. Charles Revet. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement, cela va de soi, est attaché au plein respect des principes fondamentaux et des valeurs de la République. Toutefois, il s’agit ici de modifier l’article 1er, qui est symbolique et fondateur en matière de laïcité et dont la rédaction est restée inchangée depuis 1905 – je parle ici de l’article 1er, bien évidemment.

L’ajout proposé apparaît comme purement déclamatoire.

Mme Esther Benbassa. C’est évident !

M. Charles Revet. Cela va sans dire, mais c’est mieux en le disant !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. On voit mal les conséquences qui pourraient être tirées concrètement de cet ajout.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme Esther Benbassa. Nous sommes tous ici pour le respect des valeurs de la République !

M. André Reichardt. Disons-le, alors !

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. Bien sûr, comme l’a dit Mme la ministre, nous sommes toutes et tous respectueuses et respectueux des valeurs de la République. Sauf que votre amendement, monsieur Reichardt, est une tautologie : ce que vous écrivez là figure déjà dans le texte, puisque c’est la liberté du culte et le respect des cultes qui nous mènent au vivre ensemble.

Je ne sais pas pourquoi vous vous ingéniez à réécrire une loi,…

M. Philippe Pemezec. Il faut le faire !

Mme Esther Benbassa. … qui est non pas un totem, mais un tabou.

J’espère que ce texte restera un tabou et que l’on n’y touchera pas, parce que notre vivre ensemble en dépend !