Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Olivier Cigolotti. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi de programmation militaire dont nous commençons l’examen ce jour marque la fin d’une décennie d’érosion qui a abouti à des pertes d’effectifs importantes.
Ce texte conjugue avec le nécessaire renouvellement des équipements des armées la volonté de maintenir notre pays comme l’un des acteurs majeurs en matière de défense, en prévoyant de doter nos armées de matériels au meilleur niveau technologique et en nombre suffisant.
C’est donc une LPM de remontée en puissance, mais également de défis. En effet, elle doit, en alliant budget et stratégie, instituer, d’une part, la dissuasion en enjeu majeur et, d’autre part, assurer la protection de notre territoire national, dans un contexte de menace terroriste permanente et de retour d’une rhétorique de puissance à l’échelon international.
Cette loi de programmation militaire couvre la période 2019–2025, avec deux séquences : une première, de 2019 à 2022, avec un budget en hausse annuelle de 1,7 milliard d’euros ; puis, une seconde, de 2023 à 2025, avec une augmentation du budget des armées qui atteindra 3 milliards d’euros par an.
La trajectoire est ambitieuse, mais elle peut apparaître douteuse après 2022, certes pour des raisons politiques, mais également par l’absence de trajectoire financière pour les infrastructures et par le manque de visibilité concernant les échéances de livraison de matériel.
En ce sens, notre groupe Union Centriste a souhaité déposer un amendement ayant pour objet d’inviter le Gouvernement à réaliser avant le 1er janvier 2021 une actualisation de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale, afin d’évaluer les mutations stratégiques à la date de cette actualisation.
Notre travail en commission nous a d’ores et déjà permis de revenir sur de nombreux sujets. Je pense notamment à la question de la durée d’autorisation d’absence octroyée aux salariés des entreprises de plus de 200 salariés au titre de leurs activités de réserve.
À la quasi-unanimité, nous avons ramené ce congé à huit jours, contre les cinq qui sont actuellement en vigueur, et au lieu des dix jours souhaités par nos collègues députés. En effet, ce passage à dix jours n’a jamais été sollicité, ni par les réservistes eux-mêmes, ni par les associations qui les fédèrent, ni par le ministère des armées, ni par le secrétaire général de la Garde nationale.
Notre commission a également réintroduit à l’article 32, au sein du contentieux administratif, les spécificités des formations de jugement actuelles, et a précisé à l’article 36 les conditions de détermination des pensions militaires d’invalidité.
Notre groupe veillera pendant les débats à ce que les droits des blessés et pensionnés soient préservés.
Je souhaite aussi souligner les modifications apportées à l’article 5, afin de garantir que toute extension du service militaire volontaire, ou SMV, s’effectue avec des ressources supplémentaires par rapport à celles qui sont consacrées à la LPM. En effet, ce dispositif pourrait être amené à monter en puissance, dans le cadre du service national universel – SNU– voulu par le Président de la République.
Madame la ministre, j’insiste sur ce point : l’extension du SMV ou la naissance du SNU ne doivent en aucun cas se faire au détriment des moyens dévolus à la défense proprement dite et aux objectifs initiaux. Un certain nombre de rapports ont d’ailleurs été réalisés sur le sujet.
Je souhaite enfin évoquer le pari des coopérations capacitaires européennes.
Le rapport de la Cour des comptes sur la coopération européenne en matière d’armement publié en avril 2018 présente un bilan peu encourageant et souligne que « la plupart des grands programmes en cours ont rencontré des succès technologiques parfois remarquables, mais aucun n’a atteint la totalité des caractéristiques militaires espérées et n’a respecté son calendrier ».
Alors que le Royaume-Uni est affaibli par le Brexit – cela a été souligné – et que le partenariat avec l’Allemagne repose aujourd’hui plus sur une affirmation politique que sur une réalité opérationnelle, la situation est extrêmement fragile et inquiétante. C’est un sujet, madame la ministre, qu’il conviendra d’aborder en profondeur avec vous.
L’effort particulier du projet de loi dans le domaine du renseignement doit être salué, puisqu’il est susceptible de fédérer des partenaires autour de la France, tout en contribuant à l’autonomie stratégique européenne.
De nombreuses questions pourraient être abordées : la réflexion sur le dispositif Sentinelle ; le patrimoine immobilier sur la ville de Paris ; le risque de suractivité qui pèse sur les armées ; et bien d’autres…
Je laisserai le soin à mon collègue Gérard Poadja, sénateur de Nouvelle-Calédonie, d’aborder les spécificités de cette LPM qui concernent les outre-mer, et notamment la zone Pacifique.
À travers les amendements que mes collègues et moi-même défendrons, le groupe Union Centriste s’efforcera d’enrichir ce projet de loi, mais porte dès à présent un regard très favorable sur le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Fabienne Keller et M. Hugues Saury applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin.
M. Cédric Perrin. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères et de la défense, cher Christian, mes chers collègues, la préparation et le vote d’une loi de programmation militaire sont des moments importants du quinquennat. Il s’agit de définir l’avenir de la défense nationale, donc de la sécurité du pays dans un contexte géopolitique marqué par une instabilité chronique.
À l’heure en effet où les grandes puissances s’affranchissent du système onusien en rejetant le multilatéralisme, il est primordial que la France puisse assumer matériellement et humainement la responsabilité inhérente à son rang de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.
Cela ne semble possible que si la défense française reste crédible. Pour cela, nous devons fixer et atteindre des objectifs permettant de préserver notre indépendance stratégique.
Avant de poursuivre mon propos, permettez-moi de remercier tout particulièrement le président Cambon pour sa constante implication et sa volonté de travail collectif. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Bernard Cazeau, ainsi que Mme Hélène Conway-Mouret applaudissent également.)
Le travail de notre commission a permis de compléter le texte du Gouvernement, mais aussi de donner des moyens de contrôle au Parlement, alors même que l’on sent poindre, parfois, une certaine défiance à son encontre.
Nous avons ainsi créé les articles 6 quinquies et 6 sexies pour être en mesure de vérifier l’état d’avancement et le suivi des livraisons d’équipements. Je me réjouis, madame la ministre, que nos amendements aient permis de progresser sur ces sujets et que nous convergions vers un dispositif. L’amendement que vous nous proposez pour donner le point de passage de la trajectoire d’équipement en 2021 est très important pour le suivi de l’exécution de la LPM.
Sur les grands équilibres de la loi, M. Cambon a très bien résumé la situation : l’inflexion et les intentions sont louables, mais les aléas, nombreux.
Les risques sont bien présents. Ils pèsent sur l’outil de défense, qui, je le rappelle, ne peut souffrir de ruptures capacitaires, sous peine de subir des décrochages irrattrapables.
Conscients de ces enjeux, nous constatons avec satisfaction que vous affichez la volonté de faire progresser les crédits de la mission « Défense » de 9,8 milliards d’euros entre 2018 et 2023. De 34,2 milliards d’euros, ces crédits devraient être portés à 44 milliards d’euros. Mais quid des 3 milliards d’euros aussi attendus que nécessaires pour les années suivantes ? Seront-ils au rendez-vous en 2023 ?
Les années 2024 et 2025 feront l’objet d’une actualisation prévue en 2021. Or c’est sur ces deux années qu’une partie significative de l’effort devra être concentrée pour porter les ressources des armées à un montant correspondant à 2 % du produit intérieur brut.
En définitive, 67 % seulement des besoins sont couverts de manière ferme. Les tableaux de trajectoires financières sont clairs : les deux tiers de l’effort interviendront après l’élection présidentielle de 2022.
Le volet que vous appelez « à hauteur d’homme » est profondément fragilisé par l’insuffisance des crédits d’infrastructure. Il manque 1,5 milliard d’euros. En 2025, 60 % des infrastructures de la défense seront considérées comme « dégradées ». Comment préparer l’avenir dans ces conditions ?
J’en viens maintenant à la part consacrée aux équipements, qui représente 112,5 milliards d’euros sur la période 2019–2023, soit 22,5 milliards d’euros par an en moyenne, contre 18,3 milliards d’euros en 2018.
Cela devrait permettre certaines livraisons anticipées, tel que le programme Scorpion pour l’armée de terre.
La Marine nationale devrait bénéficier de nouveaux sous-marins nucléaires – vous l’avez dit –, de FREMM et de FTI d’ici à 2025. L’armée de l’air bénéficiera de nouveaux avions ravitailleurs, de drones et d’avions de chasse nouveaux, vingt-huit Rafale, ou rénovés, par exemple des Mirage 2000 D. Le nombre d’avions ravitailleurs et de transport stratégique est porté de douze à quinze appareils d’ici à 2025 et une livraison des douze premiers exemplaires sera achevée dès 2023.
Toutefois, de nombreuses inquiétudes persistent. Le projet de loi que vous nous proposez ne comble pas les lacunes capacitaires. Certaines ne seront même pas résorbées en fin de programmation.
En 2025, 58 % des véhicules des VAB seront encore en service ; 80 hélicoptères Gazelle atteindront les quarante ans de service ; seuls 50 % des chars Leclerc auront été rénovés, et leur parc réduit de 17 %.
Madame la ministre, pensez-vous que ce soit suffisant pour prétendre jouer un rôle décisif dans la lutte contre le terrorisme ? Est-ce au niveau, à l’heure où la Chine, la Russie et les États-Unis poursuivent une politique d’investissement qui nous donne le vertige ?
Mes chers collègues, on ne peut pas aborder les problématiques d’équipements sans revenir un instant sur les procédures d’acquisition de matériels. La réforme de la DGA et l’allégement des requêtes pour les achats en plus petite quantité sont des points positifs.
Par ailleurs, et comme dans de nombreux domaines, il apparaît clairement que la France a, une fois encore, surtransposé le droit européen, alors même que la directive 2009/81/CE avait été négociée, pour l’essentiel, sous présidence française de l’Union. C’était l’objet de l’amendement à l’article 26, défendu par ma collègue Hélène Conway-Mouret et par M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères et de la défense. Le Gouvernement souhaite revenir sur cet apport, et je le regrette vivement. Nous aurons l’occasion d’y revenir, mais je tiens d’ores et déjà à vous indiquer que nous ne comprenons pas votre position sur ce point, madame la ministre.
Je souhaite également attirer votre attention sur l’importance de la régénération des matériels. Les opérations extérieures, ou OPEX, et le maintien en condition opérationnelle, ou MCO, sont intrinsèquement liés. Les 22 milliards d’euros consacrés à l’entretien programmé des matériels, soit un montant annuel moyen de 4,4 milliards d’euros, sont bienvenus. C’est 1 milliard d’euros supplémentaires par rapport à la LPM précédente.
L’autre défi tient à l’anticipation et à la gestion de l’usure de ces matériels. Cette question est très importante, et il faut travailler main dans la main avec les industriels. Je tiens à saluer l’amendement qui a été adopté par la commission des finances sur proposition de notre collègue Dominique de Legge concernant ce que l’on appelle « les liasses ».
Acheter du matériel, c’est bien ; mais s’assurer de la propriété pleine et entière des modes d’emploi, c’est mieux !
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis de la commission des finances. C’est vrai !
M. Cédric Perrin. Cette LPM annonce l’inflexion d’une dynamique très négative. Depuis plus de vingt ans, les dividendes de la paix nous ont incités à baisser la garde ! Cette LPM nous redonne l’espoir de revenir au niveau qu’exige aujourd’hui la sécurité de la France. Mais nous sommes inquiets quant à la date effective des investissements, qui se concrétiseront pour beaucoup après 2023.
L’ennemi de la LPM – chacun le sait –, c’est Bercy. Aucune des dernières LPM n’a été appliquée conformément au vote du Parlement. Le rôle du Sénat doit consister à contrôler sa bonne mise en œuvre. Je sais, madame la ministre, votre investissement personnel et celui de votre cabinet pour défendre cette LPM. Il nous appartient désormais de vous aider à l’appliquer conformément à nos ambitions à tous, dans l’intérêt de nos armées et de la France.
Dès lors, soyez sûre que nous serons au rendez-vous à chaque examen budgétaire, chaque année, mais aussi dès que nous le pourrons, pour vérifier que nos armées disposent des moyens nécessaires à leurs missions. La France ne peut plus se contenter d’effets d’annonce en ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Michèle Vullien et Sylvie Goy-Chavent, ainsi que M. Raymond Vall applaudissent également.)
M. Christian Cambon, rapporteur. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Poadja. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Gérard Poadja. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, comme l’a indiqué Olivier Cigolotti, je concentrerai pour ma part mon propos sur la politique de défense outre-mer, en particulier dans le Pacifique.
Ainsi que l’a rappelé l’Assemblée nationale, les outre-mer français et les zones économiques exclusives qui leur sont rattachées constituent un enjeu stratégique majeur pour la souveraineté de la France.
Il faut veiller au renouvellement des équipements matériels et permettre aux militaires d’exercer au mieux leurs missions dans cette zone.
Ce projet de loi a pour ambition de renouveler les capacités opérationnelles et les équipements des armées, notamment par la livraison pour 2025 de six patrouilleurs dans les outre-mer.
Je me félicite de cette modernisation annoncée, mais j’ai une inquiétude.
Madame la ministre, vous avez indiqué que les deux patrouilleurs assurant actuellement la surveillance de la zone économique exclusive de la Nouvelle-Calédonie seraient retirés du service actif en 2020. Or les deux nouveaux patrouilleurs devraient être livrés à l’horizon 2021–2022. Comment la surveillance de nos eaux territoriales va-t-elle être assurée durant cet intervalle ? Il serait inconcevable de laisser notre espace maritime en proie aux pillages pendant une ou deux années. Sans patrouilleurs, la souveraineté de la France dans le Pacifique serait mise à mal.
En outre, cette LPM veut améliorer les conditions de travail de nos militaires. Or nous devrions avant tout réduire les inégalités qui persistent entre les militaires métropolitains et ceux qui viennent d’outre-mer et du Pacifique.
Les hommes et les femmes de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna s’engagent avec la même ferveur, le même courage et le même dévouement que tous les militaires. Pourtant, ils ne peuvent pas prétendre à une prime spécifique d’installation lorsqu’ils sont affectés en métropole. Ils ne bénéficient pas non plus des congés bonifiés, et ils font état d’un réel manque d’accompagnement lorsqu’ils ont besoin de se réorienter professionnellement. Je crois que nos discussions devraient aussi porter sur la réduction de ces inégalités.
Le Président de la République a affirmé, lors de sa récente visite en Nouvelle-Calédonie, sa volonté de construire un axe indopacifique fort. Le Pacifique doit donc être pleinement intégré à notre politique de défense. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Raymond Vall applaudit également.)
M. Christian Cambon, rapporteur. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre. Messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai bien entendu vos interventions. Je vous suis très reconnaissante d’avoir tous choisi d’exprimer d’abord des convictions sur le fond. Je pense que ce texte et nos armées le méritent.
Ce dont il est question, c’est notre capacité à agir et à nous projeter sur un certain nombre de théâtres de plus en plus difficiles et incertains. Comme je vous l’ai indiqué, je pense que cette loi de programmation militaire sera encore meilleure parce qu’elle aura été travaillée collectivement.
Dans ce contexte, certains propos qui ont été tenus ne me semblent pas de mise dans cette assemblée, monsieur Ravier.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Il est parti !
Mme Florence Parly, ministre. Ce n’est pas grave ; je réponds même aux gens qui sont partis ! D’ailleurs, sur la forme, je trouve son absence encore plus choquante !
Je comprends que le parti de M. Ravier ait un problème avec cette loi de programmation militaire. Plus exactement, j’ai compris en lisant un certain nombre de tribunes que le Front national n’y souscrivait pas. Et je m’en étonne ! Voilà un parti politique qui se présente souvent comme le parangon d’une défense forte. On ne peut donc qu’être surpris de l’opposition de ses représentants à une augmentation du budget des armées de plusieurs milliards d’euros par an, à de meilleures conditions de vie et d’hébergement pour nos soldats, au renouvellement des programmes d’armement, et j’en passe. Je crois que cela méritait d’être rappelé devant la représentation nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste. – MM. Raymond Vall et Robert del Picchia applaudissent également.)
Les autres interventions ont parfaitement reflété, je le crois, cette forme de balancement que j’évoquais dans mon propos liminaire entre la nécessaire prise en compte des besoins de nos armées et un certain nombre de craintes rappelées de manière très explicite par les orateurs.
La prise en compte de la nécessité d’agir pour nos armées me paraît parfaitement partagée par votre assemblée. Comme je l’ai indiqué, je comprends les craintes, dans la mesure où le Sénat a vécu des périodes difficiles au cours des dernières années ; nos armées aussi, d’ailleurs…
Je comprends donc parfaitement votre souci de vigilance quant aux moyens qui seront consentis au fil des années dans le cadre de la LPM, votre désir de bien contrôler l’exécution du texte et votre souhait que vos capacités de contrôle soient renforcées.
Je voudrais tout de même rappeler quelques points, en complément de mon propos introductif.
D’abord, le temps des sacrifices est révolu. Cette loi de programmation militaire ne crée pas, contrairement à ce que j’ai pu entendre dans un certain nombre des propos, de « mur budgétaire ». Je souhaite revenir un instant sur cette notion.
Il n’y a pas de « mur budgétaire ». Nous avons fixé un objectif : consacrer 2 % du PIB à notre défense en 2025. L’objectif est, en effet, très ambitieux, mais nous sommes déterminés à l’atteindre. D’ailleurs, nous n’avons pas attendu la loi de programmation militaire 2019–2025 pour engager cela.
Comme je l’ai rappelé tout à l’heure, l’exécution 2017 s’est finalement déroulée conformément à la loi de finances initiale. En outre, la loi de finances initiale pour 2018 a procédé à un premier effort tout à fait significatif, de 1,8 milliard d’euros de plus qu’en 2017. C’est tout à fait en ligne avec l’ampleur des progressions qui auront lieu à partir de 2019. En considérant la situation de manière dynamique, on ne peut pas dire que l’ensemble des efforts sont renvoyés à la dernière partie de la loi de programmation militaire.
Mais quelques chiffres valent mieux qu’un long discours. Entre 2019 et 2023, la progression annuelle des moyens tels qu’ils sont prévus dans cette loi de programmation militaire est, en moyenne, de 5,6 % ; c’est d’ailleurs ce que nous avons fait entre 2017 et 2018. Entre 2023 et 2025, elle devrait être de l’ordre de 7,3 % par an. Certes, me direz-vous, cela fait 1,7 point de plus. En effet. Mais 1,7 point de plus, cela ne change pas fondamentalement la magnitude de l’effort qui sera réalisé.
C’est donc une marche qui me paraît parfaitement franchissable et réaliste au regard de l’ambition qui est la nôtre. En tout cas, elle est beaucoup moins raide que certains veulent bien l’indiquer.
Je souhaite revenir sur l’intérêt de l’actualisation prévue en 2021. Comme je l’ai souligné, il s’agit d’une assurance que cette loi de programmation militaire sera exécutée conformément à son ambition. Qui peut dire ici avec certitude et sans erreur quel sera le PIB de 2025 ? Personne, je suppose ; en tout cas, pas moi. Je ne voudrais pas que cette LPM, qui se donne les moyens d’atteindre cet objectif, manque la dernière marche simplement parce que nous ne sommes pas capables aujourd’hui de convertir en milliards d’euros ce que seront en 2025 le PIB et, par conséquent, les 2 % du PIB consacrés à notre défense. Encore une fois, ne voyez pas cela comme un risque. C’est au contraire une assurance que nous nous donnons collectivement et que le Parlement, je crois, se donne aussi, à travers ce rendez-vous si important. D’ailleurs, l’article 6 vous permet de bien surveiller cette exécution de la LPM, d’en corriger des variations comme il conviendra.
J’insiste également sur une autre caractéristique de ce projet de loi de programmation militaire : les hypothèses budgétaires qui ont été retenues sont solides et sincères.
Je l’ai dit, il s’agit exclusivement de crédits budgétaires fermes. Cela n’exclut évidemment pas qu’il y ait des ressources exceptionnelles, lesquelles viendraient, le cas échéant, par surcroît. À l’inverse, si elles ne devaient pas exister, cela ne déstabiliserait pas de façon structurelle la bonne exécution du présent texte.
Ces ressources exceptionnelles représentent la possibilité de faire mieux, de faire plus vite. Pour autant, leur absence n’entraînerait pas l’incapacité de mettre en œuvre la future loi de programmation.
Un autre point concerne la provision pour les OPEX et les missions intérieures. Je l’ai déjà évoquée, mais je ne vous ai pas dit, en revanche, que cette provision, qui va être augmentée, ne grèvera pas les moyens consacrés à nos armées.
En effet, lorsque cette provision s’élevait à 450 millions d’euros, à l’intérieur d’un budget beaucoup plus modeste que celui que vous avez voté pour 2018, mesdames, messieurs les sénateurs, elle représentait 2,5 % des crédits consacrés à la défense. Demain, portée à 1,1 milliard d’euros, elle représentera 2 % des crédits totaux dédiés au budget de nos armées.
La sincérisation n’est donc pas contraire au développement de moyens autres que la provision pour les OPEX et les missions intérieures.
Enfin, c’est l’évidence, cette provision portée à 1,1 milliard d’euros nous permettra d’aborder l’avenir avec moins d’incertitudes, et de réduire la différence entre le montant prévisionnel des OPEX et des missions intérieures et le montant qui sera finalement réalisé. Tel est en tout cas mon souhait le plus cher. C’était aussi celui de M. le rapporteur spécial de la commission des finances puisqu’il avait exhorté à l’augmentation de cette provision dans son rapport d’information de 2016.
Monsieur Poadja, vous avez évoqué la question essentielle des moyens consacrés à l’outre-mer.
Ce projet de loi accorde justement une place importante à ces moyens. D’abord, nos cinq implantations ultramarines seront maintenues. Ensuite, il est prévu de renforcer de manière ciblée les effectifs en outre-mer, à raison de 120 postes supplémentaires sur la période de programmation, dont 28 dès l’année 2019.
Nous avons également pris la décision de commander et de livrer, dès 2019, un patrouilleur léger pour les Antilles. J’avais eu l’occasion de l’indiquer dans le cadre du débat budgétaire ; je le rappelle, car je crois que cette décision est très attendue outre-mer.
Quant à la flotte des patrouilleurs dans son ensemble, elle sera elle aussi renouvelée avec six livraisons prévues entre 2022 et 2024.
Je ne sais pas, monsieur le sénateur, s’il sera si facile de répondre à votre souhait d’aller plus vite. En tout cas, je puis vous dire que les outre-mer ont été pris en compte au vu des besoins considérables, auxquels nous sommes collectivement confrontés, qui existent dans le domaine de la surveillance de notre vaste espace maritime et de la prévention de la spoliation, voire du pillage, d’un certain nombre de ressources, notamment naturelles.
Une attention prioritaire sera accordée aux territoires les plus éloignés ; je pense en particulier à la Nouvelle-Calédonie, que vous représentez si bien, ainsi qu’à la Polynésie française.
Pour conclure cette partie préliminaire de notre débat, je souhaite revenir, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur la jolie formule que vous m’avez adressée : « Aidez-nous à vous aider. »
À mon tour de vous dire, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs : aidez-moi à vous aider (Exclamations.), en continuant ce travail constructif et, je crois, collaboratif que nous avons amorcé, en recherchant les consensus et les garanties adéquates pour nos armées, en laissant aussi ce débat à sa place, c’est-à-dire celle d’une loi de programmation, et non d’une loi de finances, d’une loi de règlement ou d’une loi de renseignement.
Je suis, pour ma part, tout à fait confiante, sachant l’attachement du Sénat au travail législatif et parlementaire de qualité, à nos armées, et connaissant sa capacité à rechercher et à bâtir les consensus. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
TITRE Ier
DISPOSITIONS RELATIVES AUX OBJECTIFS DE LA POLITIQUE DE DÉFENSE ET À LA PROGRAMMATION FINANCIÈRE
Article 1er
Le présent titre fixe les objectifs de la politique de défense et la programmation financière qui lui est associée pour la période 2019-2025 ainsi que les conditions de leur contrôle et de leur évaluation par le Parlement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Fabienne Keller, sur l’article.
Mme Fabienne Keller. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai souhaité intervenir sur les objectifs et la programmation financière.
Je veux, comme mes collègues, saluer l’effort et l’engagement du Gouvernement qui permet de porter à 2 % du PIB les dépenses en matière de défense. J’apprécie aussi beaucoup, madame la ministre, votre axe stratégique sur la défense « à hauteur d’homme ».
Je tiens aussi à dire, quelque peu solennellement, toute ma reconnaissance au général Pierre de Villiers qui a, durant plusieurs années d’exercice au plus haut niveau de l’armée, contribué fortement à la prise de conscience de la réalité vécue par l’armée et de ses immenses besoins financiers.
S’agissant du projet de loi de programmation militaire que vous nous proposez, je partage les analyses de mes collègues, en particulier celles des trois rapporteurs, sur la fragilité, la soutenabilité du programme d’investissements présenté.
Le président Christian Cambon a évoqué les aléas. J’en citerai un seul : le service national universel, le SNU. Celui-ci n’est pas encore tout à fait inscrit dans la loi et des amendements seront présentés pour le supprimer. Je veux néanmoins exposer durant une minute ce qui est un défi.
L’armée, jusqu’à il y a vingt ans, structurait largement la nation française. Ce sont alors les militaires qui portaient les valeurs d’adhésion à la République, les valeurs d’entraide, de respect de l’autre et d’esprit d’équipe. Ils le démontrent encore aujourd’hui, qu’ils soient professionnels ou réservistes, à travers leur implication forte dans le service militaire volontaire, le SMV, le service militaire adapté, le SMA, mis en place outre-mer, et les établissements pour l’insertion dans l’emploi, les EPIDE, où leur engagement est précieux, comme l’ont rappelé dans leur rapport mes collègues Jean-Marie Bockel et Jean-Marc Todeschini. Or il s’agit de ne pas pénaliser nos armées.
Vous le savez, l’armée a été fortement pénalisée par les ponctions liées à l’opération Sentinelle et a mis deux ou trois années à s’en remettre. Il ne faudrait pas que le SNU la déstabilise de nouveau.
Pourrez-vous, madame la ministre, nous donner des pistes de solution, pour profiter du savoir-faire, du savoir-être et de l’expérience, remarquables et irremplaçables, des militaires, sans pour autant pénaliser l’équipement et les moyens indispensables à nos armées ?