M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis de trop nombreuses années, le fret ferroviaire est le parent pauvre du rail. Les voies sont vétustes et mal entretenues, ce qui a conduit à l’abandon d’un grand nombre de lignes et à la fermeture de triages. L’État et l’entreprise historique ont organisé la casse de l’outil industriel par l’ouverture à la concurrence et l’abandon du wagon isolé.
Ainsi, l’activité de Fret SNCF s’est réduite à 150 000 wagons en 2014, contre 700 000 en 2005. Les effectifs ont également fondu, passant de 15 000 agents en 2008 à 7 400 en 2015. Demain, avec le rapport Spinetta, les lignes capillaires risquent d’être soit confiées aux régions soit abandonnées, ce qui pénalisera d’autant plus ce qui reste encore de fret ferroviaire.
Fret SNCF est appelé à la filialisation. Il s’agit d’une politique suicidaire, car guidée par la recherche d’un retour à l’équilibre qui est impossible dans un contexte où les péages ferroviaires sont en constante augmentation.
Pourtant, les enjeux environnementaux de rééquilibrage modal sont toujours aussi importants. Nous attendions donc beaucoup du rapport Duron. Nous regrettons que son auteur écrive : « Les investissements [en matière de fret] doivent faire l’objet de nouvelles expertises pour faciliter leur programmation en en optimisant les coûts et pouvoir être considérés comme prioritaires dans les programmations » – manière de dire que ces investissements ne sont toujours pas prioritaires et que le rail passe encore une fois derrière la route en termes d’investissements, ce qui le condamne comme activité.
Madame la secrétaire d’État, allez-vous renoncer à la filialisation de Fret SNCF, qui, de fait, condamne l’entreprise publique ? Allez-vous enfin déclarer l’activité du wagon isolé d’intérêt général pour faire du rail la voie privilégiée de transport des marchandises ? Quels engagements financiers pouvez-vous nous annoncer en faveur de ce mode de transport, pour permettre son développement et sa modernisation ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame Cukierman, en complément des trains massifs ou trains complets qui représentent l’offre la plus pertinente du fret ferroviaire du fait de la grande capacité de massification qu’elle permet, l’offre dite « wagons isolés » se maintient bien en France.
Contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays européens, on peut estimer que l’activité de wagons isolés totalise en France entre 180 000 et 250 000 mouvements de wagons chargés par an, et autant pour des wagons vides. Ce maintien répond à un besoin avéré des chargeurs.
Des secteurs d’activité structurants de l’économie française utilisant fréquemment le mode ferroviaire, comme la sidérurgie ou encore la chimie, ont fait part de leur souhait de disposer, en France et en Europe, d’un service d’acheminement de wagons isolés performant et compétitif.
Une étude sur les wagons isolés pilotée par l’association des utilisateurs de transport de fret, l’AUTF, et publiée en septembre 2016 a conforté la volonté des chargeurs de voir perdurer et se renforcer cette offre qui correspond à des besoins spécifiques liés à des contraintes industrielles, mais aussi de sécurité.
Cette offre est composée de deux grands types d’organisation de transport : d’abord, une organisation structurante nationale construite par Fret SNCF, caractérisée par une couverture géographique importante, avec une stratégie de maîtrise de bout en bout reposant sur un modèle de gestion en réseau ; ensuite, plus récemment, des offres régionales construites sur mesure par les autres entreprises ferroviaires. Ces dernières reposent plus sur un modèle de gestion par axe et s’appuient plutôt sur une coopération entre entreprises ferroviaires lorsque les distances sont plus importantes.
Il s’agit donc maintenant pour les opérateurs ferroviaires d’optimiser la capacité des trains et d’améliorer la commercialisation de ces offres. C’est là que résident les enjeux.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Bernard Delcros. Madame la secrétaire d’État, l’amélioration des infrastructures routières, mais aussi la politique menée depuis longtemps par la SNCF, a considérablement fait chuter l’utilisation du rail, qui est passé de 75 % de parts de marché dans les années soixante à moins de 10 % aujourd’hui.
Néanmoins, en tirer des conclusions hâtives pour considérer, dans une vue à court terme, que le fret ferroviaire n’est pas une solution d’avenir sans replacer ce sujet dans les grands enjeux sociétaux, climatiques et écologiques du XXIe siècle serait, à mon sens, une erreur.
N’oublions pas que 94 % des émissions de gaz à effet de serre dus aux transports sont issus du transport routier et que, selon l’Agence nationale de santé publique, plus de 48 000 décès par an seraient imputables, en France, à la pollution de l’air.
Mme Fabienne Keller. Absolument !
M. Bernard Delcros. Je rappelle que, dans les Pyrénées, plus de 6 millions de poids lourds transitent chaque année vers l’Espagne par les cols du Perthus et du Biriatou.
Dans le Massif central, que je connais bien, quelque 92 % des marchandises acheminées au port de Sète, principal débouché vers la Méditerranée, le sont par camions, alors que ce territoire est irrigué par un réseau de près de 4 000 kilomètres de voies ferrées sous-utilisées.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Bernard Delcros. Peut-on continuer à laisser croître ce trafic de poids lourds et la pollution de l’air qui l’accompagne, madame la secrétaire d’État ? Ce ne serait pas responsable.
L’enjeu est tel, me semble-t-il, qu’il faut investir dans l’entretien et la modernisation d’un réseau ferroviaire qui n’est pas à construire, puisqu’il existe !
M. Charles Revet. Eh oui !
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Bernard Delcros. Première question : seriez-vous favorable au fait de reconsidérer l’avenir du fret ferroviaire dans une vision stratégique de long terme, qui intègre de manière prioritaire les données environnementales, de santé publique et d’aménagement du territoire ?
Seconde question : pouvez-vous m’assurer que la ligne Clermont-Ferrand-Neussargues-Béziers, axe majeur du fret du Massif central, entièrement électrifiée, inscrit en 1994 dans le schéma d’intérêt national des infrastructures ferroviaires et retenu en 2000 dans le schéma européen de fret, une ligne qui conditionne notamment le maintien de l’entreprise ArcelorMittal à Saint-Chély-d’Apcher, sera maintenue ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Delcros, à l’heure actuelle, il est estimé que 50 millions à 70 millions d’euros d’investissements seront nécessaires sur la partie nord de la ligne située en Auvergne-Rhône-Alpes, ainsi que pour la desserte du site ArcelorMittal à Saint-Chély-d’Apcher.
Cette ligne de desserte fine des territoires présente deux problèmes pour les circulations voyageurs et fret.
S’agissant du fret, cette ligne dessert le site d’ArcelorMittal, dont le maintien présente des enjeux significatifs en termes d’emplois pour le département de la Lozère, comme vous le savez, monsieur le sénateur.
À court terme, pour éviter une rupture des circulations dès 2019, quelque 3,5 millions d’euros de travaux d’urgence sont nécessaires. SNCF Réseau a mis à profit l’été 2017 pour poursuivre les discussions avec les régions Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes sur le financement de ces travaux d’urgence destinés à pérenniser les trafics fret jusqu’en 2021. Les travaux seront donc réalisés au premier semestre 2018 sur une période de trois mois.
Enfin, monsieur le sénateur, vous serez dans les jours qui viennent l’un des premiers informés du lancement de l’appel à manifestation d’intérêt des autoroutes ferroviaires France-Espagne. Je suis sûre que vous suivrez de très près et avec intérêt ce projet.
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le rapport Duron acte le désastreux bilan du report modal, qui a abouti à une victoire écrasante du routier sur le rail.
Le primat est donné à l’amélioration de la desserte des principaux ports français et à l’établissement de grands corridors européens. Aussi l’auteur du rapport mentionne-t-il timidement le nécessaire maintien du réseau capillaire fret, qui est adapté aux besoins des systèmes de production, notamment dans l’agroalimentaire. Il contredit en ce sens le rapport Spinetta, dont les recommandations sur les petites lignes mixtes ont fortement inquiété les utilisateurs de fret.
Les professionnels appellent de leurs vœux une stratégie étatique d’ampleur en matière de fret. En effet, dans une récente interview, la directrice du pôle transport ferroviaire de marchandises du groupe SNCF expliquait très bien que nous avions, malgré l’ouverture à la concurrence, « besoin d’une véritable politique du transport ferroviaire de marchandises ». La logistique est bel et bien une affaire d’État !
Il est vrai que la France ne dispose pas, comme son voisin allemand, de « villages de fret » ou de pôles multimodaux bien répartis sur le territoire. Cependant, en dépit de notre mauvais classement, le fret ferroviaire frémit en ce début d’année 2018, car le routier trouve de moins en moins de main-d’œuvre. La Semaine internationale du transport et de la logistique, qui s’est déroulée à Paris en mars dernier, a confirmé ce nouvel engouement des chargeurs pour ce mode de transport.
Alors que ce secteur va être durement déstabilisé par les mouvements sociaux, il est temps, madame la secrétaire d’État, de créer un écosystème favorable au fret pour les entreprises nationales, qu’elles soient publiques ou privées. Il ne faudrait pas que le projet de loi en préparation consacre une nouvelle fois le transport routier de marchandises, dont l’empreinte carbone est très élevée comparée au rail.
Un document préparatoire à la loi d’orientation sur les mobilités dévoile quelques mesures sur les intentions du Gouvernement dans le domaine du fret ferroviaire.
Pourriez-vous nous préciser quelles sont les dispositions envisagées pour encourager concrètement le report modal vers le ferroviaire ? Comptez-vous aller plus loin que les dispositifs d’incitation que nous connaissons déjà, tels que le FRET21, piloté par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, et l’AUTF, pour rééquilibrer les modes de transport ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Joël Bigot, comme je l’ai indiqué, le Gouvernement travaille à une pérennisation du financement des infrastructures, qui doit passer par une plus juste contribution du transport routier. Attention, nous voulons non pas refaire l’écotaxe, mais mettre en place une redevance d’utilisation, dans le cadre permis par le droit européen. Cela nous paraît juste et opportun, mais aussi urgent.
Nous travaillons également à mieux appuyer le recours au fret par les chargeurs, notamment grâce au dispositif de soutien aux infrastructures terminales embranchées, comme je l’expliquais précédemment.
Le Gouvernement va en outre poursuivre la démarche conduite dans le cadre de FRET21, le dispositif piloté par l’ADEME que vous mentionnez. L’objectif, après une première phase expérimentale, reste de réunir 1 000 entreprises signataires d’ici à 2020, ce qui permettra d’économiser 0,4 million de tonnes.
Enfin, à la suite des Assises de la mobilité, dans la perspective de la loi qui sera débattue au Parlement, nous aurons l’occasion d’évoquer d’autres leviers, notamment ceux qui favorisent le report modal.
Le Gouvernement souhaite mettre en place de nombreux outils ou les mettre à la disposition des collectivités locales, comme les péages urbains. Nous voulons également encourager des mesures contribuant à accentuer le verdissement des flottes et à mieux réguler un secteur en pleine expansion, notamment celui des véhicules utilitaires légers.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule, je souhaite souligner la responsabilité des différents gouvernements, qui ont préféré financer le tout-TGV, plutôt que le fret ou la sécurité.
À l’heure où le Gouvernement envisage de redessiner la carte ferroviaire du pays avec l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs, la question de l’aménagement du territoire est plus que jamais sur toutes les lèvres. Le fret ferroviaire doit, comme le transport de voyageurs, y participer.
Suivant cette logique, le comité interministériel d’aménagement du territoire de décembre 2003, mis en œuvre par Jean-Pierre Raffarin, avait validé le financement de cinq grands axes ferroviaires pour le fret.
Dans le cadre du plan d’action pour la relance du fret ferroviaire d’octobre 2016, le Gouvernement s’était engagé à ce que l’aménagement soit l’un des deux axes stratégiques de la relance de ce secteur. Je veux donc croire à une priorité de cet aménagement dans la politique du fret, indépendamment des clivages politiques !
Le développement du maillage ferroviaire territorial et la relance de l’activité de fret ferroviaire vont nécessairement de pair. Alors que notre pays veut s’engager à la tête de la lutte mondiale contre le changement climatique, il faut encourager le ferroviaire, en particulier la massification du fret.
Le rapport du 1er février évoque deux pistes intéressantes : d’une part, le renforcement des investissements de mise au gabarit de l’autoroute ferroviaire atlantique et de la rocade ferroviaire du nord du bassin parisien ; d’autre part, le développement des mesures de domestication, c’est-à-dire l’exploitation de lignes à la fois pour le fret et pour le transport de voyageurs.
Madame la secrétaire d’État, ma question est donc simple : en période de restriction des moyens budgétaires, jugez-vous pertinente cette politique de domestication des lignes et, si oui, sur quelles lignes faut-il placer en priorité ces investissements bénéfiques à la fois au fret et au transport de voyageurs ? (M. Jean-Paul Prince applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Fouché, la domestication des sillons consiste à réguler le trafic de voyageurs pour favoriser la circulation des trains de fret. Ce type d’approche permettrait, dans certaines conditions, d’augmenter la capacité globale des infrastructures.
Néanmoins, vous en conviendrez, cela ne pourra se faire qu’au détriment de la qualité de service offerte aux voyageurs. C’est cela le « trade-off ». Il n’y a donc pas de réponse générique à cette situation ; il faut procéder à une analyse au cas par cas, en fonction de la situation propre à chaque ligne, pour déterminer la meilleure solution possible. Dans certains cas, la domestication peut être une solution, mais dans d’autres, c’est plutôt la réalisation d’investissements de désaturation qui permettra d’augmenter à la fois la qualité de service destiné au fret et aux voyageurs.
Prenons l’exemple de l’axe languedocien, qui est aujourd’hui en situation de saturation. La section Nîmes-Montpellier, qui souffrait d’une congestion chronique, voit sa situation s’améliorer grâce à la mise en place du service de contournement de Nîmes-Montpellier depuis la fin de 2017.
En revanche, pour la section qui est située en aval, entre Montpellier et Perpignan, le projet de ligne nouvelle a été examiné par le Conseil d’orientation des infrastructures, qui recommande de n’engager sa réalisation qu’une fois que l’ensemble des potentialités de la ligne classique aura été exploité. Dans ce cas, l’opportunité et la faisabilité de mesures de domestication vont pouvoir être approfondies, en lien, bien évidemment, avec la région.
C’est donc une approche au cas par cas, vous en conviendrez, qu’il faut favoriser.
M. le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que la France a eu l’honneur d’accueillir la COP 21 aboutissant à la signature de l’accord historique sur le climat du 12 décembre 2015, notre trajectoire de réduction des gaz à effet de serre manque ses objectifs. Une marge de manœuvre demeure encore possible, notamment dans le domaine des transports, où le report modal doit être accéléré.
Le transport de marchandises routier ne cesse de progresser, pour atteindre une part modale de 88 % en 2016. Non seulement il a un impact certain sur les infrastructures qu’il emprunte, mais il vient concurrencer un fret ferroviaire par nature moins compétitif, pourtant stratégique et indispensable au regard de nos engagements internationaux et européens.
Or, en dépit de l’ouverture à la concurrence, la part du fret ferroviaire ne cesse de se réduire. Les auteurs du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, remis en février dernier, inscrivent dans leur quatrième priorité pour répondre à l’urgence qu’il est nécessaire de « se doter d’infrastructures et de services de fret performants au service de l’économie française et transporter les marchandises sur le mode le plus pertinent ».
Pour cela, plusieurs pistes de financement appelant une contribution plus importante du mode routier sont préconisées, telles que la réaffectation d’une partie plus importante à la politique des mobilités de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la réforme des niches fiscales dont bénéficient les poids lourds, ou l’instauration d’une redevance temporelle.
D’ailleurs, le rapport souligne que « le principe de la prise en charge par l’usager routier de son coût d’usage et de ses coûts externes se renforce par étapes successives au niveau européen et apparaît inéluctable ».
Madame la secrétaire d’État, vous avez confirmé à plusieurs reprises que le transport routier serait mis à contribution afin de financer les infrastructures de transport, à hauteur de quelques centaines de millions d’euros.
Aussi, pourriez-vous nous préciser les modalités de cette contribution, en nous disant en particulier si les nouvelles recettes seront affectées au mode ferroviaire pour compenser l’écart de compétitivité existant, ainsi que le calendrier de sa mise en œuvre ? (M. Ronan Dantec applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Gold, pour permettre le développement du fret ferroviaire, l’un des enjeux majeurs pour le Gouvernement est le maintien des infrastructures existantes et l’optimisation de leur exploitation. Au total, ce seront donc 36 milliards d’euros sur dix années qui vont être consacrés à la rénovation du réseau ferré le plus circulé. Cela contribuera aussi, en toute logique, au meilleur fonctionnement du fret ; celui-ci est actuellement pénalisé par l’état du réseau, qui laisse parfois à désirer.
En ce qui concerne plus spécifiquement des projets liés au fret, sur l’ensemble des transports de marchandises, dont les ports et les voies navigables, l’État a mobilisé entre 90 millions et 120 millions d’euros par an dans le cadre du budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, ces dernières années.
Au travers de ces financements, on vise notamment les investissements sur les lignes capillaires avec le concours des collectivités territoriales concernées. S’agissant spécifiquement des lignes capillaires de fret, l’État participe depuis 2015 au financement de leur régénération, aux côtés des régions et des autres parties prenantes, à hauteur de 10 millions d’euros par an.
À la lumière des conclusions du COI, les travaux préparatoires du Gouvernement portant sur le projet de loi sur les mobilités vont permettre de définir une trajectoire financière des actions prioritairement soutenues par l’État au cours des prochaines années, dans lesquelles les investissements en faveur du fret ferroviaire pourront s’inscrire et seront importants – le scénario central du COI prévoit 1,6 milliard d’euros sur vingt ans.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la place modique du transport ferroviaire dans l’acheminement des marchandises en France – moins de 10 % – est un triste constat largement partagé ici. Ce faible développement est d’autant plus incompréhensible que la France dispose du deuxième plus long réseau ferroviaire d’Europe, après celui de l’Allemagne.
Malheureusement, force est de constater que ce réseau n’est pas véritablement connecté avec les grands ports maritimes français qui sont des voies majeures pour l’entrée et la sortie des marchandises de notre territoire. Or le ferroviaire est un outil indispensable pour la massification des transports de marchandises, et donc pour le développement des ports français.
En ce qui concerne le port du Havre, auquel je suis particulièrement attachée et dont le trafic a augmenté de 15 % en 2017, quelque 86 % des conteneurs passent par la route, 9 % par la Seine et moins de 5 % par le train.
Pour gagner des parts de marchés sur le nord et l’est de la France, les lignes de fret doivent être renforcées. La ligne Serqueux-Gisors, dont on a déjà beaucoup parlé, est en cours de modernisation, mais nous savons d’ores et déjà que cela ne suffira pas à permettre l’acheminement et l’augmentation de la part de fret pour les ports de l’axe Seine. L’électrification de la ligne Amiens-Châlons-en-Champagne permettrait effectivement de pénétrer l’est de l’Europe, mais elle n’est aujourd’hui encore qu’à l’état de projet.
Outre l’augmentation forte de la performance économique des ports, la massification des transports de marchandises par le train améliorerait grandement la performance écologique.
Dernièrement, le rapport Duron du COI a conforté la place du fret ferroviaire, insistant sur la desserte des ports. Dans le rapport Spinetta, intitulé L’Avenir du transport ferroviaire, on trouve plusieurs recommandations pour assurer sa compétitivité.
Aussi, madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous améliorer la massification du fret, afin de donner aux grands ports maritimes, notamment à ceux de l’axe Seine, les moyens d’être concurrentiels avec les ports de l’Europe ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame Canayer, l’objectif est l’élargissement de l’hinterland des trois ports de l’axe Seine, au-delà de leur zone d’influence naturelle qu’est l’Île-de-France.
Plusieurs projets d’infrastructures concourent à cet objectif.
Tout d’abord, il s’agit de la mise au gabarit de la Seine entre Bray et Nogent-sur-Seine. Le Conseil d’orientation des infrastructures a proposé de retenir un engagement de cette opération, représentant un montant d’investissement de 240 millions d’euros à l’horizon 2030.
Voies navigables de France conduit actuellement les études de définition du projet qui permettront ensuite la tenue d’une enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique. Les financements de ces études par l’État et les collectivités territoriales partenaires sont inscrits dans le cadre des contrats de plan État-région 2015-2020 d’Île-de-France et de Champagne-Ardenne. Les conditions de poursuite de cette opération seront à définir à l’issue de l’examen par le Parlement du volet de programmation de la loi d’orientation sur les mobilités.
Ensuite, la desserte du port du Havre, le canal Seine-Nord Europe et MAGEO, la mise au gabarit européen de l’Oise entre Compiègne et Creil. Le canal Seine-Nord Europe donnera la possibilité d’attirer de nouveaux trafics maritimes à destination du cœur de l’Union. Il revient à nos acteurs portuaires de premier plan de saisir l’occasion que constituera l’ouverture de l’axe de la Seine sur le plus grand réseau fluvial d’Europe pour renforcer leur compétitivité.
Enfin, la modernisation de la ligne Serqueux-Gisors, dont la mise en service est attendue mi-2020, permettra une montée en charge progressive du trafic fret à partir et à destination du port du Havre.
Comme vous le voyez, madame la sénatrice, nous mettons bien l’accent sur cette région de France.
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les auteurs tant du rapport Duron que du rapport Spinetta estiment nécessaire de réserver un traitement à part au fret ferroviaire, puisque ce dernier emprunte le réseau principal, mais aussi nombre de lignes à faible trafic, comme celles de catégories UIC – c’est-à-dire Union internationale des chemins de fer – 7 à 9, ainsi que des infrastructures spécifiques telles que les installations terminales embranchées, ou ITE, des chantiers de transport combiné ou des triages.
Je cite le rapport Spinetta : « La gestion de ces lignes et ses installations de service, essentielles pour l’activité du fret, doit répondre aux enjeux d’exploitation spécifiques du fret, essentiellement en termes de disponibilité et de minimisation des coûts ». Or il apparaît que ces enjeux sont difficilement pris en compte par SNCF Réseau, rajoutant de la difficulté à une situation déjà délicate s’agissant du fret ferroviaire.
L’auteur du rapport Spinetta préconise donc la création d’une filiale de SNCF Réseau dédiée aux lignes capillaires fret et aux installations de services. Selon lui, cela permettrait de renforcer les liens avec les clients chargeurs et transporteurs pour définir des règles de maintenance et d’exploitation spécifiques, ainsi que les aménagements à mener, et de favoriser les partenariats locaux – les clients, les régions ou les chambres de commerce et d’industrie - pour faciliter le financement des investissements.
Voilà notamment un sujet majeur pour les opérateurs ferroviaires de proximité, les OFP, au nombre de onze aujourd’hui, qui empruntent beaucoup le réseau capillaire et se trouvent donc confrontés au problème de l’entretien.
Je rappelle qu’un OFP est une PME ferroviaire locale assurant du transport de fret de proximité et gérant l’infrastructure de façon déléguée. Ces opérateurs ferroviaires de petite taille constituent une réponse nouvelle au transport de courte distance dans les territoires ou dans les ports.
Les derniers chiffres établis accordent aux OFP quelque 10 % des tonnages en 2016, chiffre certes modeste, mais qui permet de mesurer le chemin parcouru depuis 2007, alors que personne n’imaginait la viabilité du modèle.
Madame la secrétaire d’État, sur cette question des lignes capillaires de fret, pouvez-vous nous éclairer sur les intentions du Gouvernement à l’aune des préconisations du rapport Duron ?