M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a souligné Éliane Assassi, en déposant voilà presque un an la proposition de loi constitutionnelle visée, mon groupe souhaitait consolider ce droit chèrement acquis, par la lutte des féministes, des progressistes.
Le droit à l’IVG est un droit fondamental. Il est l’un des symboles de liberté et d’émancipation des femmes.
Pour autant, pratiquer une IVG ne se fait jamais le cœur léger. Une telle décision est mûrement réfléchie, difficile à prendre pour les plus de 200 000 femmes qui ont recours chaque année en France à l’IVG. Si ce nombre est aussi important, c’est bien que donner naissance à un enfant est également une décision dont il faut pouvoir assumer les conséquences. Seule chaque femme, seul chaque couple peut le faire en son âme et conscience, en fonction de raisons multiples et personnelles.
Alors que ce droit est aujourd’hui inscrit dans le code de la santé publique et que de récentes décisions sont allées dans le sens d’un renforcement, d’une meilleure prise en charge de l’IVG – remboursement des actes afférents, suppression du délai de réflexion… –, mon groupe a des raisons objectives d’être inquiet de sa remise en cause et de vouloir le constitutionnaliser pour l’ériger en principe fondamental.
Nous assistons à l’émergence d’une vague conservatrice qui remet en cause le droit des femmes de choisir librement d’avoir ou non un enfant, dans tous les pays.
En France, les commandos anti-IVG se renforcent et sont toujours actifs pour dissuader, culpabiliser les femmes qui souhaiteraient avoir recours à l’IVG. N’avons-nous pas dû, l’an dernier, adopter une loi pour créer un délit d’entrave numérique à l’IVG, pour sanctionner les sites internet anti-avortement qui exercent leur propagande sous des apparences de sites gouvernementaux très officiels ?
En Europe, ce droit est loin d’être acquis et des forces réactionnaires agissent pour le remettre en cause. On relève encore quatre pays n’autorisant pas l’IVG, sauf circonstances exceptionnelles : la Pologne, l’Irlande, Andorre et Malte, où l’avortement est totalement interdit. À noter, Chypre vient tout juste d’assouplir sa législation, ce qui constitue une bonne nouvelle.
Souvenons-nous, par ailleurs, des millions de femmes polonaises, descendues dans la rue pour défendre ce droit, en 2016 et encore tout récemment. Souvenons-nous également de la mobilisation exceptionnelle survenue en 2013 en Espagne, où le gouvernement Rajoy avait tenté de faire passer un projet de loi remettant en cause l’IVG.
Quant à l’Irlande, un référendum aura lieu en mai prochain pour éventuellement autoriser la légalisation de l’IVG, et mettre fin ainsi à l’hypocrisie conduisant des milliers d’Irlandaises à se rendre chaque année en Angleterre pour avorter et échapper ainsi à quatorze années de prison.
Quittons l’Europe, pour nous rendre aux États-Unis : l’élection de Donald Trump a entraîné dans ce domaine, comme dans d’autres, une régression totale, avec la fin de l’aide aux associations qui soutiennent l’avortement.
Ces exemples, auxquels il faut ajouter également l’interdiction de l’IVG dans de nombreux pays d’Afrique et d’Amérique latine, montrent bien que, en 2018, les femmes ne peuvent être totalement libres de choisir d’avoir ou non un enfant, de prendre des décisions qui concernent leur propre corps.
L’IVG continue de soulever des débats passionnés et houleux, sous l’influence des milieux les plus réactionnaires, souvent sous la pression des religions. Pourtant, lors de la Conférence mondiale sur les femmes qui s’est tenue à Pékin en 1995 il avait été clairement affirmé : « Les droits fondamentaux des femmes comprennent le droit d’être maîtresses de leur sexualité, y compris leur santé en matière de sexualité et de procréation, sans aucune contrainte, discrimination ou violence, et de prendre librement et de manière responsable des décisions dans ce domaine. »
Toutefois, n’allons pas conclure que la France ne connaît pas de réelles difficultés à rendre ce droit effectif. Dans notre pays, plus de quarante ans après la loi Veil, le droit à l’avortement n’est pas aussi accessible que l’on pourrait le croire. En dix ans, comme l’a montré en 2013 le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 130 centres d’IVG ont fermé sur l’ensemble du territoire national. C’est énorme ! La raison ? Les restrictions budgétaires décidées par les gouvernements successifs en matière de politique de santé. Les GHT, les groupements hospitaliers de territoire, aggraveront encore cette situation.
Mes chers collègues, si chacun d’entre vous défend assez sincèrement la lutte contre les déserts médicaux, le manque de généralistes et de spécialistes, les fermetures de services, comment ne pas vous rendre compte que les budgets que vous votez majoritairement lors de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale, avec des ONDAM plus que limités depuis des années – c’est un doux euphémisme – ont évidemment des conséquences concrètes sur les structures existantes et sur l’offre de soins ?
À cet égard, les inégalités territoriales sont très inquiétantes. Je le rappelle, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a préconisé un moratoire sur la fermeture de ces structures et la nécessité de garantir partout le choix des femmes entre les méthodes chirurgicale et médicamenteuse.
À ces obstacles s’ajoute le manque de moyens des associations telles que la CADAC, la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception, les centres de planification et d’éducation familiale et le planning familial pour accompagner les femmes et défendre ce droit. Là aussi, les décisions budgétaires prises dans cet hémicycle, auxquelles mon groupe est le seul à s’opposer, unanimement et quels que soient les gouvernements en place, ont évidemment des impacts et contraignent de nombreuses jeunes femmes à se rendre dans d’autres pays pour avorter.
Ainsi 5 000 Françaises avortent-elles chaque année à l’étranger, du fait du dépassement du délai légal de douze semaines. C’est une réalité inchangée depuis dix-sept ans et qui entraîne de nombreuses inégalités parmi les femmes, puisque, dans ce cas, les frais liés à l’IVG, au déplacement et à l’hébergement sont totalement à la charge de la personne qui souhaite avorter.
En résumé, on le voit, aujourd’hui en France, le droit à l’IVG est loin d’être garanti. À l’heure où le Gouvernement s’apprête à se lancer dans une grande réforme constitutionnelle, nous saisissons l’occasion pour lui proposer l’idée d’une constitutionnalisation de l’IVG. Cela ne fera pas tout, mais c’est un point d’appui important.
Le président Macron ayant déclaré que l’égalité entre les femmes et les hommes serait une grande cause du quinquennat, il nous semble tout à fait opportun que les textes en préparation visent également à constitutionnaliser l’interruption volontaire de grossesse.
La constitutionnalisation de ce droit en France constituerait une protection pour les femmes de notre pays. Par ailleurs, cela enverrait un signal fort et servirait de point d’appui inestimable pour les femmes du monde entier. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour le groupe Union Centriste.
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au sein de l’Union européenne, la situation des droits des femmes en matière d’accès à l’interruption volontaire de grossesse – droits loin d’être homogènes et remis en cause – explique sans doute le débat qui nous est proposé aujourd’hui.
Ainsi, en Pologne, le gouvernement a proposé, voilà quelques semaines, un projet de loi visant à interdire l’IVG en cas de pathologie grave ou de malformation du fœtus.
La situation peut également paraître préoccupante en Italie, où 70 % des gynécologues refusent de pratiquer l’IVG, faisant valoir leur clause de conscience, alors que le nombre d’avortements clandestins ne décline pas.
En revanche, d’autres pays engagent des évolutions. Dans quelques mois, les Irlandais se prononceront ainsi sur la légalisation de l’avortement, dans le cadre d’un référendum dont l’issue reste néanmoins incertaine.
En dressant ce portrait succinct de nos voisins européens, il s’agit de rappeler combien le recours à l’avortement reste un sujet très difficile. D’ailleurs, depuis 2016, c’est la troisième fois que le Sénat en débat.
C’est sur la base de ce constat que nous sommes invités, sur l’initiative du groupe CRCE, à réfléchir à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, l’objectif affiché étant de prévenir une potentielle remise en cause du droit à l’avortement.
Les professionnels de santé et les responsables associatifs alertent régulièrement sur la persistance de nombreux obstacles pratiques liés à la diminution de leurs ressources et au manque de personnel formé.
Cependant, si nous partageons la volonté de garantir le respect du droit à l’IVG, la constitutionnalisation de ce dernier ne nous paraît pas une solution pertinente, et ce pour plusieurs raisons.
Le droit à l’avortement, s’il était inscrit dans la Constitution, serait érigé au rang de principe fondamental, et sa suppression serait rendue plus difficile, puisqu’elle nécessiterait une révision constitutionnelle. Toutefois, il est probable qu’un tel obstacle ne soit nullement insurmontable pour un gouvernement déterminé à supprimer ce droit. Un candidat élu à l’élection présidentielle sur la base d’une telle promesse n’aurait ainsi aucune difficulté à réviser la Constitution en ayant recours à son article 11, si une telle proposition correspondait à la volonté populaire.
Il semble donc illusoire de penser que l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution garantisse son immuabilité.
Par ailleurs, un tel ajout constitutionnel reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore, puisqu’il serait dès lors très difficile, voire impossible, de justifier la non-inscription dans la Constitution d’autres droits que d’aucuns pourraient juger plus essentiels. Surtout, et c’est là notre principale remarque, l’inscription de l’IVG dans la Constitution ne lèverait en rien les nombreux obstacles pratiques auxquels les femmes se heurtent aujourd’hui et n’aplanirait pas les inégalités d’accès à l’IVG. Cela pourrait même contribuer à affaiblir l’efficacité de l’information sur la contraception et la sexualité.
Aussi estimons-nous que nos efforts – vous serez sûrement d’accord avec nous, mes chers collègues – doivent se concentrer sur l’application réelle de la loi relative à l’avortement, qui, rappelons-le, constitue un recours dans des situations difficiles.
Alors que, dans notre pays, la demande reste stable, plus de 130 établissements de santé pratiquant l’IVG ont fermé au cours des dix dernières années. (Mmes Françoise Laborde et Josiane Costes opinent.)
Mme Laurence Cohen. À cause de qui ?
Mme Françoise Gatel. Il en résulte une très forte concentration sur un nombre limité d’établissements, 5 % d’entre eux pratiquant 23 % des IVG. Il faut dire la réalité des faits !
Des disparités s’observent également entre les territoires, en termes de délais d’attente et de distances à parcourir. Ainsi, les écarts régionaux perdurent, et les recours à l’interruption volontaire de grossesse varient du simple au double selon les régions : de 10,3 IVG pour 1 000 femmes en Pays de la Loire à 20,1 IVG en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Alors qu’une femme sur trois a recours au moins une fois au cours de sa vie à l’IVG, il est essentiel que celle-ci puisse s’exercer dans des conditions d’égalité et, surtout, de non-clandestinité. Cependant, priorité absolue doit être donnée à l’amélioration de l’accès à l’information sur la sexualité, la contraception, la prévention et l’IVG. La question des moyens alloués est ainsi incontournable. Le planning familial, qui joue un rôle pourtant essentiel en matière d’information, bénéficie de moyens souvent insuffisants.
Rappelons-nous, mes chers collègues, les mots prononcés par Simone Veil en 1974 : « L’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issues », car il n’est jamais sans souffrance pour les femmes.
Un an après l’entrée en vigueur de la loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’IVG, très discutée au Sénat, les efforts entrepris pour assurer un référencement efficace des sites officiels sur internet doivent être poursuivis. Dans le cadre de recherches, le site ivg.net, qui dispense, sous couvert d’une apparence neutre, des informations destinées à induire intentionnellement en erreur les femmes qui s’informent sur l’IVG, arrive toujours en seconde position, après le site du Gouvernement.
Mme Françoise Laborde. Voilà !
Mme Françoise Gatel. Parce qu’une proposition d’ordre purement symbolique ne saurait, en l’état actuel des choses, apporter une quelconque amélioration au quotidien des femmes, nous espérons que le présent débat sera, madame la ministre, l’occasion de voir confirmer par le Gouvernement son engagement sur l’impérieuse nécessité d’intensifier l’information sur la sexualité, la prévention, la contraception, mais aussi sur l’IVG, celle-ci ne constituant aux yeux des centristes qu’un ultime recours.
Mes chers collègues, dans la mesure où l’esprit qui animait Simone Veil reste cher à notre cœur, nous ne pourrons être favorables à la proposition émise. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jean-Noël Cardoux applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en premier lieu, je tiens à remercier Éliane Assassi et Laurence Cohen de leur fidélité à nos combats communs, ainsi que de leur proposition de débat sur la constitutionnalisation de l’IVG.
Évoquer l’interruption volontaire de grossesse aujourd’hui, c’est forcément faire référence à la longue histoire d’un acquis social, à la longue marche des femmes pour leurs droits spécifiques. Ce droit à l’IVG ne s’est pas construit en un seul jour. Il est le fruit d’un parcours difficile, entre aspirations de la société et avancées législatives : le manifeste des 343 en 1971 ; la création du MLAC, le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, en 1973 ; puis la belle avancée, portée par Simone Veil et promulguée le 17 janvier 1975, autorisant l’IVG dans un délai de dix semaines, sous la condition expresse du caractère d’exception de ce geste.
La généralisation de cette avancée n’allant pas de soi, il a fallu attendre 1979 pour voir définitivement adoptée la loi autorisant l’IVG en France.
En 1982, les combats féministes et la nouvelle majorité de l’Assemblée nationale permettent le remboursement de l’IVG et l’allongement du délai à douze semaines. Le remboursement de cet acte n’est intégral que depuis 2013.
En 1992, le nouveau code pénal met un terme à la pénalisation de l’IVG. En 1993 est créé le délit d’entrave à l’IVG, renforcé dans son versant numérique en 2017. En 2000, l’IVG médicamenteuse d’urgence est autorisée et dispensée à titre gratuit pour les mineures. En 2014, la mention « situation de détresse » disparaît de la loi.
Cette longue route d’émancipation est donc jalonnée de nombreux petits pas, qui ont permis de faire de l’IVG, en 2018, la liberté fondamentale que l’on connaît dans notre pays.
Aujourd’hui, l’inscription de l’IVG dans la Constitution, au titre des principes fondamentaux déterminés par la loi, constituerait un pas en avant de plus. Pour ma part, je le vois comme un grand pas, qui ne permettrait aucun recul.
En juillet dernier, le président Emmanuel Macron annonçait, lors de son discours d’hommage national, l’entrée de Simone Veil au Panthéon. Nombre d’observateurs ont salué cette grande décision comme un acte hautement symbolique de reconnaissance de l’avancée sociétale qu’elle a permise. Désormais, nous pouvons aller au-delà des symboles, et nous devons inscrire ce droit dans notre Constitution.
Nous le devons, car l’IVG est finalement bien plus qu’un acquis social, bien plus que la rude conquête que je viens de rappeler : l’autorisation de l’IVG en France est un marqueur fort de notre société.
Simone de Beauvoir écrivait : « Il n’y a pas de meilleur indice du degré ou de la nature d’une civilisation, dans quelque pays que ce soit, que la place dévolue à la femme et la nature des relations entre les sexes – que ce soit dans la famille ou en dehors. » Faisons en sorte d’élever encore plus cet indice ! Pour les plus jeunes générations, ce droit, fondamental en France, participe de l’identité de notre pays.
Dans la comparaison avec nos voisins européens, dont les métropoles échangent leurs étudiants et leurs jeunes travailleurs, la question de savoir si l’IVG est autorisée est primordiale. Une réponse positive fait office de modèle, d’exemple à suivre.
L’exemple de nos voisins européens, enfin, nous fait prendre conscience de l’extrême importance de fixer le droit à l’IVG dans la Constitution. Dans certains pays, ce droit est fragile. On observe, depuis une dizaine d’années, de sérieuses menaces. En Pologne, après avoir été légale pendant quarante ans, l’IVG a été fortement restreinte aux grossesses consécutives à un viol, à l’inceste, ou en cas de malformation fœtale. Ce dernier cas de figure, qui correspond à la quasi-totalité des IVG polonaises, pourrait aujourd’hui disparaître sous les coups de boutoir des forces traditionalistes.
Dès lors, chacun comprend la nécessité de continuer à réaffirmer l’importance de ce droit. Lui donner une valeur constitutionnelle, c’est affirmer de nouveau fortement notre attachement à ce droit, c’est éclairer le chemin de nos sœurs de lutte qui prennent en exemple la législation française pour s’émanciper. C’est aussi une manière de le pérenniser, de lui donner une majorité politique forte, constitutionnelle, afin d’avoir l’assurance que nul recul ne sera envisageable dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans le droit français a été un combat de longue haleine. Rappelons-nous le courage des femmes du mouvement de désobéissance civile qui, au début des années 1970, ont pratiqué des avortements interdits et punis par la loi.
Rappelons-nous encore le 26 novembre 1974, où le discours prononcé par Simone Veil devant une Assemblée nationale qui ne comptait à l’époque que 9 femmes pour 421 hommes allait marquer l’histoire. Celle qui reposera bientôt au Panthéon avait su nous rappeler, avec force et conviction, une situation à la fois intolérable pour l’État et injuste aux yeux de la plupart.
Rappelons-nous également la promulgation de la loi en 1975, une loi provisoire. Il en faudra une deuxième, adoptée le 31 décembre 1979, pour que l’avortement soit définitivement légalisé. Il faudra aussi la mobilisation de femmes pour que la loi Veil soit vraiment appliquée. Celles-ci ont profondément marqué l’histoire et leur engagement a été vital pour la cause des femmes, même si les livres d’enseignement n’ont pas retenu leurs noms.
Rappelons-nous, surtout, le courage, l’engagement et la conviction qu’il faudra, lors du débat national, en 1982, pour obtenir le remboursement de cet acte. Cette étape ne fut qu’un premier pas sur le chemin du remboursement. Il faudra en effet attendre 2013 pour que l’IVG soit remboursée à 100 % pour toutes les femmes.
Ce long parcours a été jalonné d’étapes fondamentales pour les droits des femmes : l’autorisation de l’IVG médicamenteuse en milieu hospitalier en 1990 et en ville en 2004, la création d’un délit d’entrave à l’IVG avec la loi Neiertz de 1993 puis la loi de 2001, enfin l’autorisation d’avortement pour les mineures sans autorisation parentale.
L’IVG, madame la ministre, est un droit : un droit à disposer de son corps, un droit à disposer de son avenir, un droit enfin pour les femmes ou pour les couples à affirmer librement leur choix, tout en gardant à l’esprit que l’avortement doit rester l’exception, car aucune femme n’y recourt de gaieté de cœur. C’est pourquoi les accusations de facilité ne sont pas tolérables.
Dans beaucoup de pays voisins, l’IVG est encore un chemin de croix. En Allemagne, le simple fait de donner des informations sur l’avortement est passible de poursuites ; en Pologne, le Parlement étudiait en février dernier un texte durcissant le droit au recours à l’avortement.
Nous avons donc la chance, en France, d’avoir une législation ouverte à l’IVG, consacrant le droit de chaque femme à prendre une décision concernant son corps et la vie en son sein. Est-ce pour autant un droit inaliénable ? Faut-il le constitutionnaliser, comme le proposent nos collègues communistes ? C’est un débat, et c’est tout l’enjeu de nos échanges que d’appréhender la portée d’une telle décision.
Mon groupe adhère à l’idée d’une imprescriptibilité du droit à l’IVG. Inscrit dans le marbre, ce droit ne pourrait plus être menacé par des remises en question, et ce serait tant mieux.
Pour autant, son inscription dans la Constitution soulève de vrais questionnements juridiques. Quelle sera la formulation de ce droit ? Comment éviter, par une tournure imprécise ou maladroite, de conditionner ou limiter les droits des femmes ? Par ailleurs, cette inscription constitutionnelle doit-elle concerner le seul droit à l’IVG ou aussi sa gratuité ? Ces questions préliminaires, madame la ministre, méritent également toute notre attention. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la demande de nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, un débat est organisé cet après-midi sur la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse.
Ce débat fait suite au dépôt, en mai 2017, d’une proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution.
C’est l’occasion de rappeler que le droit à l’IVG est inscrit dans la loi, à l’article L. 2212-1 du code de la santé publique depuis la promulgation de la loi Veil le 11 janvier 1975. Cet article grave dans le marbre le principe selon lequel les femmes sont libres de disposer de leur corps.
Bien que l’avortement soit un droit et que, à ce titre, il doive être respecté, c’est un sujet de préoccupation qui demeure d’actualité. Souvenez-vous qu’il a été question, en 2017, dans cet hémicycle, d’une proposition de loi relative à l’extension du délit l’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.
C’est vrai que c’est un droit, chez nous, en France. Mais il existe encore aujourd’hui, à cet égard, une grande disparité dans le monde. Ainsi, en Europe, nos voisins irlandais organisent prochainement un référendum pour abroger ou non le huitième amendement de la Constitution, lequel interdit et condamne l’avortement. En Argentine, un projet de loi légalisant l’avortement a entraîné, depuis le 7 mars dernier, un vaste mouvement protestataire, avec parfois des manifestations d’une extrême violence. L’interruption volontaire de grossesse constitue par conséquent un enjeu électoral. En Espagne, en 2014, sa remise en cause a pu constituer un argument pour certains partis politiques.
Est-ce une raison suffisante pour envisager aujourd’hui de modifier l’article 34 de la Constitution française, en y ajoutant un alinéa supplémentaire ? L’inscription de ce droit dans la Constitution, pacte fondamental qui unit toutes les Françaises et tous les Français, correspond-elle à une nécessité juridique impérieuse ? Pour consolider le droit à l’interruption volontaire de grossesse et déjouer sa remise en cause, je crois pour ma part qu’il existe d’autres moyens.
Aucun acte médical ni aucune prise médicamenteuse ne sont sans conséquence sur, d’une part, l’organisme et, d’autre part, le psychisme de la femme qui subit un avortement. C’est pourquoi l’IVG ne doit pas être banalisée ou sanctuarisée. Elle doit rester du domaine de l’exception. La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ayant supprimé la notion de détresse pour en bénéficier, il ne faudrait pas que cet acte soit considéré comme une méthode contraceptive.
Vous le savez, mes chers collègues, les écarts entre les régions perdurent. Les recours à l’IVG peuvent varier du simple au double : 10 IVG pour 1 000 femmes en Pays de la Loire, 20 IVG pour 1 000 femmes en Provence-Alpes-Côte d’Azur, et plus de 25 IVG pour 1 000 femmes dans les départements et régions d’outre-mer.
Même si l’indice conjoncturel d’avortement demeure stable depuis près de quinze ans, il n’a pas pour autant diminué. Ainsi, 211 900 IVG ont été pratiquées en France en 2016.
Vous l’avez compris, je suis très réservée s’agissant de l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. En revanche, je préconise que nous soyons beaucoup plus offensifs en matière de prévention, d’éducation et d’information dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Constitution et l’interruption volontaire de grossesse : ces deux sujets doivent-ils se rejoindre ?
Notre Constitution est le texte le plus éminent de notre République. Elle nous réunit et doit continuer à nous réunir largement. Elle doit rester bien sûr le texte des principes, des valeurs et des règles qui explicitent en quoi la République française est une démocratie sociale assurant l’égalité de tous ses citoyens.
Depuis 1958, son texte a largement évolué. Il s’est précisé et compte désormais 89 articles, auxquels s’ajoutent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l’environnement de 2004.
On ne peut que le constater à la lecture du texte actuel, au regard des items et des thèmes qui y sont traités, la question du droit des femmes est largement plus signifiante qu’un certain nombre de points, parfois de scories, qui l’alourdissent et l’encombrent, sans apport réel. En effet, elle porte des valeurs fortes, conformes à notre idéal républicain.
Certes, notre Constitution n’est pas un fourre-tout. En revanche, c’est un texte qui doit savoir intégrer les grandes évolutions des droits des citoyens qui traduisent les grandes évolutions de l’identité républicaine de notre peuple.
Incontestablement, au-delà de la simple proclamation d’égalité, fondamentale, mais insuffisante, les droits des femmes représentent une profonde et heureuse évolution des dernières décennies.
Puisse le Gouvernement se rappeler, à l’heure où il souhaite revoir le texte constitutionnel, qu’il n’est pas de modification légitime qui ne fasse sens pour tous nos concitoyens. Or les progrès des droits des femmes peuvent se parer de cette vertu.
Les principes relatifs aux droits des femmes figurent dans la Constitution, à l’article 1er, qui proclame l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux responsabilités professionnelles et sociales.
C’est la seule référence précise, et c’est bien peu, alors qu’un large consensus existe dans notre pays pour affirmer que ces valeurs sont bien constitutives de notre identité républicaine.
C’est la seule référence, et c’est bien peu, à l’heure où le mouvement d’affirmation des droits des femmes, tout en rassemblant largement au sein de notre société, se trouve confronté à de nouvelles oppositions.
Et c’est bien peu, à l’heure où un nouveau débat sur l’Europe va s’ouvrir, à l’occasion des échéances de 2019, et où l’Union est elle aussi confrontée à des velléités rétrogrades.
Le chef de l’État, qui souhaite – je l’en félicite – marquer son quinquennat d’un engagement européen fort, ne saurait rester indifférent à ce que la France s’affirme en leader des valeurs des droits des femmes. Il y a là, en effet, sujet à donner à l’Europe un contenu qui renouerait avec ses grands combats progressistes et la sortirait de son image actuelle, affaiblie par des choix que ses citoyens ne comprennent plus.
À cet égard, l’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution française serait un message puissant adressé aux autres pays européens, particulièrement à ceux où les femmes sont en butte à des tentations de négation de leurs droits.
Oui, la question de l’interruption volontaire de grossesse est bien d’un niveau constitutionnel.
Oui, elle témoigne de l’évolution de notre société et de ses valeurs fondamentales.
Oui, elle peut et elle doit donc être inscrite dans notre loi fondamentale, comme le fut il y a quelques années l’abolition de la peine de mort.
Et c’est commettre un étrange sophisme que de prétendre que cette inscription dans la Constitution ne serait pas suffisante. C’est une évidence ! Quelle inscription serait suffisante là où il s’agirait de faire face à une évolution autoritaire de notre pouvoir politique ?
Mais il n’y a pas de garantie supérieure à celle de l’inscription dans la Constitution. Une loi simple peut être votée contre l’assentiment de la majorité de notre population ; concernant une transformation de la Constitution, les choses sont un petit peu plus complexes.
Oui, donc, les droits des femmes seraient légitimes à entrer dans notre Constitution par le biais du droit à l’interruption volontaire de grossesse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)