M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour le groupe La République En Marche.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous revenons, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi organique, sur l’étude d’impact préalable au dépôt d’un projet de loi prévue dans la réforme constitutionnelle de 2008. Cette disposition a constitué, aux yeux du groupe auquel j’appartiens, un excellent apport pour notre système de construction de la loi issu de cette réforme et de la loi organique qui a suivi, le 15 avril 2009.
L’expérience du recours à ces études d’impact est donc désormais menée depuis sept ans. Il n’est pas injustifié de s’y pencher et de la confronter à un certain nombre d’exigences supplémentaires de qualité ou de précision.
Le moment est opportun pour constater que cette mesure a constitué, en soi, un progrès. La masse des informations qui figurent dans les études d’impact est d’ores et déjà tout à fait considérable et offre des outils d’analyse utiles au législateur pour approfondir l’objet du texte et notre projet, pluraliste, visant à perfectionner et à compléter la loi.
Observons simplement que, comme à chaque fois qu’il est question de présentation d’informations ou de données, le caractère pléthorique du contenu de l’étude d’impact a une conséquence négative : plus la masse d’informations est lourde, plus l’information réellement pertinente risque d’être difficile à appréhender.
Oserais-je dire que le temps consacré par un parlementaire moyen à la lecture de l’étude d’impact, qui représente souvent des centaines de pages, avant qu’il ne se prononce sur le projet de loi, n’est pas toujours à la hauteur du contenu qui y figure ?
La proposition de loi organique part d’une bonne intention : il y a un outil, qui est déjà très important, mais il convient de le perfectionner. Ce texte relève d’objectifs qui peuvent être salués. Je prendrai toutefois la liberté de souligner le caractère quelque peu superfétatoire de certaines mentions, lesquelles ne sont en réalité que des commentaires de ce qui figure déjà dans la loi organique de 2009.
J’en prendrai deux exemples.
Premièrement, la proposition de loi organique demande que figurent dans l’étude d’impact « les conséquences du projet de loi pour les entreprises et les collectivités ». Or le texte en vigueur dispose qu’il faut évaluer les conséquences « sur chaque catégorie d’administration publique », ce qui englobe clairement les collectivités, et « sur chaque catégorie de personnes physiques et morales intéressées », ce qui comprend évidemment les entreprises.
Deuxièmement, la proposition de loi organique prévoit qu’il soit procédé à « l’analyse des moyens nécessaires à la mise en œuvre des dispositions envisagées ». Or le texte en vigueur dispose qu’il faut « évaluer les conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public ».
Il est donc possible d’objecter que cette proposition de loi est quelque peu inflationniste.
L’une des innovations du présent texte mérite débat. Il s’agit de l’obligation de faire réaliser une partie de l’étude d’impact – l’évaluation des conséquences – par des organismes extérieurs à l’État. Ce choix me paraît fort discutable et peu motivé.
Cette possibilité existe d’ores et déjà aujourd’hui : le Gouvernement, auteur et responsable politiquement du projet de loi, peut tout à fait demander à tel ou tel organisme indépendant, y compris au sein de l’État – nous avons évoqué l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE –, de porter sa propre appréciation et d’apporter sa contribution à l’analyse des conséquences anticipées du projet de loi.
Faire de cette possibilité une obligation me paraît être un saut dans l’inconnu, et surtout une remise en cause – M. le secrétaire d’État y faisait allusion précédemment. En effet, l’étude d’impact fait partie du projet de loi en tant qu’elle est l’un des éléments du texte soumis au Parlement, lequel relève de la responsabilité entière du Gouvernement.
Il est donc contradictoire d’envisager qu’une partie du projet de loi puisse ne pas émaner du Gouvernement. En outre, cela participe d’une forme de suspicion : lorsqu’il s’agit d’analyser les conséquences d’un texte, l’honnêteté et la rigueur intellectuelles d’un organisme extérieur seraient supérieures à celles du service public…
J’ajoute qu’il existe d’ores et déjà des moyens de critiquer la qualité de l’étude d’impact.
L’un est informel et non obligatoire, c’est le contrôle du Conseil d’État. Notre collègue Daniel Gremillet a fait justement remarquer que le Conseil d’État exerçait une surveillance vigilante de la qualité des études d’impact et alertait le Gouvernement sur leur caractère parfois insuffisant.
L’autre moyen est le pouvoir souverain reconnu au Parlement, via la conférence des présidents, de refuser d’inscrire un texte à l’ordre du jour, ou de demander que l’étude d’impact soit complétée, à condition qu’une majorité se dégage au sein de la conférence des présidents pour procéder à cette demande.
Je vois dans ce texte, en revanche, des dispositions utiles.
Je citerai celle que Jean-Pierre Sueur a rappelée, et que j’avais préconisée voilà quelques années : l’avis du CNEN devrait figurer, par nature, dans l’étude d’impact.
Il y a aussi le délai supplémentaire accordé à la conférence des présidents, dans le cas où elle opposerait une objection à l’étude d’impact, pour que celle-ci soit vérifiée, contre-expertisée, afin d’être soumise ensuite au Conseil constitutionnel.
Cette proposition de loi organique comprend donc des éléments préparatoires à un débat utile sur les études d’impact, mais elle est à plusieurs égards soit exagérément complexe, soit prématurée. Il me semble qu’il serait beaucoup plus simple d’attendre les modifications qu’apportera la réforme constitutionnelle, lesquelles viseront certainement à parfaire la qualité de la législation et donneront lieu à un complément de la loi organique. Je préférerais donc que l’on reporte l’examen de ce texte à plus tard. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quand on se rappelle avec quelle désinvolture le Conseil constitutionnel a validé l’étude d’impact accompagnant le projet de redécoupage régional, on a quelques doutes sur la destinée des propositions d’amélioration desdites études que pourraient faire les parlementaires… D’ailleurs, le Gouvernement vient de nous le dire, tout va très bien ! Soit dit par parenthèse, cela signifie que les prétendues « avancées » de la réforme constitutionnelle de 2008 ont plutôt fait du sur-place.
Cela étant dit, la proposition de loi initiale de notre collègue Franck Montaugé était bienvenue. Quant au sort que lui ont réservé le rapporteur et la commission des lois, c’est une autre question… Nous y reviendrons. C’est fou comme, ces derniers temps, les propositions de loi ont tendance à rétrécir au lavage de la commission des lois ! (Sourires.) Là encore, je m’interroge sur l’effet réel de la réforme constitutionnelle de 2008.
Deux dispositions de la proposition de loi initiale me paraissaient bienvenues.
Il s’agit, tout d’abord, de la prise en compte de l’impact qualitatif des projets de loi au regard des nouveaux indicateurs de richesse définis par la loi du 13 avril 2015, ou loi Sas. Comme on sait, il s’agit notamment d’indicateurs d’inégalités, de qualité de vie, de développement durable et, d’une manière générale, d’indicateurs qualitatifs. Ils auraient été très utiles lors de l’examen de la loi NOTRe !
Notre « mission de contrôle et de suivi », pour reprendre les termes employés dans le rapport d’évaluation du Sénat sur la loi NOTRe, a en effet constaté que « le renforcement de certaines collectivités au détriment d’autres a généré des gagnantes et des perdantes qui ont le sentiment d’être des oubliées de l’État, notamment les petites communes rurales ». Avec la multiplication des métropoles, on risque d’en avoir une cruelle confirmation.
Quand on sait, en outre, comment est fabriqué le PIB, qui laisse délibérément de côté la plupart des activités non marchandes, mais qui intégrera bientôt le trafic de drogue, on a tout lieu de soutenir cette proposition !
La seconde disposition intéressante à mes yeux tendait à ce que ces études d’impact ne soient plus « mitonnées » au sein des services de l’État – juge et partie –, mais confiées à des organismes indépendants et pluralistes comme le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, ou l’INSEE, l’Assemblée nationale et le Sénat ayant toujours la possibilité de désigner des universitaires et des personnes qualifiées selon l’objet des projets de loi.
Dans le prolongement de cette idée, j’ai déposé un amendement visant à prévoir que ces organismes devraient consulter, préalablement au commencement de leurs travaux, les commissions saisies au fond à l’Assemblée nationale et au Sénat des points et des sujets qu’elles souhaitent voir traiter dans l’étude d’impact. Je ne suis pas le seul à avoir constaté que les études d’impact répondent rarement aux interrogations des parlementaires : on y trouve essentiellement ce que l’on ne cherche pas !
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Pierre-Yves Collombat. Il ne nous est pas possible, en revanche, de soutenir le second volet des propositions de loi. Si ce volet – la création d’un « Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être » chargé d’« informer le Parlement sur la politique suivie […] au regard des nouveaux indicateurs de richesse » – fait l’objet d’un texte spécifique, il n’en est pas moins étroitement lié à celui que je viens d’évoquer. Ce conseil se composerait de dix-huit sénateurs et de dix-huit députés, et serait assisté d’un comité scientifique encore plus pléthorique, comptant trente membres.
Très franchement, on ne voit pas bien quel bénéfice pourrait apporter la création de cette nouvelle délégation parlementaire chargée d’évaluer et d’améliorer les indicateurs utilisés au titre des études d’impact, évaluations et améliorations devant elles-mêmes faire l’objet d’une contre-expertise. En bonne logique, nous soutiendrons donc la proposition de renvoi à la commission du rapporteur.
Par contre, comme l’auteur de la proposition de loi organique, si l’on en juge par les amendements qu’il a déposés avec son groupe, nous soutiendrons le rétablissement de l’article 1er, supprimé par la commission – on se demande bien pourquoi ! –, ainsi que le rétablissement du caractère public des organismes indépendants chargés de réaliser l’étude d’impact. Nous ne pensons pas, en effet, qu’être soumis aux contraintes du marché et au bon vouloir de ses clients soit la meilleure garantie d’indépendance…
Nous avons proposé, en outre, que les amendements déposés par le Gouvernement modifiant substantiellement les propositions de loi ou les projets de loi initiaux soient, eux aussi, accompagnés d’une étude d’impact. Notre amendement en ce sens a été déclaré irrecevable au titre de l’article 45 de la Constitution, interprété de manière très extensive. À part ça, comme on nous le dit régulièrement, l’urgence est au renforcement des pouvoirs du Parlement ! Peut-être faudrait-il qu’il commence par les renforcer lui-même…
Tel est donc l’esprit dans lequel nous abordons la discussion des deux textes soumis à notre examen, en regrettant que la commission ait cru bon de transformer une proposition de loi simple, claire et utile en un texte trop compliqué pour avoir une chance de survivre à la navette. Mais peut-être était-ce le but ?
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui nous invite à dresser un bilan du recours aux études d’impact.
Je voudrais tout d’abord insister sur la question préalable, si j’ose dire, posée par le texte tel qu’il résulte des travaux de notre commission des lois, mais aussi sur la question qu’il ne pose pas.
La question préalable est de savoir si, à travers l’examen de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi, nous pouvons procéder à une sorte d’anticipation du débat sur la révision constitutionnelle à venir.
Le rapporteur, M. Sueur, a fait substantiellement évoluer la proposition de loi en intégrant dans les études d’impact l’évaluation des conséquences, pour les entreprises et les collectivités territoriales, notamment en termes de coût, des dispositions envisagées. Il y ajoute l’évaluation des moyens humains, financiers et informatiques nécessaires à leur mise en œuvre, ainsi qu’une analyse du bilan des normes créées et abrogées. Par ailleurs, il propose le recours à un certain nombre d’organismes indépendants énumérés de manière non limitative, en complément du débat, que chacun de nous a en tête, sur la mise à disposition du Parlement de la Cour des comptes.
Enfin, le texte issu des travaux de la commission des lois intègre la proposition n° 18 du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle en ce qui concerne les conditions dans lesquelles la conférence des présidents de l’assemblée pourrait constater que les obligations relatives aux études d’impact ne sont pas remplies.
En résumé, mes chers collègues, le texte de la commission des lois reprend trois propositions du groupe de travail sénatorial sur la révision constitutionnelle.
Je le dis immédiatement, ces propositions ont l’agrément du groupe Union Centriste. Cela étant, il ne nous est pas interdit de nous poser collectivement la question suivante : est-il pertinent de mener ce débat aujourd’hui ou conviendrait-il plutôt de l’intégrer à celui, plus général, qui devrait – je préfère m’exprimer au conditionnel – se tenir dans notre assemblée ? Cette question a déjà été posée par l’un des orateurs qui m’ont précédé et par M. le secrétaire d’État.
La question que ne pose pas la proposition de loi organique en l’état est celle de l’intégration de la démocratie participative, de l’expression plus directe du citoyen, au travers des études d’impact, en amont du processus législatif.
Cette question est posée par la société française. Il existe en effet une large aspiration à ce que notre démocratie soit plus participative, dans une meilleure complémentarité avec la démocratie représentative à laquelle nous sommes tous attachés, pour aboutir à ce que notre collègue Henri Cabanel et moi-même avions appelé, voilà un an, une démocratie « coopérative ».
Tout un mouvement de la société civile résumé dans la notion de civic tech tend à ce que l’expression du citoyen soit généralisée et facilitée par le biais, notamment, de modalités numériques.
De telles dispositions peuvent être mises en œuvre par une réactivation du droit de pétition devant les assemblées parlementaires, tombé en désuétude, par un mécanisme de consultation numérique ou par des conférences de consensus et autres panels citoyens. Cela pourrait concerner, en particulier, les textes à vocation sociétale ou touchant des sujets scientifiques.
Après vous avoir incités à vous demander d’abord s’il y a ou non lieu d’anticiper le débat constitutionnel à venir, je soulignerai que la question des études d’impact peut être envisagée dans une perspective plus générale et mériterait sans doute d’être encore travaillée par notre assemblée. Ces observations préalables étant formulées, j’admets bien volontiers, avec mon groupe, que les mesures proposées sont plutôt de bon aloi, pertinentes et de nature à rendre les études d’impact plus efficaces. C’est pourquoi le groupe Union Centriste apportera son soutien au texte dans son état actuel, sans demander le renvoi à un débat ultérieur. Nous sommes néanmoins attentifs aux moyens de mieux associer nos concitoyens à l’élaboration de la norme législative et à la probable réforme des institutions, dont nous sommes nombreux à souhaiter la réussite. (Applaudissements au banc des commissions, ainsi que sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la généralisation des études d’impact accompagnant les projets de loi – ou, s’agissant des projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, des évaluations préalables qui en tiennent lieu – a constitué une réelle amélioration, puisqu’en principe elle oblige, depuis 2009, le Gouvernement à éclairer le Parlement sur les raisons de légiférer, sur les options alternatives et sur l’ensemble des conséquences des dispositions envisagées.
La proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui prévoit, d’une part, que les études d’impact des projets de loi doivent comporter une « évaluation qualitative de l’impact des dispositions envisagées au regard des nouveaux indicateurs de richesse », et, d’autre part, que les évaluations devant figurer dans les études d’impact doivent être réalisées par des « organismes publics indépendants et pluralistes », auxquels les assemblées parlementaires pourraient adjoindre des personnalités qualifiées.
L’examen de ce texte renvoie au débat sur l’utilité et sur la qualité des études d’impact, alors que le Gouvernement, conformément à l’annonce faite le 3 juillet 2017 par le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès, élabore un projet de révision constitutionnelle dont la discussion pourra précisément être l’occasion d’évoquer la question de la qualité des études d’impact.
L’obligation de joindre aux projets de loi, dès leur transmission au Conseil d’État, puis lors de leur dépôt sur le bureau de l’une ou l’autre des deux assemblées, une étude d’impact comportant une série d’informations et d’évaluations, a été instaurée par la loi organique du 15 avril 2009. Cette obligation d’information du Parlement à la charge du Gouvernement est entrée en vigueur pour les projets de loi déposés à compter du 1er septembre 2009.
Si les études d’impact constituent une indéniable avancée et une incontestable garantie de meilleure information du Parlement, leur contenu, leur qualité et leur procédure d’élaboration doivent néanmoins être améliorés. En effet, la pratique s’est révélée décevante depuis 2009 au regard des espoirs placés dans cet outil pour faire progresser la qualité du processus d’élaboration des lois.
C’est pourquoi l’examen de cette proposition de loi organique est l’occasion de reprendre les travaux antérieurs du Sénat sur les études d’impact et d’introduire dans le texte les propositions formulées en janvier 2018 par le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, lorsqu’elles ne nécessitaient pas de modification de la Constitution.
Je me réjouis donc que la commission des lois, sur l’initiative du rapporteur, ait décidé – à l’unanimité – de relever le niveau d’exigence pour les études d’impact des projets de loi, par le biais de l’adoption de sept amendements.
Ainsi, en complément des évaluations réalisées par le Gouvernement, les études d’impact devront comporter des évaluations réalisées par des organismes indépendants, afin de renforcer l’objectivité de l’information du Parlement sur les conséquences des projets de loi.
Les études d’impact devront aussi comporter une évaluation des moyens nécessaires à la mise en œuvre des projets de loi par l’État et les administrations publiques, d’un point de vue à la fois humain, budgétaire et informatique, ainsi que des délais nécessaires à leur mise en œuvre.
En outre, elles devront évaluer spécifiquement les coûts induits par les projets de loi pour les collectivités territoriales et pour les entreprises, ainsi que l’apport des projets de loi en matière de simplification.
Elles devront également préciser, dans l’hypothèse où la création de nouvelles normes est envisagée, les normes qu’il est proposé d’abroger en contrepartie. Les avis rendus par le CNEN devront ainsi y être joints.
Enfin, en matière de procédure, la conférence des présidents de la première assemblée saisie devra disposer d’un délai allongé de dix à trente jours pour apprécier la qualité de l’étude d’impact et s’opposer à l’inscription du projet de loi concerné à son ordre du jour si l’étude d’impact est jugée insuffisante.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les amendements adoptés en commission des lois modifient de façon substantielle la proposition de loi organique en y incorporant les conclusions du groupe de travail sur la révision constitutionnelle. Notre groupe votera en faveur de l’adoption de ce texte. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il n’aura échappé à personne – à part peut-être au Gouvernement ! – que c’est dans cet hémicycle que se fait la loi. Cela requiert, de notre part, un niveau d’exigence élevé et une responsabilité permanente. Cela requiert également une objectivation de nos décisions, sans pour autant que nous abdiquions nos convictions de gauche, de droite ou d’ailleurs…
En tant que parlementaires, l’objectivation de nos décisions passe par le recours à un certain nombre d’outils en vue de confronter des points de vue divergents, pluralistes : auditions, tables rondes, conférences, rapports…
En effet, la décision publique, le choix politique ne devraient jamais céder avec trop de facilité démagogique à la tentation de l’émotion et de l’air du temps, mais plutôt se fonder, en responsabilité, sur la raison, pour que la loi soit de qualité.
Aux fins d’amélioration de la qualité de la loi et de limitation de l’inflation législative, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique du 15 avril 2009 ont instauré l’obligation de joindre aux projets de loi une étude d’impact comportant une série d’informations et d’évaluations.
L’étude d’impact a un rôle : éclairer le Parlement. Toutefois, comme l’a souligné notre rapporteur, qu’il faut remercier de son travail, les études d’impact ont fait l’objet de critiques régulières et parfois sévères quant à leur utilité, à leur contenu et à leurs modalités d’élaboration. Tantôt pures formalités, tantôt justifications a posteriori d’un projet de loi, elles ne donnent pas satisfaction et ne permettent pas de fournir une information de qualité au Parlement.
Ainsi – c’est mon premier point –, la proposition de loi organique de notre collègue Franck Montaugé vise justement à améliorer la qualité de ces études et à garantir leur indépendance. Elle tend à instaurer des études d’impact répondant réellement à leur objectif. Je tiens à saluer ici l’important travail fourni, dans la durée et en intensité, par notre collègue, et à remercier celui-ci d’attirer notre attention sur une problématique qui touche à un aspect essentiel de la décision publique.
La proposition de loi organique porte, d’une part, sur le contenu des études d’impact, et, d’autre part, sur la nature des organismes qui peuvent les réaliser.
En ce qui concerne l’amélioration de la qualité des études d’impact, il n’est plus possible, c’est vrai – je rejoins en cela les conclusions de Franck Montaugé –, de se fonder uniquement sur le PIB, parce que cette grille d’interprétation conditionne notre façon d’appréhender le monde, et donc la manière dont sont conduites les politiques publiques. Si le PIB est un indicateur indispensable pour mesurer la croissance, voire pour juger de l’efficacité des politiques publiques, il n’est pas, il ne peut plus être le seul instrument de mesure.
Ce constat est étayé par une littérature importante, qu’elle provienne des Nations unies, avec l’IDH, l’indicateur de développement humain, ou de l’OCDE, de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi ou encore de France Stratégie. Tous ces organismes s’accordent pour affirmer, à l’instar de l’OCDE en 2007, que le PIB n’est plus suffisant et qu’il est nécessaire « de procéder à une mesure du progrès social dans chaque pays [qui aille bien] au-delà [de ces] mesures […] conventionnelles ».
Ce qui est ici en jeu, c’est une approche pluraliste, avec des critères multiples, permettant de sortir de la suprématie d’une mesure uniquement économique, alors que l’économie ne constitue qu’une dimension parmi d’autres de la réalité sociale, omettant la question environnementale et celle des inégalités sociales, de plus en plus prégnante dans l’ensemble des pays occidentaux.
Il est donc nécessaire pour nous d’embrasser l’ensemble des disciplines, de développer des indicateurs alternatifs, afin de mesurer vraiment la qualité de la décision publique. En conséquence, notre collègue propose de prendre en compte dans les études d’impact les nouveaux indicateurs de richesse issus de la loi Sas du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, afin que l’analyse ne se limite pas à des critères uniquement économiques et quantitatifs, mais englobe la mesure du bien-être ou celle des inégalités, dans un contexte de soutenabilité environnementale.
Édouard Philippe précise, dans son éditorial du rapport de 2017 sur les nouveaux indicateurs de richesse, que les dix indicateurs dont nous disposons sont « un outil unique. C’est un constat sans appel de l’évolution de notre société, c’est un rappel puissant au Parlement et au Gouvernement de leurs responsabilités. »
Nous regrettons que l’article 1er de cette proposition de loi organique n’ait pas été retenu par la commission, et nous soutiendrons son rétablissement, en profitant de la possibilité qui nous est encore offerte d’amender librement les textes… (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Pierre-Yves Collombat. Bravo !
M. Éric Kerrouche. Par ailleurs, il faut des études d’impact indépendantes, pour en garantir l’objectivité. Il est en effet curieux, sinon incongru, que l’étude d’impact soit réalisée par l’instance qui rédige le projet de loi. Au mieux, cela biaise l’interprétation ; au pire, cela limite profondément les possibilités d’ouverture. L’indépendance des études d’impact pourrait produire des effets qualitatifs importants. En ce qui nous concerne, nous tenons au maintien du caractère public et pluraliste des organismes habilités à élaborer ces études, parce que cela serait aussi un moyen de mettre en valeur notre recherche publique. Néanmoins, concernant l’article 2, il y a lieu de reconnaître que la position consensuelle qui a émergé grâce au travail de notre rapporteur est intéressante.
D’une part, la proposition de loi organique, telle qu’elle est rédigée, permet d’assurer la réalisation d’évaluations complémentaires par des organismes indépendants, dont le contenu serait intégré au document rendant compte de l’étude d’impact. Nous pouvons nous féliciter de cette avancée, qui permettra de renforcer l’objectivité de l’information du Parlement, même si, je le répète, nous tenons au caractère public et pluraliste de ces organismes.
D’autre part, comme l’ont déjà souligné d’autres orateurs, l’intégration dans cette proposition de loi des réflexions du groupe de travail sénatorial sur la révision constitutionnelle apporte réellement des éléments discriminants.
Les études d’impact devront désormais intégrer une évaluation des moyens nécessaires pour la mise en œuvre du texte par l’État et les administrations, l’apport du projet de loi en matière de simplification, l’évaluation des coûts induits pour les collectivités et pour les entreprises. En outre, la conférence des présidents disposera d’un délai de trente jours, au lieu de dix, pour apprécier la qualité de l’étude d’impact et s’opposer, s’il y a lieu, à l’inscription de l’examen du projet de loi à son ordre du jour.
Nous approuvons l’ensemble de ces propositions, qui concourront à améliorer la qualité et l’objectivité des études d’impact et à enrichir notre culture de l’évaluation.
Nous voterons bien entendu cette proposition de loi organique, mais nous estimons, comme notre collègue Franck Montaugé, que la réflexion sur les nouveaux indicateurs de richesse doit être poursuivie et que ces indicateurs mériteraient d’être intégrés dans nos grilles d’interprétation pour éviter que l’économie demeure l’unique grammaire de nos politiques.
Pour conclure, si j’étais taquin – mais je ne le suis pas –, je dirais, pour faire suite aux propos de M. le secrétaire d’État et de M. Alain Richard selon lesquels il faut attendre la réforme constitutionnelle et ne pas se hâter de voter ce texte,…