M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de 20 minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le budget de la justice est souvent le parent pauvre des budgets ministériels.
En effet, le budget de la défense fait plus facilement consensus et le budget de l’éducation nationale, par exemple, est en débat naturel. La justice, dont nombre de nos concitoyens attendent beaucoup, n’a pas les mêmes atouts.
C’est dans cet esprit, et en allant sur le terrain, dans le cadre de la mission d’information sur le redressement de la justice, initiée par le président de la commission des lois, que nous avons pu constater à quel point la justice avait besoin de moyens et d’une programmation pluriannuelle.
Une telle programmation pourrait faire l’objet, comme nous l’avons déjà dit à Mme la garde des sceaux, d’un large consensus, un rassemblement, qui est celui qui est souhaité par le Président de la République dans sa gestion politique, et vous êtes vous-même, semble-t-il, un symbole de ce rassemblement, monsieur le secrétaire d’État.
Mme Éliane Assassi. Mais quel rassemblement ?
M. Jacques Bigot. Rassemblement sur la justice, cela suppose effectivement une programmation pluriannuelle qui aurait pu déjà être proposée tout de suite. Elle ne l’est pas parce qu’il faut, paraît-il, mener à bien rapidement cinq chantiers, alors même qu’il y a eu, sous le gouvernement précédent, des états généraux, des réflexions, liés à toute une série de rapports, qui démontrent clairement ce qu’il faut faire. Et pourtant, on nous renvoie encore à une discussion ultérieure.
Par ailleurs, comme l’a souligné le rapporteur spécial de la commission des finances, on nous propose un budget en demi-teinte, qui peut sembler bon à ceux qui ne regardent que les finances et très insuffisant à ceux qui connaissent le fonctionnement de la justice et de l’ensemble de ses institutions.
Mme la garde des sceaux aura besoin de notre soutien pour parvenir à convaincre, à l’instar du précédent garde des sceaux qui s’est battu sur ce point, de la nécessité d’allouer davantage de moyens à la justice. Ce n’est pas simple.
Il faut également engager certaines réformes, notamment dans l’organisation de la justice. Nous sommes conscients que la réforme numérique doit aider à un meilleur fonctionnement de la justice. Cinquante emplois sont prévus à cet égard, pour améliorer l’approche du numérique par le monde judiciaire.
On parle aussi de la réorganisation territoriale, qui inquiète beaucoup. Les économies que l’on pense y trouver ne seront pas forcément au rendez-vous. Il ne faudrait pas, au final, éloigner les justiciables de la justice, alors qu’ils ont besoin de davantage de proximité.
Nous ne sentons donc pas encore, dans ce budget, la marque exacte de ce que Mme la garde des sceaux souhaite faire. Elle n’est pas là aujourd’hui pour nous l’expliquer ; elle nous l’a expliqué en commission des lois, et j’espère que nous aurons rapidement l’occasion d’en débattre, dans le cadre d’une programmation pluriannuelle qui ne devrait pas attendre la fin de l’année 2018.
M. Philippe Bas. Très juste !
M. Jacques Bigot. Mais globalement, malgré les efforts, nous constatons que le budget baisse, en matière notamment de recrutement de personnels. On nous annonce, pour 2018, 319 départs et 419 recrutements de magistrats. Le solde serait donc positif de 100 personnels magistrats ; pour les greffiers, le solde positif serait de 108 personnels, alors que des manques criants et importants existent, auxquels il faut pourvoir.
Manifestement, on n’est pas dans la même logique que celle du gouvernement précédent. Il est vrai que M. Urvoas s’était beaucoup battu afin de faire mieux pour la justice.
S’agissant de l’administration pénitentiaire, dont Jean-Pierre Sueur dira quelques mots, ou plutôt parlera cinq minutes, tout à l’heure, pour notre groupe, on constate là aussi que les dépenses de personnel augmentent à peine de 4 %, alors que l’on sait qu’on a du mal à recruter, et que si l’on ne transforme pas les moyens donnés aux personnels, il sera difficile de faire fonctionner des prisons que l’on veut encore plus nombreuses, d’après ce que l’on entend.
Enfin, madame la rapporteur pour avis de la commission des lois sur la protection judiciaire de la jeunesse, vous émettez un avis favorable sur les crédits de ce programme, mais vous ne mesurez pas que l’effort, là encore, n’est pas au rendez-vous.
Vous parlez des centres éducatifs fermés. On veut, dit-on, en créer vingt dans le cadre du budget pour 2019 ; mais rien n’est prévu, dans le budget pour 2018, pour préparer leur réalisation, ce qui veut dire qu’ils ne seront construits, au mieux, qu’en 2020, sachant qu’une telle création exigera des personnels supplémentaires. Bien sûr, faire fonctionner des centres éducatifs fermés revient cher, mais il s’agit d’une nécessité. En même temps, vous avez raison, il ne faut pas déshabiller le reste des services.
Nous considérons que ce qui est fait pour la protection de la jeunesse est fondamental pour éviter l’augmentation future de la délinquance. Sur les crédits de la mission consacrés à cette question, donc, nous voterons contre.
Nous voterons également contre les crédits consacrés à l’administration pénitentiaire, parce qu’ils ne sont pas au rendez-vous.
En même temps, nous attendons avec impatience un vrai débat sur le sens de la peine, l’utilité de l’enfermement et la nécessité de dépenser cet argent en faveur de l’administration pénitentiaire.
Enfin, s’agissant du budget de la justice, nous pourrions voter contre.
M. Philippe Bas. Vous devriez !
Mme Sophie Joissains. Ce serait une bonne chose !
M. Jacques Bigot. Mais nous pensons, à ce stade des discussions, qu’il est utile que nous nous contentions de nous abstenir, rejoignant en quelque sorte la proposition de la commission des finances, qui n’est pas tout à fait l’avis de la commission des lois. Nous espérons ainsi encourager Mme la garde des sceaux, dans l’attente de la programmation pluriannuelle qui, elle, devra être au rendez-vous du consensus dont la Nation a besoin pour que sa justice fonctionne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Loïc Hervé. Le « nouveau monde » va s’exprimer !
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, étonnamment, nous voterons pour !
M. Loïc Hervé. Quelle surprise !
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Quel humour !
M. Arnaud de Belenet. Dans un contexte de nécessaire redressement des comptes publics, nous ne pouvons que nous réjouir d’une hausse de près de 4 % du budget de la justice et de la création de 1 000 emplois.
Mme Françoise Gatel. C’est vrai !
M. Arnaud de Belenet. Toutefois, la France demeure mal classée parmi les pays européens, pour ce qui concerne notamment les moyens alloués à son système judiciaire : cela a été dit, avec 72 euros par habitant, elle se classe à la quatorzième place sur vingt-huit. Quant aux délais de procédure, ils sont très longs : un Français devra attendre 304 jours pour voir son cas jugé, contre 19 jours au Danemark ou 91 aux Pays-Bas, avantageant ainsi la partie qui a intérêt à retarder l’instruction ou le jugement.
C’est pourquoi la politique en matière de justice ne peut se résumer à une augmentation, certes nécessaire, des crédits qui lui sont consacrés, mais doit s’inscrire dans une transformation en profondeur de notre système.
M. Philippe Bas. Vous avez raison !
M. Arnaud de Belenet. Telle est la volonté du Gouvernement : Mme la garde des sceaux a lancé, les 5 et 6 octobre derniers, les chantiers de la justice, avec une feuille de route claire. Il s’agit à la fois de simplifier et d’améliorer les procédures civiles et pénales, mesures particulièrement attendues par les professionnels de la justice, mais aussi par les justiciables eux-mêmes, d’impulser une transformation numérique de nos juridictions, d’amorcer une véritable réflexion sur le sens et l’efficacité de la peine, et de réfléchir à l’adaptation de l’organisation judiciaire.
Entendu par notre rapporteur pour avis Yves Détraigne, le secrétaire général de la Chancellerie a annoncé le lancement prochain d’un sixième chantier relatif aux ressources humaines.
Ces travaux, dont les conclusions seront présentées en début d’année, trouveront une traduction, au printemps, dans un projet de loi quinquennale de programmation pour la justice, accompagné de projets de loi de simplification de la procédure pénale et de la procédure civile. Cette démarche s’inscrit dans la modernisation de la justice du XXIe siècle portée par le précédent garde des sceaux.
À cet égard, la forte baisse que subit le programme « Administration pénitentiaire », baisse de près de 39 % par rapport à 2017, s’explique par le montant élevé des autorisations d’engagement prévues dans la loi de finances pour 2017 correspondant au programme de construction de 15 000 places de prison annoncé par Jean-Jacques Urvoas.
Toutefois, cet effort a connu des difficultés d’application : les terrains, nous le savons tous, ne sont pas immédiatement disponibles, et les délais entre l’acquisition du foncier et le démarrage des travaux peuvent être particulièrement longs.
Comme l’a rappelé le Président de la République dans son allocution devant la Cour européenne des droits de l’homme, « la France ne peut être fière des conditions dans lesquelles certains sont détenus sur son territoire. » En effet, au 1er octobre 2017, la France comptait plus de 68 000 détenus pour seulement 59 000 places. Le chef de l’État a donc annoncé la création d’une agence chargée de développer et d’encadrer les travaux d’intérêt général, dont l’objectif est de désengorger les prisons en promouvant des peines alternatives.
Mme la garde des sceaux mérite d’être alertée, en tout cas sollicitée pour quelques précisions sur cette agence, afin d’écarter les critiques déjà formulées, comme celle de l’Observatoire international des prisons.
Au-delà de la création de cette agence, je souhaite aborder deux points concernant l’administration pénitentiaire : la nécessité de réfléchir aux peines et aux conditions de travail du personnel pénitentiaire.
S’agissant des peines, à titre d’exemple, comme l’indique Mme Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté, des délinquants routiers récidivistes se retrouvent en prison, ainsi que des personnes relevant de la psychiatrie. D’aucuns estiment à 30 % la part des détenus qui présentent des troubles psychiatriques graves – nous savons l’hostilité des médecins psychiatres à l’internement, et peut-être cette préoccupation mérite-t-elle d’être relayée.
S’agissant des conditions de travail du personnel pénitentiaire, comme l’a indiqué notre rapporteur pour avis Alain Marc, il existe une forte crise de recrutement qui s’explique notamment par la difficulté du travail, renforcée, précisément, par le contexte de surpopulation carcérale, ainsi que par la faiblesse des rémunérations.
Concernant les autres programmes de cette mission, ils connaissent tous une augmentation plus ou moins sensible. L’effort budgétaire consacré à la transformation numérique de la justice est en définitive assez remarquable, puisque le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » augmente de 113 % en autorisations d’engagement et de 15,3 % en crédits de paiement.
Cette transformation profonde va enfin permettre une mise à niveau des moyens de la justice qui la fera entrer dans l’ère numérique, dont nous savons la révolution qu’elle représente. C’est un enjeu fort pour nos concitoyens, qui éprouvent une forme d’inquiétude, voire de défiance, à l’égard de notre justice, la jugeant, à raison, souvent trop lente et trop complexe. Il est de notre responsabilité de regagner la confiance de nos concitoyens. Le budget qui nous est présenté par Mme la garde des sceaux prend la pleine mesure de ce défi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Sophie Joissains ainsi que MM. Loïc Hervé et Pierre Louault applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans ce projet de loi de finances pour 2018, le budget alloué à la justice augmentera de 2,9 %. Si cette hausse est supérieure à l’augmentation moyenne de 2,6 % constatée depuis 2012, elle est en revanche inférieure à celle de l’année dernière, laquelle, certes, devait être imputée aux moyens exceptionnels consacrés aux plans de lutte contre le terrorisme.
Mais tout de même, comme le révèle l’Union syndicale des magistrats, nous pouvons regretter un « ralentissement de la croissance », signe d’un « manque d’ambition pour la future loi de programmation » promise par le Président Macron et le Premier ministre.
Par ailleurs, sur le fond, si nous partageons, pour la justice, l’objectif de redressement budgétaire, nous sommes au regret de constater que l’augmentation des crédits proposée s’inscrit dans la même orientation que celle de ces dernières années : l’impact de la progression des crédits est largement réduit pour les services judiciaires, puisque le programme « Administration pénitentiaire » absorbe en grande partie cette progression.
Dès lors, une fois encore, je vous pose la question, monsieur le secrétaire d’État : augmenter les moyens de la justice, oui, mais pour quoi faire ?
En outre, l’augmentation porte sur un budget si appauvri que le « retard structurel » de la justice n’est pas rattrapé. Les comparaisons européennes donnent la véritable mesure de la paupérisation de la justice française. Et pour cause, la France pointe à la quatorzième place sur vingt-huit, avec 72 euros par habitant et par an consacrés à la justice.
Les effectifs constituent un autre point faible du système judiciaire français. Concernant le nombre de juges, en 2014, la France est vingt-quatrième sur vingt-huit, avec dix juges professionnels pour 100 000 habitants.
Parallèlement, les procédures, en France, sont très longues : en première instance, un Français devra attendre en moyenne 304 jours pour voir son cas jugé, contre 19 jours au Danemark !
La situation est donc critique sur le plan judiciaire ; elle l’est tout autant s’agissant de l’administration pénitentiaire.
Vingt-sept associations et syndicats d’avocats, de magistrats, de personnels de l’administration pénitentiaire ont interpellé l’ensemble des parlementaires sur le présent projet de budget – c’était le 25 octobre dernier, il n’y a donc pas si longtemps. Ils dénoncent une augmentation constante du parc carcéral au détriment de la logique de réinsertion et des alternatives à l’emprisonnement, toujours négligées. Nous partageons ce constat et souhaitons nous aussi mettre un terme à l’inflation carcérale, en privilégiant la décroissance pénale déjà engagée dans nombre d’autres pays européens.
Rappelons que si près de 30 000 places de prison ont été construites ces 25 dernières années, entraînant une hausse de 60 % du parc pénitentiaire, les conditions de détention n’ont cessé de se détériorer.
Nous pensons donc qu’il serait plus opportun de rénover massivement certaines prisons, de remplacer les établissements vétustes voire, pour certains, dans un état d’insalubrité maximale, comme à Fresnes, et, parallèlement, de favoriser le milieu ouvert et les alternatives à l’emprisonnement.
Les services de la protection judiciaire de la jeunesse, pour leur part, voient leurs crédits progresser de 3,4 % par rapport à l’année dernière, et leurs effectifs renforcés par 40 nouveaux emplois d’éducateurs.
Au regard de la situation de fragilité dans laquelle se trouve la protection judiciaire de la jeunesse, notamment par l’application indiscriminée de la révision générale des politiques publiques entre 2007 et 2012, le budget pour 2018 n’est pas satisfaisant.
Dans son programme, Emmanuel Macron avait pourtant affirmé : « La justice des mineurs est une de nos grandes priorités, car c’est là que se joue l’avenir des enfants en difficulté. »
Aussi peut-on s’étonner que la justice des mineurs ne bénéficie pas d’une forte augmentation de crédits et ne fasse pas l’objet de l’un des grands chantiers de la justice annoncés.
S’agissant de l’aide juridictionnelle, le budget doit augmenter de 8,7 % – encore une fois, c’est moins que l’année précédente – en attendant le lancement de plusieurs missions destinées à trouver une solution de financement pérenne.
Le budget alloué à ce programme est largement insuffisant ; c’est pourquoi nous vous proposons, mes chers collègues, par voie d’amendement, de l’abonder. Il s’agit là du seul outil permettant d’assurer une assistance aux justiciables les plus démunis.
À cet égard, nous souhaitons souligner que l’augmentation des ressources attribuées à cette politique publique ne doit pas conduire à éluder la question fondamentale de la rétribution des professionnels du droit intervenant dans l’aide juridictionnelle.
En effet, les avocats qui prennent en charge ces dossiers ne sont pas rémunérés, mais « indemnisés » via la perception d’une rétribution dérisoire à la toute fin de la procédure. Ces avocats assument seuls, sur leur activité économique, le poids d’une mission de service public dont la rétribution est bien souvent inférieure au coût.
Si le budget de la justice est donc présenté, cette année encore, comme prioritaire, il n’échappe pas aux logiques d’austérité.
Or les moyens affectés et les orientations définies ne permettront pas de restaurer la crédibilité et l’efficacité de la justice ; c’est la raison pour laquelle les sénatrices et les sénateurs de mon groupe voteront contre les crédits de cette mission.
Selon nous, mes chers collègues, il y a urgence à prôner et à ériger une justice plus sociale et humaine. Nous formons le vœu, de nouveau, que les chantiers lancés par Mme la garde des sceaux, qui sont en cours, aboutissent à un texte en faveur de cette logique. (M. Philippe Bas applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Joissains. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Philippe Bas applaudit également.)
Mme Sophie Joissains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, « Dans un État de droit, rien n’est possible sans une justice forte. Si elle est lente, ou lointaine, ou inégalitaire, ou même seulement trop complexe, la confiance se trouve fragilisée. » Ces mots ne sont pas de moi, mais du Premier ministre, lors de son discours de politique générale, en juillet dernier.
La justice est donc, pour le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d’État, une priorité affichée. C’est une excellente chose.
Mais nous sommes nombreux, ici, à avoir entendu de belles promesses, notamment en début de mandature, et à avoir été souvent déçus.
Notre assemblée a toujours été très attentive aux moyens alloués à l’autorité judiciaire, et notre commission des lois tire la sonnette d’alarme depuis des années. Je rappelle que, depuis longtemps, la France occupe une place peu flatteuse dans le classement réalisé par le Conseil de l’Europe – les collègues qui m’ont précédé ont largement abordé ce sujet.
J’espère que notre pays, qui est un symbole démocratique dans le monde entier, donnera prochainement une autre image et, de fait, vivra une autre réalité.
Nous espérons sincèrement que l’effort budgétaire consacré par le Gouvernement à la mission « Justice » en 2018 permettra d’améliorer les choses.
Mais, pour ma part, je suis très sceptique sur les améliorations réelles, concrètes, que pourraient ressentir magistrats, greffiers, surveillants pénitentiaires et justiciables.
M. Philippe Bas. Bien entendu !
Mme Sophie Joissains. Cela a été rappelé : on ne peut accuser le Sénat d’être simplement dans la critique ; nous avons fait des propositions conséquentes, particulièrement au cours de l’année qui vient de s’écouler, dans le cadre de la mission d’information sur le redressement de la justice.
Ces travaux ont été rendus publics en avril 2017, et ont donné lieu au dépôt de deux propositions de loi, toutes deux adoptées par le Sénat le 24 octobre dernier.
À l’occasion du débat sur ces textes, Mme la garde des sceaux nous a informé que le Gouvernement présenterait son projet de loi quinquennale de programmation de la justice au premier semestre 2018. Dont acte.
Cette loi de programmation sera donc bien présentée après le vote de la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, et l’on voit mal comment les plafonds de crédits par mission ainsi votés pourraient demain être remis en question.
La suite de mon propos sera consacrée à quelques aspects des plus sensibles de la mission.
L’aide juridictionnelle, tout d’abord : sur ce sujet qui me tient particulièrement à cœur, nous avions rédigé, avec Jacques Mézard, un rapport d’information, et, oserai-je dire, de propositions, en 2014.
Les moyens de l’aide juridictionnelle augmenteront de 8,7 % en 2018.
C’est une bonne chose, mais l’aide juridictionnelle continuera de constituer un serpent de mer tant qu’une solution de financement pérenne n’aura pas été trouvée – beaucoup d’entre vous, je crois, mes chers collègues, se retrouvent dans cette conclusion.
Je rappelle que le Sénat a adopté, en octobre dernier, le rétablissement de la contribution pour l’aide juridique, supprimée par la loi de finances pour 2014.
Cette contribution apporte une réponse simple au besoin de financement de l’aide juridictionnelle et pourrait engendrer plus de 50 millions d’euros chaque année.
Néanmoins, est-ce là le moyen le plus juste de la financer ?
Des interrogations demeurent, notamment sur la possibilité de taxer la protection juridique, qui figure, telle une clause de style, sur tous les contrats d’assurance, et est payée par des consommateurs qui n’ont pas été mis en situation de choix et n’ont souvent pas même conscience d’y avoir droit.
Le Gouvernement a confié une mission conjointe à l’Inspection générale des finances et à l’Inspection générale de la justice sur ce sujet.
J’espère que nous parviendrons enfin à clore ce dossier, car cette réforme est restée bien trop longtemps en suspens, alors qu’elle est essentielle pour l’accès à la justice des plus démunis, et fondamentale au regard du principe d’égalité.
Quelques mots sur le problème lui aussi récurrent des vacances de postes, et notamment des postes de magistrats.
Pour ce qui concerne les magistrats affectés en juridiction, en 2017, plus de 450 postes étaient vacants.
S’agissant des greffiers, le taux de vacance au 1er janvier 2017 s’élevait à 7,44 %.
Certes, la création de 100 postes de magistrats et de 108 postes de greffiers devrait pouvoir réduire d’autant le solde de vacances de postes de ces deux corps, mais sûrement pas en 2018 : il faudra 18 mois pour les greffiers et 31 mois pour les magistrats – cela correspond à la durée de leur formation.
M. Philippe Bas. C’est vrai !
Mme Sophie Joissains. Il nous faut aussi trouver une réponse à la question : pourquoi de tels taux de vacance ? L’attractivité de certaines juridictions est-elle en cause ? C’est certain, et cela pose des problèmes de nature bien plus profonde, s’agissant tant de l’organisation territoriale que des inégalités qui en découlent.
Nous aurons l’occasion d’en débattre à nouveau lors de l’examen de la loi de programmation.
Autre problématique récurrente de la discussion budgétaire : les frais de justice.
Force est de constater que près de 122,65 millions d’euros de dettes et charges à payer ne sont pas budgétés, alors que certaines juridictions sont en cessation de paiement depuis le mois d’août et ne peuvent payer des auxiliaires de justice.
Cette problématique n’est absolument pas résolue par le présent projet de budget.
Un mot, enfin – nous en avons déjà beaucoup parlé –, sur la création de places de prison.
Nous avons tous en mémoire un principe simple, que nous avons voté en 2009, dans la loi pénitentiaire : l’encellulement individuel. Il s’agit d’un objectif indispensable, mais difficile à atteindre, tant et si bien que depuis 2009 nous ne faisons que prolonger le moratoire à ce sujet – il court jusqu’au 31 décembre 2019.
La réalité, à ce jour, est que le taux d’encellulement individuel dans les établissements pénitentiaires est inférieur à 40 %. Nous devons mettre en parallèle ce chiffre avec le taux de densité carcérale qui, lui, avoisine 120 %.
On voit bien l’ampleur du défi carcéral qui est devant nous.
Notre collègue Alain Marc relève que les autorisations d’engagement relatives à l’immobilier pénitentiaire diminuent de 77,26 % par rapport à 2017.
Nous sommes inquiets, et, me semble-t-il, légitimement inquiets, d’autant plus que l’administration pénitentiaire ne doit pas seulement affronter le contexte de surpopulation carcérale et tous les maux qui s’y rattachent – parmi ces derniers, les maux sanitaires et psychiatriques ne sont pas les moindres, et je n’évoquerai même pas les objectifs de réinsertion –, mais est aujourd’hui confrontée au problème de la radicalisation.
Dans ces conditions, le fait que le Gouvernement acte, dès le début du quinquennat, qu’il sera impossible de construire les 15 000 places de prison, alors que le Président de la République s’y était engagé, est plus que regrettable : extrêmement préjudiciable.
Nous espérons sincèrement que le Gouvernement fera tout, dans les années à venir, pour tenir ses engagements, car il s’agit là d’une urgence humaine et sociétale.
Au regard de l’ensemble de ces observations, monsieur le secrétaire d’État, les sénateurs centristes ne peuvent apporter leur soutien au projet de budget dédié à la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Nathalie Delattre et Maryse Carrère applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le budget de la mission « Justice » progressera de 3,9 % en 2018, pour s’établir à 6,98 milliards d’euros.
Toutefois, cette augmentation paraît bien modeste au regard des efforts nécessaires au redressement de la justice, qui se trouve aujourd’hui dans une situation critique, s’agissant tant de ses délais que de ses moyens.
Je souhaite tout d’abord souligner que la trajectoire d’augmentation des crédits de la mission « Justice » engagée par le Gouvernement pour la période 2018–2022, soit une hausse de 19 %, est bien moins ambitieuse que celle prévue par la proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice adoptée par le Sénat le 24 octobre 2017 – l’augmentation prévue y était de 28,9 %.
Pour 2018, en dépit de l’augmentation des crédits de paiement alloués par le projet de loi de finances aux programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » – l’augmentation est de 5,4 %, dont 4,1 % pour le programme « Justice judiciaire » –, de nombreux points appellent un certain nombre de commentaires.
S’agissant tout d’abord des moyens dévolus aux juridictions judiciaires, seules 148 créations nettes d’emplois sont prévues en 2018, contre 600 en 2017, dont aucune création nette d’emploi de greffier.
La sous-dotation persistante des frais de justice est également à déplorer, avec près de 122,65 millions d’euros de dettes et charges à payer non budgétés.
Enfin, la situation demeure préoccupante dans les juridictions, avec des délais de traitement qui s’allongent et une situation chronique de sous-effectif liée aux vacances de postes.
C’est également une augmentation en trompe-l’œil que celle des crédits de fonctionnement et d’investissement des juridictions, essentiellement consacrée à l’ouverture du nouveau palais de justice de Paris, alors que l’immobilier de certaines juridictions se trouve dans un piteux état et que l’insuffisance de leurs moyens de fonctionnement est régulièrement constatée.
Concernant le programme « Administration pénitentiaire », je déplore l’insuffisance des crédits qui lui sont consacrés. En effet, à périmètre constant et hors dépenses de personnel, les crédits de paiement diminuent de plus de 1,3 % et les autorisations d’engagement relatives à l’immobilier pénitentiaire, de 77,26 % par rapport à 2017.
En raison de la faiblesse de l’effort budgétaire en faveur de l’immobilier pénitentiaire, du retard constaté pour acquérir les terrains et de l’absence de loi de programmation permettant de sécuriser les financements, il ne sera pas possible de construire 15 000 places de prison avant la fin du quinquennat, contrairement à l’engagement présidentiel. C’est bien ce que nous a confirmé Mme la ministre lors de son audition par la commission des lois, mardi dernier.
Je regrette également la forte baisse des crédits consacrés à la maintenance des établissements, baisse de plus de 29,3 % par rapport à 2017, alors même que plus d’un tiers des cellules du parc immobilier carcéral sont considérées comme vétustes.
Le sous-investissement dans l’entretien du parc immobilier de l’administration pénitentiaire entraîne une dégradation précoce des établissements existants et conduit soit à une augmentation des coûts des rénovations futures, soit à une fermeture forcée et non anticipée de places d’établissements pénitentiaires.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de budget présente de trop nombreuses lacunes, comme la faiblesse des créations d’emplois dans les juridictions et la persistance de la sous-dotation des frais de justice.
Il ne prend pas non plus la pleine mesure de la situation dramatique que vivent les personnels dans les établissements pénitentiaires ou dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation, face à la hausse du nombre de personnes placées sous main de justice.
Le groupe Les Indépendants ne votera donc pas les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2018. (Mmes Sophie Joissains, Nathalie Delattre et Maryse Carrère applaudissent.)