M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la revue stratégique souligne à quel point nos armées sont sollicitées de façon croissante, dans un contexte de durcissement, d’instabilité et de diffusion des menaces.
La défense et la sécurité nationale, c’est avant tout des femmes et des hommes qui s’engagent pour notre pays. Leurs engagements impliquent leurs familles, qui en subissent les conséquences de plein fouet. Le récent rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire met en évidence de forts enjeux de fidélisation. Difficulté à concilier vie militaire et vie personnelle, mobilité professionnelle du conjoint, reconversion, lassitude face aux difficultés rencontrées en matière d’hébergement sont autant d’écueils.
Je voudrais insister ici en particulier sur la politique immobilière du ministère. Même si les crédits vont augmenter en 2018, le parc est très dégradé, sa maintenance ayant été longtemps sacrifiée pour préserver les dépenses d’infrastructures des grands équipements, des grands programmes d’armement.
Le rattrapage doit s’inscrire dans la durée et se poursuivre résolument. Il manque 400 logements de militaires en région parisienne. Les logements sociaux de l’îlot Saint-Germain ne seront que partiellement affectés aux familles des militaires : 50 sur 250. C’est insuffisant, d’autant que cet immeuble subit une forte décote, de près des deux tiers de son prix, ce qui représente un préjudice important pour le budget des armées.
Dans ce contexte, peut-on se passer du Val-de-Grâce, alors que la revue mentionne que les enjeux de protection du territoire vont durer, particulièrement en Île-de-France, et que les besoins de nos soldats en termes d’hébergement sont considérables ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous avez raison, monsieur le sénateur, de pointer du doigt l’une des difficultés sans doute majeures qu’éprouvent les militaires et leurs familles en matière de logement.
Vous avez rappelé la nécessité de fidéliser nos soldats. Le récent rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire a fait état de chiffres qui montrent qu’il n’y a pas de difficultés particulières en matière de recrutement pour nos soldats. En revanche, il convient de porter une attention particulière pour assurer la fidélisation dans le temps ; le logement y contribue probablement ou insuffisamment, suivant où l’on se place.
Pour ce qui me concerne, l’immobilier est une priorité. L’augmentation du budget du ministère le montre, avec 1,2 milliard d’euros en 2017 et 1,5 milliard d’euros en 2018.
Par ailleurs, dans le cadre du plan Famille que j’annoncerai prochainement, un chapitre entier sera consacré à la question du logement, tant celle-ci est majeure.
Il est vrai que nos emprises ont fait l’objet d’une réorganisation en profondeur en Île-de-France du fait de la mise en service, si je puis dire, du grand ensemble de Balard il y a quelques mois. C’est dans ce contexte que le Val-de-Grâce ainsi que l’îlot Saint-Germain ont été mis en vente, dans des cadres différents.
Pour ce qui concerne le Val-de-Grâce, c’est une cession en bloc qui a été décidée dans son principe. Elle fait l’objet d’un appel à projets, qui est géré par la Ville de Paris. Concernant l’îlot Saint-Germain, c’est-à-dire la seconde fraction, celle-ci sera cédée par morceaux ou par sous-ensembles.
Vous avez appelé mon attention sur le fait que des décotes importantes ont été réalisées pour les emprises qui avaient déjà été cédées. C’est en effet un sujet de préoccupation, mais, vous le savez, ces décotes sont aussi la contrepartie d’autres engagements, qui permettent également de récupérer, dans le cadre des emprises cédées, un certain nombre de logements pour nos militaires. Il nous revient de trouver le point d’équilibre entre un prix de cession convenable et un nombre de logements obtenus en contrepartie satisfaisant.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.
M. Joël Guerriau. Madame la ministre, votre réponse ne me satisfait pas pleinement pour ce qui concerne le Val-de-Grâce. Nous souhaitons voir clairement figurer dans la future loi de programmation militaire la résolution qui sera la vôtre de faire en sorte que les questions immobilières ne soient pas un rattrapage de l’instant, mais qu’elles s’inscrivent véritablement dans la durée.
S’agissant du plan Famille, nous serons évidemment très vigilants sur le fait d’y trouver toutes les données que nous attendons, notamment les annonces du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans un monde en pleine mutation, où les dangers se multiplient et les périls s’accentuent, notre pays doit adapter et faire évoluer ses réponses en termes de défense, de sécurité et de protection. La revue stratégique le fait avec mesure et intelligence.
Je tiens, madame la ministre, à saluer la qualité du travail réalisé dans des délais contraints, tout en rattachant cette analyse pointue de la capacité militaire de la France au récent plaidoyer du Président de la République pour une Initiative pour l’Europe, Europe qui est, permettez-moi de le citer, « notre histoire, notre identité, notre horizon, ce qui nous protège et ce qui nous donne un avenir ».
Je m’attarderai sur un point précis que je considère comme essentiel, l’Europe de la défense et, plus précisément, le fonds européen de la défense.
Oui, les défis à relever aujourd’hui et demain en termes de sécurité et de défense sont multiples et complexes ! Les États membres ne sont pas en mesure de les relever seuls. Et il n’appartient pas à la France de les relever seule…
Avec l’annonce de la création de ce fonds européen le 7 juin dernier, ce constat est désormais contrarié. Il s’agira dorénavant de coordonner intérêts nationaux et autonomie stratégique, industrielle et technologique de l’Europe, d’offrir à l’ensemble des États membres des ressources militaires communes, ce qui permettra ainsi à l’Union européenne de mettre en œuvre une véritable politique de coopération en matière de défense. La Commission a annoncé que son financement aurait lieu selon les cycles budgétaires de l’Union européenne et à partir de financements nationaux.
Madame la ministre, ma question est simple : pouvez-vous nous apporter des précisions sur le calendrier de mise en activité de ce fonds ainsi que sur les estimations en termes de coûts et d’économies pour notre budget national ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, l’un des objectifs fixés par le Président Macron lors de son intervention à la Sorbonne est de faire en sorte que l’Union européenne dispose à l’avenir d’un véritable budget commun de défense. De ce point de vue, le fonds européen de la défense, qui est en cours de création, constitue l’une des premières pierres de cette politique, même si le Président de la République nous appelle à aller au-delà.
Il faut aussi saluer les efforts récents que consentent ensemble les Européens. Cela est certainement lié à une prise de conscience de l’importance des menaces qui pèsent tout autour de l’Europe pour avancer dans le domaine de l’Europe de la défense.
Le fonds européen de la défense est une étape vraiment décisive puisqu’il permettra de financer la recherche de défense ainsi que certaines phases de développement de programmes capacitaires, notamment le développement de prototypes. En effet, l’Union européenne s’apprête à accepter de financer à hauteur de 20 % de telles dépenses, contrairement à ce qui se faisait auparavant.
Le financement partiel du développement de programmes capacitaires est une proposition phare de la Commission qui, au-delà, souhaite pouvoir créer un programme européen de développement industriel de défense.
Vous m’avez interrogée sur le calendrier de mise en œuvre de ce fonds. L’objectif est d’adopter le règlement permettant d’engager ces dépenses dans les prochaines semaines ; une réunion aura lieu au mois de novembre à Bruxelles sur cette question. De plus, il est envisagé d’affecter 500 millions d’euros en 2019, 500 millions d’euros en 2020, puis, pour les années suivantes, de passer à 1 milliard d’euros par an.
Il conviendra évidemment d’être très attentif aux modalités de mise en œuvre, en vue de nous assurer que les projets financés soient bien définis par les États eux-mêmes.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Florence Parly, ministre. Naturellement – mais il vaut mieux le dire –, ces fonds bénéficient à la base industrielle et technologique de défense européenne.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai lu avec intérêt la revue stratégique de défense et de sécurité nationale. On y insiste sur la remise en cause des certitudes et le brouillage des lignes, comme le monde en connaît depuis la chute du mur de Berlin.
Face à un monde de plus en plus chaotique, complexe et souvent incertain, notre diplomatie a besoin d’un cadre d’action fort, cohérent et ambitieux.
Nous avons aujourd’hui le devoir d’œuvrer en faveur d’un ordre collectif, avec nos alliés et tous nos partenaires. Pour ce faire, la revue préconise plusieurs axes forts pour renouveler la diplomatie de la France : une sécurité qui prenne en compte l’émergence de nouveaux acteurs ; une indépendance qui impose de revisiter les termes de la souveraineté, y compris européenne ; enfin, une influence qui va de pair avec la défense des biens communs universels.
À cet égard, mon interrogation porte sur l’enjeu que constitue le renseignement économique et financier, sujet actuellement à la croisée de diverses sphères et de plusieurs administrations. En effet, nos impératifs de sécurité nationale s’étendent non seulement à la défense du territoire, mais aussi à la préservation des capacités économiques de la Nation. L’interdépendance et la concurrence économiques à l’échelle mondiale se sont accrues et se révèlent des sources importantes de tensions et de conflits possibles entre les États. L’information s’avère désormais une condition essentielle de la compétitivité.
Dans le cadre de la nouvelle loi de programmation militaire, je souhaite connaître les intentions de Mme la ministre des armées concernant le développement de l’intelligence économique, sachant que son importance reste sous-évaluée en France, contrairement à nos partenaires anglo-saxons qui en ont fait une de leurs priorités en matière de renseignement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous avez raison de le souligner, monsieur le sénateur, le renseignement économique et financier est un enjeu absolument majeur pour la protection de nos intérêts vitaux, si je puis dire. Au travers des intérêts de nos entreprises, il y va des intérêts du pays.
Cette question est à l’intersection de l’action de plusieurs ministères, et le ministère des armées y contribue naturellement. En effet, il participe à l’accompagnement des capacités économiques de la Nation.
Ce renseignement recouvre différentes thématiques : une thématique politico-économique, une thématique concurrentielle, technologique ou bien financière. Pour ce qui nous concerne, nous nous intéressons à la lutte contre l’ingérence économique extérieure.
De ce point de vue, je veux souligner le travail réalisé par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense, qui contribue à déceler et neutraliser les menaces affectant le potentiel scientifique et technique de la Nation.
Ce combat a enfin une dimension cybernétique, un domaine dans lequel les services de renseignement et l’état-major des armées jouent là encore, aux côtés de l’ANSSI, un rôle central.
Vous m’interrogez sur les moyens. Ceux-ci sont en constante augmentation : de 2014 à 2017, les fonctions globalement entendues de cyberdéfense et de renseignement auront vu leurs effectifs augmenter de près de 1 800 emplois. Pour ce qui concerne la seule année 2018, dans le cadre du prochain budget qui sera soumis à votre approbation, ces effectifs augmenteront encore de 848 emplois. Il s’agit d’une dynamique que nous souhaitons poursuivre ; mais nous aurons bien entendu le loisir d’y revenir dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire. Je n’en doute pas, nous chercherons à maintenir cette priorité.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Madame la ministre, la parution de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale me laisse perplexe sur bien des points, notamment pour ce qui concerne le développement de programmes nucléaires en France.
Au-delà du traité de non-prolifération des armes nucléaires, auquel notre pays n’a adhéré qu’en 1992, 122 pays ont adopté en juillet dernier à l’ONU un traité d’interdiction des armes nucléaires. Dans ce contexte, comment expliquer le refus de notre diplomatie de participer a minima aux discussions menées à l’ONU ?
Par ailleurs, comment expliquer le poids toujours plus important de la part de la dissuasion nucléaire dans notre budget ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, le désarmement nucléaire reste un sujet de préoccupation majeur pour notre pays. Il est nécessaire si l’on veut aboutir un jour à un monde sans armes. Ce principe de désarmement est actuellement encadré par un traité de non-prolifération, qui reste aujourd’hui la norme fondamentale en matière de désarmement nucléaire.
Par ailleurs, un traité d’interdiction a été récemment signé, et le prix Nobel de la paix a été attribué au mouvement ICAN. Pour légitime qu’il soit, ce traité d’interdiction ne tient pas compte, de notre point de vue, de la réalité géostratégique actuelle. Pourquoi ?
On le voit bien, les démonstrations de force actuelles de certaines nations, tel le programme nucléaire nord-coréen, traduisent l’émergence d’une menace vitale pour notre pays que peuvent représenter les États qui cherchent à adopter l’arme nucléaire. Il nous semble donc tout à fait prioritaire, essentiel même, de prendre toutes les mesures visant à renforcer la non-prolifération et le désarmement dans le cadre des structures internationalement reconnues aujourd’hui.
Ne vous méprenez pas sur mes propos, la France est et reste adhérente au traité de non-prolifération, et elle mettra toute son énergie pour faire en sorte que celui-ci soit respecté et mis en œuvre.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour la réplique.
Mme Christine Prunaud. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui me satisfait au moins sur un point : vous insistez sur le traité de non-prolifération. Le groupe CRCE demande évidemment à aller bien au-delà.
Les superpuissances, dont nous faisons partie, ont manqué, selon nous, une occasion historique avec le traité d’interdiction des armes nucléaires. C’est un peu comme si l’on avait remis en cause la volonté des 122 pays qui l’ont signé. Certes, vu le contexte, dites-vous, on doit se préparer à intervenir au regard des conflits qui existent dans le monde entier. Vous avez évoqué la Corée du Nord, mais il y a aussi les États-Unis, voire peut-être le Japon, en pleine réflexion.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Christine Prunaud. Comme l’a dit le président de la commission, plus l’escalade est grande, plus on a tendance à renforcer la dissuasion nucléaire. Or c’est ce que nous souhaitons remettre en cause.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent.
Mme Sylvie Goy-Chavent. La revue stratégique montre que la présence des armées sur le territoire national est appelée à durer. Au-delà de la menace terroriste, il y a les enjeux migratoires, le contrôle des frontières, la protection des événements sportifs et culturels notamment.
L’évolution récente de l’opération Sentinelle semble au final assez homéopathique : elle permettra sans doute à l’armée de terre de sortir du sur-régime, mais le totem des 10 000 soldats est toujours là, et l’articulation avec les forces de sécurité intérieure n’est pas repensée en profondeur.
La vraie question me semble aller au-delà des effectifs et de l’articulation des différentes forces. Il faut s’interroger sur le rôle même de l’armée en matière de sécurité intérieure. Est-ce, par exemple, à l’armée d’assurer des missions de police aux frontières ?
Alors que les forces de police et de gendarmerie sont à bout de souffle après des mois de lutte contre le terrorisme et de maintien de l’ordre, l’armée elle-même extrêmement sollicitée sur les théâtres extérieurs fait office de palliatif.
L’opération Sentinelle devait être provisoire, comme, d’ailleurs, l’état d’urgence. On sait aujourd’hui que la menace terroriste ne cesse de se renforcer. Les revers de l’État islamique en Irak et en Syrie font craindre le retour rapide des djihadistes français et de leurs familles, qui cultivent la haine des juifs, des mécréants et de toutes nos valeurs humanistes et républicaines.
Ne faut-il pas alors, madame la ministre, repenser complètement le système et clarifier la situation afin de savoir si nos armées doivent se concentrer sur les opérations extérieures ou assurer la sécurité intérieure, à moins que vous ne souhaitiez renforcer considérablement leurs effectifs ?
M. Jean-Marie Bockel et Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, je crois que l’armée est bien dans son rôle lorsque, dans un certain nombre de cas très particuliers, elle apporte sa contribution aux forces de sécurité du ministère de l’intérieur. C’est le cas pour la lutte contre les feux de forêt ; cela a été le cas, de manière éclatante, lorsque l’ouragan Irma a saccagé les îles des Antilles.
Des savoir-faire et des matériels particuliers viennent donc en appui de tous les secouristes, civils ou autres, qui se sont engagés sur ces terrains. De ce point de vue, la présence du bâtiment de projection et de commandement Tonnerre a été un appoint décisif pour ce type d’opération. À cet égard, je rends hommage à tous ceux qui se sont mobilisés.
S’agissant de l’opération Sentinelle, beaucoup de débats ont en effet eu lieu. Les militaires doivent-ils passer du temps pour défendre le territoire national ? La réponse a été donnée de façon extrêmement claire.
D’une part, des moyens importants ont été conférés à l’armée de terre, qui a vu le nombre de ses effectifs progresser de manière importante pour pouvoir répondre à ses besoins. D’autre part, l’efficacité des interventions réalisées par les hommes et les femmes qui sont engagés dans cette opération se passe de longs discours. Leur présence est sécurisante, dissuasive. Lorsqu’ils font face à une menace, ils agissent avec professionnalisme et protègent la sécurité des Français.
Il ne s’agit pas du tout de mélanger les genres. Il faut continuer à entraîner et à maintenir nos soldats dans des opérations qui se déroulent sur des fronts extérieurs. Néanmoins, il faut aussi continuer à les entraîner à une mission différente, mais tout aussi utile à notre pays, à savoir la protection du territoire national.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent, pour la réplique.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Je vous remercie de cette réponse, madame la ministre. Je veux simplement appeler de nouveau votre attention sur l’état d’épuisement de nos forces armées, de ces hommes et de ces femmes qui se dévouent au quotidien pour défendre nos valeurs et protéger nos vies.
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin.
M. Cédric Perrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la revue stratégique présentée la semaine dernière devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées par Arnaud Danjean est un document « solide », pour paraphraser le président Cambon. Je souhaite remercier et féliciter son auteur, ainsi que le comité de rédaction, de ce travail remarquable : ils ont travaillé vite et bien, ce qui nous permet de nous concentrer sur la loi de programmation militaire sans perdre de temps.
Madame la ministre, la revue prône le maintien d’un modèle d’armée complet et équilibré. Entre les menaces diffuses de basse intensité et le retour des États-puissance, il va falloir dessiner des priorités pour nos armées. Dans ce contexte, il s’agit de définir les pays européens volontaires politiquement et, surtout, capables militairement de participer à une coopération. Des choix stratégiques majeurs vont devoir être faits ; les sujets sont évidemment nombreux, mais il en est un sur lequel je souhaite m’arrêter, celui des drones.
Je souhaite saluer votre décision de suivre les recommandations que Gilbert Roger et moi avions formulées dans un rapport, celle d’armer nos drones.
Se pose aussi la question de la surveillance aérienne du territoire national, qui doit être repensée. La surveillance des frontières ou des grands événements comme les Jeux olympiques de 2024 est à préparer dès maintenant.
Les drones sont un nouvel outil à exploiter. Les besoins et les demandes en la matière vont exploser et, tout comme nous ne faisons plus aujourd’hui d’opération militaire sans un drone, sans doute demain n’organiserons-nous plus aucune manifestation ni aucun grand événement sans un drone.
Les Harfang seront prochainement retirés du service, les Reaper et les Patroller seront largement, voire exclusivement mobilisés pour les opérations extérieures. La prochaine loi de programmation militaire permettra peut-être – vous nous le direz – de mobiliser de nouveaux moyens de nature à aller dans le sens que je viens d’évoquer.
Enfin, quelle étape supplémentaire faut-il franchir pour préparer l’avenir ? Envisagez-vous de passer du drone armé au drone de combat ? Quel sera le système de combat du futur ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous le savez mieux que personne, monsieur le sénateur, les drones sont devenus un système d’arme incontournable dans les opérations modernes, auxquelles ils apportent, d’une part, une capacité à durer sur les zones d’action et, d’autre part, une complète discrétion, laquelle permet de réduire les risques encourus par les équipages. J’ai donc fixé trois priorités au ministère des armées.
La première consiste à conforter notre capacité d’acquérir du renseignement au moyen de drones aériens. Pour cela, nous allons poursuivre la livraison des systèmes de drones Reaper, mettre en service le système de drones tactiques Patroller et préparer le futur drone MALE européen.
La deuxième priorité consiste à élargir le champ des capacités permises par les drones. C’est ainsi que, au cours des prochaines années, vous l’avez rappelé, les drones MALE seront armés. Ces drones aériens seront d’abord introduits sur les bâtiments de la marine, au travers du programme SDAM, ou « système de drone aérien marine », ainsi que les drones de surface et sous-marins, dans le cadre de la guerre des mines navales, au travers du programme « système de lutte anti-mines marines futur ». Ce programme s’accompagnera de la robotisation de l’action terrestre, dans le cadre du programme Scorpion.
Enfin, troisième priorité, nous devons penser plus loin, et explorer la place que pourront en effet prendre les drones de combat, dans le cadre du « système de combat aérien futur » ; tel est le sens de ce programme, que nous conduisons en coopération avec nos alliés britanniques.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la revue stratégique dresse un tableau global de l’environnement dans lequel notre pays et l’Europe évoluent. Sur ce point, la partie touchant à la sécurité continentale mérite, me semble-t-il, une attention particulière. L’analyse de la « déconstruction de l’architecture de sécurité en Europe » paraît singulièrement juste, au regard notamment des entreprises de déstabilisation engagées par Moscou à l’endroit de l’Ukraine, qui font fi de tous les traités et des fondements les plus élémentaires du droit international.
Dans le même temps, force est de constater que l’unilatéralisme dont l’administration Trump se prévaut participe de ce registre et nous touche collectivement en tant qu’Européens. En témoignent ainsi non seulement sa volonté de désengager les États-Unis de la COP 21, qui met en péril l’ambition de réguler le changement climatique, mais également celle de remettre en cause l’accord historique de Vienne sur le nucléaire iranien, alors même que celui-ci a vocation à être un important outil de stabilisation d’une partie du monde pour le moins tourmentée.
Cette posture, qui devient une constante de la politique extérieure américaine et qui va à l’encontre des intérêts européens, suscite des interrogations sur le lien transatlantique, pourtant valorisé par la revue stratégique comme un « élément clé de la sécurité européenne », l’OTAN restant « pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre ».
N’y a-t-il pas, madame la ministre, une contradiction entre, d’une part, la telle valorisation d’une alliance, certes importante au regard de l’histoire et du rôle qu’elle joue mais qui semble tout de même peu ou prou en voie de délitement, et, d’autre part, la volonté de tendre vers « une autonomie stratégique européenne », actée par la revue ? Comment envisagez-vous de concilier le nécessaire développement d’une Europe de la défense avec le maintien de ce lien transatlantique aujourd’hui fortement fragilisé et pour le moins imprévisible ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, vous soulevez une question que je comprends et qui est largement partagée dans le monde – d’ailleurs, nos alliés américains nous la posent –, mais qui, en même temps, me paraît théorique. En effet, aujourd’hui, les pays européens prennent conscience, je l’indiquais précédemment, de la nécessité de se protéger et d’investir dans leur propre sécurité. Par ailleurs, l’OTAN appelle à une montée en puissance des budgets de ses membres. Il y a donc de ce fait, me semble-t-il, une parfaite cohérence entre la démarche que les Européens adoptent dans le cadre de l’Union européenne et ce que l’OTAN appelle de ses vœux dans le cadre d’une alliance plus large.
La France est à la fois un allié sûr, fiable, au sein de l’OTAN, et un membre de l’Union européenne, au sein de laquelle elle prône la montée en puissance d’une Europe de la défense, dont je parlais tout à l’heure.
Je ne vois pas de contradiction entre l’un et l’autre ; je vois au contraire un renforcement et des synergies qui vont s’exercer de l’un vers l’autre. En outre, le fait que nous soyons aux avant-postes de la construction de l’Europe de la défense ne signifie nullement que nous nous désengagions en quoi que ce soit de l’alliance atlantique. Ainsi, j’étais récemment sur la frontière estonienne, où nous avons des bataillons engagés aux côtés de bataillons britanniques dans le cadre d’une force de l’OTAN ; c’est un engagement que nous n’avons pas l’intention de remettre en question. Nous avons été présents en Lituanie en 2017 et nous y serons encore en 2018.
On ne peut donc pas, selon moi, parler de contradiction mais, au contraire, de complémentarité.