Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant son départ, notre collègue Michel Mercier a, en tant que rapporteur du présent texte, accompli un travail remarquable, que tout le monde a salué et qu’a repris depuis lors M. le président de la commission des lois.
Lorsqu’il était candidat, le Président de la République avait pris l’engagement de sortir de l’état d’urgence. Il continue d’affirmer cette volonté et, d’après ce que nous avons compris, madame la ministre, le vote du présent texte lui permettra de la mettre en œuvre.
Sortir de l’état d’urgence est peut-être une promesse que l’on peut tenir – j’y reviendrai. Pour autant, cela ne signifie pas sortir du terrorisme.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. C’est certain !
M. Jacques Bigot. Souvenons-nous que, le 14 juillet 2016, un autre Président de la République avait annoncé la fin de l’état d’urgence… Le soir même, malheureusement, l’attentat de Nice, avec ses conséquences très graves, nous avait amenés à reconduire ce dispositif.
Après avoir renouvelé une première fois l’état d’urgence pour protéger l’Euro de football et le Tour de France de cyclisme, nous pensions bel et bien que le dernier texte adopté, celui du 3 juin 2016, contenait désormais toutes les mesures permettant de lutter contre le terrorisme. C’est d’ailleurs ce que pensait également l’actuel Président de la République. (M. le rapporteur opine.) Dans son livre Révolution, datant de novembre 2016, il indiquait : « Nous n’avons plus besoin de l’état d’urgence, nous avons tout dans le droit commun. »
Toutefois, lorsque l’on devient Président de la République et que l’on se trouve face aux Français, il faut sans doute pouvoir affirmer : « Oui, je quitte l’état d’urgence, mais je mets l’état d’urgence dans le droit commun. » Ainsi, on aboutit à ce texte de loi, qui doit permettre de sortir de l’état d’urgence tout en y restant un peu. Voilà comment les faits se sont enchaînés.
Madame la ministre, vous avez cité le drame de Marseille, et je n’y reviendrai pas. Mais, objectivement, personne ne peut croire qu’il aurait été plus facile de l’éviter avec l’état d’urgence ou avec le présent texte, et personne – en tout cas, je ne le ferai pas – ne viendra chercher querelle aux personnels de la préfecture du Rhône quant aux difficultés qu’ils ont éprouvées. (M. Patrick Kanner applaudit.) L’Inspection générale de l’administration l’a démontré, en la matière, on est également face à une question d’organisation et de moyens ; soyons-en conscients. À cet égard, nous devons, les uns et les autres, nous efforcer d’être constructifs.
Je souscris au point de vue exposé par le Président de la République en novembre 2016, après tous les efforts faits par le législateur, après tous les textes adoptés : la loi du 21 décembre 2012 ; celle du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire ; les lois des 24 juillet 2015 et 30 novembre 2015 relatives, l’une au renseignement, l’autre aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales ; mais aussi les textes de droit pénal et de procédure pénale portant sur le terrorisme, notamment le dernier en date, à savoir la loi du 3 juin 2016.
Au titre de cette dernière loi, nous avons déjà fait des efforts très critiqués par certains tenants d’une défense absolue de l’État de droit.
Néanmoins, je déduis de l’attitude du Gouvernement qu’il est politiquement difficile de sortir de l’état d’urgence. En conséquence, on y reste, avec des mesures qui, nous dit-on, cesseront automatiquement le 31 décembre 2020 – c’est le sens de l’article 4 ter A –, à cette nuance près : l’automaticité du renouvellement pourrait découler d’un simple article, quelque part, au hasard d’un texte venant affirmer que les mesures des deux chapitres concernés du code de la sécurité intérieure sont renouvelées. Soyons-en conscients.
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous ne serons jamais dupes !
M. Jacques Bigot. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, le Parlement devra faire son travail, veiller au grain et être attentif.
Madame la ministre, en juillet dernier, les élus de notre groupe ont voté contre ce texte.
Nous étions favorables aux mesures de l’article 1er, notamment au périmètre de protection d’un lieu ou d’un événement.
Nous étions favorables aux dispositions de l’article 2, relatives à la fermeture des lieux de culte. La rédaction issue des travaux du Sénat nous semblait préférable, mais la commission mixte paritaire est parvenue à un accord. Cet article ne pose donc pas de difficulté, d’autant plus qu’il permet un contrôle du juge administratif a priori. La décision n’est mise en œuvre qu’après quarante-huit heures : ce délai permet de saisir en référé le juge administratif, qui, personne n’en doute, est le garant des libertés.
En revanche, nous étions farouchement opposés à deux articles qui, d’autres orateurs l’ont rappelé, reprennent des mesures d’exception. Comme l’a dit le Conseil d’État, ces articles d’exception étaient justifiés dans le cadre de l’état d’urgence, même si l’on pouvait douter de leur efficacité et de leur pertinence. Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, l’avait d’ailleurs reconnu, en relevant que la perquisition administrative et, peut-être davantage encore, selon nous, l’assignation à résidence n’étaient plus nécessairement d’une très grande utilité.
L’assignation à résidence a été rebaptisée « mesure individuelle de contrainte administrative et de surveillance ». Elle reste, fondamentalement, une mesure administrative reposant sur les seules notes blanches des services de renseignement.
Certes, au terme de la navette parlementaire, la portée de ce dispositif est réduite à six mois au maximum, et il ne peut être reconduit que sur la base d’éléments nouveaux, pour une durée maximum de douze mois. De plus, et heureusement, la commission mixte paritaire a supprimé l’obligation de donner ses identifiants, mesure que le ministre de l’intérieur réclamait fortement. Mais ce dispositif reste fondamentalement attentatoire aux libertés.
Une telle mesure pourrait fort bien être prise dans un cadre judiciaire, à condition que la police judiciaire ait bien tous les moyens du renseignement et qu’elle puisse réunir, auprès d’un juge d’instruction ou d’un juge des libertés, les éléments suffisants pour mettre en œuvre, soit un contrôle judiciaire, soit une incarcération dans un cadre normal, celui du droit commun. Or tel n’est pas le cas.
Cette mesure reste, à nos yeux, source de véritables interrogations. Je songe notamment à sa constitutionnalité (M. Pierre Ouzoulias opine.), que ce soit vis-à-vis de notre Constitution, de la Déclaration des droits de l’homme ou de nos engagements au titre de la Convention européenne des droits de l’homme.
Il en est de même pour ce qui concerne la procédure de visite domiciliaire, c’est-à-dire l’ancienne perquisition administrative. Mes chers collègues, il faut le dire, avec le présent texte, cette mesure devient complètement hybride ! Elle est mi-administrative, mi-judiciaire. Le juge des libertés du tribunal de grande instance de Paris doit l’autoriser, mais c’est l’administration qui la met en œuvre.
Par la voie d’un amendement adopté à l’Assemblée nationale, le Parlement a obtenu le droit d’exercer son contrôle dans les mêmes conditions que précédemment, c’est-à-dire dans le cadre de la loi relative à l’état d’urgence. Mais faut-il s’en contenter ?
On peut également s’interroger quant à l’efficacité de ces mesures, d’autant que, sur le territoire de Paris, aucune visite domiciliaire n’est menée autrement que comme perquisition judiciaire : le procureur de Paris et le préfet de police de Paris travaillent en parfaite intelligence, et c’est donc la justice qui intervient. Cet exemple le prouve bien, la notion de visite domiciliaire reste un peu floue – il y a des améliorations à apporter, c’est incontestable.
Cela étant, sur ces mêmes questions, nous prenons acte de l’évolution du projet de loi. Nous prenons acte des conclusions auxquelles est parvenue la commission mixte paritaire.
Madame la ministre, je le répète, nous étions contre ce texte. Pour les motifs que je viens d’évoquer, nous ne pouvons pas encore dire que nous sommes totalement pour. Plusieurs questions de constitutionnalité demeurent. Celles-ci portent également sur un point qui n’est pas soumis à une limite dans le temps : il s’agit de l’article 10, relatif aux contrôles d’identité aux frontières.
Au sujet de ces dispositions, certains doutes ont été exprimés en commission mixte paritaire. On a décidé de porter le rayon d’intervention à dix kilomètres, en partant du principe que dix kilomètres seraient peut-être constitutionnellement plus acceptables que vingt kilomètres…
Lorsqu’une incertitude demeure sur des points de constitutionnalité si importants, pourquoi ne pas envisager, comme certains l’ont suggéré, que le Président de la République saisisse préalablement le Conseil constitutionnel pour lever les doutes ?
Mes chers collègues, si ces doutes étaient levés, si nous avions la certitude que ce dispositif est totalement conforme à nos engagements européens, à la Convention européenne des droits de l’homme, que nous, la France, avons portée au plus haut des exigences internationales, nous aurions plus que la satisfaction de concourir à l’unité nationale. Nous pourrions apporter des garanties à ceux qui, en beaucoup de lieux, viennent déclarer qu’à leurs yeux ces deux articles posent un problème. Nous pourrions voter avec vous.
En l’état, nous ne voterons plus contre ce projet de loi : nous nous abstiendrons. Mais nous demandons au Président de la République de sortir de l’état d’urgence, avec, le cas échéant, la bénédiction du Conseil constitutionnel ! (Vifs applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Esther Benbassa et Maryse Carrère applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord, du haut de cette tribune, à partager avec vous une pensée pour les victimes du terrorisme et pour leurs proches, mais aussi à rendre un hommage appuyé aux services de police, de gendarmerie, de renseignement et de défense, qui concourent jour et nuit à notre sécurité en prenant de grands risques. J’ai pu apprécier le sérieux, l’application et l’abnégation de tous ces personnels lorsque j’étais rapporteur du budget des sécurités.
L’état d’urgence est par nature limité dans l’espace et dans le temps. Il doit rester temporaire et exceptionnel.
Parce que voici vingt-trois mois que l’état d’urgence est entré en vigueur, la question de son maintien se pose actuellement de façon accrue. En l’espace de deux ans, de nombreuses mesures ont été prises. Ainsi, nous sommes mieux préparés à faire face au risque terroriste qu’à l’époque du Bataclan. Notre connaissance de la menace et nos capacités d’enquête se sont améliorées. Les effectifs de nos services de sécurité ont été renforcés.
S’il est exclu de proroger l’état d’urgence indéfiniment, il ne faut pas non plus revenir à la situation antérieure à l’état d’urgence. Il convient donc de prendre des dispositions qui visent à protéger les citoyens tout en garantissant leurs libertés ; des dispositions qui apportent une réponse durable à une menace devenue durable en adaptant notre droit commun. Et c’est une constante du Sénat, loin des pulsions médiatiques et de l’actualité brûlante, que de garantir ces libertés.
Les mesures de ce projet de loi ne visent que le seul terrorisme et ne sont pas prises pour des motifs ayant trait à l’ordre public, comme dans le cadre de l’état d’urgence. Les principales d’entre elles sont au nombre de quatre. Inspirées de l’état d’urgence, elles sont mises, dorénavant, à la disposition de nos services de sécurité.
Ces quatre outils sont les périmètres de protection ; la fermeture administrative des lieux de culte ; les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ; enfin, les visites domiciliaires et saisies.
L’article 1er vise ainsi à permettre l’institution de périmètres de protection, sans lesquels il serait désormais impossible d’organiser de grands rassemblements. Il est particulièrement important de toujours disposer des instruments permettant d’organiser des manifestations de cette ampleur tout en garantissant la sécurité de tous ceux qui y assistent.
L’article 2 prévoit la possibilité pour le représentant de l’État de prononcer la fermeture des lieux de culte. Par cette disposition, les préfets ou le préfet de police doivent pouvoir prévenir la menace en fermant les lieux où la radicalisation serait prônée et où serait pratiquée l’incitation au passage à l’acte terroriste.
L’article 3, quant à lui, concerne la création, sur décision du ministre de l’intérieur, d’un régime de surveillance individuelle.
Enfin, le quatrième point emblématique est le régime des visites et saisies à domicile.
La commission mixte paritaire a élargi la clause d’autodestruction introduite par le Sénat en première lecture à l’ensemble des nouveaux outils mis à disposition des autorités administratives pour prévenir la commission des actes de terrorisme.
Ces quatre mesures revêtiront donc un caractère expérimental. Elles prendront fin au 31 décembre 2020 et seront soumises à un contrôle renforcé du Parlement.
Par ailleurs, la commission mixte paritaire a supprimé l’obligation, pour une personne soumise à une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance, de déclarer les numéros d’abonnement et les identifiants techniques de l’ensemble de ses moyens de communication électronique. Cette mesure paraissait manifestement contraire aux droits fondamentaux, dont le respect est garanti par le Conseil constitutionnel.
Indéniablement, l’ensemble de ces outils présente une utilité opérationnelle, indispensable pour lutter efficacement contre le terrorisme. Ce projet de loi constitue un juste équilibre entre l’impératif de protection de l’ordre public et la préservation des libertés individuelles.
Nous savons que le gouvernement est animé, comme nous tous d’ailleurs dans cet hémicycle, par un esprit de responsabilité qui conduit à mieux protéger nos concitoyens. En effet, la France est la cible privilégiée de ces barbares, parce qu’elle est tout ce qu’ils veulent détruire : le pays des libertés, le pays des Lumières.
M. Pierre-Yves Collombat. De moins en moins…
M. Alain Marc. Madame la ministre, mes chers collègues, ce texte est équilibré et responsable. Il répond à l’inquiétude légitime de nos concitoyens, et c’est bien de cet équilibre que la France a besoin pour répondre à ceux qui menacent notre modèle démocratique et nos valeurs républicaines ! (Applaudissements sur les travées du groupe République et Territoires / Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur et président de la commission des lois, mes chers collègues, à ce stade des discussions, après l’obtention de l’accord en commission mixte paritaire, le vote d’aujourd’hui nous met face à la question suivante : est-il préférable d’inscrire les dispositions de la loi du 3 avril 1955 dans le droit commun ou de laisser vivre le régime de l’état d’urgence au gré de reconductions illimitées ?
Il est à présent certain que le Gouvernement ne prendra pas la responsabilité de lever l’état d’urgence sans avoir obtenu la faculté permanente, pour l’autorité administrative, d’ordonner des perquisitions, des assignations à résidence ou des fermetures de lieux de culte à des fins de lutte contre le terrorisme.
Il est également certain que le Parlement ne prendra pas la responsabilité de voter contre un projet de loi de prorogation sans que lui soient apportés les signes d’un affaiblissement durable de la menace terroriste.
Il est enfin certain que seul le Gouvernement est en mesure d’évaluer l’ampleur réelle de la menace et la faculté relative pour nos services de sécurité d’y faire face, pour des raisons évidentes de confidentialité.
Dans ces conditions, la majorité des membres du RDSE s’accordent sur ce point : la seule solution à cette situation inextricable, que l’on pourrait résumer par la formule « prorogation impossible, abrogation improbable », est de donner au Gouvernement la capacité d’agir selon sa volonté.
Toutefois, cette capacité va de pair avec la responsabilité de la mise en œuvre de mesures qu’il devra assumer pleinement.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, notre soutien n’est pas exempt de réserves. Vous connaissez l’attachement des membres du RDSE à la protection des libertés et à son corollaire, la garantie offerte par le contrôle de l’autorité judiciaire sur les actes de l’administration.
M. Jean-Claude Requier. Tout à fait !
Mme Josiane Costes. L’une et l’autre sont mises à mal par la version de compromis proposée par la commission mixte paritaire, malgré les efforts de notre rapporteur pour défendre les garde-fous introduits par le Sénat.
Qu’elles soient qualifiées de « restrictives » ou de « privatives », chacun doit le comprendre, les mesures prévues par les articles 1er à 4 du projet de loi représentent, dans leur ensemble, des entraves importantes à l’exercice des libertés premières des individus : la liberté d’aller et venir ; la liberté d’exercer son culte ; ou encore la liberté de mener une vie familiale sereine.
Ces mesures devront donc rester exceptionnelles et strictement proportionnées aux besoins de la lutte contre le terrorisme. (Mme Françoise Laborde approuve.) Nous veillerons à ce qu’elles ne soient pas détournées à des fins plus larges de protection de l’ordre public.
La systématisation du recours à des mesures administratives pour lutter contre le terrorisme place le juge judiciaire en retrait : au titre de dispositions attentatoires aux libertés, le contrôle exercé par le juge administratif est moins satisfaisant pour les administrés : ces derniers ne peuvent recourir à lui qu’a posteriori.
Cette évolution risque également de placer le juge administratif en difficulté, tant la matière terroriste lui est peu familière, tant ses moyens d’instruction sont réduits. En effet, dans la pratique, son contrôle se borne à constater l’existence d’une note blanche dont les éléments justifient la décision prise.
Avec ce nouveau dispositif permanent de lutte contre le terrorisme, et en l’absence de fortes garanties procédurales, la préservation des droits des uns et des autres reposera donc essentiellement sur l’éthique des fonctionnaires en présence. Nous savons que leurs exigences déontologiques seront à la hauteur du défi.
En outre, ces dispositions s’ajouteront aux nombreuses mesures que le Parlement a adoptées depuis 2015 et qui ont permis d’étendre considérablement les moyens légaux de renseignement et de protection.
Il me semble que nous sommes allés au bout de ce qu’autorisent notre droit constitutionnel et nos engagements internationaux pour permettre à nos forces de l’ordre d’agir.
Aller plus loin, en donnant le droit à toutes les institutions qui le réclament de constituer leurs propres services de sécurité ou d’incarcérer préventivement l’ensemble des individus fichés S, serait mettre le doigt dans un engrenage qui nous éloignerait progressivement de notre identité constitutionnelle. Cette dernière repose notamment sur le principe de la présomption d’innocence et sur le monopole de l’État sur la mission de police.
De la même façon, malgré l’urgence, notre désir farouche de neutraliser les dessins funestes du terrorisme doit être traité indépendamment de tous les autres sujets, afin de gagner en efficacité et d’éviter de déclencher des débats douloureux sur l’existence d’amalgames. C’est pourquoi nous regrettons le maintien de l’article 10, qui aurait davantage sa place dans une loi consacrée à la lutte contre l’immigration irrégulière.
Malgré toutes ces réserves, la suppression de la possibilité de collecter les identifiants et les mots de passe de personnes suspectées d’être en lien avec des organisations terroristes et plus encore l’instauration d’une clause d’autodestruction en 2020 nous apparaissent comme des garanties bienvenues.
Nous voterons donc en majorité en faveur de l’adoption, conformément à notre position en première lecture et afin de donner à ce nouveau gouvernement la possibilité d’assumer sa politique. Néanmoins, ce choix ne nous empêchera pas de réfléchir, à l’avenir, à l’effet cliquet des lois temporaires. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée se trouve devant une interrogation politique douloureuse, comme nous en rencontrons parfois. Face à un péril resté intense et que nous sommes obligés de juger durable, comment pouvons-nous adapter notre législation aux enjeux de sécurité qui persistent ?
Le Président de la République a annoncé le choix de mettre fin à l’état d’urgence. C’est un choix que beaucoup peuvent partager, puisque l’état d’urgence est caractérisé par son caractère exceptionnel et temporaire.
Avant de prendre les décisions qui sont aujourd’hui en jeu, il était normal, selon moi, de faire un bilan des actions menées à l’aide des prérogatives conférées à l’État par l’état d’urgence et d’en tirer les leçons, de manière à faire face à ce péril que nous savons durable.
Dans le projet de loi que nous examinons, deux mesures sont en réalité des mesures de police administrative établies, mais clarifiées par la loi : la fermeture de lieux de culte et le périmètre de protection. Ces mesures-là ne sont pas spécifiquement attentatoires aux libertés, elles pouvaient être prises depuis bien longtemps, sur la base du droit commun de la sauvegarde de l’ordre public. Le projet de loi les encadre mieux et les place de façon précise à l’intérieur de procédures législatives. C’est un progrès.
Deux autres mesures, en revanche, m’apparaissent comme des mesures actives de prévention pour faire obstacle aux préparatifs d’actions terroristes : la limitation des mouvements de personnes sous le contrôle du juge administratif et la visite et saisie domiciliaire avec l’accord du juge des libertés et de la détention. Ces dispositions sont en effet plus intrusives. Toutefois, ceux d’entre nous qui ont, en particulier, participé à la commission de suivi de l’état d’urgence depuis deux ans et ont donc dialogué avec les représentants des autorités publiques et des forces de sécurité conviennent qu’il faut garder ces outils d’interruption des préparatifs terroristes, même de façon plus épisodique.
Cela se fera sous le contrôle du juge administratif, dont on ne peut contester en la matière ni l’indépendance ni la vigilance, comme l’ont montré les multiples décisions critiquant et mettant fin à des actes de police administrative pendant l’état d’urgence.
J’ajoute, pour répondre à la collègue qui m’a précédé, qu’en complétant son information elle pourrait être assurée de la capacité technique du juge administratif à faire face à ces questions, notamment depuis qu’a été créée une formation spécifique au sein du Conseil d’État.
Ces mesures sont complétées, ainsi qu’il en a été décidé par les deux assemblées, par un retour devant le législateur à l’expiration d’une période de trois ans.
Voilà qui nous conduit à considérer que l’équilibre et la pertinence de ces mesures nouvelles sont satisfaisants et que nous devons les soutenir.
L’enjeu, en effet, c’est l’efficacité de la prévention, laquelle va rester indispensable. Le risque d’attentat, les tentatives, les préparatifs, les mouvements transfrontaliers avec les retours de la zone de combat continueront à faire apparaître des risques imminents face auxquels il faut des mesures adaptées. Une partie d’entre elles, je pense en particulier à celle qui permet la limitation des mouvements, est une réponse à la surcharge des services compétents, même si l’on augmente leurs effectifs.
Lorsque l’on a des motifs sérieux de penser que les contacts d’un individu facilitent des préparatifs de terrorisme, une surveillance active avec des moyens humains de ce personnage requiert entre dix et quinze officiers de police. La limitation des mouvements de l’intéressé, évidemment sous le contrôle du juge et pour une durée limitée, est un moyen de soulager la pression sur les services actifs de renseignement et, par conséquent, de leur permettre de mieux cibler leurs actions.
Les capacités sont donc mieux utilisées et nous adaptons les outils de la police administrative à une menace qui est maintenant mieux connue.
Chaque groupe, chaque sénateur, est placé face à ses responsabilités dans ce choix. Nous avons le devoir impérieux de montrer notre détermination à lutter contre un péril qui menace la République et ses citoyens au quotidien et d’exprimer notre vigilance dans la protection des libertés individuelles.
À l’issue de cette appréciation, notre groupe approuve le projet de loi, comme, je crois, une large majorité d’entre nous. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a tout juste trois mois, j’intervenais ici même pour présenter une motion du groupe communiste républicain et citoyen tendant à opposer la question préalable afin que soit rejeté l’ensemble de ce projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Vous ne serez donc pas surpris qu’aujourd’hui notre position sur le texte issu de la commission mixte paritaire soit sensiblement la même.
La motion de rejet défendue par M. Ciotti lors de la commission mixte paritaire, qui est à l’opposé de nos positions, ne saurait servir d’argument au Gouvernement, lequel estime que le projet de loi final est équilibré entre mesures de sécurité et maintien des valeurs de liberté.
Madame la ministre, le Gouvernement a été hermétique aux voix extérieures des associations de protection des libertés publiques et autres syndicats vertement opposés à l’état d’urgence, mais aussi du Défenseur des droits, Jacques Toubon, ou encore des experts de l’ONU.
Il a été également hermétique aux voix des parlementaires opposés depuis bientôt deux ans à ce déferlement de mesures administratives toujours plus sécuritaires.
Plus encore, il n’a pris en compte les maigres améliorations proposées par la commission des lois du Sénat qu’en dernier recours. L’obligation pour une personne soumise à une mesure individuelle de surveillance de déclarer les numéros d’abonnement et les identifiants techniques de ses moyens de communication électronique, que la commission mixte paritaire a supprimée, était d’ailleurs la mesure la plus inconstitutionnelle du texte.
En revanche, la demande des sénateurs, qui souhaitaient que le juge des libertés et de la détention donne son accord pour la retenue sur place des personnes dont le domicile est perquisitionné, a été rejetée.
Finalement, l’accord en commission mixte paritaire sur quelques points plus ou moins anecdotiques qui ne remettent pas en cause l’économie générale du texte est révélateur du jeu de postures des uns et des autres. Cette question mérite pourtant mieux que cela, au lendemain d’un renouvellement présidentiel et législatif.
En juillet, nous demandions l’organisation en urgence d’un débat public sur les politiques à mener pour lutter contre le terrorisme. Quand allons-nous enfin comprendre que le terrorisme appelle la prévention, bien davantage que la répression ? Qu’en est-il dans le texte qui nous est soumis ? Un seul mode opératoire est à l’œuvre : toujours plus de répression, pas une ligne sur la prévention.
Je vous le dis solennellement, madame la ministre : le terrorisme n’est pas de ces menaces que le droit peut définitivement éradiquer.