M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l’article.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, vous avez eu droit tout à l’heure, à trois reprises, à une standing ovation. Vous avez pris la bonne décision ! Lorsque l’on est Marseillais, on ne démissionne pas, on reste debout et on continue ! Et je suis certain que les Marseillais apprécient et apprécieront le choix que vous avez fait.
Je viens d’un département quasiment limitrophe des Bouches-du-Rhône (Exclamations.) Vous savez très bien que pour nous, dans la Drôme, notre capitale régionale, c’est Marseille. Nous aurons donc l’occasion de nous retrouver à plusieurs reprises.
Lors de la campagne présidentielle, le candidat Macron avait annoncé cette loi. Il avait annoncé qu’il la ferait débattre au Parlement et qu’elle serait appliquée par ordonnances. Nous en prenons acte, c’est ainsi.
Je ne fais pas partie de ceux qui sont opposés aux ordonnances. On peut avoir une position de forme, de posture et refuser par principe les ordonnances. La Constitution autorise le Gouvernement à demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Tel est le cas ici. Bien sûr, nous aurions préféré qu’il en aille différemment. Nous aurions aimé prendre plus de temps pour en discuter, mais le choix avait été annoncé. Je le répète, nous en prenons acte.
Au-delà des discours enflammés, je veux maintenant en venir au fond de ce texte et de cet article 1er. On peut tenir des discours politiques, adopter des postures respectables, mais ce qui compte, c’est ce qui est inscrit dans la loi. Ce qui compte, c’est ce qui sortira du Parlement et ce qui figurera dans ces ordonnances.
Sur cet article 1er, je veux vous dire, madame la ministre, que vous assurez la primauté des accords de branches. Cela me paraît important. Il faut l’assumer et nous en sommes ravis. Enfin, soyons sérieux, vous l’avez tous dit ici, il faut surtout restructurer les branches professionnelles !
En même temps – pour employer une expression qui fait florès –, qui a peur de discuter dans une PME ? Pour ma part, je tiens le même discours dans la Drôme et à Paris. Quand je rencontre des salariés et des patrons des TPE-PME de mon département, je les invite à discuter entre eux pour trouver les bonnes solutions et améliorer les choses. C’est ce que prévoit ce texte et cela me paraît très important.
Lors du débat sur la déclaration de politique générale, j’avais évoqué, au nom de mon groupe, notre vigilance dans le domaine économique et social. En effet, nous voulons être vigilants. Oui à la flexibilité, mais oui aussi à la sécurité !
Madame la ministre, serait-il possible, au cours de ce débat, que vous nous disiez où en sont les discussions avec les organisations syndicales ? Cet aspect est quand même très important et on n’en parle pas dans cet hémicycle. Nous aimerions savoir ce que pensent les organisations syndicales de cette discussion.
J’ai gardé la même ligne politique depuis un an. J’ai soutenu, avec de nombreux membres du groupe socialiste et républicain, la loi El Khomri, dans son contenu, comme dans son esprit. Nous sommes quelques-uns de notre groupe à soutenir votre texte, madame la ministre. Vous vous en êtes aperçue et vous le verrez cet après-midi, ce soir, demain et après-demain, les socialistes sont extrêmement divers et leurs expressions seront aussi très diverses tout au long de cette discussion !
À l’arrivée, lorsque le texte sera voté et que les ordonnances seront rédigées, la seule chose qui compte, c’est de savoir si, oui ou non, ce texte va améliorer les conditions de travail. Permettra-t-il de faire baisser le chômage et de mettre en place la flexisécurité ? Nous sommes un certain nombre de socialistes à le penser. Alors, madame la ministre, nous nous exprimerons dans ce débat avec des voix diverses, mais nous avons tous le même objectif, que la France se redresse ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié quater est présenté par Mme Lienemann, MM. Godefroy, Duran et Labazée, Mmes Jourda et Yonnet et MM. Mazuir, Montaugé et Courteau.
L’amendement n° 54 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L’amendement n° 156 est présenté par M. Desessard et Mmes Benbassa et Bouchoux.
L’amendement n° 182 rectifié ter est présenté par MM. M. Bourquin et Cabanel, Mme Guillemot, MM. Marie, Durain, Anziani, Assouline et Antiste et Mme Monier.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour défendre l’amendement n° 1 rectifié quater.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Pierre Gattaz et le MEDEF l’avaient rêvé : sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, cela se fait !
Pierre Gattaz disait qu’il faut donner la possibilité aux chefs d’entreprises de négocier le plus de choses directement avec les salariés. Il disait aussi que l’accord de branche ne doit primer que par exception.
On change de philosophie et c’est bien cela qui est en train de s’opérer. Il existe déjà des accords d’entreprise. Ils ne datent pas d’hier ! Nous ne sommes pas un pays complètement bloqué, ce n’est pas vrai !
Là, on change : l’accord de branche devient l’exception et l’accord d’entreprise devient la règle, le cœur. Ce n’est d’ailleurs pas du tout ce que l’ensemble du patronat souhaite. Je pense notamment à la CGPME qui ne partage pas cette philosophie. On le voit bien, on est en train d’entrer dans ce que j’ai appelé « la grande déréglementation ». Alors que nous passons notre temps à pleurer sur le dumping social des pays de l’Est, nous sommes en train d’organiser au sein de notre propre pays la concurrence déloyale avec du dumping social ! Tel est le mécanisme qui est en train de se mettre en place.
La loi d’habilitation à légiférer par ordonnances ne précise pas les champs qui continueraient de relever obligatoirement du domaine des accords de branche. On nous dit que tel serait le cas pour les minima conventionnels, les classifications, les financements paritaires, l’égalité professionnelle hommes-femmes et la qualité de l’emploi.
Je veux bien l’entendre, mais cela signifie que tous les autres domaines sont de la compétence de l’entreprise ! Je prendrai un exemple, celui des primes d’ancienneté. Supposons qu’un accord d’entreprise décide de les supprimer. Eh bien, le salarié que vous êtes va perdre sa prime d’ancienneté – elle était pourtant prévue par votre contrat de travail – parce qu’un accord d’entreprise – signé ou non majoritairement – en aura décidé ainsi. Et on appelle cela du progrès social ! Pour moi, c’est du recul social organisé !
Deuxième exemple, la suppression de la clause de faveur, qui était l’un des principes fondateurs du progrès social. Comme le disait notre collègue Jean Desessard, on a idéologiquement inversé la donne, considérant que le progrès social est un handicap dans la perspective du progrès économique ! Or nous pensons strictement l’inverse !
Pour le dernier exemple, je m’adresse à notre collègue représentant les Français établis hors de France, M. Cadic : mon cher collègue, le système que vous appelez de vos vœux, vous êtes tout prêt de l’atteindre ! Il est déjà prévu que le Gouvernement pourra, par ordonnances, exonérer les PME, précisément celles où la pénibilité et les difficultés sont parfois les plus importantes, des contraintes de la branche ! Vous allez donc voir fleurir la sous-traitance organisée et se poursuivre ces flux de sous-traitances qui fragilisent notre économie et les droits sociaux de notre pays.
Cet article 1er est donc un article dangereux, qui ne va pas renforcer le tissu économique du pays. La raison en est simple, il va plus le fractionner que le consolider !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 54.
Mme Laurence Cohen. Nous avons explicité, hier, en défendant nos motions et en nous exprimant lors de la discussion générale, notre opposition, tant sur le fond que sur la forme, à ce projet de loi d’habilitation.
Pour nous, les choses sont très claires : ce n’est pas un hasard si votre gouvernement, madame la ministre, a choisi de s’attaquer prioritairement aux droits des salariés. Après l’accord national interprofessionnel, l’ANI, de 2013, après les lois Rebsamen, Macron, El Khomri, les salariés sont une nouvelle fois la cible, sans qu’aucune évaluation de ces lois ait été réalisée, alors même que le président Macron vante l’évaluation des politiques publiques !
J’ai bataillé, avec l’ensemble de mon groupe, contre tous ces textes. Pourtant, chaque fois, vos prédécesseurs ne tarissaient pas d’éloges sur les mérites de ces nouvelles réformes. On nous assurait que, grâce à elles, le chômage allait enfin diminuer, que les entreprises allaient enfin pouvoir embaucher plus facilement… Permettez-moi d’en douter, non seulement, quand je regarde l’état du pays, six ans plus tard, mais également parce que vous avez à nouveau besoin de prévoir une grande réforme qui poursuit et amplifie les attaques de la loi El Khomri, contre laquelle la rue a grondé durant des mois, toutes générations confondues – et j’espère qu’elle grondera encore contre cette loi !
Nous demandons, par cet amendement, la suppression de cet article 1er, qui est emblématique du projet de loi que nous examinons.
Que dit donc cet article ? Il étend tout simplement les domaines dans lesquels les accords d’entreprise priment. Vous n’avez de cesse, madame la ministre, tout comme votre prédécesseur, Mme El Khomri, de dire qu’il n’y a ni inversion de la hiérarchie des normes ni suppression du principe de faveur. Pourtant, le texte parle pour vous : il y est indiqué noir sur blanc que le projet de loi entend donner à la négociation d’entreprise un rôle essentiel, et ce dans des domaines qui, jusqu’ici, relevaient de la branche ou de la loi.
Quant au principe de faveur, vous lui préférez désormais, madame la ministre, celui de subsidiarité. Mais les mots ont un sens et il s’agit bel et bien d’une remise en cause des principes fondamentaux de notre code du travail.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de cet article qui, par ailleurs, tend à modifier la périodicité des négociations obligatoires, à réduire le délai de contestation d’un accord, ou encore à déroger aux accords majoritaires par un référendum sur l’initiative du patronat : bref, autant de reculs annoncés sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir lors de l’examen des amendements suivants.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 156.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, il me faut choisir un angle d’attaque. Je ne voudrais pas, en effet, que vous puissiez me reprocher d’être trop long : pour votre dernière présidence de séance, j’espère ne pas vous contrarier. (Sourires.) Je parlerai donc de la forme et non du fond, sur lequel je reviendrai tout à l’heure.
Madame la ministre, vous n’avez pas assisté aux débats que nous avons eus avec Mme El Khomri. Nous avons été plusieurs – socialistes, communistes et nous, écologistes, qui formions encore un groupe vaillant – à lui demander pourquoi elle défendait cette loi, six mois avant les élections. Parfois, on n’est pas d’accord, mais on comprend ; là, nous ne pouvions pas comprendre pourquoi Mme El Khomri proposait un texte qui mettait les salariés en grève et qui opposait le Gouvernement aux syndicats et, plus largement, à la gauche, alors que des élections approchaient où il aurait besoin de la gauche. C’était incompréhensible !
Je n’ai pas le loisir d’écouter les explications qu’elle pourrait donner aujourd’hui, mais enfin, pourquoi un tel choix ? Pourquoi la gauche s’est-elle mis à dos une grande partie de son électorat, au point que ces votes lui ont manqué quelques mois plus tard ?
Tout à l’heure, madame la ministre, M. Martial Bourquin a dit ne pas comprendre pourquoi vous aviez choisi de procéder par ordonnances. Mais enfin, le virus était déjà là avant ! Pourquoi le gouvernement Valls s’est-il lancé dans cette réforme du droit du travail ? Il savait bien, pourtant, que cela allait lui nuire lors des élections, ce qui s’est d’ailleurs passé.
Alors, voici à présent M. Macron qui, à peine arrivé, proclame qu’il réformera le droit du travail par ordonnances. Mais quelle mouche vous pique ? Je pose au Gouvernement la même question que M. Martial Bourquin : pourquoi faites-vous cela ?
Vous pouviez annoncer qu’il vous fallait un petit peu de temps ; vous auriez pu profiter tranquillement de votre popularité, plutôt que d’essayer de la faire descendre tout de suite. Ainsi, vous auriez passé les vacances à vous mettre en bonne forme, vous auriez discuté avec les syndicats pendant un an et vous auriez présenté, à la fin, une belle réforme bien préparée. Alors, bien sûr, certains s’y seraient opposés, mais vous auriez au moins fait participer les syndicats et les parlementaires.
Quelle mouche a donc piqué le gouvernement précédent et celui-ci ? (Mme Esther Benbassa applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour présenter l’amendement n° 182 rectifié ter.
M. Martial Bourquin. J’ai déposé cet amendement de suppression de l’article 1er, parce que le principe même des ordonnances sur le code du travail est inadmissible.
Vous seriez mieux inspirée, madame la ministre, de mettre en place un Grenelle du droit social, du travail et de la santé au travail, afin de faire en sorte que flexibilité et sécurité soient complètement liées. Prenez l’exemple de l’usine de Sochaux : on a eu beau flexibiliser le personnel, ce qui a fait redémarrer l’embauche dans cette usine, c’est que la Peugeot 3008 – une très bonne voiture ! – a vu ses ventes multipliées par trois ; on a embauché parce qu’il y avait un bon carnet de commandes. Il ne faut donc pas tout confondre ni faire un mauvais procès au code du travail.
L’idéologie néolibérale s’est attaquée au code du travail, dont on veut absolument faire un bouc émissaire, parce qu’il protège les salariés. Veillons donc à remettre les choses à l’endroit.
Selon un rapport du FMI, l’assouplissement du marché du travail va de pair avec une inégalité croissante et avec l’enrichissement des plus riches.
Mme Nicole Bricq. Il ne parle pas de la France !
M. Martial Bourquin. Cet assouplissement réduit en outre le pouvoir de négociation des travailleurs les plus pauvres. L’étude montre par ailleurs que le développement du salaire minimum par rapport au salaire médian va de pair avec la hausse des inégalités. Or le FMI, contrairement à son habitude sur de telles questions, fait des recommandations. Quelles sont-elles ? Il préconise de mettre l’accent sur le capital humain et sur les compétences, car c’est le plus important dans une entreprise. Il propose en outre que les pays développés mettent en place une politique de redistribution par le biais de l’impôt sur la fortune, de l’impôt sur la propriété et d’une fiscalité plus redistributive.
Je vous signale, mes chers collègues, que c’est absolument le contraire de ce que fait le Gouvernement, qui choisit de frapper les plus pauvres par la baisse des aides personnalisées au logement, les APL, par l’augmentation de la CSG et par la diminution de l’ISF. Cherchez l’erreur ! (Mme Gisèle Jourda et M. Georges Labazée applaudissent.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Il est évidemment défavorable, et ce pour une raison simple : nous approuvons la volonté du Gouvernement de clarifier l’articulation entre la loi, les accords de branche, les accords d’entreprise et le contrat de travail. En effet, comme vous le savez tous, les règles actuelles sont complexes et souvent méconnues de la majorité des employeurs et de la quasi-totalité des salariés.
Il n’y a pas de bouleversement de la hiérarchie des normes, car la loi reste évidemment supérieure à la négociation collective. Depuis 1982 et, surtout, depuis 2004 et la loi Travail de l’an dernier, le législateur donne à l’accord d’entreprise la place centrale pour fixer les relations individuelles et collectives du travail. Beaucoup parlent d’un risque de concurrence déloyale au sein des branches, mais de nombreux garde-fous existent encore dans ce projet de loi d’habilitation.
D’une part, six thèmes relèvent déjà du monopole légal des accords de branche, comme les salaires minimaux, la classification ou l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. En outre, la branche pourrait bientôt avoir le monopole de la fixation des règles en matière de gestion et de qualité de l’emploi, afin de définir un socle commun à l’utilisation des CDD, des contrats d’intérim et des CDI de chantier.
D’autre part, sur les matières dans lesquelles un accord d’entreprise peut intervenir, il faut un accord entre les syndicats et l’employeur. Celui-ci ne peut évidemment pas imposer seul sa volonté.
Je voudrais enfin faire remarquer que la question posée par M. Desessard – pourquoi, en fin de mandat, la loi El Khomri et pourquoi, en début de mandat, ce texte ? – me semble déplacée. En effet, il vaut mieux faire de telles réformes en début de mandat et être tranquille par la suite pour faire en sorte que l’économie de notre pays puisse évoluer dans le bon sens et que le nombre de chômeurs puisse diminuer. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il est à l’évidence défavorable, pour les raisons que M. le rapporteur vient d’exprimer. Je profite néanmoins de cette occasion pour revenir sur un point que j’ai déjà évoqué hier, mais qui est extrêmement important, à la fois dans la méthode et dans le contenu de ce projet de loi d’habilitation : le renforcement du dialogue social.
Tant au niveau de la branche qu’à celui de l’entreprise, nous faisons confiance aux employeurs et aux syndicats de salariés, qui représentent une autorité légitime pour contribuer à faire de la norme détaillée la norme sociale. Oui, c’est un pari de confiance, mais il s’appuie sur l’expérience. On conclut déjà 36 000 accords par an dans notre pays, qui recueillent tous l’assentiment de 80 % ou 90 % des signataires et de l’ensemble des organisations syndicales. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
Pour ce qui est de l’article 1er, je voudrais d’abord confirmer que, bien évidemment, la loi s’impose à tous. Il n’y a pas d’inversion de la hiérarchie des normes en ce qui concerne la loi ; d’ailleurs, ce serait inconstitutionnel. Il est faux d’affirmer dans le débat qu’on inverse la hiérarchie des normes et qu’un accord d’entreprise ou de branche pourrait se passer de l’encadrement de la loi. Celle-ci fixe les droits fondamentaux, les conditions auxquelles les partenaires sociaux, au niveau de la branche et dans l’entreprise, peuvent négocier un certain nombre de sujets, les modalités et le champ de cette négociation.
Je voudrais à présent vous fournir une information relative à cet article qui peut s’avérer utile dans la suite des débats. Cet article a fait l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux. Nous venons de mener 48 réunions approfondies sur tous les sujets couverts par le projet de loi d’habilitation, afin d’éclairer la réflexion du Gouvernement sur les ordonnances. Or sur ce point, comme vous avez pu le constater, l’ensemble des organisations représentatives patronales et syndicales exprime plutôt un certain contentement sur l’équilibre qui a été trouvé entre trois blocs de compétences : ce qui doit impérativement être de l’ordre de la discussion dans la branche, ce que la négociation de branche peut choisir d’imposer aux entreprises et, enfin, le reste, pour lequel on fait confiance aux acteurs de l’entreprise. Nous avons donc l’intention de répartir les domaines, dans les ordonnances, de la façon suivante.
Un premier bloc de compétences sera absolument réservé à la négociation de branche et ne pourra donc pas faire l’objet de dérogations à l’échelle de l’entreprise. Ce bloc comprendra évidemment les minima conventionnels, les classifications et la mutualisation des financements paritaires, qu’il s’agisse du fonds de financement du paritarisme, des fonds d’information professionnels, des fonds de prévoyance, de la complémentaire santé et des compléments d’indemnité journalière. C’est une disposition nouvelle : oui, nous renforçons non seulement la capacité à négocier dans l’entreprise, mais aussi la négociation de branche.
Ce bloc comprend encore un item que nous avons appelé « la gestion et la qualité de l’emploi » et qui est issu de nos concertations. Il couvrira aussi bien la durée minimale du temps partiel, celle des compléments d’heure, la régulation des contrats courts et les conditions de recours aux CDI de chantier.
Enfin, nous inscrirons dans les ordonnances que relève obligatoirement de la négociation de branche l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ce chantier représente quand même quelque peu un échec collectif, puisque cela fait quinze ans que la loi affirme ce principe et qu’il n’est ni appliqué ni respecté. Et pourtant, la loi prévoit des sanctions. Cela montre bien, d’ailleurs, que sur un tel sujet il ne suffit pas que la loi pose un principe ; il faut aussi que les acteurs se mobilisent. C’est aussi pour cela que sont faites la négociation de branche et la négociation dans l’entreprise.
Le deuxième bloc sera constitué de domaines pour lesquels nous considérons que la branche est compétente pour négocier. Ce sera à la branche de déterminer si ces domaines sont « verrouillés », c’est-à-dire que les règles qu’elle détermine s’appliquent directement dans les entreprises, ou peuvent faire l’objet d’adaptations.
Parmi ces domaines, on compte la prévention des risques professionnels et de la pénibilité, puisqu’il existe, d’une branche à l’autre, des spécificités propres aux métiers qu’il faut absolument prendre en compte. On compte aussi le handicap ; comme plusieurs interventions ont abordé ce sujet, je tiens à réaffirmer que, bien évidemment, aucune des obligations des entreprises en matière de handicap ne va diminuer. Bien au contraire, nous jugeons important que les branches se penchent sur ce sujet, parce qu’il faut échanger les bonnes pratiques et trouver des solutions pour que les droits deviennent réellement exerçables dans toutes les entreprises. J’ose croire que tout le monde ici sera d’accord pour reconnaître que la solution n’est pas de financer un organisme parce qu’on n’a rien pu faire d’autre ; il faut réussir à mieux faire demain, parce que les salariés handicapés souhaitent avant tout avoir du travail.
Un autre nouveau domaine sera rattaché à ce deuxième bloc, ce qui montre notre esprit de renforcement du dialogue social : les conditions et les moyens d’exercice d’un mandat syndical, la reconnaissance des compétences acquises et les évolutions de carrière. C’est une question de cohérence. Si l’on affirme que le dialogue social est un facteur clé dans la branche et dans l’entreprise, parce que c’est là qu’on peut articuler, au plus près du terrain, la performance économique et la performance sociale, il faut que les acteurs soient formés, qu’ils aient une espérance de parcours de carrière et que leurs droits soient reconnus. C’est pourquoi nous évoquons ce point.
Enfin, j’en viens au troisième bloc : oui, et c’est une nouveauté, pour les domaines qui n’appartiennent pas aux deux premiers blocs, la primauté reviendra à l’accord d’entreprise. La question qui détermine ici le partage des eaux est la suivante : fait-on confiance aux acteurs, aux employeurs, aux syndicats de salariés, en somme à l’ensemble de la communauté d’entreprise pour faire de la performance économique et sociale ?
M. Pierre Laurent. Et la liste du troisième bloc ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Tel est l’esprit de l’article 1er. Je remercie les auteurs de ces amendements, dont l’examen m’a donné l’occasion de vous préciser ces grandes lignes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, je tenais à vous dire que les gentils mots que vous m’adressiez chaque fois que vous me rencontriez vont me manquer. En somme, vous allez quand même me manquer ! (Sourires.)
Je voterai pour les amendements de suppression de l’article 1er de ce projet de loi, article dont la principale conséquence est le bouleversement profond de l’ordre public social français.
Renverser la hiérarchie des normes, et donc favoriser une sorte de concurrence au sein de chaque branche, a des conséquences graves pour nos concitoyens. Nombre d’autres mesures constituent également un important recul pour les droits des salariés : l’inversion de la charge de la preuve et la fin du principe de faveur pour le salarié n’en sont que deux exemples.
De surcroît, quelles que soient la pertinence de ce projet et l’urgence à intervenir pour « engager une réforme profonde du modèle social », nous ne pouvons que regretter, en tant que parlementaires, que le débat ne puisse avoir lieu au Parlement, par l’examen d’un projet de loi simple sur une question aussi complexe et importante, et qu’on ait plutôt recours à des ordonnances.
M. Martial Bourquin. Très bien !
Mme Esther Benbassa. L’ambition du président de notre « start-up nation » semble surtout être de faire adopter cette réforme pendant l’été, dans la torpeur du mois d’août. Mais que l’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit ici ni d’innover ni d’inventer le droit et la protection du travail pour les nouveaux statuts précaires, autoentrepreneurs, faux indépendants ou travailleurs des plateformes Uber et autres. Non, il s’agit surtout d’aligner le droit du travail à la baisse et d’offrir plus de précarité pour moins de droits.
À cela, en tant qu’écologiste, je ne me résigne pas !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la ministre, vous ne m’avez pas convaincue, et ce pour deux raisons.
En premier lieu, quand vous affirmez qu’il n’y a pas d’inversion de la hiérarchie des normes, c’est une forme de sophisme.
Mme Annie David. Même M. Cadic l’a reconnu !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En effet, l’ordre public social continue certes à prévaloir, mais il est limité dans son champ. Dès lors, pour tout le champ qui était historiquement garanti par l’ordre public social, vous inversez de fait la hiérarchie des normes, même si ce qui reste dans la compétence de l’ordre public social s’impose évidemment toujours à tous.
En second lieu, vous nous dites qu’il faut avoir confiance dans l’entreprise. Vous avez noté que des accords d’entreprise sont effectivement conclus. Mais vous n’ignorez pas qu’on a d’autant plus confiance qu’on est en situation d’égalité, de symétrie. La confiance ne peut pas naître quand il y a une inégalité de situation. Or qu’est-ce qui garantit l’égalité ? C’est justement la présence d’une loi protectrice et assez ample pour permettre que l’adaptation ait lieu et que la protection soit garantie. C’est d’ailleurs pourquoi les accords d’entreprise sont aisés à conclure dès lors qu’une loi protège les salariés.
J’en viens à l’exemple allemand : on nous répète à l’envi que les Allemands font des accords. Mais, en Allemagne, les salariés ont du pouvoir ! La cogestion, ce n’est pas simplement le consensus naturel ; c’est le fait que le conseil de surveillance syndical mis en œuvre dans ce système peut s’opposer, au sein de l’entreprise, à des décisions qui ne peuvent pas être prises sans son accord. Le cadre d’une négociation renforcée suppose l’égalité des parties ; or, même si, pour la réussite d’une entreprise, l’état d’esprit doit être plus collaboratif, il n’y a pas égalité des parties entre un patron d’entreprise et ses salariés.