Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mmes Valérie Létard, Catherine Tasca.
2. Démission et remplacement d'un sénateur
3. Mise au point au sujet d’un vote
4. Déclaration du Gouvernement suivie d'un débat
M. Édouard Philippe, Premier ministre
M. Édouard Philippe, Premier ministre
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Valérie Létard,
Mme Catherine Tasca.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Démission et remplacement d'un sénateur
M. le président. J’ai reçu une lettre de Mme Marie-Christine Blandin par laquelle elle se démet de son mandat de sénatrice du Nord, à compter du lundi 3 juillet.
M. Henri de Raincourt. Quel dommage !
M. le président. Je voudrais saluer la manière dont Mme Blandin a accompli son mandat de sénatrice avec conviction, hauteur de vues et ouverture aux autres. Elle a notamment été, dans l’histoire de notre Haute Assemblée, la première présidente de la commission de la culture, de la communication et de l’éducation.
M. Joël Labbé. Bravo à Marie-Christine !
M. le président. En application de l’article L.O. 320 du code électoral, elle est remplacée par Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, dont le mandat de sénatrice du Nord a commencé le mardi 4 juillet 2017, à zéro heure.
Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements.)
3
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, lors du scrutin n° 104, notre collègue Robert Navarro a été comptabilisé comme n’ayant pas pris part au vote, alors qu’il souhaitait voter pour.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
4
Déclaration du Gouvernement suivie d'un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
Monsieur le Premier ministre, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue au Sénat. C’est en effet la première fois que vous siégez dans cet hémicycle au banc du Gouvernement. (M. le Premier ministre opine.) Je tiens également à saluer le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, ainsi que les ministres et secrétaires d’État présents à vos côtés, parmi lesquels je reconnais quatre anciens membres de notre assemblée. C’est avec plaisir, et bonheur, que nous vous accueillons cet après-midi.
Vous avez la parole, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et La République en marche, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Union Centriste et du RDSE. – Mme Aline Archimbaud et M. Jacques Chiron applaudissent également.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, hier, M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur vous a, comme le veut la coutume, donné lecture de ma déclaration de politique générale. Au lendemain du vote de la confiance par l’Assemblée nationale, je ne pouvais qu’être devant vous aujourd’hui, dans cet hémicycle, pour m’adresser directement à vous.
N’ayant pas eu le privilège de siéger parmi vous, je n’ai pas le plaisir de tous vous connaître. (Murmures sur plusieurs travées.)
M. Henri de Raincourt. Ce n’est pas grave ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Ça viendra ! (Nouveaux sourires.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Sans doute… (Rires.) Certes, des visages sur ces travées me sont familiers et même amicaux. Certains ont jalonné mon parcours, d’autres m’ont aidé à le construire. Et je ne parle pas seulement de ces grandes figures de notre histoire politique – Victor Schœlcher, Victor Hugo, Georges Clemenceau ou, permettez-moi de le citer, le Havrais René Coty – dont les voix et les intelligences ont fait vibrer ces murs.
J’ai par ailleurs l’honneur de compter dans mon gouvernement d’anciens membres de votre assemblée.
M. Gérard Longuet. Les meilleurs !
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Il en est un pôle d’équilibre. Il est à la fois en prise directe avec le quotidien de millions de Français et à l’écart d’une certaine fébrilité politique. Cette sérénité démocratique est une chance. (Marques d’approbation sur plusieurs travées.)
Hier, dans mon discours, j’ai commencé par rendre hommage à de nouveaux députés qui, par leur parcours, ont remodelé le visage d’une partie de la représentation nationale. Je sais que, comme vous, ils auront à cœur de nouer un dialogue fructueux pour faire avancer le travail parlementaire et pour faire réussir la France.
Si je les mentionne de nouveau aujourd’hui, c’est que je m’adresse à une assemblée qui, durant vingt et un ans, a confié sa destinée au petit-fils d’un esclave. Elle l’a fait à une époque où les préjugés étaient encore plus rudes et encore plus injustes que de nos jours. Vos prédécesseurs n’ont pas choisi Gaston Monnerville pour ses origines, mais pour ses talents, lesquels n’auraient pu s’épanouir si la République ne les avait pas reconnus et encouragés.
C’est de cette République, de cette France de l’égalité des chances, que je veux vous parler aujourd’hui, une France qui, dans les moments les plus difficiles de son histoire, a toujours été capable d’étonnants sursauts.
Cette France s’est exprimée durant la campagne présidentielle. Elle a exprimé sa colère, mais elle a aussi exprimé son optimisme et sa volonté de rassemblement.
Avant-hier, devant le Parlement réuni en Congrès, le Président de la République nous a montré le cap : celui-ci est clair et sera tenu !
Les Français ont d’ailleurs, dans un souci de cohérence, donné au Président et au Gouvernement une majorité claire et incontestable au sein de l’Assemblée nationale.
J’ai eu l’occasion de le dire et le répète : je ne prends pas cette majorité pour un blanc-seing. Il est évident que, comme toutes les majorités, elle implique bien plus de devoirs que de droits. Parmi ces devoirs figure évidemment la nécessité de respecter les institutions démocratiques. J’y veillerai.
Mais la France doit avancer. Dans « notre cher et vieux pays », il existe une envie, une énergie, un espoir qui transcendent les courants politiques.
Le Gouvernement veut s’appuyer sur cette envie et cette énergie pour que la France retrouve confiance : j’ai eu l’occasion de le décliner hier, confiance en son action publique, confiance en sa justice, en sa sécurité sociale et en sa cohésion territoriale.
Je veux m’appuyer sur cette énergie pour que, collectivement, nous fassions preuve de courage : courage devant les menaces terroristes et tout ce qui peut menacer la sécurité des Français ; courage devant le défi migratoire pour être fidèles à nos idéaux comme à nos responsabilités ; courage aussi pour préparer l’avenir de nos enfants en refondant l’école, pour rénover notre modèle social – il en a besoin –, pour réduire la dette et la dépense publique – c’est indispensable.
Je veux m’appuyer sur cette énergie pour que la France redevienne conquérante, pour qu’elle redevienne une terre d’accueil des compétences, des entreprises, des investissements et des intelligences, pour qu’elle restaure la puissance de son agriculture, qu’elle saisisse la chance de la transition écologique et qu’elle assume pleinement sa vocation européenne et internationale.
Hier, j’ai indiqué la feuille de route du Gouvernement, son calendrier, sa méthode.
Je les résumerai en quelques mots-clefs : la collégialité, la sincérité, la recherche permanente de l’efficacité, et non de la popularité.
Hier, j’ai eu l’occasion de dire combien je pensais que l’exercice du pouvoir était avant tout un exercice de vérité. Mesdames, messieurs les sénateurs, il n’est pas impossible que, durant trop longtemps, notre pays ait pris la mauvaise habitude de s’arranger un peu avec la vérité. La Cour des comptes, avec ses mots, nous en a donné une triste illustration. J’y vois une des causes de la crise de confiance qui a secoué notre pays.
La vérité n’est pas bâtie dans l’antre des ministères et au sein des cabinets ministériels. Elle se construit et se constate parfois dans le respect et dans le dialogue avec les partenaires sociaux, avec les acteurs économiques, avec le monde associatif.
C’est pourquoi le Président de la République et moi-même avons voulu prendre le temps de la concertation, de la discussion, du dialogue avec les parties prenantes sur ceux des sujets qui structurent l’avenir du pays.
C’est le sens des États généraux de l’alimentation et de l’agriculture, des assises de l’outre-mer, des États généraux des comptes de la Nation et, j’y reviendrai, de la Conférence nationale des territoires.
Débattre d’un certain nombre de sujets à l’extérieur des assemblées avant de délibérer dans ces mêmes assemblées des actes législatifs censés mettre en œuvre les grands principes sur lesquels on s’est mis d’accord n’est pas une idée nouvelle.
Cette méthode a fait ses preuves. Beaucoup d’entre vous la connaissent, pour l’avoir pratiquée ici ou dans le cadre de l’action publique locale. Elle est efficace pour produire les normes et définir les règles qui seront acceptées de tous. Je veux donc associer des phases de discussion à l’extérieur des assemblées à d’intenses phases de délibération à l’intérieur de celles-ci.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne veux pas vous infliger une seconde lecture de ma déclaration de politique générale… (Murmures et sourires sur certaines travées.) Ce serait malvenu ! (Nouveaux sourires.)
Je ne veux pas non plus vous en infliger une lecture abrégée et commentée, vous n’en avez pas besoin. Non, je veux profiter de ma présence ici pour aborder deux sujets qui vous tiennent à cœur, deux sujets sur lesquels j’ai des choses à dire et, j’en suis sûr, des choses à apprendre de vous.
Le premier sujet est institutionnel.
Je crois au bicamérisme. Je mesure le rôle du Sénat dans le bon fonctionnement de notre démocratie, et c’est un ancien député qui vous le dit ! (Mme Catherine Troendlé sourit.)
Je connais la qualité de vos débats,…
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … je connais aussi la qualité de vos textes, de votre travail en commission. Je crois au bicamérisme et j’y tiens. Aucune démocratie ne fonctionne avec une seule chambre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et La République en marche, sur la plupart des travées du RDSE et du groupe Union Centriste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.) Mesdames, messieurs les sénateurs, j’y ai toujours cru, mais j’y crois plus encore aujourd'hui, et pas seulement parce que je vous en parle en ce moment,…
M. Roger Karoutchi. Ce qui est déjà considérable.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … - ce qui est en effet déjà considérable (Rires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) -… mais parce que le bicamérisme prend plus encore son sens aujourd’hui qu’hier.
D’un côté, nous avons une Assemblée nationale profondément renouvelée. Ce renouvellement était nécessaire. Il était voulu par les Français. Il a été démocratique, clair. Il est une chance pour notre pays.
De l’autre côté, nous avons un Sénat où siègent « des élus élus par des élus », des élus qui connaissent mieux que personne la réalité des territoires de la République et qui incarnent une expérience des territoires et du processus législatif.
Le Sénat a renoncé depuis longtemps aux clivages artificiels. On y pratique le sens du consensus et du compromis. On y aime la discussion, le dialogue. On sait y marier les bonnes volontés.
Le Sénat, de ce point de vue, a probablement largement anticipé la logique que nous connaissons aujourd’hui.
Cette expérience, nous en aurons besoin pour préparer les réformes constitutionnelles dont le Président de la République a dessiné les contours avant-hier, devant le Parlement réuni en Congrès.
Réduction d’un tiers du nombre de parlementaires, limitation à trois du nombre de mandats successifs, suppression de la Cour de justice de la République, refonte du Conseil économique, social et environnemental, évolution du travail parlementaire pour le rendre plus efficace et, quand cela est nécessaire, plus rapide : ces réformes seront d’une ampleur dont je ne sais si elle est inédite, mais qui, à l’évidence, sera considérable.
Le Sénat, sous l’impulsion de son président Gérard Larcher, a pris les devants. Le 11 mars 2015, votre conférence des présidents a adopté 46 mesures qui ont conduit à une modification du règlement du Sénat le 13 mai 2015 et qui ont en particulier valorisé le travail en commission.
Cette expérience, vous aurez l’occasion de la faire valoir par l’intermédiaire de votre président dans le cadre de la réflexion qui s’engage avec le président de l’Assemblée nationale, le ministre d’État, ministre de l’intérieur, et la garde des sceaux. J’y serai pour ma part très attentif.
Elle nous montre une chose importante, que vous-mêmes en tant que législateurs avez en tête, à savoir que tout ne passe pas par la norme constitutionnelle ni même par la loi. En effet, à Constitution identique, les méthodes de travail peuvent être différentes. Pour régler les problèmes, il faut donc s’inspirer non pas simplement des modifications de normes, mais aussi des usages et des règles qu’adoptent les assemblées et qui fonctionnent bien.
Le second sujet que je voulais aborder avec vous concerne l’organisation territoriale de notre pays.
Je l’ai dit hier devant l’Assemblée nationale : les jardins à la française ont leur charme, mais ils se prêtent assez peu au foisonnement d’initiatives dont le pays a besoin et auquel les collectivités sont prêtes.
Nous voulons que les collectivités locales soient fortes et libres : libres de s’organiser en développant des communes nouvelles ou des regroupements de départements à condition, bien sûr, que ces fusions ne soient pas contraires à l’intérêt général ; libres d’exercer de nouvelles compétences ; libres aussi de mieux se les répartir au moyen, par exemple, du mandat de délégation ; enfin, libres d’expérimenter non seulement de nouvelles organisations et de nouvelles compétences, mais aussi de nouvelles règles d’exercice de ces compétences dans le cadre d’un élargissement du pouvoir réglementaire local.
Liberté et confiance, tels sont les deux fondements de la décentralisation d’aujourd’hui.
Une décentralisation qui ne se décrète plus depuis Paris, mais qui s’expérimente, se teste et s’adapte.
Il ne faut plus décider pour les autres – même si cela peut arriver –, il faut dans toute la mesure possible inciter !
Incitons les territoires à adapter localement leur organisation pour tendre partout où cela sera possible vers deux niveaux d’administration locale en dessous du niveau régional. Ce ne sera pas le même schéma partout. Essayons de susciter parmi les collectivités, leurs élus, les discussions qui nous permettraient, le cas échéant, à tel endroit de privilégier tel ou tel interlocuteur, à tel endroit, et librement, de privilégier telle ou telle autre organisation.
Cette simplification répond à une exigence de bonne gestion. Elle répond aussi à une exigence de lisibilité : l’empilement actuel n’est pas toujours compris de nos concitoyens.
Bien évidemment, cette liberté s’accompagnera de solidarité.
Une solidarité qui s’exprime d’abord, au niveau de l’État, au travers de la création d’un ministère de la cohésion des territoires dont le titulaire est issu de vos rangs.
Cette solidarité s’exprimera aussi par de grands chantiers sectoriels.
Dans le domaine de la santé : j’ai demandé à la ministre de préparer pour le mois de septembre un plan de lutte contre les déserts médicaux. Je sais que le Sénat a beaucoup travaillé sur ce sujet crucial pour l’égalité entre nos territoires. Ce plan sera construit dans le dialogue avec les élus locaux et les professionnels de santé pour trouver des solutions adaptées à chacun des territoires.
Ce sera long car, à l’évidence, il n’y a pas simplement un problème de répartition immédiate sur le territoire. Il n’est pas possible d’imposer depuis Paris une répartition brutale et immédiate des professionnels de santé sur l’ensemble du territoire. Grâce à une meilleure organisation et de meilleures relations avec ceux qui défendent les intérêts des professions médicales, nous pouvons cependant faire en sorte d’améliorer cette répartition et de créer des mécanismes incitatifs pour que, au fur et à mesure de notre action, la question, terrible pour nos concitoyens, des déserts médicaux, qui ne se réduisent plus aujourd'hui à quelques territoires et deviennent presque la norme, puisse être résolue dans les meilleures conditions.
Mme Nicole Bricq. Dites-le aux ARS !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Dans le domaine de la mobilité : dès la rentrée, se tiendront également des assises de la mobilité. Elles associeront les usagers, les opérateurs, les collectivités territoriales et les associations engagées dans ce domaine.
Leur but est double. En premier lieu, il s’agit de bâtir une stratégie adaptée aux besoins des territoires, qui permette de mieux utiliser les infrastructures existantes en bénéficiant des possibilités offertes par le numérique, par exemple. En second lieu, elles visent à élaborer une programmation financière soutenable qui fera porter l’effort non plus sur les grandes infrastructures, mais sur l’entretien et la rénovation des réseaux actuels, qui, de toute évidence, ne sont pas satisfaisants.
Autre chantier sectoriel sur lequel le Sénat est devenu un expert : le numérique. Comme je m’y suis engagé hier, je souhaite un accès garanti pour tous et partout en France au très haut débit au plus tard en 2022. Mais, là encore, gardons-nous de raisonner uniquement en termes d’infrastructures. Pensons service : service à l’usager, service aux collectivités. Cette politique d’accès au numérique nous permettra de déployer de nouveaux projets : je pense notamment au « compte citoyen en ligne » qui pourrait devenir l’interface de base, la norme, entre les administrations et le citoyen.
Le dernier chantier concerne la revitalisation des petites villes et des bourgs-centres, trop longtemps négligée par les politiques publiques, alors qu’elle mérite à la fois une attention particulière et une stratégie propre à chaque territoire : la situation n’est pas la même en Alsace que dans le Massif central, ou en outre-mer. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
Ces chantiers tendent vers un objectif : combler le fossé qui se creuse entre deux France que certains voudraient opposer, entre deux France qui se vivent parfois comme étant en opposition, alors qu’elles ne peuvent pas réussir l’une sans l’autre. J’entends par là bien sûr la France des métropoles mondialisées et la France dite « périphérique ».
C’est tout l’objet de la Conférence nationale des territoires que le Président de la République a souhaité constituer et dont la première réunion se tiendra mi-juillet. Si vous en êtes d’accord, celle-ci pourrait justement se tenir au Sénat. (Exclamations et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, La République en marche et Union Centriste, ainsi que sur la plupart des travées du RDSE.)
Mme Bariza Khiari. Ah !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. M. le président du Sénat pourrait y tenir le rôle éminent qui lui revient.
Quant à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, vous serez évidemment représentés de façon permanente au sein de cette instance par ceux que votre assemblée aura désignés.
Un dernier mot peut-être sur les aspects financiers.
Je l’ai dit hier, la situation de nos finances publiques est plus que préoccupante, elle est grave. Nous devrons tous contribuer à l’effort de redressement. (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains opinent.)
Je sais que les collectivités locales y ont déjà contribué, partout (M. Henri de Raincourt opine.), y compris dans les grandes villes portuaires… Je ne sous-estime pas, loin de là, les conséquences de ces efforts.
Je crois à la responsabilité des élus locaux, comme je crois à leur sens des réalités. Ils gèrent des budgets, parfois dans des conditions difficiles. Ils sont amenés à faire des choix, à assumer et parfois à revoir leurs priorités.
Je sais aussi que « faire avec moins » peut parfois – pas toujours ! – conduire à « faire mieux », c’est-à-dire à proposer des services plus simples, plus agiles et plus efficaces.
Nous ouvrirons le dialogue avec les élus pour bâtir une trajectoire commune de maîtrise de la dépense publique.
Nous engagerons également la réforme de la taxe d’habitation d’ici à la fin du quinquennat. Cela ne veut pas dire que l’on attendra la fin du quinquennat pour le faire. (Mme Françoise Férat s’exclame.) Cela signifie simplement que l’on conduira cette réforme pendant le quinquennat et qu’elle sera achevée avant son terme. Je tenais à le préciser, parce que certains ont pu se méprendre sur la portée des propos que j’ai tenus hier.
Je sais cette réforme attendue par les contribuables, mais redoutée par les élus. Alors, parlons-en. Parlons-en avec le Sénat et avec le Comité des finances locales pour réformer cet impôt, qui n’est pas le plus juste, sans porter atteinte à l’autonomie financière des collectivités territoriales. (Mme Pascale Gruny s’exclame.)
Ce sujet fiscal comme celui de la dépense publique seront évidemment au cœur de la prochaine Conférence nationale des territoires.
Au-delà de la taxe d’habitation, je crois pouvoir dire ici que les élus locaux, que les sénateurs encore plus que les élus locaux ont parfaitement conscience du caractère globalement insatisfaisant de la fiscalité locale. Celle-ci est souvent incompréhensible, largement illisible, globalement inefficace et, dans les faits, souvent corrigée pour faire face au problème du moment, si bien qu’elle est devenue, à bien des égards, un peu incohérente.
Je ne suis pas venu vous annoncer le grand soir ou la grande réforme de la fiscalité locale, tout droit sorti du crâne d’un spécialiste, que je ne prétends pas être. Mais là encore, dans nos échanges, dans nos travaux collectifs, nous pouvons partager ce constat et peut-être lancer ces réflexions au long cours qui, parce qu’elles sont bien conduites, notamment par le Sénat, finissent par prospérer et déboucher sur de bonnes réformes – il existe des exemples.
Nous pouvons tenter de parvenir, le moment venu, peut-être dans longtemps, une fois que l’ensemble des questions auront été débattues, à des finances locales et à une fiscalité locale plus satisfaisantes qu’aujourd'hui.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je connais comme vous les limites du politique, mais je ne crois pas à son impuissance.
Je sais ce que peut la volonté politique : je l’ai vu, comme beaucoup d’entre vous, en exerçant mon mandat de maire. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons dans les assemblées, nous sommes tous frappés par le contraste saisissant qui existe entre le constat souvent dressé d’un pays qui serait bloqué, comme arrêté, et l’incroyable transformation d’un certain nombre de nos territoires qui, grâce à l’action résolue d’élus locaux, la cohérence de la ligne qu’ils ont suivie, et au consentement qu’ils ont su obtenir de la part des citoyens eux-mêmes, ont connu des évolutions majeures et bénéfiques.
En parcourant la France, on peut constater les difficultés rencontrées par un certain nombre de territoires, mais aussi l’incroyable succès des politiques publiques conduites, un peu partout, par des élus locaux. Cela démontre que la politique peut, que lorsque la volonté est forte, la majorité stable, le dialogue réel, et lorsque la cohérence guide l’action, il est possible de réussir.
Cette méthode de travail, le Gouvernement la propose aux législateurs que vous êtes, mesdames, messieurs les sénateurs, en la complétant, bien entendu, par le respect et l’exigence de vérité.
Je vous propose d’œuvrer ensemble dans cet esprit, sinon de consensus, de débat, qui n’interdit ni la franchise ni la contradiction, et pourrait nous permettre, d’ici à la fin de ce quinquennat, de faire aboutir les réformes attendues par les Français et par les territoires ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, La République en marche et Union Centriste, ainsi que sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Alain Bertrand, pour le groupe du RDSE.
M. Alain Bertrand. Monsieur le Premier ministre, je tiens à vous remercier, en mon nom, au nom de mon groupe et, peut-être, au nom des autres sénateurs, pour les propos que vous avez tenus sur la Haute Assemblée.
Les dernières élections présidentielle et législatives ont porté Emmanuel Macron à l’Élysée et lui ont donné une large majorité.
Les Français nous ont envoyé le double signal d’une exigence de résultats et d’une stratégie politique visant au rassemblement. Ils ont choisi de s’attaquer au chômage et de maintenir les fondamentaux de notre République sociale. Ils ont approuvé une stratégie de dédramatisation et de fertilisation de la vie politique, en répondant au président Macron qu’il fallait effectivement dépasser les anciens clivages entre droite et gauche pour plus d’efficacité.
Les Français nous invitent à privilégier ce qui nous rassemble et nous commandent d’obtenir des résultats.
Dans votre discours de politique générale, monsieur le Premier ministre, vous avez évoqué une première thématique, la confiance.
Vous avez reconnu les progrès réalisés au cours des dernières années, mais indiqué qu’il fallait en faire d’autres. Nous vous soutiendrons dans votre volonté de restaurer la confiance dans l’action publique, tout en proposant des amendements sur certains sujets.
Par ailleurs, nous sommes comme vous opposés au voyeurisme et à l’absolue transparence. Nous devons tout autant reconnaître l’absolue honnêteté et le formidable travail de nos élus sur tout le territoire. Faire progresser la transparence, oui ; l’inquisition, non ! (M. Roger Karoutchi rit.)
Vous avez évoqué la réforme de la justice, qui se meurt par endroits, faute de moyens ou du fait de la disparition de tribunaux d’instance ou de grande instance. Nous soutiendrons la loi quinquennale de programmation des moyens de la justice, la création de 15 000 places supplémentaires de prison et la réforme constitutionnelle renforçant l’indépendance des magistrats. Nous partageons, bien sûr, les objectifs de rapidité et d’efficacité des actions en matière de terrorisme et de grande criminalité.
N’oubliez pas, monsieur le Premier ministre, que la justice s’exerce sur tout le territoire. Nous serons attentifs à ce que tout ne se concentre pas dans les métropoles, les capitales régionales ou les agglomérations.
S’agissant de la confiance, toujours, vous avez raison de penser qu’il faut rassurer les Français quant à l’avenir de la sécurité sociale ou du régime de retraite. C’est le cœur de notre république sociale !
Vous entendez éviter l’exclusion des soins et l’actuel accroissement des inégalités. Nous avons envie de vous soutenir sur ces sujets, mais la promesse d’une réduction de la fracture territoriale et d’une lutte contre les déserts médicaux nous a souvent été faite… Pour ce qui est du tabac, on sait que la seule augmentation des prix ne suffit pas.
Si je peux me permettre, monsieur le Premier ministre, soyez donc performant et rapide !
N’oubliez pas nos montagnes, nos ruralités, les transports héliportés, les hôpitaux locaux, la banlieue – la ruralité ne s’oppose ni à la métropole ni aux banlieues.
Sous ces réserves, donc, nous sommes avec vous et entendons aussi souligner que les hôpitaux – j’en préside un – travaillent avec un personnel en souffrance et des moyens réduits d’année en année.
J’en viens à un sujet sur lequel vous avez insisté dans votre prise de parole, et je vous en remercie : le lien entre État et territoires.
À l’instar du président Emmanuel Macron lors de son discours devant le Congrès – j’y ai été particulièrement attentif –, vous nous dites : « Confiance, liberté, partenariat, effacement du fossé entre métropole et ruralités ».
Ces ruralités, vous les appelez « France périphérique » ; au sein du groupe du RDSE, loin de les considérer comme des territoires à la marge, nous les appelons « le cœur de la France ». Les ruralités sont l’hinterland des métropoles, pas leurs dépendances !
Les idées avancées – encouragement des partenariats, expérimentations – sont bonnes. Le Président de la République a même évoqué des « pactes girondins », donc des pactes de décentralisation, de « démétropolisation », pourrais-je dire, de confiance avec les collectivités.
De ce point de vue, vous avez raison, la conférence des territoires pourrait être décisive à bien des égards.
Toutefois, des interrogations subsistent sur le financement des collectivités, mentionné précédemment, notamment l’aide apportée aux départements les plus ruraux pour faire face au transfert de charges de l’État. S’y ajoutent d’autres interrogations sur la prise en compte des charges de centralité – vous en avez aussi dit un mot en évoquant les bourgs-centres – et sur la révision des dotations de solidarité rurale, dont on parle depuis déjà très longtemps.
Par ailleurs, une large partie du territoire rural, les zones montagneuses et toutes les ruralités, est touchée par un fort sentiment d’abandon. Nous vous suggérons donc, à partir des travaux de la conférence des territoires, de réfléchir à une loi d’avenir sur les ruralités qui permettrait à votre gouvernement de répondre à cette attente colossale d’une très grande partie de la France, de remédier à un sentiment politiquement destructeur puisqu’il renvoie vers les extrêmes.
Votre deuxième thématique est celle du courage.
Nous sommes favorables à la sortie de l’état d’urgence au 1er novembre, à condition, bien sûr, de muscler l’arsenal législatif contre le terrorisme et l’insécurité, et de simplifier les procédures administratives imposées aux forces de sécurité.
Au sujet des migrants, nous soutenons la tradition d’accueil, la solidarité et la responsabilité affichées dans les actions que nous menons avec nos partenaires européens et qui, parfois, appelleraient une plus grande rapidité dans la mise en œuvre. Pour autant, sans angélisme, il convient d’accélérer les procédures et d’éviter les confusions avec les migrants économiques. Comme vous l’avez dit très justement : « Accueillir, oui, bien sûr. Aider, oui, évidemment. Subir, non, jamais ! »
Comme vous, nos constats sur l’école et l’enseignement sont parfois négatifs : absence de maîtrise de l’écriture et de la lecture, instabilité des organisations scolaires, baccalauréat désuet, échec important à l’université.
Les solutions que vous avancez, monsieur le Premier ministre, sont intéressantes. Nous vous suggérons d’aller plus loin, de frapper plus fort, plus définitivement, et comme pour la santé, d’envisager un véritable parcours de réussite scolaire pour tous, qui pourrait aussi commencer par une loi sur l’éducation parentale.
Nous approuvons également l’idée d’un nouveau service national pour tous.
Sur le modèle social, monsieur le Premier ministre, vous auriez pu choisir de commencer par la phrase suivante : « Les Français souffrent », ceux qui n’ont pas d’emploi comme ceux qui ont un emploi peu ou mal rémunéré.
La rénovation sociale que vous proposez en quatre points – dialogue social, pouvoir d’achat, sécurisation des parcours professionnels, système de retraite plus juste – est pertinente. Concertez et, là aussi, essayons d’aller vite !
Un point essentiel, il n’y a pas d’autre voie, et c’est ce que vous proposez, que de rendre du pouvoir d’achat aux Français. Sans cela, sous la pression des souffrances, des doutes, de l’absence de résultats et des extrémismes qui y travaillent, le corps social éclaterait.
Nous l’avons dit, nous soutenons les propositions consistant à accorder plus de liberté, alléger les charges et la taxation des entreprises, en un mot donner de l’agilité. Mais ce soutien n’est valable que si l’on s’attaque au chômage, certes, mais aussi aux bas salaires et aux faibles revenus, ce qui figure bien dans vos propositions.
La clef du succès est donc double, vous le savez. Il faut de l’équilibre.
S’agissant des finances, brièvement, vous avez rappelé que la dette s’élevait à 2 147 milliards d’euros et fixé un objectif de réduction du déficit annuel de l’État sous la barre des 3 % du produit intérieur brut. Nous ne pouvons que partager cet objectif.
Vous nous annoncez une baisse des prélèvements obligatoires de 20 milliards d’euros d’ici à 2022, avec trois leviers : la masse salariale du secteur public, les niches fiscales, les périmètres des politiques publiques.
Nous sommes très attachés, au RDSE, au signal républicain et à la fonction publique. Si des économies sont à dégager sur la fonction publique, cela ne peut être au détriment des ruralités, dans lesquelles celle-ci est déjà « à l’os ».
Nous vous invitons donc à privilégier l’abandon de certaines niches fiscales, sans efficacité réelle sur l’emploi, la redéfinition du périmètre des politiques publiques et, surtout, la réduction drastique du nombre – surréaliste – d’agences de tout poil et de comités Théodule existant dans notre pays.
La conquête constitue votre dernière thématique.
Nous partageons vos ambitions sur le plan économique. Il ne fait pas de doute que nous pouvons faire beaucoup mieux et créer plus d’emplois dans ce pays : alléger les charges salariales, réduire le taux de l’impôt sur les sociétés, supprimer le régime social des indépendants, ou RSI, protéger l’épargne productive, lancer un plan d’investissement de 50 milliards d’euros.
En revanche, les membres de mon groupe et moi-même tremblons un peu quand vous évoquez le numérique : cette promesse nous a déjà été faite au moins une vingtaine de fois dans cet hémicycle ! Or nous représentons de nombreux territoires dans lesquels, sans même parler du numérique, la téléphonie mobile, parfois fixe, ne passe pas.
Vos pistes sont bonnes, mais, monsieur le Premier ministre, commencez par le commencement ! Commencez par ceux qui souffrent le plus, non par ceux qui disposent déjà d’un équipement abondant, et n’oubliez pas de rattraper le retard en termes d’aménagement du territoire !
Sur le plan écologique, vous êtes réaliste et ambitieux.
En matière de logement, nous vous félicitons pour l’accélération des procédures. Mais vous devriez prendre l’engagement de diviser par deux tous les délais administratifs conditionnant des réalisations dans ce pays : permis, recours, autorisations, enquêtes, etc. Notre pays va à un train de pays riche ; il ne l’est plus, il faut accélérer !
Dans le domaine de l’agriculture, parmi les problèmes que vous avez évoqués, la répartition inégalitaire de la valeur entre producteurs et distributeurs, le dumping social et la prolifération des normes sont essentiels. Les États généraux de l’alimentation et de l’agriculture représentent, à ce titre, une excellente initiative.
Enfin, si nous sommes radicalement attachés à l’Europe au sein du RDSE, nous sommes aussi farouchement déterminés à ce que notre pays se montre plus ferme envers nos amis et partenaires allemands, et tout aussi ferme dans la négociation du Brexit avec nos amis et alliés britanniques.
Comme le Gouvernement, notre groupe réunit des progressistes de tout bord : des radicaux, des socialistes, des membres du parti Les Républicains, à l’instar de notre président, Gilbert Barbier, que je salue – je salue également Jacques Mézard, notre ancien président –, et des personnalités de gauche très connues comme Robert Hue et Pierre-Yves Collombat.
Ce groupe étant pluraliste, une minorité de nos membres ne partage pas la position que je viens d’exprimer. Pour rapporter leur position, j’indiquerai qu’ils considèrent votre politique comme une continuité des politiques antérieures et doutent qu’elle permette de sortir le pays de sa langueur économique.
Le RDSE, plus vieux groupe du Sénat, héritier des grandes traditions républicaines, va donc majoritairement vous soutenir, monsieur le Premier ministre,…
M. Alain Gournac. C’est un peu long !
M. Alain Bertrand. … et spéculer sur votre réussite. Nous voulons, nous aussi, redonner confiance et « une place à chacun des Français et à chacun des territoires ».
M. le président. Attention au dépassement du temps de parole !
M. Alain Bertrand. Je conclus, monsieur le président.
La République est un idéal partagé. Nous serons à vos côtés et, à l’heure où les Français demandent de l’efficacité et des résultats effectifs, peut-être devrez-vous faire preuve d’adaptabilité. Mais ensemble, nous pouvons réussir.
C’est ce que le RDSE souhaite pour le président Macron, pour votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, pour la France et pour les Français. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe La République en marche. – Mme Michèle André et M. Didier Guillaume applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le quinquennat qui démarre doit être utile et tant le discours de politique générale entendu hier que les propos tout juste tenus nous donnent bon espoir que ce soit le cas. De toute façon, nous n’avons plus le choix !
Aussi, le groupe Union Centriste ne souhaite qu’une chose : le succès du Gouvernement et la réussite de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Richard Yung applaudit également.)
Nous le souhaitons d’autant plus que le projet porté par le Président de la République et le Gouvernement est globalement conforme aux valeurs centristes.
Pour que ce quinquennat réussisse, des réformes structurelles s’imposent, celles-là mêmes qui, trop souvent, ont été ajournées, différées, diluées. Force est de le reconnaître : ces réformes sont à l’agenda du Gouvernement, selon des modalités qui suscitent, certes, des interrogations ou qui appelleront de notre part des propositions.
Mais, dans ses grandes lignes, monsieur le Premier ministre, nous souscrivons au programme présenté.
Dans les quelques minutes qui me sont imparties, il m’est impossible d’embrasser un champ aussi large que celui que vous avez balayé entre hier et aujourd'hui. Nous aimerions aussi pouvoir parler de santé, de retraite, de handicap, de numérique, d’outre-mer, de culture, de sécurité ou d’innovation, sujets sur lesquels nous nous rejoignons très souvent.
Je me concentrerai donc sur les réformes qui, à nos yeux, sont les « réformes socles ».
Ces mesures sont de deux ordres.
Les premières parent au plus urgent. En effet, l’état d’urgence n’est pas seulement sécuritaire ; il est aussi économique et social : nous devons relancer la croissance et l’emploi.
La France ne peut rester plus longtemps à la traîne d’une reprise qui s’est intensifiée partout ailleurs.
Pour répondre à ce défi, nous pensons comme vous, monsieur le Premier ministre, qu’il faut alléger les charges pesant sur la production et flexibiliser les conditions d’emploi.
Mais pourquoi avoir choisi d’augmenter la contribution sociale généralisée, la CSG, plutôt que la taxe sur la valeur ajoutée, la TVA, pour compenser la baisse des charges sociales ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Bonne question !
M. François Zocchetto. Est-il opportun de faire payer le retraité français plutôt que l’exportateur chinois ? Voilà le type d’interrogations que nous avons aujourd'hui et que nous soulèverons lors du débat à venir, dans quelques jours.
En contrepartie de la flexibilisation du droit du travail, nous devons garantir des droits aux salariés tout au long de leur vie professionnelle, en particulier en matière de formation.
Mais là encore, une question se pose : peut-on réformer la formation professionnelle sans traiter du problème de fond, tabou s’il en est, du financement du syndicalisme salarial et patronal ?
Mme Catherine Troendlé. Absolument !
M. François Zocchetto. La relance de notre économie est également conditionnée par la maîtrise de nos comptes publics.
Le rapport de la Cour des comptes, comme vous-même, monsieur le Premier ministre, vient encore de rappeler que nous n’en avions pas fini avec les déficits ! Rien de surprenant pour nous, puisque, au Sénat, nous avions massivement dénoncé l’insincérité du budget pour 2017 ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur la plupart des travées du groupe Les Républicains.)
Il n’y aura pas de retour de la croissance et de l’emploi, pas de rétablissement des marges de manœuvre de l’État, ni d’efficacité de la dépense publique sans assainissement des comptes publics.
La technique du rabot a montré ses limites depuis plusieurs années. C’est la raison pour laquelle notre groupe vous accompagnera dans les efforts courageux, notamment de maîtrise de la masse salariale de la fonction publique, que vous avez annoncés.
Mais il faut aussi revoir en profondeur le périmètre de l’action de l’État, d’où cette question, encore : pourrons-nous le faire sans s’interroger sur l’évolution des statuts de la fonction publique, qu’elle soit d’État ou territoriale ?
Il y va aussi de notre crédibilité européenne. N’oublions pas qu’avec l’Espagne, la France est le dernier pays de la zone euro encore sous le coup d’une procédure pour déficit excessif. À l’heure de la relance du couple franco-allemand, cette situation est inacceptable.
C’est justement à l’échelle de l’Union européenne que nous devons prioritairement agir.
Là réside sans doute l’un de nos principaux points communs avec le Gouvernement : au sein du groupe Union Centriste, nous sommes fondamentalement européens. Nous sommes pour une Europe plus forte, mieux intégrée, une Europe qui protège, et ce même si le dernier Conseil européen a démontré à quel point la tâche était ardue en la matière.
Nous avons aussi besoin d’une Europe à l’offensive pour défendre les intérêts communs de ses membres, sans agressivité et sans naïveté. C’est à ce prix que nous pourrons réconcilier les Français avec l’Europe.
Telles sont, selon nous, les conditions du rétablissement de la situation présente, ce qu’il est urgent et indispensable de faire.
Mais il nous faut aussi réformer pour garantir l’avenir.
Je dirai deux mots sur l’enjeu vital que représente l’environnement.
En matière d’écologie, l’entrée de Nicolas Hulot au Gouvernement a donné, c’est vrai, un signal encourageant, signal relayé par la détermination du chef de l’État sur les accords de Paris et par son engagement à défendre le pacte mondial pour l’environnement.
Nous ne pouvons que saluer ces intentions. Toutefois, pour parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050, il faudra bien trancher la question de l’évolution de la filière nucléaire, ce qui nécessitera ambition, mais aussi pragmatisme. Il faudra être clair en la matière !
L’école représente, bien entendu, un autre enjeu pour l’avenir de notre pays.
De longue date, ici, nous avons appelé de nos vœux une revalorisation réelle des filières professionnelles et l’effacement du mur entre la formation initiale et la formation continue, mur qui semble parfois infranchissable.
À nouveau, je soulèverai quelques interrogations car l’équation budgétaire en matière d’éducation nous semble encore incertaine. Comment allez-vous accompagner les collectivités pour, soit revoir les rythmes scolaires, soit maintenir la semaine de quatre jours et demi ? Comment seront financés les redéploiements d’enseignants sur les réseaux d’éducation prioritaire renforcés ?
Nous sommes d’accord avec vous sur le fait que les efforts à fournir dans les enseignements primaire et secondaire doivent contribuer à compenser les inégalités socioculturelles entre les élèves, afin d’obtenir de meilleurs résultats jusqu’au baccalauréat et au-delà.
L’idée selon laquelle un meilleur accompagnement de tous les élèves en début de parcours permet d’obtenir de meilleurs résultats ensuite nous est apparue dans vos propos, tels que nous les avons compris. Si elle se confirme, vous pourrez compter sur l’appui de notre groupe sur ce point.
Enfin l’avenir, et nous vous remercions de l’avoir mentionné dans cet hémicycle, c’est évidemment celui de nos territoires.
À cet égard, je me permets de signaler que vous comptez dans votre gouvernement, à vos côtés, notre ancienne collègue du groupe Union Centriste Jacqueline Gourault, qui est une spécialiste de cette question.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Eh oui !
M. François Zocchetto. S’agissant des territoires, nous ne pouvons que soutenir les lignes de force de votre action : expérimentation, liberté, réduction du millefeuille, délégations entre collectivités, couverture numérique, lutte contre les déserts médicaux. Ce sont aussi les nôtres, ici au Sénat, depuis des décennies !
Mais au-delà des déclarations d’intention, il n’est jamais aisé de les concrétiser. Combien de fois a-t-on malheureusement complexifié en voulant simplifier ? C’est avec cette préoccupation en tête que nous vous accompagnerons dans les travaux de la conférence des territoires.
Une inquiétude concernant la suppression de la taxe d’habitation, que vous avez évoquée : cette suppression ne distendra-t-elle pas le lien entre les élus et leurs administrés ? (M. Philippe Dallier s’exclame.)
M. Henri de Raincourt. C’est sûr !
M. François Zocchetto. Comme nous tous ici, vous avez l’expérience de la vie locale. Nous soumettons donc à votre appréciation la nécessité de conserver ce lien – s’il n’existe plus au travers de l’impôt, il faudra trouver autre chose – car les exigences des administrés, bien que légitimes, ne peuvent pas être toutes satisfaites.
Nous ne demandons pas seulement des compensations ; nous demandons plutôt des recettes dynamiques et pérennes. C’est cela qui permettra d’assurer l’autonomie, que vous avez rappelée voilà quelques instants, des collectivités locales.
Vous l’aurez compris, monsieur le Premier ministre, sous réserve de ces interrogations, des propositions que nous formulerons et du traitement qui leur sera réservé, nous abordons ce quinquennat avec confiance, et avec la conviction d’un quinquennat enfin utile. Ce ne sera pas facile tous les jours ; permettez-moi donc de vous souhaiter bonne chance ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et La République en marche. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Guillaume. Monsieur le Premier ministre, après le cap fixé par le Président de la République lundi, à Versailles, vous êtes entré dans les détails de la politique gouvernementale, présentant une action que vous avez souhaité articuler autour d’un triple axe : rassembler les Français, les protéger et préparer l’avenir de notre pays.
Ces objectifs vous honorent et je crois qu’il ne viendrait à l’idée de personne, dans cet hémicycle, de les renier.
Vous venez d’évoquer un certain nombre de sujets : l’égalité des chances, le bicamérisme, la revitalisation des territoires, la future conférence des territoires. Tout cela nous convient.
Mais je voudrais insister sur la question des territoires ruraux en souffrance. Les technocrates, géographes et autres penseurs qui n’ont jamais mis un pied au-delà du boulevard périphérique utilisent l’expression « la France périphérique » pour les désigner. C’est une insulte à tous les Français qui vivent dans ces territoires. (M. Jean-Claude Carle opine.)
Aussi, monsieur le Premier ministre, je vous demanderai, de grâce, de ne pas employer ces termes lors de la conférence des territoires. Les habitants de l’Aisne, de la Haute-Savoie, des Pyrénées-Atlantiques ou du Pas-de-Calais sont des Français comme les autres. Ce ne sont pas des habitants de la France périphérique, non, mais des chefs d’entreprise, des artisans, des commerçants ou encore des chômeurs (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Christine Prunaud applaudit également.) qui souffrent et peinent à se déplacer.
Vraiment, essayons de nous défaire de tous ces termes technocratiques et de toute cette technostructure dont la France regorge ! Mettons du pragmatisme dans la vie de nos territoires !
Si tel est le cas, monsieur le Premier ministre, nous vous suivrons toutes et tous.
Vous avez annoncé des intentions ; passons aux actes.
À Versailles, a été annoncée une volonté de légiférer moins. J’ai pourtant cru comprendre que vous aviez de nombreux textes de loi dans vos cartons… Il faudra être attentif sur ce point puisque nous devons légiférer moins et mieux !
Dans leur immense majorité, les sénateurs socialistes et républicains, souhaitant la réussite de la France, appellent de leurs vœux celle de votre gouvernement. Ils ne se placent pas dans l’opposition et entendent vous accompagner. En effet, certains l’ont dit avant moi, nous n’avons plus aucune autre chance ! (M. Philippe Dallier s’exclame.) Il faut que vous réussissiez et, pour cela, nous devons aussi avancer ensemble.
Votre programme repose sur trois objectifs ; je fixerai trois exigences pour ce travail commun : une exigence de justice sociale, une exigence économique, une exigence européenne.
S’agissant de l’exigence de justice sociale, vous avez avancé, dans votre discours de politique générale, de nombreuses mesures visant à améliorer la santé et l’inclusion, ainsi que des mesures de lutte contre la pauvreté. Nous ne pouvons qu’approuver votre démarche, sur laquelle nous reviendrons, néanmoins, dans les semaines qui viennent.
Toutefois, ce matin, dans Le Quotidien du médecin, votre ministre de la santé a émis des interrogations sur la pérennité du tiers payant.
Mme Catherine Procaccia. Avec raison !
M. Didier Guillaume. Je veux donc dire très clairement, au nom de mon groupe, que le tiers payant est une belle mesure de justice sociale et d’équité républicaine, permettant désormais à chacun de se soigner. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Roland Courteau. Il fallait le rappeler !
M. Didier Guillaume. Il importe vraiment, monsieur le Premier ministre, que vous veilliez à ce que ce tiers payant puisse se généraliser, car il permet aux plus pauvres d’entre nous de pouvoir aller consulter un médecin.
La justice sociale ne repose pas que sur l’établissement de nouvelles mesures sociales. Elle est aussi une ligne de conduite.
À cet égard, je vous l’ai dit, nous serons vigilants sur deux points particuliers : la réforme du code du travail et le pouvoir d’achat des Français.
Sur le premier, vous avez souhaité légiférer par ordonnances et, s’agissant ici d’une annonce faite à l’occasion de la campagne présidentielle, vous disposez de l’aval du peuple français pour le faire.
Les ordonnances ne me gênent pas en leur principe, mais il faut évidemment savoir ce qu’elles contiendront. La transparence doit être totale, afin que nous puissions voter en toute connaissance de cause.
S’agissant du fond de la réforme du code du travail, vous avez évoqué la sécurisation des parcours professionnels.
Il s’agit pour nous d’un point essentiel de la prochaine réforme. Il ne peut y avoir d’assouplissement de certaines règles sans contrepartie forte en termes de protection des travailleurs.
La précédente majorité avait créé le compte personnel d’activité. Ce n’est qu’une étape ! Il faut continuer !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Didier Guillaume. Il faut absolument faire en sorte que cette réelle avancée en matière de sécurisation du parcours des travailleurs perdure.
De même, le compte prévention pénibilité, peut-être difficile à mettre en œuvre (Mme Catherine Deroche s’exclame.), doit être maintenu et amélioré si besoin est.
En tout état de cause, monsieur le Premier ministre, nous souhaitons qu’un point d’étape précis des négociations sociales soit réalisé le plus rapidement possible, afin que nous ayons une vue d’ensemble des ordonnances avant le vote de l’habilitation.
Le deuxième point est le pouvoir d’achat des Français.
Nous saluons l’augmentation annoncée de la prime d’activité, le coup de pouce aux salaires et la suppression des cotisations sociales. Mais permettez-nous une remarque : nous pourrons certes soutenir – sans réserve, en ce qui me concerne – l’augmentation de la CSG en parallèle de la baisse des charges, mais nous nous opposerons à cette augmentation pour les retraités et les personnes âgées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Il n’est pas possible que les retraités moyens soient taxés dans ce cadre-là. Il faut impérativement pouvoir y revenir.
Vous avez précisé à l’instant le calendrier de la suppression de la taxe d’habitation. C’est l’impôt le plus injuste. Cela fait un demi-siècle que les bases n’ont pas été revalorisées, personne n’ayant eu le courage de le faire. Elles ne le seront donc jamais. Aussi, la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % de nos concitoyens est une bonne réforme.
M. Alain Gournac. Pas pour les collectivités locales !
M. Didier Guillaume. Il faut évidemment penser aux contreparties pour les collectivités locales, mais je pense aussi aux 36 millions de Français qui gagneront en pouvoir d’achat grâce à cette mesure. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche.)
Notre deuxième exigence concerne l’économie. Nous partageons votre volonté d’améliorer la compétitivité des entreprises françaises. Vous avez évoqué le CICE. Vous avez aussi mis sur la table votre sérieux budgétaire. Très bien !
C’est au nom de ce même sérieux budgétaire que nous souhaitions examiner ici l’hiver dernier le budget de la Nation, ce que la majorité sénatoriale a refusé, préoccupée par d’autres choses…C’est bien dommage. Puisque certains membres de la majorité sénatoriale ont évoqué l’audit de la Cour des comptes, j’aurais aimé qu’ils nous disent, en décembre dernier, ce qu’ils auraient fait de mieux, ce qu’il aurait fallu changer, ce qu’il aurait fallu faire différemment ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République en marche. – Vives exclamations et protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ce n’est pas la peine de siffler, mes chers collègues !
En 2012, 5 % de déficit, contre 3,2 % en 2017 : c’est peut-être de la mauvaise gestion, mais la dette a baissé entre-temps ! (Protestations redoublées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Dominique Bailly. C’est pourtant la vérité !
M. Didier Guillaume. Madame la présidente de la commission des finances, si vous en êtes d’accord, vous devriez auditionner Christian Eckert. (Exclamations ironiques sur les mêmes travées.)
Nous ne tomberons pas dans le piège de la caricature des finances publiques que l’on nous tend, et je n’accepte pas que l’on prenne en otage l’ancien secrétaire d’État chargé du budget sans qu’il puisse s’exprimer. Ceux qui ont assisté à la réunion de la commission des finances ont pu s’apercevoir que de très nombreux sénateurs sont intervenus dans le même sens auprès du Premier président de la Cour des comptes.
Monsieur le Premier ministre, vous souhaitez faire des économies : nous vous soutiendrons. Baisser la dépense publique, oui ! Mais maintenir les services publics, trois fois oui ! On ne peut pas réduire les budgets de fonctionnement et réduire les services publics.
Notre troisième exigence, c’est l’exigence européenne.
Sur ce point, le Président de la République est très clair depuis son élection : comment rapprocher l’Europe des peuples ? Comment faire que les peuples retrouvent confiance dans l’Europe ? Sans doute en donnant un projet politique ambitieux aux institutions. C’est un enjeu majeur, que notre groupe veut accompagner.
Lundi, à Versailles, comme à chaque occasion depuis son élection, le Président de la République a prononcé un plaidoyer dans ce sens. Il faut le soutenir, il faut aller plus loin, sur les questions de défense, sur la protection sociale, sur les travailleurs détachés, sur la zone euro. La liste est longue.
Démontrons à nos concitoyens que l’idéal européen est toujours notre horizon. L’Europe qui protège ses peuples sera la plus belle Europe possible.
Monsieur le Premier ministre, vous ne demandez pas aujourd’hui au Sénat un vote de confiance, mais ayez confiance dans notre vigilance et sachez notre exigence pour faire réussir notre pays et mieux protéger les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du groupe La République en marche et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, lundi dernier, devant le Congrès, le Président de la République a dit une chose assez juste : « Il y a en chacun de nous une part de cynisme, contre laquelle il faut lutter. »
Disant cela, il appelait les parlementaires à agir, sans arrière-pensée, dans le seul intérêt du pays.
Alors chiche, monsieur le Premier ministre !
Mais pour cela, il y a des préalables.
Le premier, c’est le respect de l’opposition.
Ni à gauche ni à droite (Vive le centre ! sur certaines travées du groupe Union Centriste.) nous ne sommes les deux bouts de l’omelette qu’il s’agirait de réduire pour ne conserver que la partie centrale, fût-elle importante aujourd’hui.
Contrairement à certains, je ne vois ici, sur toutes les travées, que des représentants de la Nation. Il n’y a pas d’un côté des constructifs,…
M. Philippe Dallier. … de l’autre des démolisseurs ; il n’y a ici que des parlementaires disposant du droit et du devoir de contrôler l’action du Gouvernement, du droit d’amendement des textes, du droit de proposer des lois.
Ces droits, nous entendons les exercer pleinement.
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. Philippe Dallier. Le second préalable, c’est le respect des Français et de la parole donnée.
Nous sortons de deux campagnes électorales qui auraient dû être l’occasion, pour les candidats, de dresser un état des lieux objectif de la situation du pays.
Nous savons maintenant ce qu’il en est.
D’ailleurs, je suggère qu’à l’avenir nous demandions à la Cour des comptes un audit six mois avant les élections, et non pas juste après pour justifier, à peine élu, l’abandon du calendrier des promesses électorales.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Philippe Dallier. Pourtant, le candidat Emmanuel Macron était l’un de ceux qui pouvaient le moins ignorer cette situation, pour avoir été, pendant quatre années, au cœur du pouvoir.
Certes, il a plaidé pour le rétablissement de nos comptes publics et l’inversion de la courbe de la dette, qui va finir par nous entraîner par le fond.
Certes, il a posé le problème de la compétitivité de nos entreprises et annoncé une hausse de la CSG – ce n’était pas notre choix – pour financer des baisses de charges, pour les entreprises comme pour les salariés, et la fin du CICE dès 2018.
Certes, il a proposé 60 milliards d’euros d’économies, mais sans jamais entrer dans le détail.
M. Alain Vasselle. C’est exact !
M. Philippe Dallier. Vous ne l’avez pas fait davantage, monsieur le Premier ministre.
Pour le reste, les Français ont eu droit à une liste de promesses toutes plus sympathiques les unes que les autres, jusqu’à, cerise sur le gâteau, la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % d’entre eux, ce qui coûtera 10 milliards d’euros par an.
Sur l’équilibre de notre système de retraite, aucun besoin, disait Emmanuel Macron en campagne, de toucher à l’âge de départ à la retraite. On unifierait les différents régimes sans toucher au montant des pensions, et les conséquences de tout cela seraient reportées au-delà de cinq ans, soit après 2022, ce qui doit être une heureuse coïncidence de calendrier…
Seulement voilà, patatras ! Le Conseil d’orientation des retraites vient de le contredire, réaffirmant que, sans nouvelle réforme, la situation continuerait de se dégrader, ce qui reporte aux calendes grecques le règlement du problème.
La semaine dernière, la Cour des comptes a rendu son audit dénonçant un dérapage de 8 milliards à 9 milliards d’euros du budget 2017, rappelant combien la situation de nos comptes publics est dégradée, laissant la France à la remorque de quasiment tous les pays européens.
Monsieur le Premier ministre, vous nous avez surpris en feignant de piquer une colère et en vous exclamant : « Comment cela ? On nous avait donc caché des choses ? »
Ainsi, nous aurions un Président de la République et un Premier ministre qui découvriraient ce que tous les parlementaires savaient…
Vous pourrez raconter cela aux néophytes de l’Assemblée nationale, qui croiront peut-être que vous ne saviez pas, mais ceux qui ont un peu d’expérience, en particulier ici, savent ce qu’il en était.
Monsieur le Premier ministre, vous étiez pourtant, comme M. le ministre de l’économie et des finances, membre du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale. Or notre excellent collègue Gilles Carrez, alors président de la commission des finances, avait, à l’automne dernier, alerté sur l’insincérité du budget 2017. Je ne doute pas qu’à l’époque vous l’écoutiez avec attention.
Ici même, au Sénat, notre rapporteur général, Albéric de Montgolfier, avait fait de même et la majorité sénatoriale avait repoussé ce budget, refusant de l’examiner en séance – mais pas en commission –, car jamais nous n’avions vu budget aussi insincère.
Aujourd’hui, alors que la Cour des comptes ne fait que confirmer notre analyse – dans son rapport, Albéric de Montgolfier annonçait un déficit à 3,2 % du PIB –, vous feignez de vous en étonner et vous sautez sur l’occasion pour justifier, déjà, le décalage de certaines baisses d’impôts et de charges.
N’y aurait-il pas là un peu de cynisme, un manque de respect envers les Français et la parole donnée ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je pense que nos concitoyens l’ont bien compris : la hausse de la CSG et du prix du tabac, c’est pour tout de suite ; les baisses d’impôts et de charges, ce sera pour plus tard.
La première décision de tout gouvernement constatant une telle situation aurait dû être de présenter un collectif budgétaire, dans l’esprit de la LOLF. Vous vous y refusez.
L’urgence, c’est une trente-deuxième loi de moralisation de la vie publique…
Vous allez donc tenter de contenir le déficit 2017 à coup de nouveaux gels ou de surgels de crédits – Didier Migaud nous a dit lors de son audition que le congélateur était plein et qu’il fallait en finir avec ces pratiques. Elles ne sont en effet pas acceptables, car elles dessaisissent la représentation nationale de ses prérogatives. Nous espérons que tout cela ne se terminera pas par des reports de charges, qui ne feraient qu’aggraver le problème en 2018…
Pour autant, on comprend bien que, pour vous, cette technique a l’immense avantage d’éviter un débat devant le Parlement, et donc devant les Français. Je pense que vous faites là une erreur.
Autre sujet de préoccupation, particulièrement ici au Sénat : vos annonces concernant les collectivités locales.
On avait cru comprendre, d’après ce qu’avait dit Emmanuel Macron au cours de la campagne, qu’il n’y aurait plus de baisses des dotations de l’État, le Président souhaitant en contrepartie une baisse de nos dépenses de 10 milliards d’euros.
Je n’ai toujours pas compris comment cela était possible. Comment le Gouvernement peut-il imposer des baisses de dépenses aux collectivités locales ? Il peut imposer des baisses de recettes, mais vous dites que vous ne le ferez pas.
La suppression annoncée de la taxe d’habitation pour 80 % des Français pose un vrai problème, peut-être même constitutionnel.
La taxe d’habitation est, avec la taxe foncière, la dernière ressource propre des communes.
M. Alain Gournac. C’est vrai !
M. Philippe Dallier. Couper ce lien fiscal entre le citoyen et sa commune, c’est d’un côté amoindrir la responsabilité des élus, leur ôter tout pouvoir de taux, et de l’autre entamer un peu plus l’autonomie financière de ce qui reste, n’en déplaise à certains, la cellule de base de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Chacun reconnaît que les modes de calcul de la taxe d’habitation comme de la taxe foncière sont obsolètes et profondément inéquitables. Voilà pourquoi il est urgent de mener à bien la réforme des valeurs locatives : si le système est injuste, vous ne pouvez pas le faire perdurer pour 20 % des contribuables, d’autant que la taxe foncière est assise sur les mêmes bases.
M. Henri de Raincourt. Tout à fait !
M. Philippe Dallier. Il nous faut donc cette réforme des valeurs locatives ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe Union Centriste.)
Il faut également engager une véritable réforme de la dotation globale de fonctionnement, que le gouvernement précédent n’a pas pu mener à bien, et de l’ensemble des dotations de péréquation, car il n’est plus possible de toucher à l’une sans toucher aux autres.
Monsieur le Premier ministre, après la baisse de 11 milliards d’euros des dotations que nous avons subie depuis 2014, les élus locaux sont encore prêts à des efforts mesurés, mais ils ne veulent pas se trouver sous perfusion de dotations d’État, dont on sait qu’elles finissent toujours par être la variable d’ajustement de tout le reste, pas plus qu’ils ne veulent d’un nouveau big-bang institutionnel.
Les élections présidentielles et législatives ont une nouvelle fois mis en évidence la double fracture, territoriale et sociale, qui traverse notre pays.
Non, la France ce n’est pas, d’un côté, ceux que l’on croise dans le métro et qui auraient réussi leur vie, et, de l’autre, ceux qui ne seraient « rien », comme l’a maladroitement déclaré le Président de la République.
Mme Nicole Bricq. Oh !
M. Philippe Dallier. S’il ne le pense pas, il l’a dit !
Mme Françoise Cartron. Arrêtez !
M. Philippe Dallier. Il y a bien une France qui ne va pas trop mal, qui profite des opportunités de la mondialisation : celle des cadres, des CSP+, des centres-villes, des métropoles, des régions qui voient leur population augmenter.
Puis il y a une France rurale, celle des agriculteurs qui peinent à se payer un salaire, celle des territoires en voie de désertification, mais aussi la France des banlieues en difficulté, celle des ouvriers qui voient la désindustrialisation se poursuivre, La France de tous ceux qui se sentent les perdants de la mondialisation.
L’écart entre ces deux France n’a jamais été aussi grand et continue de se creuser.
À ceux qui ne voient, dans le résultat de la présidentielle et, peut-être plus encore, dans celui des législatives, que le triomphe d’une nouvelle génération d’élus sur l’ancienne, je dis : prenez garde !
Jamais autant de Français – ils ont été 40 % au premier tour de la présidentielle – ne s’étaient tournés vers des candidats proposant de renverser la table.
Jamais autant de Français ne s’étaient abstenus pour des élections législatives.
C’est autant à eux – et peut-être plus à eux qu’aux autres – que vous devez répondre, monsieur le Premier ministre. Votre responsabilité est immense et vous n’avez pas le droit à l’erreur.
Quant à nous, comme la majorité sénatoriale l’a toujours fait, nous assumerons nos responsabilités, dans le calme et la sérénité.
Si vos décisions nous semblent aller dans le bon sens, nous vous accompagnerons ; si c’est l’inverse, bien évidemment nous nous y opposerons.
C’est aussi cela une démocratie : une majorité et une opposition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.
M. David Rachline. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, vous ne serez pas surpris si je vous dis qu’après trois discours nous ne sommes toujours pas convaincus que la politique que vous nous proposez va résoudre les problèmes qui touchent nos compatriotes – insécurité, immigration subie et chômage de masse, pour ne prendre que les trois plus importants – et qu’elle risque également d’aggraver la dissolution progressive de notre pays et de notre civilisation dans un magma mondialisé.
Après un discours présidentiel totalement déconnecté de la réalité vécue par l’immense majorité des Français, nous avons celui d’un gestionnaire, comme si l’action politique se limitait à une simple vision comptable ! Il faut dire que, dans ce domaine, la situation n’est pas brillante, après les deux derniers quinquennats, la dette de notre pays ayant bondi de 600 milliards d’euros sous M. Sarkozy, alors soutenu par votre famille politique d’origine, monsieur le Premier ministre, et de 340 milliards d’euros sous M. Hollande, dont l’actuel Président de la République a été le conseiller puis le ministre.
Après une décennie d’austérité imposée par l’Union européenne, vous nous proposez la même chose ! Il faut dire que, n’ayant pas récupéré une once de souveraineté, vos leviers d’action sont bien limités.
Ainsi, votre objectif est non pas de faire baisser le chômage, qui touche plusieurs millions de nos compatriotes, mais d’abord de respecter la règle maastrichtienne des 3 % pour obéir aux commissaires bruxellois.
Les caisses sont vides ? Qu’à cela ne tienne, vous augmentez les impôts : CSG, cigarettes, diesel ! Certes, vous patinez certaines hausses de bons sentiments, mais en réalité le but est juste de faire rentrer de l’argent sans avoir à changer de modèle.
Et ce sont encore les classes moyennes qui vont subir de plein fouet cette austérité.
Quant aux différentes promesses pour le pouvoir d’achat, aux baisses de charges pour les entreprises, notamment les TPE, à la défiscalisation des heures supplémentaires, on verra plus tard !
La vérité est que vous devez attendre que la Commission européenne donne son feu vert.
En revanche, certains lobbys se frottent les mains, l’industrie pharmaceutique, par exemple, après que vous avez annoncé l’augmentation considérable du nombre de vaccins obligatoires.
Au fait, vous êtes-vous demandé pourquoi des maladies disparues de notre sol depuis longtemps refaisaient surface ? Il faut avoir le courage de dire que l’immigration massive est la meilleure piste de réponse… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Même au niveau européen, vous soumettez les Français à ces lobbys, si j’en crois la position récente de la France sur les perturbateurs endocriniens, première couleuvre pour le ministre d’État Hulot…
D’ailleurs, permettez-moi de relever que l’écologie a été bien vite balayée dans votre discours. Il faut dire que le combat écologique, qui doit être intégral, c’est-à-dire, environnemental, économique et social, se marie mal avec le modèle de développement que vous vous évertuez à défendre.
Pourtant, des mesures simples pourraient être prises : la mise en place du patriotisme économique pour les produits agricoles, le refus des traités de libre-échange ou encore la création d’une véritable filière d’énergies renouvelables, grâce à la priorité donnée aux entreprises nationales du secteur.
Autres grands absents de votre discours, et c’est extrêmement inquiétant : la sécurité et l’immigration.
Mme Éliane Assassi. Ah !
M. David Rachline. À part le fait de faire entrer un état d’exception, l’état d’urgence, dans le droit commun : rien ! Alors que, pour renforcer la sécurité de nos compatriotes, il y a tant de mesures à mettre en œuvre, notre droit vous donnant déjà pas mal de possibilités – par exemple appliquer l’article 411–4 du code pénal –, ou de mesures à prendre : contrôles systématiques aux frontières, fermeture de la centaine de mosquées radicales, expulsion des étrangers fichés S.
Sur l’immigration, et l’enchaînement n’est évidemment pas fortuit, n’en déplaise aux ténors du politiquement correct : rien non plus !
Enfin, comme tant d’autres avant vous, vous promettez une réforme du droit d’asile. J’étais encore enfant que votre mentor, M. Juppé, disait déjà la même chose.
Alors, c’est beau de parler d’accueil des migrants, mais, concrètement, on fait quoi ? Je crois que, pour leur dignité, il faudrait arrêter de leur mentir et prendre, comme l’Australie, des mesures drastiques…
Mme Éliane Assassi. C’est ça, l’asile ?
M. David Rachline. … afin de décourager ces personnes et les dissuader de risquer leur vie pour un avenir guère reluisant, et lutter beaucoup plus efficacement contre les passeurs, surtout quand ceux-ci sont déguisés en ONG !
Pas un mot non plus sur le communautarisme qui gangrène nos quartiers et qui fait que certains de nos compatriotes ne se sentent plus chez eux, une culture – voire une loi – étrangère ayant remplacé la civilisation française.
Mme Laurence Cohen. C’est une obsession, chez vous !
M. David Rachline. Concrètement, que faites-vous pour que dans les rues de notre capitale, une femme puisse se promener sans avoir à – je cite – « tenir son sac et baisser les yeux » ?
Avant de conclure, un mot sur une annonce discrète, mais symbolique.
Nous avons bien senti ici, dans cette chambre représentant les collectivités, que vous comptiez vous attaquer aux communes, symbole de notre pays, en les diluant davantage dans des intercommunalités, lesquelles se verraient d’ailleurs transférer de nouvelles compétences, et en enlevant encore aux maires certaines prérogatives.
Les Français sont attachés à leur commune et à l’image du maire, serviteur public de proximité. Soyez sûr que toute tentative de vous attaquer à ces symboles sera fermement combattue.
Vous marchez, mais vous ne savez pas vers où. La marche vous suffit. Mais le flou de votre discours, dans la lignée du flou de la campagne, risque de ne pas résister longtemps au monde réel. Soyez sûr que nous serons là pour vous rappeler la réalité et pour combattre toute mesure qui n’aura pas pour objectif de protéger nos concitoyens, de défendre les plus fragiles d’entre eux et de réarmer économiquement et moralement la nation française.
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République en marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche.)
M. François Patriat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, parce qu’il n’y aura pas d’état de grâce, parce que le Gouvernement doit réussir, monsieur le Premier ministre, vous pouvez être assuré du soutien que vous apportera, aujourd’hui et demain, durablement, le nouveau groupe sénatorial La République en marche.
Vous me permettrez de saluer l’initiative du Président de la République pour son adresse solennelle dès le début de la législature à toute la représentation nationale et, à travers nous, à tous nos concitoyens de l’Hexagone et d’outre-mer – les outre-mer sont particulièrement bien représentés au sein de notre groupe, ce dont je me réjouis.
Le soutien actif des sénateurs de La République en marche répond à trois motifs essentiels.
En premier lieu, monsieur le Premier ministre, vous avez parfaitement dissipé l’ambiguïté que certains voyaient ou feignaient de voir dans la succession rapprochée de deux interventions capitales, celle du Président de la République lundi et la vôtre hier. On avait même parlé d’effacement du Premier ministre au profit du Président.
Il y avait dans cette critique un double paradoxe.
Elle était émise par ceux qui se réclament volontiers du général de Gaulle et des institutions qu’il a données à notre pays. Or les deux têtes de l’exécutif ont donné une lecture parfaite de la Constitution, de sa lettre et plus encore de son esprit.
Il appartient au Président de fixer le cap, de proposer un horizon ; et il est de la compétence du Premier ministre de définir la politique à mettre en œuvre par le Gouvernement pour assumer cette ambition. C’est le partage des tâches auquel les Français sont légitimement attachés, et vous l’appliquez très exactement.
L’autre partie du paradoxe, nouveau reproche par anticipation adressé au Président, repose sur une accusation à l’égard d’un discours-programme très détaillé et concret qui entrerait dans votre compétence et non dans la sienne.
Sans trop de souci de cohérence, les mêmes ont adressé au Président, dès lundi soir, un reproche systématiquement inverse : il nous aurait livré une allocution trop vague, trop générale, trop « philosophique » – j’ai découvert, à cette occasion, que l’adjectif « philosophique » serait devenu péjoratif… Le Président Macron nous a en effet livré sa vision de la politique, une vision très élevée, exigeante, qui constitue bien une véritable philosophie du pouvoir.
Je répondrai à ces détracteurs systématiques que, philosophie pour philosophie, ils auraient dû relire, comme le Président l’a fait, Héraclite d’Éphèse, qui disait : « On n’entre jamais deux fois dans le même fleuve. »
Eh bien, mes chers collègues, on n’entend jamais deux fois le même discours.
Le vôtre, monsieur le Premier ministre, était dense, précis, concret et courageux ; c’est notre deuxième motif de soutien.
Je n’entrerai pas dans le détail de votre programme décliné hier : nous y avons retrouvé l’ensemble des promesses qui ont été émises par le Président de la République lors de la campagne pour l’élection présidentielle. Vous vous engagez à les tenir, vous avez montré le cap, exprimé la vérité en vue d’obtenir des résultats concrets et rapides dans les domaines de la sécurité, de l’économie, de la santé, de l’éducation, du logement, de la transition écologique ou encore de l’aide aux plus démunis.
Oui, c’est un fait politique nouveau : le Gouvernement tiendra les engagements qu’il a pris. Nous vous accompagnerons, même quand il faudra rechercher l’adhésion du pays dans la réalisation du programme, courageux et indispensable, de réduction de la dépense publique et du déficit que vous avez annoncé.
En troisième lieu, nous avons apprécié dans vos propos le rappel des grands principes de la méritocratie républicaine à propos de l’école, de l’université, de la formation professionnelle, de l’aide à la création d’entreprise.
Vous préférez le principe de justice à celui, théorique, de l’égalité, car ce mot est source de malentendu. Nous voulons l’égalité des droits et des chances quand d’autres rêvent de l’égalité des situations, qui est toujours hélas ! synonyme de nivellement par le bas.
Nous sommes, au sens propre, d’une autre école. Aidés par les meilleurs élèves, nos maîtres tendaient la main aux plus faibles, aux moins favorisés pour les faire aller plus vite et plus haut. Telle est notre vision de l’avenir de ce pays. Nous voulons libérer toutes les initiatives et les projets de ceux, innombrables, dont les entreprises illustrent le génie particulier de ce pays. Et dans le même temps, la responsabilité des pouvoirs publics, de l’État, mais aussi des collectivités territoriales et de l’Europe sera de garantir aux autres l’égalité des chances. Nous voulons une société qui libère et qui protège.
Nous venons de vivre deux de ces grandes journées qui honorent une nation lorsqu’elle décide de ressembler au meilleur d’elle-même. Il est des révolutions – et ce sont les plus admirables – qui s’opèrent sans violence, simplement parce que la volonté des hommes libres s’oppose à la fatalité. D’autres avaient cru entendre un simple slogan, mais nous le voyons aujourd’hui : notre République est véritablement en marche.
L’exigence de nos concitoyens nous oblige, Gouvernement et Parlement, au volontarisme comme à la réussite. Nous, députés et sénateurs de La République en marche, devons être à la hauteur de ce moment.
Il est l’heure, mes chers collègues, de transformer notre République, de la moderniser, de la refonder, de lui donner un horizon, de bâtir une France nouvelle. Les Français doivent retrouver fierté et confiance. Le Président a défini un projet ambitieux pour notre nation. Nous sommes prêts et déterminés.
Déterminés à agir pour le vivre ensemble et l’intégration, la cohésion nationale. L’éducation et la culture sont au cœur de notre projet de société tout comme la laïcité, qui ne saurait plus longtemps être galvaudée pour être tantôt bouc émissaire, tantôt stigmatisation. La laïcité est le ciment de notre démocratie et la protéger est notre dessein.
Déterminés à lutter contre le chômage de masse, à former les plus éloignés de l’emploi, à moderniser et à simplifier le droit, à réformer l’assurance chômage pour en faire un droit universel, à améliorer le pouvoir d’achat de chacun.
Déterminés à moderniser notre économie grâce à une stratégie d’investissement ambitieuse dans tous les territoires urbains, certes, mais également ruraux. J’y tiens tout particulièrement.
Les territoires ultramarins ne devront pas être oubliés – vous les avez d’ailleurs cités, monsieur le Premier ministre. Pour ce faire, la France devra proposer un projet d’émancipation réelle des outre-mer, tout en reconnaissant leur légitimité à avoir des règles adaptées à leurs réalités locales, notamment un taux de chômage nettement supérieur à la moyenne nationale, en particulier chez les jeunes, et un coût de la vie plus élevé. Ils veulent l’équité pour pouvoir réussir là où ils sont dans la République.
Déterminés à mettre en œuvre un modèle de croissance réconciliant transition écologique, industrie du futur et agriculture de demain.
Déterminés à garantir la sécurité de nos concitoyens, à restaurer partout l’autorité de l’État, à affronter le terrorisme.
Déterminés à repenser notre démocratie, à développer la participation citoyenne, à garantir la respectabilité de nos élus.
Déterminés à défendre les intérêts de la France et à relancer le projet européen, celui d’une Europe qui protège et qui investit.
Ces chantiers sont nombreux pour bâtir cette France que nous appelons de nos vœux. Mais nous sommes des millions à vouloir la construire, pour donner des perspectives aux enfants de la France, la France des Lumières et des droits de l’homme.
Si nous soutenons sans réserve, monsieur le Premier ministre, votre gouvernement dans son action, c’est parce que les Français attendent qu’il réussisse et que la France fasse honneur à son histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC.
M. Pierre Laurent. Monsieur le Premier ministre, après l’allocution du Président de la République lundi, votre discours de politique générale et celui que vous venez de prononcer étaient censés nous détailler le grand renouveau que vous avez tant promis aux Français.
Nous avons beau tendre l’oreille, ce n’est pas le souffle du renouveau que nous entendons, mais des refrains usés, et la nouvelle orchestration n’y change rien.
Le macronisme était, paraît-il, une révolution. Versailles a remis les pendules à l’heure. Nous entendons plutôt une nouvelle synthèse, celle du sarko-hollandisme ou celle du hollando-sarkozysme,…
M. Roger Karoutchi. Laissez-nous tranquilles, nous n’avons rien fait ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Laurent. … c’est au choix : l’avenir tranchera.
Pour révolutionner notre politique, il aurait tout d’abord fallu envoyer un signal clair de rupture avec la dérive présidentialiste de notre régime : cet anachronisme qui consiste, au XXIe siècle, à concentrer toujours plus de pouvoirs dans les mains du seul Président de la République.
Il aurait fallu dire aux Français : « Nous allons vous rendre du pouvoir, instaurer de nouveaux droits d’intervention des citoyens dans toutes les décisions et de nouveaux droits des salariés dans les entreprises, pour que ce ne soient plus les seuls intérêts de la finance qui décident. »
Voilà qui aurait été une entrée en matière révolutionnaire !
Il aurait fallu adresser un signal de confiance au Parlement, et non une convocation à Versailles, un discours monarchique où le Président parle et, tel un monarque, se retire, non sans avoir signifié aux parlementaires qu’ils sont trop nombreux et laissé entendre que le Conseil économique, social et environnemental serait inutile.
Pour alimenter son moulin antiparlementaire et, ainsi, justifier la réduction du débat démocratique, le Président de la République a fustigé l’inflation législative. C’est l’hôpital qui se fout de la charité ! Nous avons combattu ici même un monstre législatif de 400 articles,…
M. Dominique Watrin. Eh oui !
M. Pierre Laurent. … tous écrits sous la dictée des intérêts patronaux, la fameuse loi Macron adoptée par 49.3,…
Mme Éliane Assassi. Exact !
M. Pierre Laurent. … celle qui, aujourd’hui, oblige à travailler le dimanche, qui autorise la privatisation de nos aéroports régionaux, qui facilite les licenciements, qui a affaibli l’inspection du travail, et j’en passe.
Oui, voilà des lois dont les Français ne voulaient pas.
Monsieur le Premier ministre, comptez donc sur nous pour résister à l’inflation législative produite par les lobbys des grands intérêts capitalistes et pour multiplier les propositions qui redonneront du pouvoir aux citoyens. Mais ne comptez pas sur nous pour faire allégeance à une dérive autoritaire de nos institutions.
Vous voulez d’ailleurs, pour commencer, casser le code du travail en nous privant du débat parlementaire qu’appelle un tel chantier. Nous voterons contre l’habilitation à procéder par ordonnances. Nous ne nous dessaisirons pas de notre pouvoir légitime de légiférer en la matière et nous ferons tout pour révéler aux Français le contenu de ces projets.
L’été, symbole des congés payés gagnés de haute lutte, n’est pas fait pour casser le code du travail dans le dos de ceux qui suent au labeur toute l’année et qui prennent alors un repos légitime. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Pierre Laurent. Pour rendre au pays l’espoir auquel il aspire, pour inventer un nouvel avenir social, productif et écologique, il ne faut pas, comme vous l’avez dit hier, désintoxiquer le pays de la dépense publique. Sous le quinquennat précédent, l’investissement public a chuté de 25 %, et pour quel résultat ?
En réalité, il faut désintoxiquer le pays de la finance, de la prédation des richesses communes par les exigences d’une rentabilité financière à courte vue.
Vous ne dites rien de l’évasion fiscale, qui coûte 80 milliards d’euros par an au pays, rien de la résolution votée sur notre initiative par l’Assemblée nationale pour une COP fiscale mondiale, rien de l’explosion des 500 premières fortunes professionnelles françaises, rien du rôle défaillant des banques et de leurs critères de crédit. Et vous parlez de moraliser la vie publique ! Mais l’indécence de l’argent crève les yeux, et c’est à elle qu’il faut s’attaquer.
Bien au contraire, vous proposez d’en rajouter, toujours prétendument au nom de l’emploi : allégement de l’impôt de solidarité sur la fortune, baisse de l’impôt sur les sociétés, transformation du CICE en baisse de cotisations patronales pérennes. Quant aux salariés et aux retraités, ils devraient, à l’inverse, subir les transferts des cotisations sociales vers une hausse massive de la CSG et le gel du point d’indice des fonctionnaires.
Le Président de la République et vous-même parlez de « ceux qui ne sont rien », de « ceux qui sont installés », de ceux qui ne devraient pas se résoudre à être des assistés. Mais savez-vous vraiment de qui vous parlez ?
Au total, neuf millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté à cause du chômage et de la précarité engendrée par le modèle économique actuel, que vous défendez.
Plutôt que de casser le code du travail, nous vous demandons d’inscrire à l’ordre du jour du Parlement notre proposition de loi pour une sécurité de l’emploi et de la formation.
De plus, nous vous demandons la convocation de deux grandes conférences sociales relatives, l’une, au relèvement des salaires et des qualifications, l’autre, à la lutte contre l’exclusion et la grande pauvreté, demandées par toutes les associations qui se consacrent à ces questions, pour définir des plans d’action cohérents et pluriannuels.
Oui, dans ce pays, on ne doit plus travailler pour un salaire de misère, on ne doit plus être expulsé de son logement parce qu’on ne parvient plus à le payer.
Dans votre discours d’hier, vous avez fustigé les aides au logement. Mais le pays manque cruellement d’aides à la construction de logements sociaux et accessibles à tous. Il manque cruellement de fonds publics dédiés à la rénovation thermique de l’habitat.
Attaquez-vous plutôt au détournement massif des fonds publics vers la promotion immobilière spéculative.
Monsieur le Premier ministre, pour répondre à l’espoir du pays, il faudrait également être audacieux en matière d’égalité.
Le temps est venu de nouveaux droits.
La France rend aujourd’hui hommage à Simone Veil. Soyons à la hauteur de l’audace qui fut la sienne et, quarante ans après la loi qui porte son nom, franchissons une nouvelle étape. Nous proposons qu’à la faveur de la réforme constitutionnelle qui s’annonce le droit à l’interruption volontaire de grossesse soit désormais inscrit dans notre Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
La cause des services publics est un autre pilier de la lutte pour l’égalité.
Vous n’annoncez aucun nouveau moyen pour l’école. En fait, vous encouragez un pragmatisme et une autonomie des établissements qui masquent la mise en cause de l’unicité de notre système éducatif. Ce faisant, vous renoncez à la lutte contre les inégalités.
En matière de santé, derrière vos annonces relatives aux vaccinations ou la promesse de meilleurs remboursements forfaitaires pour les lunettes ou les aides auditives, vous masquez la poursuite de restructurations hospitalières dévastatrices pour la couverture des besoins sanitaires. Comment allez-vous concilier le maintien de cette politique et les mesures que vous annoncez pour lutter contre les déserts médicaux ?
Ce qui aurait été réellement innovant, en rupture véritable avec les quarante dernières années, c’est un grand plan d’investissement pour les services publics, pour le développement industriel et pour la transition écologique.
Vous annoncez un plan de 50 milliards d’euros, une somme qui sonne rond, mais qui est bien dérisoire au regard des enjeux des années à venir. Ce n’est pas avec ce plan que l’on atteindra l’objectif de la neutralité carbone en 2050, d’autant que, dans le même temps, vous n’hésitez pas à prétendre abaisser de l’équivalent de 3 % du PIB les dépenses publiques, soit 65 milliards d’euros en moins et un véritable massacre en perspective…
Dans ces conditions, comment résonnent les mesures que vous nous annoncez pour l’avenir de nos territoires ?
Refusons le fossé qui se creuse, nous dites-vous. Soit, mais comment agir sans une ambition d’égalité sur tout le territoire, sans un moratoire immédiat des réductions de dotations et des fermetures de services publics pour que plus un seul habitant de notre pays, qu’il vive dans un quartier populaire, en zone rurale ou dans la périphérie des villes, ne se sente abandonné, délaissé, méprisé, tel un citoyen de seconde zone ?
Vous annoncez une conférence des territoires : parfait. Mais pour quoi faire ? Pour réduire à deux, sous les régions, les niveaux de collectivités, avez-vous dit. Traduisons : cela signifie ou la mort des départements, ou le regroupement massif de communes qui seraient d’ailleurs privées de leurs compétences d’urbanisme.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Pierre Laurent. Autrement dit, on assisterait à la généralisation d’intercommunalités et de métropoles appelées à grossir sans cesse et donc à détruire le maillage démocratique de notre territoire.
Conscient vous-même de l’impasse dans laquelle vous conduisez la plupart des communes, vous commencez à tergiverser quant à la suppression de la taxe d’habitation, ce pour une raison simple : vous ne savez pas comment compenser cette perte de revenus mortelle pour les communes.
Monsieur le Premier ministre, je vous alerte également quant aux assises de l’outre-mer. Les territoires ultramarins souffrent durement. Si ces assises restent sans résultat, la colère sera grande.
Il est temps d’entrer dans un nouvel âge, de donner aux collectivités d’outre-mer les moyens de maîtriser leur avenir, avec plus de responsabilités et plus de compétences, et avec un fonds de développement pour bâtir un projet durable et cohérent en matière sociale et écologique. Ne manquons pas ce rendez-vous avec l’histoire.
Enfin, être à la hauteur de l’époque serait faire de la France une grande messagère de la paix et de la solidarité dans le monde.
Au lieu de cela, vous nous annoncez l’inscription des dispositions de l’état d’urgence dans notre loi commune et une augmentation à 2 % du PIB des dépenses militaires. Par ces mesures, le Gouvernement entend se conformer aux injonctions de l’OTAN.
M. Pierre Laurent. N’est-ce pas là, d’ailleurs, la véritable raison de l’invitation de Donald Trump, le 14 juillet prochain, à Paris ? J’imagine que ce n’est ni sa volonté de fêter avec nous la prise de la Bastille…
M. Roger Karoutchi. Si, si ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Laurent. … ni son action révolutionnaire contre le réchauffement climatique qui lui vaut cette invitation. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Monsieur le Premier ministre, vous avez salué hier le courage tranquille des Français. C’est un de nos rares points d’accord. Comptez sur nous pour donner aux Français le courage de rêver et de continuer à agir pour un monde meilleur.
Hier, vous avez également employé le terme d’addiction. Pour notre part, c’est pour les Français que nous avons une addiction, et certainement pas pour les intérêts de la petite minorité des puissants ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à vous remercier de ce débat et à saluer la qualité de vos interventions.
Je remercie M. Bertrand du soutien exigeant qu’il a formulé au nom du groupe du RDSE ; M. Zocchetto de son soutien vigilant au programme du Gouvernement et de sa conclusion en forme d’encouragements ; M. Guillaume de sa vigilance et de son exigence, dont j’ai compris qu’elle pourrait peut-être prendre la forme d’un soutien… (Sourires sur plusieurs travées du groupe La République en marche et du groupe socialiste et républicain. – Mme Bariza Khiari applaudit.)
Je remercie également M. Guillaume de m’avoir permis de constater qu’entre les travées de cet hémicycle les échanges pouvaient prendre, en termes de chaleur, la forme qu’ils prennent sur les bancs de l’Assemblée nationale.
Je remercie M. Dallier d’avoir indiqué que tous les parlementaires sont des élus de la Nation – j’en suis moi-même profondément convaincu – et que le nom du groupe auquel ils appartiennent n’implique aucune exclusive, qu’ils se déclarent « constructifs » ou qu’ils choisissent tout autre terme.
Monsieur le sénateur, je suis tellement d’accord avec vous que j’ai été, à l’époque, le seul membre de ma famille politique à voter contre le choix du nom « Les Républicains ».
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. À mon sens, il ne fallait pas prétendre à l’exclusive en la matière. Je vous retrouve donc volontiers sur ce point ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, et sur quelques travées des groupes Union Centriste et Les Républicains.)
Je tiens à remercier M. Rachline de m’avoir dit qu’il n’était pas convaincu. Son propos ne m’a ni surpris ni consterné, tant nos différences sont assumées. (Exclamations amusées sur les mêmes travées.)
Mme Frédérique Espagnac. C’est plutôt rassurant !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je remercie également M. Rachline d’avoir mentionné ma qualité de maire : cela me permet de rappeler à la Haute Assemblée qu’avant d’être Premier ministre j’ai été, pendant sept ans, à la tête d’une ville de 175 000 habitants, d’une ville populaire, d’une ville qui, monsieur Laurent, a longtemps été dirigée par un maire membre du parti communiste, mais qui ne l’est plus, puisque j’ai eu l’honneur, après avoir été élu en 2010, d’être réélu au premier tour en 2014.
Monsieur Rachline, je le répète, il s’agit d’une ville pauvre, populaire, industrielle et fière de ce qu’elle est.
M. Daniel Raoul. C’est vrai !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cette ville connaît à la fois la dureté de l’histoire et la dureté des transformations économiques. Cette ville, c’est la mienne, j’en suis fier, et je vous remercie de m’avoir permis de le dire devant le Sénat.
Je remercie M. Patriat de son soutien carré, complet et sans réserve. (Applaudissements sur les travées groupe La République en marche.)
M. Gérard Longuet. Quoique récent !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je sais cependant qu’un tel soutien n’exclut ni l’exigence ni la vigilance.
Enfin, je remercie M. Laurent de l’opposition assumée, elle aussi carrée et complète, qu’il a exprimée en quelque sorte symétriquement au soutien formulé par M. Patriat. (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, de nombreux sujets ont été abordés. Pardonnez-moi si je ne réponds pas à toutes les questions posées : je me rassure en me disant que, au cours des mois et des années qui viennent,…
M. Roger Karoutchi. Nous nous reverrons !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … l’ensemble de ces sujets sera évoqué dans le détail. Nous pourrons ainsi approfondir point par point les thèmes que vous avez mentionnés aujourd’hui.
À ce stade, je dirai simplement quelques mots de la situation financière et budgétaire.
Le récent rapport de la Cour des comptes ne m’a pas mis en colère. Plus exactement, il ne m’a pas donné envie de rechercher des coupables, et je ne suis pas sûr qu’il nous faille rechercher des coupables. En tout cas, tel n’est pas le terrain sur lequel je me place.
Je vais même plus loin : à mon sens, nous ferions bien de commencer par assumer le fait que nous avons, en la matière, des responsabilités partagées.
Mme Bariza Khiari. Bravo !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. On peut dire que certains sont plus responsables que d’autres : peut-être. Cela étant, depuis 1974 – j’indique que je suis né en 1970 –, aucun gouvernement n’a voté un budget à l’équilibre. La France a connu des gouvernements de droite : ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient. La France a connu des gouvernements de gauche : ils ont probablement fait du mieux qu’ils pouvaient.
Il n’empêche que nous nous retrouvons dans la situation dans laquelle nous sommes, avec une dette publique qui s’est établie à 2 147 milliards d’euros à la fin de l’année 2016 et qui atteint probablement 2 200 milliards d’euros aujourd'hui, et des dépenses non financées à hauteur de 8 milliards d’euros pour l’année 2017.
J’observe, pour être parfaitement précis, que la Cour des comptes dit non pas que le déficit de l’année 2017 sera de 3,2 % du PIB, mais qu’il s’établira à ce niveau si nous prenons des mesures énergiques, ce qui signifie qu’il est en réalité au-dessus de 3,2 %.
On constate effectivement des dérapages, y compris au regard des prévisions les plus pessimistes qui avaient été formulées, notamment dans cette assemblée. J’insiste sur ce point, car la formulation choisie par la Cour des comptes n’est pas neutre : elle souligne la gravité de la situation.
Il y a, je le répète, 8 milliards d’euros de dépenses non financées.
À tout cela, j’ajoute le rapport du Conseil d’orientation des retraites. Je ne le mets pas en cause, mais je constate : alors que l’année dernière le COR fondait ses analyses sur des hypothèses qui lui permettaient de prévoir un retour à l’équilibre du système des retraites en 2025, ce même COR change ses hypothèses et estime depuis peu qu’en vérité le retour à l’équilibre doit plutôt être regardé comme pouvant être atteint en 2040…
Il y a une différence. On peut sans doute l’analyser et discuter du changement des hypothèses qui conduit à ce décalage de quinze ans. Enfin, cette différence, je la constate, et je me sens tenu d’apporter des réponses.
Nous ne faisons pas de collectif budgétaire. Nous indiquons que nous allons tenir, dès 2017, l’objectif de 3 %. Pourquoi 3 % ? Parce que c’est un engagement qui a été souscrit par la France – ni par la droite ni par la gauche, mais par la France.
Cet engagement a été pris depuis longtemps et, depuis longtemps, il n’est pas tenu, pour des raisons qui peuvent s’expliquer et qui peuvent même se justifier à certains égards.
Mais reconnaissons là aussi, tranquillement – entre nous, si j’ose dire –, que tous les pays confrontés aux mêmes difficultés que nous ont fait les efforts nécessaires pour revenir sous le seuil qu’ils avaient librement accepté de respecter vis-à-vis de leurs partenaires. Nous sommes les derniers, et ce n’est pas satisfaisant, non pas parce que l’hydre bruxelloise nous imposerait sa loi, mais parce que nous n’avons pas respecté les engagements que nous avons pris.
Chacun, dans cet hémicycle, voit bien les problèmes découlant du fait qu’un pays comme le nôtre ne tienne pas ses engagements et charge les générations à venir, nos enfants et nos petits-enfants, de la responsabilité de rembourser les dettes, c'est-à-dire ce que nous ne voulons pas payer pour nous-mêmes.
Nous avons donc décidé de respecter le seuil de 3 %, et nous avons décidé de le faire sans collectif budgétaire pour une raison simple : si nous avions ouvert un collectif budgétaire, nous aurions réglé le problème en augmentant les impôts. Je le dis non pas parce que je suis plus malin que les autres, mais tout simplement parce que c’est ce qui s’est toujours passé. Il est en effet plus facile de diminuer un déficit par une augmentation d’impôts, que l’on trouve toujours les moyens de justifier, que par une réduction des dépenses.
Pour 2017, nous nous sommes donné comme objectif de ne pas augmenter les impôts et de contenir le déficit en réduisant les dépenses. C’est un objectif ambitieux, mesdames, messieurs les sénateurs, mais nous allons l’atteindre ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe La République en marche. – Mme Fabienne Keller, MM. Christophe Béchu et Jérôme Bignon applaudissent également.)
Pour 2018 encore, nous nous sommes engagés à maîtriser les dépenses. Je l’ai dit hier et je le répète : notre objectif, c’est la stabilité en volume, donc hors inflation, des dépenses publiques. Le PIB augmentera ; le niveau des dépenses, lui, restera identique.
Quand nous parlons de maîtrise de la masse salariale dans la fonction publique, nous ne disons évidemment pas que nous allons baisser le traitement des fonctionnaires. Certains pays l’ont fait sous la contrainte – ils ne l’ont jamais fait de gaieté de cœur, mais ils l’ont fait.
Mme Françoise Cartron. Oui !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ce n’est pas du tout ce que, nous, nous proposons. Nous disons simplement qu’il faut, par la réorganisation de nos services, de nos administrations, faire en sorte que la masse salariale du secteur public soit stable en 2018 par rapport à 2017.
Ce but que nous fixons à l’échelle de l’État, beaucoup l’ont atteint à l’échelon local (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), sans que ce soit simple, j’en ai parfaitement conscience. Pour ma part, je l’ai fait au Havre, et je suis bien persuadé que, dans cet hémicycle, un grand nombre d’élus responsables d’exécutifs locaux se sont fixé cet objectif de stabilité de la masse salariale, et certains sont peut-être allés au-delà, en réduisant non pas les traitements de chaque fonctionnaire, mais la masse salariale dans son ensemble.
C’est l’objectif que nous assignons à l’ensemble des administrations publiques, à l’ensemble des fonctions publiques. Je sais bien qu’il est difficile à atteindre, mais c’est celui que nous nous fixons.
En 2018, nous augmenterons la CSG en contrepartie d’une diminution des charges ainsi que des cotisations salariales et sociales. C’est là un choix politique, qui ne devrait étonner personne : il a été présenté pendant la campagne électorale, puis validé par les Français au cours des élections tant présidentielle que législatives. Je conçois parfaitement que l’on s’y oppose, mais personne ne peut être surpris par cette mesure.
L’objectif est au fond simple. Il résulte d’un choix politique assumé, qui repose sur cet impératif : redonner du pouvoir d’achat à ceux qui travaillent.
Cela ne signifie pas que l’on ne s’intéresse pas à tous les autres. Néanmoins, si l’on veut relancer l’activité en France, il faut porter une attention permanente à ceux qui créent la richesse, quel que soit leur domaine d’activité. Je songe non seulement aux salariés, mais aussi aux indépendants, qui paient des cotisations sociales et bénéficieront, eux aussi, de cette disposition.
Dès la fin de l’année 2017, dans le cadre d’un projet de loi de programmation des finances publiques, le Parlement sera invité à voter l’ensemble du dispositif fiscal des années à venir.
La raison en est simple et, une nouvelle fois, chacun l’a présente à l’esprit : la plupart des chefs d’entreprise et, plus largement, des acteurs du monde économique que nous rencontrons nous disent souvent qu’ils n’attendent pas le grand soir fiscal, mais qu’ils ont en revanche besoin de visibilité, de lisibilité et de prévisibilité. (Marques d’approbation sur plusieurs travées du groupe La République en marche.)
Savoir ce qui va se passer a, au fond, plus de prix que d’obtenir immédiatement une mesure dont on sait qu’elle ne sera pas tenable. C’est bien parce que nous le savons tous qu’à la fin de cette année le Gouvernement fera voter cette loi qui fixera le chemin fiscal à suivre pour les années 2018, 2019, 2020…
Ce n’est absolument pas neutre, et c’est dans ce cadre que le Gouvernement, après en avoir débattu avec le Parlement, va indiquer comment il modifiera le dispositif fiscal. Point par point, et sur chacun des sujets, nous allons respecter les objectifs et les mesures annoncés par le Président de la République.
Reste le sujet – important, je le sais – de la taxe d’habitation et, plus généralement, du lien entre le territoire et la recette fiscale.
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, sur ce sujet également, je vous rejoins. Sans être encore parlementaire, mais alors que j’étais déjà maire d’une ville et président d’une agglomération très industrielle, j’avais moi-même formulé de grands doutes quant à la suppression de la taxe professionnelle et à son remplacement par un dispositif qui équivalait presque à une subvention.
En procédant ainsi, on a coupé le lien entre, d’une part, les territoires industriels, d’autre part, les importants investissements qui y étaient réalisés et où ils avaient leur contrepartie.
Nous ne reviendrons pas sur cette réforme déjà ancienne, car l’instabilité fiscale est insupportable, mais je vous rejoins assez volontiers sur le fait que trop couper le lien entre la ressource fiscale et le territoire présente des inconvénients.
M. Henri de Raincourt. Ah, quand même !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cela n’interdit pas de réfléchir, dans ce cadre, aux mesures que j’ai indiquées pour que les Français qui en ont besoin récupèrent du pouvoir d’achat, d’abord en diminuant la taxe d’habitation et, ensuite – peut-être à plus long terme, c’est vrai –, en repensant un système fiscal local qui permette de prendre en compte à la fois les revenus, les richesses et les spécificités des territoires.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Dans un bon système, on pourrait même tenir compte des particularités existant à l’intérieur d’une commune. Tous ceux qui connaissent les finances municipales savent combien l’impossibilité de moduler, en fonction des quartiers, un certain nombre de taux tend à accroître dans la durée les inégalités au sein d’une commune.
Cette réflexion sera donc engagée. La discussion sera ouverte. Conduite par le ministre de l’action et des comptes publics, elle permettra des échanges directs. Évidemment, ce n’est pas le moment, même si ce sera probablement le lieu, de trancher.
M. Albéric de Montgolfier. Quand même ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Nous l’espérons ! (Nouveaux sourires.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je ne doute pas que cette discussion sera très complète.
Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, pour l’heure, au terme de ce premier débat, je souhaite de nouveau vous remercier vivement et vous dire combien j’ai hâte de travailler avec vous ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe La République en marche, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, et sur quelques travées des groupes Union Centriste et Les Républicains.)
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 6 juillet 2017 :
À neuf heures trente :
Désignation d’un secrétaire du Sénat, en remplacement de François Fortassin.
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2016-1360 du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières (n° 432, 2016-2017) ;
Rapport de Mme Catherine Di Folco, fait au nom de la commission des lois (n° 593, 2016-2017) ;
Texte de la commission (n° 594, 2016-2017).
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD