compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Jean-Pierre Leleux.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes
M. le président. L’ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.
Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes.
(M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes sont introduits dans l’hémicycle selon le cérémonial d’usage.)
M. le président. Monsieur le Premier président, monsieur le rapporteur général, c’est avec un grand plaisir que nous vous accueillons au Sénat pour la présentation du rapport annuel de la Cour des comptes.
Je connais l’attention que vous portez au Parlement et je tiens à vous remercier personnellement de votre présence parmi nous aujourd’hui, ainsi que de vos fréquentes interventions devant nos commissions. La Cour des comptes est en effet souvent sollicitée par les commissions permanentes et les délégations du Sénat, à commencer, bien sûr, par les commissions des finances et des affaires sociales.
Au cours de l’année 2016, la commission des finances a pu bénéficier de l’éclairage de la Cour sur des sujets aussi variés que la journée défense et citoyenneté, l’état et la compétitivité du transport aérien, l’enseignement français à l’étranger, le financement des opérations extérieures de la France ou, encore récemment, l’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable.
La commission des affaires sociales a, quant à elle, pu bénéficier, pour l’exercice de ses fonctions de contrôle, de l’expertise de la Cour des comptes sur la prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire, ainsi que sur l’adaptation aux besoins des moyens matériels et humains consacrés à l’imagerie médicale.
Ces sollicitations illustrent l’attention que porte le Sénat aux observations et aux recommandations formulées par la Cour.
La remise du rapport annuel de la Cour des comptes est toujours un moment très attendu pour l’analyse critique qu’elle offre de nos finances publiques – le nombre de mes collègues présents en témoigne – a fortiori en cette année de transition où les options politiques des uns et des autres en matière budgétaire et fiscale seront soumises au verdict des urnes.
La situation de nos finances publiques est aujourd’hui loin d’être satisfaisante, de surcroît dans un contexte qui nous pousse à craindre des évolutions budgétaires négatives.
Vous l’aurez donc compris, monsieur le Premier président, c’est avec le plus grand intérêt et toute notre attention que nous allons à présent vous écouter présenter le rapport annuel de la Cour des comptes, avant d’entendre Mme la présidente de la commission des finances et M. le président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le Premier président, vous avez la parole.
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, en application de l’article L. 143–6 du code des juridictions financières, j’ai l’honneur de vous remettre le rapport public annuel de la Cour des comptes. (M. le Premier président remet à M. le président du Sénat le rapport public annuel de la Cour des comptes.)
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, les juridictions financières publient de nombreux rapports tout au long de l’année, mais la présentation du rapport public annuel demeure un rendez-vous incontournable, un point culminant de notre calendrier.
En effet, ce rapport permet à la Cour et aux chambres régionales de rendre compte d’une partie de leurs constats, de leur incidence effective sur l’action publique et de leur activité, tout en satisfaisant leur obligation constitutionnelle de contribuer à l’information des citoyens.
Au sujet de l’activité des juridictions, je veux citer ce matin quelques éléments.
En 2016, le champ de compétences juridictionnelles de la Cour et des chambres régionales des comptes couvrait plus de 17 000 organismes. Les chambres régionales ont publié 612 rapports d’observations définitives portant sur la gestion et les comptes des collectivités territoriales, des hôpitaux et d’autres institutions locales, auxquels s’ajoutent les avis de contrôle budgétaire et les jugements, et plus de 1 000 travaux correspondant à nos différents métiers ont été conduits par les chambres de la Cour.
Certains travaux, vous l’avez rappelé, monsieur le président, ont été réalisés à la demande des commissions des finances et des affaires sociales du Sénat. Je profite de ma venue dans cet hémicycle pour me réjouir de la qualité des relations entre la Cour et la Haute Assemblée, notamment ses commissions permanentes. Cela témoigne de l’intensité et de la portée de la mission d’assistance de notre institution à la représentation nationale.
Naturellement, nous ne nous contentons pas de « poser tous ces travaux sur la table ». Nous en suivons très attentivement les effets en analysant les suites apportées à nos recommandations : 72 % des recommandations émises au cours des trois dernières années ont été au moins partiellement mises en œuvre, et près de 25 % l’ont été entièrement.
Ce que mesurent ces constats, c’est à la fois la réalité des efforts des agents publics pour appliquer nos recommandations – donc, l’incidence effective sur l’action publique des travaux des juridictions financières – et le chemin qu’il reste à parcourir pour améliorer l’efficacité et l’efficience de nos services publics.
Je voudrais à présent vous faire part des idées-forces que je retiens des travaux présentés aujourd’hui.
Premièrement, les progrès constatés depuis 2010 dans la situation de nos finances publiques sont réels, mais demeurent fragiles. Des efforts accrus de maîtrise des dépenses seront nécessaires pour que la France puisse stabiliser puis réduire son niveau de dette et respecter la trajectoire sur laquelle elle s’est engagée à travers son gouvernement et son Parlement.
Deuxièmement, pour accroître l’efficacité et l’efficience des services publics, une dynamique de modernisation s’est amorcée dans de nombreux secteurs. Elle demande à être amplifiée et doit concerner tous les domaines de l’action publique.
Enfin, troisièmement, pour accompagner et renforcer cette dynamique, les juridictions financières s’attachent à identifier les freins persistants qui l’entravent et à mettre en valeur les conditions de sa réussite.
J’en viens maintenant à mon premier message, qui concerne la situation de nos finances publiques, appréciée au regard des derniers éléments disponibles.
À première vue, on pourrait se réjouir et se satisfaire de l’évolution récente de nos grands agrégats financiers. En 2016, le déficit public devrait de nouveau se réduire selon les prévisions du Gouvernement.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Le solde public s’établirait à moins 3,3 points de PIB, ce qui représente une amélioration de 0,2 point par rapport à 2015.
Plusieurs éléments conduisent néanmoins à relativiser la portée des progrès enregistrés, qui demeurent fragiles.
Mme Nicole Bricq. Oui, pour le moins !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Tout d’abord, la France est, avec l’Espagne, le Portugal et la Grèce, l’un des quatre pays de la zone euro à être encore placés en procédure de déficit public excessif.
Ensuite, la maîtrise apparemment accrue de nos dépenses publiques doit être mise en perspective.
Au-delà des efforts d’économies qui ont été engagés, des facteurs indépendants de la volonté des pouvoirs publics ont contribué à une maîtrise accrue de nos dépenses et au respect de la trajectoire : l’évolution à la baisse des taux d’intérêt, à laquelle est due 40 % de la réduction du déficit public intervenue depuis 2011,…
Mme Nicole Bricq. Merci M. Draghi !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. … et la baisse de notre contribution au budget européen.
En dernier lieu, le niveau de notre dette publique est toujours préoccupant. Établi à 96 points de PIB, il est supérieur au niveau de dette moyen des États de la zone euro.
Sa stabilisation en 2016, telle qu’elle a été prévue par le Gouvernement, a été facilitée par des facteurs exceptionnels et par la poursuite de l’utilisation, par l’Agence France Trésor, d’un volume élevé d’émissions sur des souches anciennes, c’est-à-dire à des taux supérieurs à ceux du marché actuel. Cette pratique, qui freine dans un premier temps l’évolution de l’endettement en permettant l’encaissement de primes à l’émission, aura comme contrepartie l’alourdissement corrélatif dans les années à venir de la charge de la dette et le besoin de financement de l’État. En tout cas, c’est un risque.
Enfin et surtout, s’il se stabilise, le niveau de notre dette ne se replie pas, alors même que la dette de certains de nos voisins européens, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, a continué de baisser en 2016.
En 2017, selon les prévisions du Gouvernement, l’amélioration de nos comptes devrait s’accentuer plus sensiblement. En effet, si l’objectif de réduction de déficit était de 0,2 point en 2016, celui de 2017 a été fixé à un niveau beaucoup plus ambitieux : 0,6 point.
Si les juridictions financières appellent de nouveau à faire preuve de prudence vis-à-vis de ces prévisions, ce n’est pas parce qu’elles font profession de pessimisme. C’est au contraire parce qu’elles considèrent que, sans prévisions réalistes, il n’existe pas de choix éclairés. Or les prévisions actuelles ne leur semblent pas assez prudentes. Elles comportent une évaluation optimiste des recettes publiques. Celle-ci repose, d’une part, sur une prévision de croissance économique pour 2017 qui avait été jugée un peu élevée par le Haut Conseil des finances publiques au mois de septembre dernier et, d’autre part, sur l’hypothèse d’une croissance spontanée des prélèvements obligatoires supérieure à ce que dicterait la prudence.
Du côté des dépenses publiques, les prévisions de déficit intègrent effectivement une nette accélération, qui s’explique notamment par une progression de plus de 3 % de la masse salariale de l’État en 2017.
La Cour estime néanmoins que cette prévision risque d’être sous-estimée, aussi bien pour l’État que pour la sécurité sociale.
En définitive, l’objectif d’un déficit de 2,7 points de PIB en 2017 sera très difficile à atteindre.
Comme j’ai eu l’occasion de le souligner voilà quelques semaines lors de notre audience solennelle de rentrée, le respect de la trajectoire adoptée dans le cadre de la dernière loi de programmation des finances publiques appellera des efforts supplémentaires en matière de dépenses.
Ces efforts seront d’autant plus exigeants que plusieurs tendances lourdes s’apprêtent à peser comme autant de contraintes supplémentaires sur la situation des finances publiques. Je veux parler de la remontée des taux d’intérêt qui est en train de se concrétiser, de l’évolution de notre contribution au budget de l’Union européenne qui, selon les prévisions mêmes de la Commission, devrait recommencer à s’accroître et, enfin, du choix souverain de notre pays de renforcer ses efforts en matière de sécurité intérieure et extérieure, ce qui ne manquera pas d’avoir des conséquences budgétaires.
Maîtriser les dépenses publiques ne signifie pas qu’il faille sacrifier la qualité du service public offert aux citoyens. Au contraire, ce que montrent de nombreux exemples figurant dans le rapport public annuel, ce sont des démarches d’amélioration possible qui reposent sur le souci d’accroître la capacité des organismes publics à répondre aux besoins réels des citoyens tout en utilisant plus efficacement chaque euro dépensé.
Les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs face au défi de la modernisation. Des efforts réels ont souvent été engagés par les administrations pour augmenter la performance des services publics. C’est mon deuxième message.
Certains de ces efforts manifestent une volonté de mieux organiser les politiques publiques, par la formalisation d’une stratégie reposant sur des priorités et des instruments explicites et par la clarification des rôles de chacun. Si ces réformes sont parfois très récentes, elles constituent des avancées dont la Cour sera attentive à suivre les effets. Je voudrais citer rapidement deux exemples.
Tout d’abord, la création par regroupement du nouvel opérateur Business France qui a permis un meilleur centrage des actions de l’État en matière d’appui à l’internationalisation de l’économie française, grâce à un partage des rôles avec les chambres de commerce et d’industrie et à la définition d’axes stratégiques prioritaires.
Second exemple, la réforme de l’externalisation du traitement des demandes de visa à l’étranger qui a atteint son objectif de désengorgement des consulats tout en offrant un service de bien meilleure qualité et sans peser sur les finances publiques.
La Cour constate également, dans certains secteurs, des efforts d’amélioration des processus de gestion, destinés à rendre ceux-ci plus rigoureux et plus efficients. Les exemples sont divers ; ils concernent notamment le sujet sensible des achats de maintenance et du maintien en condition opérationnelle des matériels militaires, ou le recours par Pôle emploi à des opérateurs privés, dont les limites avaient été soulignées par un rapport remis par la Cour au Parlement en 2014.
Vous le voyez, des progrès de nature diverse sont à l’œuvre, et nous les relevons chaque fois que nous les constatons, en soulignant les contraintes fortes auxquelles les administrations ont parfois dû faire face.
C’est ainsi le cas de la politique d’hébergement des personnes sans domicile. La Cour relève que cette politique a enregistré des progrès notables en matière de capacité d’accueil et de conditions de prise en charge des bénéficiaires. Toutefois, les effets de la crise économique dans un contexte international difficile n’ont pas permis une adaptation suffisante à des besoins sans cesse croissants. Le nombre de personnes sans domicile a augmenté de façon massive : 44 % en dix ans.
Au-delà de ce contexte, le rapport public annuel relève que les initiatives qui sont prises pour améliorer la performance des politiques publiques se heurtent trop souvent à des obstacles d’ordre interne, qui ont parfois dévoyé ou limité les effets des réformes nécessaires. Dans certains cas, ils ont tout à fait empêché les réformes d’advenir.
La Cour et les chambres régionales des comptes s’attachent à les identifier et à mettre en valeur les conditions à réunir pour les dépasser. C’est l’objet de mon troisième et dernier message.
Le premier frein, c’est le défaut d’adaptation des missions et des objectifs prioritaires des administrations publiques.
C’est, par exemple, la principale conclusion du chapitre portant sur le Muséum national d’histoire naturelle, qui n’a pas su faire face à la multiplicité des sites qu’il gère et à la nécessité de choisir un axe stratégique de développement.
Le deuxième frein identifié par la Cour, c’est le caractère inadapté de l’organisation institutionnelle, autrement dit, le manque de clarté ou de pertinence du partage des responsabilités et des tâches.
À cet égard, l’exemple des travaux portant sur le stationnement urbain est particulièrement significatif.
Mme Nicole Bricq. En effet !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Il montre effectivement l’incohérence de la répartition des compétences entre les communes et les structures intercommunales, qui peut entraîner une incohérence dans l’action.
Un autre exemple a trait au projet de constitution du pôle scientifique et technologique Paris-Saclay, de rang mondial, qui ne repose sur aucune stratégie ou gouvernance d’ensemble et dont les différents volets évoluent donc de façon très inégale, insuffisamment coordonnée et rythmée. La Cour recommande par conséquent, entre autres, de déterminer un nouveau mode d’organisation, basé sur la désignation par l’État d’un responsable interministériel d’un niveau adapté aux enjeux.
La troisième difficulté récurrente que relève la Cour, c’est le choix d’instruments inadéquats pour répondre aux objectifs fixés.
La politique de soutien aux débitants de tabac en est un exemple révélateur. Depuis les derniers travaux de la Cour en 2013, la situation économique des débitants de tabac s’est globalement améliorée, du fait de l’augmentation des prix du tabac et de la part qui revient aux buralistes, à travers la remise nette. Or l’État a choisi d’augmenter fortement cette dernière, tout en maintenant l’aide directe aux revenus. Pourtant, la remise nette profite à tous les buralistes, y compris ceux dont les chiffres d’affaires sont les plus élevés. Cette mesure n’encouragera en rien l’indispensable réorientation de l’activité des débitants de tabac, pourtant dictée par nos objectifs de santé publique.
Le dernier frein que je citerai est peut-être le plus important : il s’agit du défaut d’une volonté politique clairement exprimée et durable, cependant nécessaire pour surmonter les résistances au changement et conduire les réformes jusqu’à leur terme.
Bien entendu, il n’appartient pas et n’appartiendra jamais aux juridictions financières de décider à la place des représentants du suffrage universel. Néanmoins, nombre de leurs travaux mettent en évidence les opportunités ratées – voire le coût – qu’emporte un manque de constance dans la décision.
Ce constat apparaît nettement dans le chapitre consacré à l’écotaxe poids lourds.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Roger Karoutchi et plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Ah oui !
M. Jean Desessard. Et voilà !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. L’abandon de cette taxe s’est en effet avéré extrêmement coûteux pour les finances publiques, à hauteur d’environ un milliard d’euros. (Marques d’approbation sur diverses travées.)
M. Jacques Grosperrin. Merci Mme Royal !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Les recettes prévues et non collectées ont en outre été compensées de façon très insatisfaisante, au regard des objectifs initiaux, par un accroissement de la fiscalité pétrolière, dont le produit est inégalement réparti entre l’État et les collectivités territoriales et dont le coût a été supporté presque entièrement par les automobilistes d’abord et les poids lourds français.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Quelle erreur !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Plusieurs autres travaux témoignent de l’immobilisme ou du retard avec lequel certains organismes font face à des difficultés de gestion pourtant évidentes et même dénoncées par la Cour. C’est le cas des chapitres consacrés à la situation de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse des professions libérales, la CIPAV, et des finances des hôpitaux d’Ajaccio et de Bastia. Notre rapport fait apparaître au sujet de ces derniers un abandon systématique de toute volonté de redressement de la situation, face aux résistances rencontrées.
En mettant en évidence ces freins, les juridictions financières identifient aussi, en quelque sorte en creux, les remèdes, les meilleures pratiques qui pourraient contribuer à des réformes efficaces.
Je voudrais à présent et pour conclure mon propos vous en présenter quelques éléments, qui apparaissent dans le rapport public de cette année.
Tout d’abord, les projets réussis sont les projets bien préparés, c’est une évidence. Cela suppose d’accorder plus d’attention aux résultats obtenus au travers des politiques qui existent déjà avant d’annoncer des politiques nouvelles. Cela signifie donc adopter réellement, et pas seulement en apparence, le réflexe de l’évaluation en intégrant dans le processus de réforme le temps nécessaire pour l’examen de ses résultats. Cela requiert enfin de renforcer considérablement le contenu des études d’impact.
Mme Nicole Bricq. Ah !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Le Conseil d’État, de son côté, a d'ailleurs eu l’occasion de le préciser.
Cette observation réitérée des juridictions financières trouve son illustration dans le chapitre consacré aux autoroutes ferroviaires, dont la Cour souligne que le bilan est mitigé. Alors que leur développement a représenté un effort financier significatif pour la collectivité, la Cour recommande que soit menée rapidement une évaluation de l’incidence environnementale et économique de chaque projet.
Les réformes doivent par ailleurs reposer sur une stratégie connue des acteurs, construite sur la base d’une analyse partagée des besoins, des priorités d’action pour y répondre et un partage des rôles clair. C’est tout le sens des recommandations formulées par la Cour dans ses travaux sur la politique de contrôle et de lutte contre la fraude en matière de formation professionnelle continue des salariés. Aujourd’hui, les contrôles sont pratiquement inexistants. Pour construire cette politique, il apparaît nécessaire de mettre en place une véritable stratégie de contrôle, reposant sur une analyse des risques, une programmation annuelle et une organisation plus adaptée aux enjeux.
La qualité de la préparation d’une réforme est cruciale. Il ne s’agit pas pour autant de céder au mirage des planifications parfaites et de détourner pudiquement le regard à l’heure de la mise en œuvre.
Or les travaux présentés aujourd’hui permettent d’illustrer deux facteurs qui ont un rôle essentiel dans la mise en œuvre réussie d’un projet. Ces deux éléments sont les suivants : la responsabilisation des acteurs du changement et l’instauration d’un pilotage réactif par les résultats.
Le chapitre portant sur le renouvellement des moyens aériens et navals de la douane est ainsi le contre-exemple exact d’une responsabilisation réussie des agents. La Cour a constaté à leur sujet une longue et grave série d’erreurs et d’échecs, produits d’une culture autarcique de la douane et d’un défaut réitéré de contrôle des services locaux par l’administration centrale.
Enfin, l’exemple de l’indemnisation amiable des victimes d’accidents médicaux prouve la nécessité d’instaurer un pilotage réactif par les résultats qui permette de tirer la sonnette d’alarme lorsque les objectifs ne sont pas remplis.
Mise en œuvre dans la foulée de la loi du 4 mars 2002, cette politique a en effet été dévoyée. Si cette loi institue un droit à réparation des accidents médicaux même en l’absence de faute, ce qui constitue un grand progrès, les résultats obtenus dans le cadre de la procédure amiable ne sont pas à la hauteur. Le nombre de demandeurs d’indemnisation amiable reste effectivement modeste au regard de la population potentielle, car les victimes se détournent de la procédure amiable, qui est encore plus longue que la procédure contentieuse. Cela s’explique par des défaillances lourdes dans le positionnement et la gestion de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, l’ONIAM, établissement public chargé d’indemniser les victimes.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais à présent terminer mon intervention en rappelant trois messages.
Premièrement, la situation de nos finances publiques demeure fragile et vulnérable, malgré les progrès constatés. Les efforts pour maîtriser les dépenses publiques devront être poursuivis et intensifiés si notre pays veut préserver sa capacité à faire des choix souverains et à rester crédible dans le concert européen grâce au respect de ses engagements. Les rapports de la Cour et des chambres régionales des comptes montrent des marges d’efficacité et d’efficience dans nombre de politiques publiques.
Deuxièmement, une modernisation effective de notre action publique est possible. Elle a été engagée dans plusieurs secteurs et peut prendre appui sur des atouts importants, au premier rang desquels se trouvent les compétences et la force de l’engagement de l’immense majorité des agents publics. Elle doit être systématisée en prenant en compte les meilleures pratiques.
Enfin, et c’est un message réitéré des juridictions financières, le succès des démarches de modernisation dépend d’une sorte de révolution copernicienne, qui consisterait à prêter plus d’attention aux résultats effectifs de l’action publique, à l’effet des politiques publiques pour leurs bénéficiaires, et à fonder les décisions sur la mesure de ces résultats plutôt que sur le souci d’annoncer systématiquement des mesures nouvelles.
Pour accomplir cette révolution, les pouvoirs publics peuvent compter sur les juridictions financières, qui, je l’espère, pourront continuer de remplir avec une grande vigilance les missions que leur ont confiées les représentants du suffrage universel. (Applaudissements.)
M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous donne acte du rapport annuel de la Cour des comptes.
La parole est à Mme la présidente de la commission des finances.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, le rapport public annuel de la Cour des comptes est toujours une source d’informations précieuses sur la qualité de la gestion et des comptes publics pour les parlementaires et, au-delà, pour nos concitoyens. Mais ce moment solennel est aussi l’occasion de rappeler combien est importante la mission, prévue par la Constitution, d’assistance de la Cour des comptes au Parlement dans ses travaux de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. Cette mission prend des formes multiples et ne se résume évidemment pas au rapport public annuel.
À cet égard, 2016 a été une année de relations soutenues entre la Cour des comptes et le Parlement, puisque deux colloques ont été conjointement organisés, l’un au Sénat, l’autre à l’Assemblée nationale, à l’occasion des quinze ans du vote de la loi organique relative aux lois de finances.
Le rapport qui nous est remis aujourd’hui commence, comme c’est le cas depuis quelques années, par une première partie consacrée à la situation d’ensemble des finances publiques. La Cour des comptes présente son analyse de la situation financière des administrations publiques à la fin du présent mois, puis trace les perspectives pour l’année en cours et au-delà.
Chacun examinera avec attention ses analyses et recommandations, pour en tirer les enseignements qu’il jugera utiles.
La Cour rend compte chaque année de ses travaux par de nombreuses publications. Son rapport public annuel est en quelque sorte un condensé de ses investigations emblématiques. Au-delà des observations nouvelles, la Cour présente un suivi de ses recommandations, avec cette année un seul constat de progrès, concernant le traitement des demandes de visa à l’étranger. Toutefois, sur le plan général, la Cour estime que ses recommandations sont suivies à 72 %.
Je ne pourrai passer en revue toutes les observations, mais je m’arrêterai quelques instants sur celles qui attirent plus particulièrement l’attention de la commission des finances en raison, notamment, des travaux qu’elle a elle-même menés.
L’abandon définitif de l’écotaxe a été décidé dans le cadre de la loi de finances pour 2017. La mise en place de cette taxe puis le renoncement à cet impôt ont fait l’objet de débats intenses dans notre assemblée, aussi bien dans les commissions permanentes qu’au sein de la commission d’enquête qu’avait présidée Marie-Hélène Des Esgaulx. La Cour des comptes fait le point sur cette expérience qui marquera l’histoire de la fiscalité écologique.
L’insertion relative au projet Paris-Saclay témoigne d’une très forte convergence de vue entre les magistrats de la Cour et notre collègue Michel Berson, auteur, au mois de mai 2016, du rapport Réussir le cluster de Paris-Saclay, lesquels s’accordent pour dénoncer le caractère très insatisfaisant du pilotage du projet par l’État, le manque de transparence et de suivi pour ce qui concerne son financement et l’urgence, pour l’université Paris-Saclay, de se doter enfin d’une gouvernance à même de la transformer en université de rang mondial.
Dans le cadre du suivi de ses recommandations sur l’hébergement des personnes sans domicile, la Cour des comptes rejoint également plusieurs des constats établis et des préconisations formulées par Philippe Dallier dans son rapport du mois de décembre 2016 sur les dispositifs d’hébergement d’urgence, notamment, les nets progrès réalisés en termes de capacités d’accueil, tout en constatant également l’échec de la réduction du recours aux nuitées d’hôtel, la difficulté à répondre à une demande sans cesse en hausse, mais aussi les efforts restant à fournir en termes de définition du pilotage de cette politique publique.
D’autres insertions susciteront sans aucun doute l’intérêt de nos rapporteurs spéciaux, même s’il serait prématuré de dire qu’ils en partagent effectivement les conclusions, qu’il s’agisse des moyens aériens et navals de la douane – les rapporteurs spéciaux Michel Bouvard et Thierry Carcenac se sont particulièrement penchés sur le sujet des hélicoptères – ou de l’action sociale de la direction générale de l’aviation civile, la DGAC, sujet suivi attentivement par Vincent Capo-Canellas.
Comme vous le savez, les rapporteurs de la commission des finances utilisent les travaux de la Cour des comptes tout au long de l’année, sans attendre la parution du rapport public. Il s’agit non seulement des travaux faisant l’objet d’une publication, mais aussi des relevés d’observations définitives, quand leur existence est portée à leur connaissance.
Les enquêtes qui nous sont remises en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances font l’objet d’une exploitation systématique, notamment grâce à des auditions auxquelles participent les représentants des administrations et organismes contrôlés. Sans citer toutes les enquêtes de l’an passé, force est de constater que celles qui sont relatives au financement des OPEX, les opérations extérieures, ou encore à la compétitivité du transport aérien ont enrichi nos débats sur les annulations de crédits pesant sur le ministère de la défense ou sur l’opportunité de réviser la taxe de solidarité sur les billets d’avion et la taxe sur les nuisances sonores aériennes.
Dans le contexte de la prolongation de dispositifs comme le crédit d’impôt pour la transition énergétique, l’enquête sur l’efficience des dépenses fiscales en faveur du développement durable a également été mise à profit par le rapporteur général de la commission des finances.
Bien entendu, le suivi se fait évidemment non pas uniquement sur l’année, mais dans un cadre plus long : ainsi, l’analyse de la mise en œuvre des contrats de plan État-régions, développée par la Cour des comptes dans une enquête remise au Sénat en 2014, a constitué une source d’information utile pour le rapporteur spécial Bernard Delcros. Celui-ci s’est notamment appuyé sur ces travaux pour formuler des recommandations d’amélioration du système d’information des contrats de plan État-régions dans le cadre de son contrôle budgétaire sur le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire.
Pour l’année à venir, Alain Houpert et Yannick Botrel suivront une enquête sur la chaîne des aides agricoles, tandis que Jean-François Husson se penchera avec la Cour des comptes sur le soutien aux énergies renouvelables.
La Cour examinera le programme « Habiter mieux » pour Philippe Dallier et le sujet des personnels contractuels dans l’éducation nationale pour Gérard Longuet et Thierry Foucaud. Enfin, un rapport sera remis sur les matériels et équipements de la police et de la gendarmerie, à la demande de Philippe Dominati. Au mois de juin prochain, nous aurons également communication de l’enquête sur les politiques de lutte contre l’exclusion bancaire, que je rapporterai.
L’an passé, j’avais insisté sur la complémentarité entre les travaux du Sénat et ceux de la Cour des comptes, ainsi que sur la bonne coordination de nos activités. La commission des finances vient d’adopter son programme de contrôle budgétaire, qui a été rendu public et transmis à la Cour. Dans le cadre de sa mission d’assistance, celle-ci transmet les travaux définitifs qu’elle a réalisés sur les domaines qui intéressent les rapporteurs spéciaux. Cela nous est précieux.
Ainsi, pour effectuer ses travaux, qui viennent tout juste d’aboutir, sur la préfecture de police de Paris, Philippe Dominati s’est notamment appuyé sur un rapport daté de 2012 de la chambre régionale des comptes d’Île-de-France pour proposer une refonte de l’organisation budgétaire de l’institution.
Nos travaux s’inspirent mutuellement, au point qu’ils aboutissent d’ailleurs parfois au même moment.
C’est pour prolonger les travaux de la Cour des comptes sur la difficile mise en place de l’Institut national du cancer que Francis Delattre a présenté, au mois de juillet 2016, un rapport sur cet opérateur pivot des plans cancer successifs. Les rapports de la Cour des comptes, qui ont mis en lumière la dégradation du réseau ferré national, particulièrement en Île-de-France, et les faiblesses de certains projets de lignes à grande vitesse, ont également inspiré les sénateurs membres du groupe de travail sur le financement des infrastructures de transport.
C’est aussi parce que la Cour des comptes a soulevé un risque dans son rapport sur le budget de l’État du mois de mai 2015 que le rapporteur spécial Maurice Vincent a fait le choix de mener une mission de contrôle sur la politique de dividendes de l’État actionnaire. Hasard du calendrier, un rapport de la Cour des comptes sur l’État actionnaire a d’ailleurs été rendu public le 25 janvier dernier, le même jour que celui de Maurice Vincent.
Les travaux réalisés par la Cour des comptes dans le champ de l’éducation nationale, notamment ceux qui portent sur la gestion des enseignants ou sur le coût du lycée, ont été pris en compte par Gérard Longuet dans son rapport du mois de décembre 2016 relatif aux heures supplémentaires dans le second degré de l’éducation nationale.
Je pourrai multiplier les exemples. Au-delà des rapports eux-mêmes, la mise en ligne des données sous-jacentes aux travaux réalisés par la Cour des comptes est utile. Celle-ci a notamment permis au rapporteur général, Albéric de Montgolfier, d’analyser l’évolution de la masse salariale sur des séries longues.
En termes de calendrier, j’avais regretté l’an passé que certains travaux de la Cour des comptes ou du Conseil des prélèvements obligatoires nous parviennent parfois trop tard pour éclairer nos débats budgétaires. Ce fut encore le cas cette année. Ainsi, le référé relatif au taux réduit de TVA sur les travaux d’entretien et d’amélioration des logements de plus de deux ans a été rendu public seulement à la fin du mois de novembre 2016.
Cette année, monsieur le Premier président, vous êtes venu nous présenter dès le mois de janvier le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur l’impôt sur les sociétés, lors d’une audition particulièrement suivie, et nous espérons que nous pourrons dans les mois à venir encore mieux exploiter les travaux de cette instance. Celle-ci devrait d’ailleurs inclure, dans sa prochaine étude sur la fiscalité du patrimoine, une analyse spécifique de l’imposition des plus-values immobilières permettant de répondre ainsi aux préoccupations de la commission des finances, et plus spécifiquement du groupe de travail que cette dernière avait constitué en son sein sur le financement et la fiscalité du logement en 2015.
Mes chers collègues, cette année encore, le rapport public annuel de la Cour des comptes est riche d’enseignements. Je renouvelle donc mes remerciements au Premier président pour sa disponibilité et vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)