Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles.
2. Questions d'actualité au Gouvernement
gestion des migrants par les policiers
Mme Esther Benbassa ; M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre.
procès d’un agriculteur pour l’accueil de migrants
M. Bernard Vera ; M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Bernard Vera.
M. Didier Marie ; M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre.
délivrance des cartes d'identité par les communes
Mme Françoise Gatel ; M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur ; Mme Françoise Gatel.
M. Éric Doligé ; M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre.
lycées en zone d'éducation prioritaire
Mme Mireille Jouve ; Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
entrée en vigueur du compte personnel d'activité
M. Yves Daudigny ; Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
saisine du csa après l'interview de farid benyettou
Mme Nathalie Goulet ; Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication ; Mme Nathalie Goulet.
avenir institutionnel de la nouvelle-calédonie
M. Pierre Frogier ; Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer ; M. Pierre Frogier.
M. Franck Montaugé ; M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Patricia Morhet-Richaud ; Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; Mme Patricia Morhet-Richaud.
M. Jérôme Bignon ; Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
3. Candidature à deux commissions mixtes paritaires
4. « Faut-il réformer le fonctionnement de la zone euro ? ». – Débat organisé à la demande du groupe du RDSE
M. Pierre-Yves Collombat, au nom du groupe du RDSE
5. Nomination d’un membre de deux commissions mixtes paritaires
6. Situation de l’hôpital. – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain et citoyen
Mme Laurence Cohen, au nom du groupe communiste républicain et citoyen
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac,
M. Bruno Gilles.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant d'entamer nos travaux, je tiens à vous souhaiter le meilleur pour cette nouvelle année.
L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l’auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat, le respect des uns et des autres, donc le respect du temps imparti, pour permettre à chaque collègue de bénéficier de la diffusion complète de sa question et de la réponse que lui apporte le Gouvernement.
gestion des migrants par les policiers
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe écologiste.
Mme Esther Benbassa. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, le 7 janvier dernier, Médecins sans frontières dénonçait, dans un communiqué, « la systématisation des violences policières qui ciblent les centaines de migrants parisiens en errance dans la capitale ».
L’ONG rapportait leur harcèlement, la confiscation de leurs couvertures, l’utilisation de gaz lacrymogènes. Elle affirmait avoir pris en charge, en une semaine, lors de ses consultations ambulatoires, huit personnes proches de l’hypothermie. L’indignation fut grande. Vous avez réagi dès le lendemain, en enjoignant chacun à « arrêter ce sport national de mise en cause des policiers ». En revanche, vous n’avez pas réfuté, à ma connaissance, la réalité du harcèlement plus global qui est le lot quotidien de ces populations depuis l’été 2016 à Paris.
Ce ne sont pas les policiers qui sont ici en cause, ni la difficulté de leur mission quotidienne à laquelle nous rendons hommage, mais bien les politiques publiques aboutissant à ces situations inacceptables. Depuis l’évacuation du dernier campement à Stalingrad, début novembre, le Gouvernement a annoncé qu’aucun nouveau campement ne sera toléré. Soit. Mettre les réfugiés à l’abri, ne pas les laisser vivre dans des conditions indignes est certes un objectif louable. Mais il semble que, à l’heure où nous parlons, les places d’hébergement ne soient pas en nombre suffisant. Le centre humanitaire de la Chapelle, destiné à accueillir temporairement les hommes seuls pour éviter les campements sauvages au sein de la capitale est saturé, comme l’est aussi le 115.
Alors qu’une nouvelle évacuation a eu lieu dans la nuit de lundi à mardi dans le XVIIIe arrondissement de Paris, pourriez-vous nous dire quelle solution le Gouvernement entend proposer à ces dizaines de réfugiés qui s’organisent pour tout simplement survivre dans les conditions climatiques que nous savons ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur quelques travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Madame la sénatrice, dans votre question, vous n’évoquez pas un ensemble de décisions prises par le Gouvernement. Pour la transparence de nos débats, la qualité de nos échanges et par respect aussi pour la vérité, je les évoquerai brièvement.
Vous vous préoccupez de la situation des réfugiés à juste titre. C’est précisément l’honneur du gouvernement que je dirige et de ceux qui l’ont précédé d’avoir pris la décision de porter de 22 000 à 44 000 le nombre de places en centre d’accueil pour demandeurs d’asile. Nous considérons que tous ceux qui ont été persécutés, victimes de la torture et d’exactions, doivent pouvoir être accueillis dans notre pays dans de bonnes conditions.
Pourquoi ne reconnaissez-vous pas, madame la sénatrice, que ce gouvernement que vous mettez systématiquement sous le feu de la critique a procédé au doublement du nombre de places en centre d’accueil pour demandeurs d’asile ? Vous rendriez hommage à la vérité, et par là même à l’action de ce gouvernement, et vous reconnaîtriez ainsi que, lorsque se présente à nous une urgence humanitaire à laquelle nous sommes particulièrement sensibles, nous y répondons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
Pourquoi n’évoquez-vous pas dans votre question un ensemble d’éléments qui correspondent à la réalité de notre action, notamment l’augmentation du nombre de postes au sein de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, ainsi qu’au sein de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII ?
Pourquoi ne soulignez-vous pas dans votre question le fait que, voilà quelques semaines, nous avons mis à l’abri plus de 10 000 migrants souffrant du froid, de la boue, de la précarité à Calais et qui relevaient de la protection de la France ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
Pourquoi ne dites-vous pas que, si nous avons pu les accueillir, c’est grâce à des centaines de maires de toutes sensibilités, alors qu’une partie très minoritaire de la classe politique proposait à ces élus de se dresser contre les préfets pour éviter cet accueil ?
Pourquoi ne dites-vous pas non plus qu’à Calais, au moment où nous procédions à cette évacuation, des policiers des unités des forces mobiles aidaient les migrants à accéder aux bus afin d’être accueillis dans ces centres d’accueil et d’orientation ?
Pourquoi ne rendez-vous pas hommage à cette action, digne d’un gouvernement qui n’a qu’une seule volonté : assurer la protection de ceux qui ont besoin de son aide en raison des persécutions subies dans leur pays d’origine ?
C’est parce que nous menons cette action avec fierté, parce qu’elle est conforme au message multiséculaire de notre pays face à tous les persécutés du monde que je me permets de vous dire ces mots, madame la sénatrice, avec tout le respect que je vous dois : il serait temps de sortir de l’outrance et de la caricature pour rendre enfin hommage à la vérité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
procès d’un agriculteur pour l’accueil de migrants
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour le groupe CRC.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le garde des sceaux, le 4 janvier dernier ont été requis au tribunal de Nice huit mois de réclusion avec sursis pour Cédric Herrou, agriculteur de 37 ans, poursuivi pour avoir aidé des migrants dans la vallée de la Roya, près de la frontière franco-italienne.
Cet acte de solidarité n’est pas isolé, et dans cette vallée, malgré les pressions et les intimidations, au moins 150 personnes participeraient activement à aider les exilés, faisant prévaloir la logique d’accueil sur la logique de rejet, bravant l’interdiction qui fait de l’aide au séjour irrégulier un délit.
Un nombre croissant de Français jugent indigne le sort réservé à ceux qui fuient les guerres et viennent chercher refuge dans notre pays. Mais, alors que l’État fait preuve d’insuffisances en matière d’accueil, il agit dans le même temps avec autoritarisme face aux élans de solidarité de la population.
Ainsi, pas moins de onze procès sont déjà programmés cette année pour « délit de solidarité ». Pourtant, l’État, la région, le département des Alpes-Maritimes ont les moyens d’ouvrir les centres d’accueil réclamés par les associations et de recueillir les mineurs isolés en détresse comme l’exige la loi.
Il est grand temps de mettre un terme à toute poursuite à l’égard des militants-citoyens de la solidarité, et d’engager une véritable politique d’accueil ouverte et humaine dans notre pays.
Aussi, monsieur le garde des sceaux, ma question est la suivante : quelles actions le Gouvernement entend-il mettre en place pour que le secours aux réfugiés ne soit plus considéré injustement comme un délit en France ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je ne partage pas votre lecture des faits. L’État ne fait pas preuve d’autoritarisme. Simplement, des magistrats appliquent le droit ; et le droit, vous le connaissez : depuis le 31 décembre 2012 a été abrogé l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, lequel permettait depuis 1945 de poursuivre des associations, des militants qui apportaient une aide désintéressée à des étrangers présents sur notre sol. Je ne doute pas que vous avez voté ce texte proposé par Manuel Valls, ministre de l’intérieur à l’époque.
Dans le même temps, une incrimination présente dans notre droit positif permet de lutter contre les filières, c’est-à-dire contre ceux qui peuvent tirer un bénéfice particulier de la situation particulière d’étrangers en France.
En l’espèce, le procureur de Nice, de manière parfaitement souveraine, a estimé qu’il était confronté à une situation de réseaux organisés, puisque la personne que vous évoquez revendique elle-même le fait d’avoir fait pénétrer sur notre territoire 300 personnes en situation irrégulière, ce qui lui a valu d’être convoquée à trois reprises devant les juges.
Cette incrimination est aujourd’hui pénalement répréhensible, sanctionnée de cinq ans de prison et de 30 000 euros d’amende. Au vu des qualificatifs et des situations que seul connaît le procureur, celui-ci a requis à l’encontre de cette personne huit mois de prison avec sursis, la privation de son permis de conduire sous réserve de l’exercice de son activité professionnelle, et la mise à l’épreuve. La juridiction rendra son jugement le 10 février. Je m’interdis évidemment de porter une appréciation sur la manière dont le procureur a agi. Mais notre droit positif prévoit la lutte contre les filières qui tirent profit de l’immigration. Ce droit existe, je ne vois pas pourquoi nous le ferions évoluer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Éliane Assassi. Tout le monde ne s’appelle pas Mme Lagarde.
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour la réplique.
M. Bernard Vera. Certes, monsieur le garde des sceaux, vous avez assoupli en 2012 certaines règles mineures, mais sans vous attaquer au délit de solidarité en tant que tel. Pourtant, Manuel Valls déclarait cette année-là, devant la commission des lois du Sénat : « Notre loi ne saurait punir ceux qui, en toute bonne foi, veulent tendre une main secourable. »
Ce que nous vous demandons, c’est l’abrogation totale du délit de solidarité pour ceux qui agissent de façon désintéressée…
M. Bernard Vera. … ce qui n’empêche en rien de lutter contre les filières criminelles d’immigration.
Le groupe CRC se tient résolument aux côtés des militants associatifs et des citoyens solidaires qui contribuent à donner à notre pays un visage humain et fraternel. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
situation en syrie
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Didier Marie. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, depuis cinq ans, le dictateur Bachar al-Assad, soutenu par l’Iran et par la Russie, persécute, bombarde et massacre son propre peuple. Plus de 300 000 personnes ont été tuées et la moitié de la population déplacée : pas une journée sans images-chocs ou informations alarmantes.
Après la chute d’Alep, engloutie dans l’horreur, les massacres se poursuivent aujourd’hui dans la vallée du Barada, à feu et à sang.
La France, depuis le début du conflit, multiplie les initiatives pour en sortir. Elle a permis, avec l’adoption de la résolution 2328 du Conseil de sécurité des Nations unies, la mise en œuvre d’un dispositif humanitaire protégeant les populations fuyant Alep et une prise de conscience internationale. Notre pays n’a de cesse de plaider pour un règlement politique qui inclut tous les protagonistes du conflit, en dehors des terroristes.
Le 31 décembre dernier, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté à l’unanimité une résolution présentée par la Russie prenant acte et saluant les efforts russo-turcs pour un accord de cessez-le-feu.
Des négociations doivent ensuite se tenir sous l’égide de ces deux pays à Astana à la fin du mois de janvier, en dehors du cadre de l’ONU et excluant la coalition internationale anti-Daech dont la France est partie prenante.
Monsieur le Premier ministre, alors que la responsabilité de la Russie dans cette tragédie est clairement identifiée et que la Turquie joue un rôle trouble, notamment à l’égard des Peshmergas soutenus par la coalition internationale, à l’heure où des tentatives de renversement d’alliances s’expriment, où des parlementaires français rendent visite au bourreau de son peuple à Damas, pouvez-vous nous préciser la position de la France et les initiatives qu’elle compte prendre pour que les négociations s’engagent dans le cadre de la feuille de route de la résolution 2254 des Nations unies, la seule qui offre un choix non pas entre Bachar al-Assad et Daech, mais entre la guerre et la paix ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui renvoie à un sujet essentiel que j’ai eu l’occasion d’évoquer à plusieurs reprises lorsque vous m’interrogiez : il s’agit de la tragédie humanitaire à laquelle le peuple syrien se trouve confronté depuis maintenant plus de six ans, qui s’explique par la détermination d’un tyran à s’en prendre à son propre peuple, en commettant à son encontre les pires exactions.
Vous le savez, face à ce contexte, la France a toujours eu une position constante, qui l’a conduite au cours des derniers mois à agir au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et sur le plan diplomatique pour faire en sorte qu’une solution politique soit trouvée afin de faire cesser ces massacres et de gagner la guerre dans laquelle nous sommes engagés contre le terrorisme et contre Daech.
C’est ainsi que, dès 2013, et alors que le régime de Bachar al-Assad avait utilisé contre le peuple syrien des armes chimiques et franchi ainsi une ligne rouge, ce qui aurait dû conduire l’ensemble de la communauté internationale à réagir, nous avons été extrêmement actifs sur le plan international pour que cesse cette situation.
Nous avons constamment, dans l’esprit de cette résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies, tout mis en œuvre pour que le dialogue intersyrien permette de déboucher sur une solution politique, la seule qui soit susceptible de créer les conditions d’une paix durable en Syrie et d’un cessez-le-feu de nature à faire cesser les massacres.
Voilà quelques semaines, alors que la situation à Alep nous renvoyait chaque jour des images d’une extrême violence et d’une grande abjection, nous avons réussi à faire en sorte que la résolution 2238 soit adoptée par le Conseil de sécurité. Cette résolution posait quelques principes : la possibilité de la mise en place d’observateurs indépendants, la possibilité d’un accès à l’aide humanitaire et la protection des établissements hospitaliers.
C’est dans la continuité de cette résolution qu’une initiative russo-turque a été prise, qui pose plusieurs questions à commencer par le fait qu’elle n’est pas totalement connectée aux intentions de la résolution 2254. Elle a fait l’objet d’une manifestation d’intérêt de la part des Nations unies, mais le processus se poursuivra à Genève, le 8 février prochain.
Il faut donc savoir, dans le cadre de l’accord russo-turc, tout d’abord si ceux qui ont proposé cet accord sont prêts à le mettre en œuvre, et ensuite s’ils sont en situation de convaincre Bachar al-Assad, de cesser les bombardements qui se poursuivent en dépit de cet accord.
La position de la France sur ce sujet est constante.
Il s’agit premièrement, dans la continuité de la résolution 2254, de poursuivre le dialogue intersyrien, deuxièmement, de dégager une solution politique permettant de faire cesser durablement ces massacres et de rétablir une paix durable, troisièmement, de discuter avec l’ensemble des acteurs concernés, et quatrièmement, d’avoir la volonté de clarifier les choses à l’égard du régime de Bachar al-Assad, dont on constate collectivement qu’il poursuit les massacres contre son peuple. Ces massacres doivent être condamnés avec la plus grande fermeté pour des raisons morales, politiques et humanitaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
délivrance des cartes d'identité par les communes
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour le groupe de l’UDI-UC.
Mme Françoise Gatel. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Bravo, monsieur le ministre, pour votre éloge ici même, lundi soir, de la vertu de la proximité et de la riche concertation avec les élus. Toutefois, et cela arrive à chacun, les discours se heurtent parfois à la réalité des faits.
Où est la proximité quand le nouveau dispositif de carte nationale d’identité qui est expérimenté en Ille-et-Vilaine depuis le 1er décembre consiste à s’appuyer sur 27 communes sur 350 et 1 million d’habitants ?
Où est la proximité quand vous obligez des personnes âgées ou des jeunes à se déplacer deux fois dans une commune distante de 10 kilomètres, alors qu’elles n’ont aucune solution de transport collectif ?
Où est la riche concertation avec les élus locaux quand vous enlevez à nombre de communes un service essentiel et imposez à d’autres un transfert de charges sans juste compensation, et quand vous envisagez de généraliser au 1er mars une expérimentation ayant démarré au 1er décembre, qui n’est pas stabilisée et pour laquelle aucune expérimentation n’a été réalisée sur cette invention merveilleuse du dispositif mobile ?
Aussi, monsieur le ministre de l’intérieur, avec tout le respect et l’estime que j’ai pour vous, croyez en ma sincérité, je m’interroge. J’aimerais que vous nous donniez une définition précise de votre conception de la proximité quand cela consiste à imposer aux 36 000 communes de France de gérer les PACS et à éloigner les services de formalités obligatoires. (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, je vous confirme ici, comme je m’y suis employé au début de la semaine dans cette assemblée, la parfaite volonté du Gouvernement de cultiver les dimensions de proximité dans la façon dont il organise son action territoriale. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Dans le même temps, j’y insiste, nous voulons déployer tous les moyens pour lutter contre la fraude documentaire, qui est aujourd’hui un véritable fléau lors de la constitution de nombre de dossiers de cartes nationales d’identité, et améliorer l’efficacité et la rapidité du service donné aux usagers, notamment grâce à l’introduction des nouvelles technologies.
Ce nouveau mode de délivrance est l’une des dimensions du plan « préfectures nouvelle génération ». Il a fait l’objet d’une concertation approfondie,…
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Pas avec nous !
M. Bruno Le Roux, ministre. … qui a été menée par l’État, notamment avec l’Association des maires de France aux niveaux tant national que local. Cela a permis de dresser un certain nombre de constatations, de formuler des demandes et d’obtenir des avancées sur l’indemnisation qui sera versée aux communes, puisque nous avons retenu le montant le plus élevé qui était proposé dans le rapport de l’Inspection générale de l’administration, à savoir 36,5 millions d’euros qui seront versés aux communes équipées du nouveau dispositif.
Est-ce que je me tiens pour quitte, aujourd’hui, de tout ce qui doit nous permettre d’assurer la proximité ? Non, et je vous en donne un exemple : une confrontation est nécessaire lors de la demande de carte nationale d’identité, puisque la délivrance de celle-ci ne peut avoir lieu à distance, même si nous allons doter les communes qui ne délivreront pas les cartes de moyens informatiques suffisants pour que leurs concitoyens formulent une prédemande.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Bruno Le Roux, ministre. Je vous apporterai peut-être la réponse directement en Ille-et-Vilaine ce week-end, puisque je serai à Rennes, samedi dans la journée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour la réplique.
Mme Françoise Gatel. Monsieur le ministre, je vous prie d’abord par avance de bien vouloir excuser mon absence, tout à fait involontaire, samedi prochain.
Cela dit, je regrette de ne pas vous avoir demandé votre définition de la concertation plutôt que celle de la proximité, car votre intervention ne répondait pas à ma question. Pour moi, la décentralisation ne consiste pas à transformer les élus locaux en sous-traitants, qui plus est sous-payés. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
politique générale
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour le groupe Les Républicains.
M. Éric Doligé. Monsieur le Premier ministre, je me permets de vous lire la carte de vœux que je souhaitais vous envoyer. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
« Voici maintenant plus de quatre ans que nous vous suivons avec intérêt, dans le cadre de vos responsabilités personnelles importantes. Vous aurez certainement remarqué notre approbation sur certains textes. »
M. Didier Guillaume. Trop peu !
M. Éric Doligé. « Nous n’avons pas hésité, à diverses reprises, à vous applaudir, vous montrant ainsi notre objectivité. (Rires ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
« En ce début d’année, permettez-moi de vous présenter tous mes vœux.
« Je souhaite en premier lieu que vous n’ayez pas recours au 49-3. » (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Guillaume. Il n’y a aucun risque !
M. Éric Doligé. « Après quatre mois de manifestations à répétition, nous avons constaté ses effets néfastes sur l’économie, le tourisme, l’investissement et l’emploi. Par ailleurs, votre récent prédécesseur se repent déjà de l’avoir utilisé. »
M. Jean-Louis Carrère. Il y a été obligé !
M. Éric Doligé. « En deuxième lieu, je souhaite que, pour les six séances de questions d’actualité qu’il nous reste à partager jusqu’à la trêve électorale, vous obteniez de certains de vos ministres qu’ils répondent enfin aux questions posées par la majorité sénatoriale. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Après quatre ans d’exercice, ils s’évertuent toujours à répondre consciencieusement à côté !
« En troisième lieu, je souhaite que vous ne subissiez pas une valse de démissions ministérielles. (Nouveaux rires sur les mêmes travées.) Les ministres présidentiables, Arnaud Montebourg et Emmanuel Macron, étant partis, votre risque est déjà plus limité. »
M. Jean-Louis Carrère. C’est affligeant !
M. Éric Doligé. « En quatrième lieu, comme vous l’aurez remarqué au cours de nos séances, nous avons unanimement regretté l’absence répétée de Mme Ségolène Royal. (Elle est en vacances ! sur les travées du groupe Les Républicains - Non, elle travaille ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
« Ses prises de position décalées sur Notre-Dame-des-Landes ou Fidel Castro devraient nous être réservées. Je souhaite que vous la rappeliez à plus d’assiduité.
« Je vous souhaite enfin, monsieur le Premier ministre, après tant de dévouement au service de la République, une reconversion paisible comme avocat. Je crains cependant que vous ne soyez submergé par les nombreux contentieux… » (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. Jean-Louis Carrère. C’est du Grand-Guignol !
M. Didier Guillaume. Les téléspectateurs doivent être affligés !
M. le président. C’est terminé, monsieur le sénateur.
M. Éric Doligé. Permettez, monsieur le président.
M. le président. Vous avez dépassé votre temps de parole, mon cher collègue. Mais M. le Premier ministre va vous répondre.
Vous avez la parole, monsieur le Premier ministre.
M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Monsieur le sénateur, la vie politique est jalonnée par des moments d’affrontement, mais aussi de grande amabilité, comme aujourd’hui (Rires.), puisque vous venez, avec beaucoup de sincérité et d’affection, de me présenter vos vœux. Cette assemblée me permettra de vous adresser les miens en retour. (Mêmes mouvements.)
Monsieur Doligé, je vous présente donc, à vous personnellement, à votre département du Loiret, cher à votre cœur, mes vœux les plus sincères pour l’année nouvelle. Je m’adresse aussi – je pense ne faire de peine à personne – à l’ensemble de vos collègues du groupe auquel vous appartenez, à l’ensemble de l’opposition. Cela étant, comme je ne veux faire de peine à quiconque, j’adresse également à ceux qui soutiennent le Gouvernement et (M. le Premier ministre se tourne vers les travées du groupe CRC.) à ceux qui ont envie de le soutenir (Sourires.), mes vœux les plus sincères de bonne et heureuse année 2017.
Dans cette période particulière, dans ces quelques semaines que nous allons traverser, émaillées de confrontations, d’oppositions, où il n’est pas sûr que la bonne foi soit toujours au rendez-vous des échanges, je forme aussi le vœu que chaque question qui nous sera posée soit d’un niveau suffisamment élevé pour nourrir la discussion et soit empreinte du respect mutuel que nous nous devons les uns aux autres. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Dans cette confrontation des points de vue, je forme le vœu que la convocation de la vérité, qui n’est pas inutile pour que le débat soit de qualité, l’emporte sur toutes les outrances.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Courage !
M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. De ce point de vue, je sais, pour bien vous connaître, que je peux absolument compter sur vous et sur tous ceux qui vous entourent sur ces travées. (Rires.)
Je souhaite aussi que, par-delà nos différences, notre amour commun de la France et de la République nous incite les uns et les autres à toujours faire prévaloir l’intérêt général.
Enfin, puisque nous sommes confrontés à l’exercice des primaires, je forme le vœu que l’on applique le programme proposé pendant ces primaires, même après qu’elles ont eu lieu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)
lycées en zone d'éducation prioritaire
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du RDSE.
Mme Mireille Jouve. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la ministre, depuis la rentrée de janvier dernier, plusieurs lycées, particulièrement en région parisienne et dans l’académie d’Aix-Marseille, sont en grève à l’appel d’un collectif de défense des lycées situés en zone d’éducation prioritaire, ou ZEP.
Ces établissements sont inquiets pour leur avenir, car à partir du mois de juin prochain plus aucun texte réglementaire ne garantira le maintien des moyens supplémentaires qui leur sont alloués du fait de leur situation.
Actuellement, le classement en ZEP assure des effectifs de classes allégés, des postes supplémentaires d’assistant d’éducation et d’autres moyens essentiels à la survie de ces établissements, à l’heure où l’enquête PISA, publiée le mois dernier, révèle que notre système éducatif est profondément inégalitaire.
Les enseignants et les lycéens actuellement mobilisés défendent un argument de bon sens. En 2014, le ministère a lancé une réforme de l’éducation prioritaire, avec la création des réseaux d’éducation prioritaires, les REP, qui dessinent une carte nouvelle, dont les circonscriptions comprennent chacune un collège et les écoles de son secteur. Pourquoi les lycées sont-ils absents de cette carte ? Sont-ils véritablement les grands oubliés de la réforme ? Le chantier a été remis à plus tard, mais du « plus tard », on est en passe d’aboutir au « trop tard ».
Comme l’expriment les personnels mobilisés, « les difficultés scolaires et sociales ne s’arrêtent pas à la fin de la troisième ». Les intéressés souhaitent donc légitimement que la réforme engagée pour une partie de l’enseignement secondaire aille à son terme.
En réponse à ces inquiétudes, vous avez certes proposé de prolonger la clause de sauvegarde des ZEP jusqu’en 2019. Vous avez également annoncé une « dotation exceptionnelle » d’emplois dans les lycées les plus défavorisés, à la rentrée prochaine. Mais ce sont là des mesures circonstancielles qui ne suffisent pas à rassurer. Que se passera-t-il, si, demain, elles sont abrogées ? Faudra-t-il de nouvelles mobilisations ? Le Gouvernement ne peut-il pas s’engager davantage sur ce dossier ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui me permet d’apporter quelques éléments de clarification au sujet des lycées situés en ZEP.
Tout d’abord, peut-être est-il nécessaire de répondre à des questions simples.
Premièrement, a-t-il jamais été question de sortir les lycées du système d’éducation prioritaire ? La réponse est non : il n’en a jamais été question. Vous connaissez suffisamment mon attachement à l’éducation prioritaire – vous l’avez rappelé, nous avons renforcé ses moyens pendant ce quinquennat – pour le savoir : à mes yeux, il va de soi que la réforme menée, en la matière, au titre des collèges et des écoles devra être élargie aux lycées. Il s’agit là d’une suite logique.
Deuxièmement, en quoi consiste cette réforme ? C’est en réponse à cette question qu’il y a souvent maldonne.
Lorsque nous avons agi pour l’éducation prioritaire au niveau des collèges et des écoles, nous avons avant tout mené une réforme cartographique. Concrètement, il s’agissait de retenir les établissements les plus fragiles socialement et de faire sortir de la carte ceux qui vont mieux – il faut s’en réjouir pour eux. Il est ainsi possible de mieux concentrer les moyens supplémentaires là où les besoins sont les plus nombreux.
Le jour où nous ferons la réforme des lycées d’éducation prioritaire, c’est ce même travail qu’il faudra accomplir. Ce chantier exige de fixer des indicateurs sociaux précis, en lien avec l’ensemble des organisations concernées. Il ne peut donc pas être accompli en un claquement de doigts.
Deuxièmement, la réforme de l’éducation prioritaire pour les collèges et les écoles a été de nature pédagogique : nous avons introduit ce que l’on appelle techniquement un référentiel pédagogique de l’éducation prioritaire. Dans la concertation, il faudra élaborer un document similaire pour les lycées.
Troisièmement et enfin, la réforme de l’éducation prioritaire pour les écoles et les collèges s’est accompagnée d’un fonds de 350 millions d’euros supplémentaires. Son extension aux lycées exigera, elle aussi, un effort financier de cette nature.
Contrairement à ce que certains réclament, ce vaste travail ne peut pas être accompli en quinze jours. Il est d’ores et déjà programmé. Il doit être la priorité du prochain quinquennat. Pour notre part, nous nous y engageons absolument, de manière résolue.
La question se pose davantage si d’autres venaient à prendre les responsabilités. Je comprends que les personnels de l’éducation prioritaire cherchent à leur adresser ce message !
Madame la sénatrice, j’en reviens à la situation présente. Les lycées actuels de l’éducation prioritaire perdront-ils quoi que ce soit ? Non, aucunement. Tous leurs moyens sont préservés, qu’il s’agisse des indemnités des enseignants ou des moyens dédiés aux projets pédagogiques. (Brouhaha.)
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. J’ai même décidé d’ajouter 450 postes, à la rentrée prochaine, pour les lycées les plus fragiles. Jusqu’en 2019, nous avons donc le temps de mener cette réforme dans de bonnes conditions ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
entrée en vigueur du compte personnel d'activité
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Yves Daudigny. Ma question s'adresse à Mme la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Madame la ministre, vous rappeliez hier, dans cet hémicycle, combien la loi Travail renforcera les syndicats, les droits des salariés, la capacité des entreprises à se développer, et fera avancer notre pays vers une culture du compromis. Ce texte « met le syndicalisme face à ses responsabilités en lui proposant de réinvestir le terrain de l’entreprise pour y tenir toute sa place au service des salariés » : ainsi s’exprimait Laurent Berger en juin 2016.
Ce matin même, à la Cité des métiers, aux côtés de M. le Premier ministre et accompagnée de deux de vos collègues ministres, vous avez procédé au lancement d’une des dispositions les plus novatrices de la loi Travail : le compte personnel d’activité, ou CPA.
Annoncé le 3 avril 2015 par le Président de la République comme « la grande réforme sociale du quinquennat », confirmé quelques jours plus tard par le Premier ministre Manuel Valls, contenu dans la loi relative à la modernisation du dialogue social, dite « loi Rebsamen », adoptée en juillet 2015, objet de négociations entre les partenaires sociaux aboutissant à une « position commune » en février 2016, mesure phare, enfin, de la loi du 8 août 2016,…
M. Alain Gournac. Formidable ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Yves Daudigny. … que vous avez défendue, le CPA est composé de trois comptes : le compte personnel de formation, le compte personnel de prévention de la pénibilité et le compte d’engagement citoyen.
M. Alain Gournac. Et la question ?
M. Yves Daudigny. Avec son extension aux non-salariés en 2018, en attachant les droits non plus à l’emploi, mais à la personne du travailleur, le compte personnel d’activité est un droit nouveau, universel et portable, s’inscrivant dans le contexte de mutations profondes du monde du travail. Il est devenu réalité le 1er janvier 2017.
Madame la ministre, pouvez-vous nous en préciser le contenu et surtout les modalités de mise en œuvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Guillaume. Bonne question ! Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.
M. Francis Delattre. Vous pouvez remercier M. Daudigny de sa question ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le sénateur, c’était un véritable honneur de lancer, ce matin, auprès de M. le Premier ministre, avec mes collègues Annick Girardin et Clotilde Valter, le compte personnel d’activité, qui a été pensé et voulu par le M. Président de la République.
Nous le voyons bien : dans notre pays, le monde du travail connaît des mutations profondes. Dans cet hémicycle, nous avons souvent eu l’occasion de débattre de la formation. À cet égard, le CPA repose sur trois piliers.
Premier pilier, l’universalité. Le compte personnel d’activité est ouvert à tous : salariés du privé, demandeurs d’emploi, agents publics, mais aussi indépendants, et ce tout au long de la vie, que l’on soit jeune ou senior. À mon sens, il s’agit là d’un facteur essentiel.
Deuxième pilier, la justice sociale. Accorder plus de droits à ceux qui en ont le plus besoin, doubler les droits à la formation pour les moins qualifiés, qu’ils soient salariés du privé ou agents publics, ouvrir ce droit à la nouvelle chance pour les jeunes qui sont sortis du système scolaire sans qualification : il s’agit là d’un élément déterminant, qui est opérationnel dès aujourd’hui.
Dans le même temps, le compte personnel d’activité permettra de reconnaître l’engagement citoyen : c’est également un gage de justice sociale. De plus, la pénibilité sera prise en compte. Il est extrêmement important de reconnaître les inégalités existant en termes d’espérance de vie.
Troisième et dernier pilier, l’autonomie. Nous le savons tous : face aux mutations actuelles, beaucoup de personnes souhaitent se reconvertir, mais il s’agit là d’un pari risqué.
M. le président. Il faut penser à conclure, madame la ministre.
Mme Myriam El Khomri, ministre. Donner la possibilité d’accomplir un bilan de compétences, d’être aidé à la création d’entreprise : tel est l’enjeu du CPA.
Monsieur le sénateur, ce dispositif présente énormément d’évolutions possibles, et nous éprouvons une fierté légitime à l’idée que la loi Travail ait permis la mise en œuvre du compte personnel d’activité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe UDI-UC.
Mme Nathalie Goulet. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Madame la ministre, l’anniversaire tragique des attaques de Charlie et de l’Hypercacher a donné lieu à de nombreuses manifestations dignes et émouvantes, mais aussi à un épisode plutôt discutable : l’apparition sur une chaîne de télévision du mentor des frères Kouachi, Farid Benyettou, starisé, portant des lunettes de soleil et arborant le badge « Je suis Charlie ».
Repenti autoproclamé – nos services, soit dit en passant, émettent de sérieux doutes à ce sujet –, Farid Benyettou assurait la promotion de son livre, coécrit avec un autre acteur médiatique et très controversé de la lutte contre la radicalisation. C’était là un comble d’indécence aux yeux des familles et une insulte à la mémoire des victimes.
Mon collègue André Reichardt et moi-même avons donc saisi le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA. En outre, dès le mois de décembre dernier, nous avons déposé une proposition de loi sollicitant une labellisation des structures en charge de la lutte contre la radicalisation et le contrôle de leur financement et de leurs activités. C’est d’ailleurs ce que nous avions demandé, dans cet hémicycle, lors de l’examen de la dernière loi de finances, au titre de la mission « Sécurités ». Cette disposition permettrait à nos services de disposer d’un certain nombre d’éléments supplémentaires pour agir.
En 2014, 2 000 personnes en voie de radicalisation étaient signalées. Depuis, ce chiffre est passé à 12 500. Quelles mesures entendez-vous prendre pour que la lutte contre la radicalisation ne soit pas placée entre des mains, aux mieux incompétentes, au pire dangereuses ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Madame la sénatrice, vous l’avez dit, deux ans ont passé depuis les attentats qui, à travers Charlie Hebdo, visaient précisément la liberté d’expression. Je tiens à rendre de nouveau hommage à Clarissa Jean-Philippe, qui, dans ses fonctions de policière municipale, a protégé les habitants de Montrouge et peut-être, en particulier, les enfants d’une école. Je me dois également de citer l’Hypercacher.
Nous sommes aussi deux ans après la manifestation au cours de laquelle des millions de personnes, françaises et étrangères, se sont réunies pour dire leur attachement au modèle de société fondé sur la liberté et sur les valeurs républicaines.
Bien sûr, je comprends l’émotion, et même l’indignation qu’a pu susciter l’interview que vous citez. À ce titre, je tiens à saluer toutes celles et tous ceux qui en ont été blessés, en particulier les proches des victimes.
Nous avons entre les mains un trésor. Il s’agit d’un principe qui nous vient des Lumières, un principe conquis de haute lutte par des hommes et des femmes au cours d’une longue histoire , je veux parler de la liberté d’expression, qui s’incarne dans les médias, dans la liberté de communication. D’autres peuples se battent pour la conquérir ou pour la préserver, à travers le monde et jusqu’aux portes de l’Europe.
Toutefois, la liberté de communiquer n’est pas absolue, y compris en France, patrie des Lumières. L’apologie du terrorisme ne saurait être tolérée. La liberté de communication ne permet pas de fouler aux pieds la dignité des personnes. Et c’est le CSA, autorité indépendante, qui en est le garant pour l’audiovisuel.
Vous le savez, les missions du CSA ont été complétées au cours de la période récente. Cette instance a été chargée d’élaborer un code de bonne conduite quant à la couverture médiatique des actes terroristes, et c’est désormais chose faite : ce document a été publié au mois d’octobre dernier.
En l’occurrence, vous avez eu le bon réflexe de saisir le CSA. À présent, laissons le Conseil agir, et gardons-nous de suivre des règles de circonstance, qui viendraient affaiblir les libertés qui nous sont si précieuses. C’est précisément ces libertés que visaient les terroristes : elles doivent être protégées ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur quelques travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. J’espère au moins que les droits d’auteur de ce livre iront à l’indemnisation des victimes. Ce serait un minimum !
En outre, vous savez très bien quel est le principal vecteur de communication des discours djihadistes ; nous avons suffisamment travaillé cette question.
Pour répondre au vœu formulé par M. le Premier ministre, j’indique qu’à mon sens cette question était à la hauteur. J’ajoute qu’elle a été posée en toute bonne foi ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)
avenir institutionnel de la nouvelle-calédonie
M. le président. La parole est à M. Pierre Frogier, pour le groupe Les Républicains.
M. Pierre Frogier. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, dans moins de deux ans, en novembre 2018, les Calédoniens seront confrontés à un choix crucial. Ils devront décider du maintien ou non de la Nouvelle-Calédonie dans la France.
Ce choix aura des conséquences politiques, sociales et économiques, non seulement pour la Nouvelle-Calédonie, mais aussi pour notre pays tout entier.
Pourtant, tout laisse apparaître aujourd’hui que la préparation de cette échéance n’a jamais été inscrite au rang des priorités gouvernementales durant ce quinquennat.
Depuis des années, je tire la sonnette d’alarme, mais rien n’y fait ! Malgré mes mises en garde, nous nous dirigeons inéluctablement vers ce référendum binaire, « pour ou contre la France », qui est, j’en suis convaincu, la pire des solutions.
Cette consultation est inutile et dangereuse. Elle ravive les tensions, les divisions et les surenchères, et risque de faire voler en éclats l’exception calédonienne au sein de la République.
Malheureusement, les faits – déjà ! – me donnent raison, avec la flambée des violences, des exactions et des agressions contre les forces de l’ordre, ferments de nouveaux affrontements entre communautés.
Face à cette situation, vous avez également tardé à réagir.
Certes, je salue les décisions que vous avez prises au mois de novembre dernier, dans vos responsabilités précédentes. Il n’empêche qu’il y a moins de trois semaines, un Kanak a dû abattre un autre Kanak pour mettre un terme aux troubles qui contrariaient la tribu de Saint-Louis depuis tant de semaines. Quel drame humain ! Quelle issue dramatique !
Monsieur le Premier ministre, je le réaffirme : la sortie de l’accord de Nouméa ne peut se construire que sur la base d’une solution harmonieuse et apaisée.
Avec une grande amabilité, je vous pose la question suivante : comptez-vous faire des derniers mois qui nous séparent de l’élection présidentielle une période enfin utile pour la Nouvelle-Calédonie ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, je ne peux pas vous laisser faire croire à la Haute Assemblée que le Gouvernement n’a rien fait pour la Nouvelle- Calédonie.
Vous avez été le témoin et l’acteur de notre action durant tout le quinquennat. Ce gouvernement a travaillé, en responsabilité et collectivement, pour préparer, pas à pas et de manière globale, les échéances de 2018. Vous l’avez d’ailleurs souligné, nous avons mobilisé des moyens en conséquence.
Dernièrement, M. le Premier ministre, qui était alors ministre de l’intérieur, a déployé des moyens extrêmement importants au titre de la sécurité, qui constitue un axe de travail essentiel.
Au-delà de l’aspect sécuritaire, nous avons réuni six fois le comité des signataires, présidé par les Premiers ministres Jean-Marc Ayrault puis Manuel Valls. Lors de ces séances de travail, nous avons réglé des points essentiels pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Je pense en particulier à l’épineux dossier des listes électorales pour les élections provinciales.
M. Pierre Frogier. Ah !
Mme Ericka Bareigts, ministre. Désormais, ce dossier est politiquement clos.
Pour ce qui concerne l’avenir institutionnel, divers retours d’expertises nous ont permis et nous permettront encore, du moins je l’espère, de maintenir la discussion et le dialogue pour déterminer des solutions.
Enfin, aucun territoire n’a d’avenir sans économie. Or, en Nouvelle-Calédonie, nous avons massivement soutenu le nickel,…
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Ericka Bareigts, ministre. … nous avons maintenu la défiscalisation, nous nous sommes investis dans la formation. J’ajoute que, sans montée en force des contrats de développement, il ne saurait non plus y avoir d’avenir en Nouvelle-Calédonie !
Voilà l’ensemble des actions que nous avons menées, ensemble, pour préparer l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Frogier, pour la réplique.
M. Pierre Frogier. Madame la ministre, durant ce quinquennat, par manque d’ambition et de détermination, votre majorité a géré l’accord de Nouméa au fil de l’eau : eh bien, ce gouvernement laissera un lourd héritage à la prochaine majorité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
grippe aviaire
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Franck Montaugé. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
M. Jean-Louis Carrère. C’est une question importante !
M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, après l’épizootie de grippe aviaire de 2016, celle de 2017, qui a débuté dans le Tarn au début du mois de décembre dernier, s’est transformée en véritable catastrophe économique et sociale pour de nombreux acteurs de la filière avicole. À ce jour, 115 foyers sont répertoriés sur huit départements. Les trois quarts de ces foyers se situent dans le Gers et dans les Landes.
Malgré les mesures drastiques prises par vos services et appliquées par les acteurs de la filière, dont je salue le sens des responsabilités, l’épizootie progresse toujours et s’étend sur le territoire. Les causes possibles de cette situation restent, à ce jour, à l’état d’hypothèses.
Sans verser dans une commisération de mauvais aloi, il n’y a guère d’épreuve plus douloureuse pour un éleveur que de voir son travail et ses bêtes, de surcroît saines, vouées à la destruction pure et simple.
Au-delà de la détresse morale et de l’avenir dans lequel il est difficile de se projeter, certains se demandent s’ils doivent continuer ou envisager une reconversion.
Dans ce contexte dramatique, des questions appellent des réponses immédiates ; d’autres concernent le devenir de la filière.
Monsieur le ministre, la solidarité nationale doit s’exercer, et elle doit se traduire par des indemnisations effectuées dans les meilleurs délais. Le solde de la première crise n’est pas intégralement réglé. Certains producteurs sont touchés une seconde fois et sont plongés dans d’immenses difficultés.
Comment envisagez-vous de répondre à cette demande urgente et légitime ?
Cette crise nous oblige également à penser l’avenir de la filière à partir de la situation actuelle et de ses causes avérées.
Comment votre ministère, avec les organisations professionnelles concernées et, éventuellement, les collectivités territoriales, peut-il contribuer aux adaptations structurelles nécessaires qui permettront aux différents types d’organisations de production de maîtriser le risque sanitaire, tout en relevant le défi de la performance économique, sociale et environnementale ? Dans le cadre de ses attributions, le Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux, le CGAAER, ne pourrait-il pas être missionné pour une réflexion de ce type ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, tout d’abord, permettez-moi d’excuser Stéphane Le Foll, qui est retenu à l’Assemblée nationale et qui m’a demandé de vous communiquer les éléments suivants.
Vous le savez, ce virus est véhiculé par des oiseaux migrateurs. La France est touchée comme d’autres pays. À ce jour, dix-neuf pays européens subissent la crise de la grippe aviaire.
Vous l’avez rappelé, la France recense à ce jour 115 foyers de contamination, principalement dans le Gers et dans les Landes. Pour éviter la propagation du virus, qui se poursuit, un dépeuplement spécifique est appliqué depuis le 5 janvier dernier dans 187 communes situées dans la zone où l’évolution du virus n’est pas stabilisée.
Bien sûr, ces nouvelles mesures donneront lieu à des indemnisations. Dans un premier temps, l’État prendra en charge le coût de l’abattage, du nettoyage et de la désinfection des élevages concernés.
Le ministre de l’agriculture rencontrera les élus et les représentants de la filière professionnelle le 19 janvier prochain. Ces discussions viseront plusieurs objectifs : tout d’abord, arrêter le calendrier de remise en production, une fois que le vide sanitaire aura été effectué ; ensuite, établir les conditions d’indemnisation des pertes économiques liées à ce dépeuplement ; et enfin, prévenir la diffusion du virus en cas de nouvelle contamination à l’avenir.
Lors de la crise de l’an dernier, l’opération de vide sanitaire s’est bien passée. Au total, 25 millions d’euros ont été versés au titre de l’indemnisation sanitaire, et 43 millions d’euros ont été versés au titre du dépeuplement. Néanmoins, vous l’avez rappelé, il manque encore 30 % de l’aide qui doit être attribuée par l’Union européenne. Les procédures sont en cours et les versements devraient avoir lieu au début du printemps. Le ministère de l’agriculture est mobilisé, en lien avec notre représentation à Bruxelles, pour que tel soit le cas.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes nombreux, dans cet hémicycle, à être élus dans des départements touchés par cette épizootie. Vous pouvez constater que l’État est totalement mobilisé, aux niveaux tant local que national, aux côtés des éleveurs et de toute la filière pour faire face à cette crise difficile ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’éducation nationale.
Madame la ministre, un rapport sénatorial récent, s’appuyant sur des chiffres produits par votre ministère, a illustré les difficultés que rencontrent aujourd’hui les enseignants.
Alors que le marché du travail est tendu, le nombre de démissions d’enseignants stagiaires a triplé dans le premier degré depuis 2012. Il a doublé dans le second degré. C’est un signe.
Ce rapport relève notamment le caractère éprouvant de l’année de stage.
Votre ministère relativise ces chiffres. Je ne doute pas que vous me répondrez dans ce sens. Vous ajouterez certainement que l’éducation nationale fait face à un problème de moyens, et vous conclurez en invoquant la création de postes supplémentaires, passés ou à venir.
Je doute que vous ayez lu le rapport de la Cour des comptes de 2013, qui indiquait que le problème de l’éducation nationale n’était pas d’ordre quantitatif.
Ne pensez-vous pas que le pédagogisme, les réformes à répétition, ou encore la solitude dont se plaignent les enseignants vis-à-vis de leurs élèves expliquent en réalité le malaise que l’on observe aujourd’hui ?
Ne pensez-vous pas que l’éducation nationale et ses personnels ont avant tout besoin de missions claires, fondées sur la transmission du savoir, de perspectives et de soutien de la hiérarchie face à des classes de plus en plus rebelles à toute forme d’autorité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, je vous remercie de cette question.
Pour être tout à fait précise, le taux de démission parmi les enseignants s’élève à 0,15 %. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne cherche absolument pas à relativiser cette réalité. Je tiens simplement à ce que vous ayez ce chiffre à l’esprit.
Un certain nombre d’enseignants en début de carrière constatent effectivement que ce métier n’est pas fait pour eux. Ils décident donc de le quitter.
Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas cela !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Parallèlement, vous l’aurez sans doute noté, de plus en plus de personnes se tournent vers le métier d’enseignant après avoir suivi une autre carrière. Ainsi, près de 15 % des élèves inscrits en première année dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, sont en situation de reconversion professionnelle. Ce chiffre mérite d’être rapproché des 0, 15 % de démissions.
On constate tout simplement que nous vivons dans un monde où les salariés sont appelés à changer régulièrement de métier. Cette mobilité fait partie de l’évolution des cultures professionnelles.
Un sénateur du groupe Les Républicains. Tout va bien !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Pour notre part, ce qui nous importe – je vous le confirme –, c’est qu’une fois en exercice, les personnels enseignants soient bien formés, bien rémunérés, bien considérés et bien accompagnés.
L’atteinte de cet objectif passe par la recréation de la formation initiale ; elle passe également par les mesures que nous avons adoptées dans le cadre des parcours professionnels, carrières et rémunérations, les PPCR, qui nous conduisent à accompagner de manière beaucoup plus étroite les enseignants dans les premières années de leur carrière. Ainsi, nous sommes à même de répondre à leurs difficultés, de leur proposer les formations qui leur sont les plus utiles, et de ne jamais leur donner le sentiment d’être laissés à eux-mêmes.
Je tiens à vous rassurer : je ne fais pas partie de ceux qui estiment que tout va bien en matière de gestion des ressources humaines dans l’éducation nationale. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) À mon sens, nous pouvons encore nous améliorer. Mais le travail a déjà été bien entamé au cours de ce quinquennat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jacques-Bernard Magner. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour la réplique.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la ministre, votre réponse est convenue. Les résultats catastrophiques de la dernière enquête PISA impliquent de se poser les vraies questions. (Brouhaha sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Face à ces mauvais résultats, face à la désespérance des enseignants, plutôt que d’affronter les réalités, vous venez de nous expliquer qu’il convient de conforter et d’accentuer tous les mauvais choix qui ont conduit l’éducation nationale à cette situation préoccupante.
M. Jean-Pierre Sueur. On ne peut pas répondre avec des discours écrits à l’avance ! Il faut interdire les papiers lus !
Mme Patricia Morhet-Richaud. Vous me faites penser à cette citation de Bossuet : « Dieu rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Louis Carrère. Et bientôt, nous aurons des citations de Fillon ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
épidémie de grippe
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour le groupe Les Républicains.
M. Jérôme Bignon. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion.
Mes chers collègues, l’actualité de la France, ce n’est pas la primaire socialiste. L’actualité de la France, ce n’est pas l’intronisation de M. Trump. L’actualité de la France, aujourd’hui, c’est la grippe.
La grippe, c’est effectivement l’actualité de dizaines de milliers de parents inquiets de voir leurs enfants atteints par le virus.
La grippe, c’est l’actualité des 155 000 seniors déjà touchés et de tous ceux qui, isolés chez eux ou abandonnés dans un EHPAD, craignent d’être affectés.
La grippe, c’est l’actualité dramatique des familles endeuillées par ce fléau.
La grippe, c’est l’actualité des hôpitaux surchargés, des EHPAD déboussolés, des services d’urgences éreintés.
Mme Annie David. Il faudrait dire un mot des suppressions de postes !
M. Jérôme Bignon. La grippe, c’est l’actualité de tous ces personnels d’établissements hospitaliers et médico-sociaux où les lits font défaut, car ils sont fermés par décision gouvernementale.
La grippe, c’est l’actualité de médecins libéraux épuisés et pas assez nombreux.
La grippe, c’est l’actualité de ceux de nos compatriotes qui vivent dans des déserts médicaux.
La grippe, c’est l’actualité de ceux qui font la queue dans les cabinets médicaux, ou qui attendent parfois vingt-quatre heures pour être pris en charge dans un service d’urgences.
Pourtant, la grippe n’est pas un phénomène surprenant. Elle n’a rien d’invraisemblable. Elle est là chaque année, plus ou moins forte, mais elle est là, et avec de grands pics qui reviennent tous les cinq ans : leur occurrence est bien connue.
Madame la secrétaire d’État, nous sommes donc surpris par une impression générale d’imprécision. L’action du Gouvernement semble improvisée, très imprécise, très floue, très peu maîtrisée, voire très peu professionnelle.
Alors que nous sommes en pleine épidémie, le débat entre la direction générale de la santé, la DGS, qui réclame un retour obligatoire à la vaccination des professionnels, et le directeur général de l’Agence nationale de santé publique, l’ANSP, qui, lui, ne souhaite qu’un élargissement des mesures, paraît surréaliste.
Que pouvez-vous nous dire pour rassurer les parlementaires présents dans cet hémicycle et, plus généralement, nos compatriotes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Bignon, je vous demande tout d’abord de bien vouloir excuser la ministre de la santé, Marisol Touraine, laquelle se trouve précisément dans un hôpital qui fait face à l’épidémie de grippe. (Elle l’a attrapée ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous avez raison, monsieur le sénateur, de rappeler que la grippe n’est pas une maladie bénigne, en particulier pour les personnes âgées et pour les autres sujets fragiles.
En matière de vaccination, on peut toujours faire mieux. En cette période propice, je forme le vœu que l’année prochaine à l’automne, au moment de la campagne de vaccination, il y ait autant de responsables politiques qui prennent la parole pour inciter à la vaccination, que de questions, au moment de l’épidémie, sur ce qui s’est passé ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Dès le 28 octobre, la ministre de la santé a transmis à l’ensemble des professionnels de santé et au grand public des messages de préparation à l’épidémie, dont on ne connaît jamais à l’avance l’ampleur. Cette année, il faut le reconnaître, elle est précoce et virulente.
Dès le 21 décembre, des mesures ont été prises au niveau des établissements de santé, en particulier des hôpitaux publics, et des dispositifs spécifiques ont été mis en œuvre, depuis ce que l’on appelle « hôpital en tension » jusqu’au plan blanc, qui permettent de rappeler des personnels, de rouvrir des lits ou encore de déprogrammer des activités non urgentes.
Le Président de la République a organisé ce matin une réunion à l’Élysée pour faire le point ; 192 hôpitaux et établissements de santé se sont déclarés en tension, ce qui a conduit à reporter certaines activités non urgentes.
Plus que jamais, cette épidémie nous rappelle que l’hôpital public est notre patrimoine commun ; à l’approche des échéances électorales, il faut alerter les Français : supprimer 500 000 fonctionnaires, et donc des dizaines de milliers de postes à l’hôpital public, cela emportera des conséquences funestes sur leur état de santé ! (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mardi 17 janvier, à seize heures quarante-cinq.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Candidature à deux commissions mixtes paritaires
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales a fait connaître à la présidence qu’elle propose la candidature de Mme Annie David pour siéger, en qualité de titulaire, au sein, d’une part, de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique et modifiant l’article 166 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, et, d’autre part, de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification de procédures mises en œuvre par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et comportant diverses dispositions relatives aux produits de santé ; en remplacement de Mme Laurence Cohen, démissionnaire.
Cette candidature a été publiée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
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« Faut-il réformer le fonctionnement de la zone euro ? »
Débat organisé à la demande du groupe du RDSE
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du RDSE, sur le thème : « Faut-il réformer le fonctionnement de la zone euro ? »
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, orateur du groupe auteur de la demande.
M. Pierre-Yves Collombat, au nom du groupe du RDSE. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues – venus nombreux participer à ce débat, dont le thème, sans doute, n’est pas important… –, on peut lire dans Le Bêtisier de Maastricht, rassemblé par Jean-Pierre Chevènement quelques années après le référendum de septembre 1992, cette tirade de Jacques Delors, en campagne à Quimper : « [Les partisans du non] sont des apprentis sorciers. […] Moi, je leur ferai un seul conseil : “Messieurs, ou vous changez d’attitude, ou vous abandonnez la politique. Il n’y a pas de place pour un tel discours, de tels comportements, dans une vraie démocratie qui respecte l’intelligence et le bon sens des citoyens”. »
En posant la question « faut-il réformer la zone euro ? », j’ai bien conscience de prendre le risque de me retrouver au rang des imbéciles, des manipulateurs – on dit aujourd’hui populistes –,…
M. André Gattolin. Pas vous !
M. Pierre-Yves Collombat. … des europhobes – forme la plus vicieuse des xénophobes –, autant dire des racistes.
Ce qui me rassure, à voir les résultats des urnes partout en Europe, à lire Stiglitz, Allais, Krugman, Galbraith, Sapir et bien d’autres économistes, c’est que je n’y serai pas tout seul !
Deux arguments principaux ont été mobilisés pour justifier la création de l’Union économique et monétaire et de la monnaie unique. L’argument économique : le traité, dira Michel Sapin, déjà ministre des finances, c’est « plus de croissance, plus d’emplois, plus de solidarité » ; et l’argument de la souveraineté : moins de souveraineté au niveau européen c’est plus d’indépendance monétaire et financière vis-à-vis des États-Unis.
Les faits se chargeront de montrer, avant 2008 et plus encore après, qu’en matière de croissance et d’emploi la zone euro faisait moins bien que les États-Unis et même, à partir de 2003, moins bien que l’Union européenne à vingt-huit en matière de chômage. En mai 2016, le différentiel atteignait 1,5 %. À ce jeu, il n’y a que des perdants, et un seul gagnant : l’Allemagne, qui accumule les excédents.
Quant à l’Europe sociale, non seulement elle n’a pas progressé, mais elle régresse partout, même en Allemagne. Entre 2004 et 2014, la pauvreté touchera un million de personnes en plus en France. La situation est telle que l’inertie de l’Europe, à laquelle beaucoup prédisent l’avenir de stagnation d’un Japon, englouti sous la liquidité depuis plus de vingt ans, est de plus en plus dénoncée. Un autre signe de blocage est la baisse du commerce intraeuropéen.
Les dégâts de la crise montreront que la zone euro est toujours une province de l’Empire américain. Si le décalage dans la chronologie de la crise des subprimes a pu laisser croire un moment à un décrochage entre les systèmes financiers européen et américain, la suite montra qu’il n’en était rien.
Où les capitaux se réfugièrent-ils en 2008, alors que la crise battait son plein aux États-Unis ? À New York plutôt qu’à Francfort ou à Paris. Qui sanctionne les entreprises européennes accusées de contourner la réglementation étatsunienne à l’extérieur des États-Unis ? La justice des États-Unis ! Le rapport de nos collègues députés Karine Berger et Pierre Lellouche est édifiant : tout échange en dollar est susceptible de relever des justices des États-Unis.
Depuis 2008, on estime que des amendes d’un montant compris entre 20 milliards et 40 milliards d’euros ont été infligées à des banques et à des entreprises européennes en raison de manquements commis hors du territoire américain, ce qui n’a rien à voir avec le redressement fiscal imposé à Apple pour des faits qui se sont produits sur le territoire européen, dont il reste d’ailleurs à connaître l’issue.
Ce qui frappe, dans la gestion de cette crise venue des États-Unis, c’est le manque de réactivité et le dogmatisme des Européens. L’Europe s’avère « structurellement faible » par temps de crise, écrit Paul Krugman. C’est le moins que l’on puisse dire !
À la différence des États-Unis, qui ont réagi très vite et très puissamment, en ne séparant pas sauvetage du système financier et relance économique, en alliant une politique des taux directeurs, la mise en place de plan d’aide à la consommation et à la relance et une politique massive de quantitative easing. En 2011, la Banque centrale européenne, la BCE, luttait encore contre une inflation imaginaire et relevait son taux directeur.
Il faudra attendre l’arrivée du rusé Mario Draghi pour que la BCE utilise le quantitative easing dans un objectif de relance économique ainsi que le rachat de titres souverains sur le marché secondaire afin de couper les ailes à la spéculation, avec un succès mitigé.
Cerise sur le gâteau, la zone euro ne s’est pas contentée de subir la crise importée d’Amérique : à partir de 2010, elle en affronte une, et une bien européenne, la crise grecque, sur fond de crise des dettes souveraines, dont l’origine est d’abord le mode de construction de la monnaie unique. Il fallait tout de même oser retirer aux membres de la zone euro le pouvoir de battre monnaie, directement ou indirectement !
Pour sauver les meubles, faute d’une banque centrale habilitée à financer directement la dette publique et mettant ainsi les États à l’abri d’une spéculation mortelle, on a bricolé un système de financement collectif complexe, limitant un peu plus les marges budgétaires des États : Mécanisme européen de solidarité financière, ou MESF, Fonds européen de stabilité financière, ou FESF, Mécanisme de stabilité financière, ou MES, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’union économique et monétaire, ou TSCG.
Cinq ans auront donc été nécessaires pour ne pas régler au fond la situation de la Grèce, dont le PIB représente 3 % de celui de la zone euro, sans garantie que le dispositif mis en place fonctionnera au bénéfice de pays plus importants, tels que le Portugal, l’Espagne et surtout l’Italie, dont le système bancaire est au bord de l’implosion. Ce n’est pas véritablement une réussite !
En outre, tout cela a conduit à installer directement une austérité budgétaire et sociale mortifère en Grèce, dont le PIB en 2016 aura retrouvé le niveau qu’il avait en 2002, et à alimenter la stagnation économique du reste de la zone euro.
« C’est l’inflexibilité de l’euro, et non les dépenses publiques, qui se trouve au cœur de la crise » écrit Paul Krugman. Il ajoute que si certains gouvernements « ont été irresponsables », le problème fondamental fut l’orgueil, la croyance arrogante que l’Europe pouvait « adopter une monnaie unique bien avant que le continent n’y soit prêt ».
Cela nous amène au cœur du problème, qui est le mode de construction de la zone euro et les principes sur lesquels elle repose.
L’euro est une tentative inédite de créer une monnaie sans référence à l’étalon-or, sans pouvoir souverain pour la légitimer, l’administrer et la gouverner en cas de crise ; une monnaie sans garantie mutuelle permanente des dettes permettant l’émission d’euro-obligations ; non pas une monnaie unique, mais un système de parités fixes entre des monnaies zombies, sans mécanisme permettant de réduire les excédents et les déficits inéluctables entre des pays dont les productivités économiques sont très différentes.
Le résultat, c’est une monnaie sous-évaluée pour l’Allemagne, la seule bénéficiaire du système, et surévaluée pour tous les autres membres de la zone ! En cas de crise, faute de pouvoir dévaluer leur monnaie, les pays n’ont plus que le choix de la « dévaluation interne » par la baisse des salaires et de l’investissement, renforçant les facteurs de dépression localement et dans l’Europe tout entière.
Quand se conjuguent baisse des salaires et désendettement, il ne faut pas s’étonner de trouver la dépression au rendez-vous, d’autant plus que les contraintes budgétaires inscrites dans le traité interdisent de fait toute politique de relance, par la consommation comme par l’investissement.
Ce système, en refusant toute monétisation de la dette publique ou sociale, crée, au mieux, une rente perpétuelle pour les banques ou, au pire, expose les États, ainsi placés dans la main des marchés, au chantage spéculatif. Avant l’euro, le Trésor et les banques centrales nationales surveillaient le taux de change ; maintenant, ils surveillent le spread. Considérable progrès !
Le garant de cet ordre, c’est le respect de quelques règles budgétaires bricolées sur un coin de bureau, alors même qu’il n’est pas prévu de politique budgétaire ou économique commune par les États, sous la surveillance du haut clergé financier central. S’y ajoute un système de banque centrale, chargée de lutter contre l’inflation, mais pas contre la stagnation.
Faut-il donc réformer la zone euro ? Oui, sans conteste. Peut-on réformer la zone euro ? Très probablement non.
En échangeant son soutien à la réunification allemande contre la monnaie unique, la France pensait régler définitivement son problème de toujours : la parité entre le franc et le mark. Certes, elle risquait d’y perdre son industrie – ce qui arriva ! –, mais elle y gagnerait, pensait-elle, le leadership bancaire. C’était une sorte de partage des rôles.
La maîtrise d’œuvre de la zone euro ayant été abandonnée aux Allemands, le résultat fut toutefois un peu différent de ce qui avait été prévu. On ne voit donc pas pourquoi l’Allemagne accepterait de modifier un système qui lui réussit si bien et s’ouvrirait à des aménagements, même mineurs, qu’elle a toujours refusés.
Quant à la sortie par le haut, par le destin fédéral dont ont toujours rêvé les porteurs du projet européen, lesquels, certains que l’Europe se construirait à travers des crises surmontées, ont bâti cet énorme poumon d’acier, elle me semble bouchée et je crains que ses soutiens déchantent rapidement.
Philippe Séguin, qui avait prévu ce qui allait se passer, disait à la tribune de l’Assemblée nationale en mai 1992, lors du débat préalable à la ratification référendaire du traité de Maastricht : « Quand, du fait de l’application des accords de Maastricht, notamment en ce qui concerne la monnaie unique, le coût de la dénonciation sera devenu exorbitant, le piège sera refermé et, demain, aucune majorité parlementaire, quelles que soient les circonstances, ne pourra raisonnablement revenir sur ce qui aura été fait.
« Craignons alors que, pour finir, les sentiments nationaux, à force d’être étouffés, ne s’exacerbent jusqu’à se muer en nationalismes et ne conduisent l’Europe, une fois encore, au bord de graves difficultés, car rien n’est plus dangereux qu’une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté par laquelle s’exprime sa liberté, c’est-à-dire son droit imprescriptible à choisir son destin. »
Je me trompe peut-être, mais mon sentiment est que nous y sommes.
Descendant de quelques étages, je finirai par une prédiction nettement plus réconfortante de Bernard Kouchner, lors de la campagne référendaire de Maastricht : « Avec Maastricht, on rira beaucoup plus ! » Mes chers collègues, je compte sur vous pour lui donner raison. (MM. François Fortassin et Jean-Noël Guérini applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe UDI-UC.
M. Michel Canevet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, puisque nous en sommes encore à une période de vœux, le groupe UDI-UC souhaite ardemment qu’en 2017 nous parlions beaucoup de l’Europe, non pas pour la détruire, mais bien au contraire pour la construire et l’affirmer plus encore. Elle en a bien besoin, et les différentes échéances qui se présentent offriront l’occasion de consolider le débat européen et de confronter nos points de vue à ce sujet.
Je remercie le groupe RDSE d’avoir organisé ce débat sur le fonctionnement de la zone euro. C’est effectivement un sujet important. J’étais de ceux qui, en 1992, ont voté avec enthousiasme le traité de Maastricht constituant l’union économique et monétaire pour l’Europe. La majorité des Français l’avait approuvé.
J’ai été très heureux également quand, voilà quinze ans très précisément, dix-neuf pays de l’Europe ont mis en place cette nouvelle monnaie, l’euro, laquelle, à mon sens, a permis de favoriser les échanges et les déplacements des personnes et a ainsi affirmé plus encore le sentiment européen. On ne peut que s’en réjouir.
Je fais une lecture plutôt positive de la mise en place de l’euro, parce qu’il nous a permis de surmonter en 2008 une crise particulièrement grave. Les pays les plus fragiles, comme la Grèce, ont pu s’en sortir grâce à la solidarité des différents pays européens adhérant à la zone euro. Rien n’est pire que le repli sur soi. Si les Grecs n’avaient pas eu le soutien des Européens à cette occasion, nul doute qu’ils auraient connu les pires difficultés et perdu toute crédibilité sur la place internationale.
Le fait, au contraire, d’être partenaire des dix-huit autres pays de la zone euro a permis à la Grèce de s’en sortir comme, auparavant, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne ou l’Italie, qui ont connu des difficultés.
Cela signifie non pas que tout va bien avec l’euro, mais que nous avons pu surmonter un certain nombre de crises. Nous devons continuer à construire cette Europe et à confirmer l’euro comme étant une valeur importante. Le fait que le Royaume-Uni quitte l’Union ne change rien à cela : ils ont toujours été en dehors de l’euro.
Que faut-il faire pour continuer à progresser ? Il faut bien sûr inciter d’autres pays de l’Union européenne à adhérer au dispositif de l’euro, mais, d’abord, sur le plan institutionnel, il faut organiser plus de réunions régulières entre les responsables de la zone euro. L’article 12 du traité budgétaire prévoit aujourd’hui des réunions lorsque des circonstances exceptionnelles le nécessitent, comme ce fut le cas pour la Grèce, et au moins deux fois par an.
À mon sens, conformément aux conclusions d’un rapport sénatorial récent, ces réunions devraient être institutionnalisées au moins tous les deux mois, de façon à aborder régulièrement l’ensemble des problématiques de la zone euro.
Au nom du groupe UDI-UC, j’ajoute que nous devons encore plus construire l’Europe. Valéry Giscard d’Estaing disait que « l’Europe est une trajectoire et non un état stationnaire. » Effectivement ! Depuis la Seconde Guerre mondiale, nous avons construit une Europe fraternelle et ainsi supprimé les conflits sur son territoire. Nous devons continuer en ce sens, en affirmant encore plus notre regroupement au niveau économique.
Pour cela, un certain nombre de conditions s’imposent, d’abord concernant la fiscalité. Aujourd’hui, les dispositions fiscales sont particulièrement disparates dans les dix-neuf pays de la zone euro. Nous devrons certainement tendre vers une situation à la moyenne de la fiscalité de pays concernés. Si l’on veut que les conditions économiques de concurrence entre les différents pays soient identiques, il faut que les conditions fiscales le soient également.
Sans doute devrons-nous également continuer à affirmer cette Europe !
Telles sont les propositions que le groupe UDI-UC souhaitait mettre en avant. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, faut-il réformer le fonctionnement de la zone euro ? La question posée est pertinente, mon cher Pierre-Yves Collombat, et la réponse est évidemment oui. Reste à savoir comment faire…
La zone euro est en crise, même si nous avons franchi une période difficile en 2012, j’y reviendrai, parce que je diffère de mon excellent collègue Michel Canevet à propos de la solidarité des États, mais le constat est clair, notamment depuis 2008.
Nous avons alors assisté à une crise de la dette privée, avec l’effondrement de la banque Lehman Brothers, qui s’est rapidement muée en crise de la dette souveraine en 2010, puisque, globalement, les États ont renfloué les victimes de la crise financière au prix d’un accroissement impressionnant de leur dette publique et d’une augmentation très forte de leur déficit budgétaire afin de compenser les effets économiques et sociaux de cette crise.
On dit souvent que c’est le non-respect des critères qui a provoqué la crise, mais en réalité, c’est la crise qui a provoqué le non-respect des critères !
Nombre de pays de l’Union européenne se sont trouvés en situation de ne plus respecter deux des critères majeurs du traité de Maastricht énoncé dans l’article 121 qui fondaient les conditions de création de l’euro et de la zone qui lui était attachée : un déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB et un taux d’endettement public en dessous de 60 % du PIB. On oublie que le premier critère était une inflation limitée à 1,5 %. On n’en parle plus, parce que cela ne concerne pas beaucoup de pays de l’Union européenne aujourd’hui !
Si la zone euro est encore là et qu’elle a survécu à la grande crise qu’elle a connue en 2012 après la menace de défaut de la Grèce, mais aussi de plusieurs autres États membres, le constat d’échec demeure. Les performances économiques des pays de cette zone sont inférieures à celles d’autres pays de l’Union européenne qui n’en font pas partie et elles sont surtout inférieures à celles des États-Unis, pourtant à l’épicentre de la crise qui a frappé l’économie mondiale en 2008.
Les disparités financières et économiques se sont singulièrement accrues entre États de la zone euro et même l’Allemagne, qui s’en tire bien mieux que les autres, n’est pas en si bonne situation.
Les modèles de croissance fondés par les États membres considérés comme les plus vertueux au regard des critères de Maastricht se basent de plus en plus sur le chacun pour soi, leur succès s’obtient au détriment de leurs partenaires, si l’on peut encore utiliser ce terme. L’Allemagne bénéficie ainsi d’un excédent commercial excessif, d’autres, de pratiques fiscales relevant du dumping.
C’est le constat fait aujourd’hui par nombre d’économistes, dont Joseph Stiglitz. Je le fais mien, sans partager ses conclusions : la crise est là, et l’euro a échoué dans deux de ses principaux buts, à savoir la prospérité et l’intégration économique.
Ces dysfonctionnements, selon moi, trouvent leurs racines dans les vices cachés présents depuis la création de la zone euro.
Pour ma part, je suis favorable à une monnaie unique européenne. Pourtant, en 1992, au moment du référendum sur le traité de Maastricht, alors que j’étais l’un des responsables des jeunesses européennes fédéralistes, j’ai fait scandale en annonçant que je m’abstiendrai. En effet, j’étais certes pour l’euro, mais contre un euro sans gouvernance économique ni surtout politique pour l’encadrer.
Je ne vous cache pas que, pendant plus de dix ans, je suis passé pour un idiot. Puis, les crises ont montré que les choses ne tournaient pas d’elles-mêmes, et que le fonctionnement de la zone euro était fondé sur une large ambiguïté : l’article 125 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne précisait qu’il n’y aurait pas de solidarité financière entre les États en cas de crise ; à la demande de l’Allemagne, ce même article réduisait la BCE aux acquêts, lui confiant la seule mission de juguler l’inflation, et l’empêchant de prêter aux États tiers ou aux États membres ; mais, lorsque cette gardienne de l’inflation s’est trouvée en échec et jusqu’à la veille de la crise de 2007-2008, les marchés ont cru à une solidarité qui n’était pourtant pas dans les textes.
On avait alors largement outrepassé les textes, puisque, en 2003, quand la Commission européenne a pris des mesures pour demander des sanctions contre la France et l’Allemagne pour déficit excessif, un compromis habile avait été trouvé, comme par miracle. Celui-ci avait également permis, au passage, d’effacer l’ardoise de la Grèce, qui avait déjà quelques difficultés flagrantes.
À l’issue de cette crise, l’Allemagne, qui se trouve dans une position relativement forte, réaffirme tout à coup des exigences anciennes : juguler l’inflation et maîtriser les dépenses, à un moment où nous avons besoin de ces dernières pour reconstruire l’investissement.
Nous devons trouver des solutions, mais la création un ministre des affaires économiques et financières de la zone euro que l’on nous propose aujourd'hui n’est qu’un gadget ! Nous voyons bien que Mme Frederica Mogherini, qui est l’équivalent d’un ministre européen des affaires étrangères, n’a aucun poids réel face à vingt-huit politiques étrangères différentes. Les choses se jouent désormais au niveau politique.
Il nous faut retrouver une solidarité financière entre les États européens. Sans cela, la zone euro n’a pas de sens, car une crise touchant la Grèce ou Chypre risque de menacer tout l’édifice, alors que ces pays ne représentent que quelques pour cent du PIB européen.
Nous devons repenser non seulement les fondements de la zone euro, mais également l’organisation globale et les fondations de l’Europe, même si je n’ai malheureusement pas le temps de développer mes idées sur ce point. (MM. Pierre-Yves Collombat et Jean Bizet applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat sur l’avenir de la zone euro porte sur un sujet important, qui mérite réflexion et propositions. Je me suis donc réjoui que notre collègue Pierre-Yves Collombat ait inscrit cette question à l’ordre du jour, et je pensais que nous allions pouvoir confronter nos propositions.
Je suis toutefois quelque peu amertumé, si je puis dire, monsieur Collombat. En effet, vous avez consacré l’essentiel des dix minutes qui vous étaient imparties à une charge contre la zone euro, parfois amusante, parfois un peu désuète, par exemple lorsque vous avez fait allusion à l’étalon-or, que plus personne n’utilise depuis quarante ans.
M. Pierre-Yves Collombat. Vous déformez mon propos !
M. Richard Yung. C’est vous qui l’avez évoqué !
M. Pierre-Yves Collombat. Je l’ai évoqué comme un moyen de faire une monnaie.
M. Richard Yung. L’étalon-or a été abandonné en 1971 !
J’ai donc compris à la fin de votre intervention qu’il n’y avait aucune solution possible et que le système était fermé. Mais alors, pourquoi inscrire cette question à l’ordre du jour ?
M. Pierre-Yves Collombat. Pour que nous en soyons conscients ! Même si c’est dépassé, c’est un moyen de réaliser une telle monnaie !
M. Richard Yung. Toutefois, il n’y a rien à réaliser, puisque, d’après ce que vous nous avez expliqué, il n’y a pas d’avenir possible.
Je ne suis pas souverainiste, et le Brexit constitue à mon avis un problème sérieux pour la zone euro. C’est pourquoi je pense que nous devons avoir ce débat important, afin de faire des propositions pour les années à venir. Le calendrier de 2017 y sera peu propice, avec des élections en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. Il faudra donc sans doute attendre la fin de l’année pour pouvoir vraiment faire des propositions. Le problème étant suffisamment lourd et difficile, il n’est toutefois pas trop tôt pour commencer à y réfléchir.
Réformer l’architecture de la zone euro, c’est aussi essayer de répondre au désamour vis-à-vis de l’Europe et à la montée des populismes que nous voyons illustrés, d’une part, par le Brexit et le vote souverain qui y a conduit, et, d’autre part, de façon un peu plus amusante, par les palinodies de Beppe Grillo au Parlement européen.
Nous devons être fiers de ce qui a été réalisé. Dans l’histoire, il n’y a pas d’autre exemple d’une vingtaine de pays – nous sommes dix-neuf –, qui décident de mettre en commun leur monnaie et une partie de leur souveraineté. N’étant pas souverainiste, cette mise en commun ne me gêne pas, bien au contraire.
Les institutions de la zone euro et de la BCE ont constitué un progrès important. Sans elles, le franc serait sans doute aujourd'hui à 20 % de moins que l’euro.
M. Pierre-Yves Collombat. Et alors ?
M. Richard Yung. Faut-il ou non réfléchir dans le cadre des traités et accords existants ? Je formulerai plusieurs remarques à ce sujet. La première est qu’il nous faut déjà faire fonctionner les traités et les textes de la zone euro tels qu’ils existent. J’en donnerai deux exemples.
Premièrement, le pacte de stabilité et de croissance date de 1997 et a donc près de vingt ans. Malheureusement, ce texte a essentiellement été interprété comme un pacte de stabilité, car la politique menée par les majorités de droite et de gauche au Parlement européen et à la Commission européenne a consisté à mettre l’accent sur le fameux déficit de 3 % et sur celui de la balance commerciale, occultant le volet croissance, qui n’a fait l’objet d’aucune proposition.
Permettez-moi d’y insister, les États-Unis ont réagi pour leur part dès 2008 de façon beaucoup plus forte, créant les conditions d’une reprise de leur croissance dont nous voyons les effets aujourd'hui.
Deuxièmement, nous avons créé un mécanisme européen dit « de stabilité », qui représente une capacité de 700 milliards d’euros. Dans la réalité, ces fonds qui ont vocation, d’une part, à aider des pays en difficulté budgétaire, et, d’autre part, à recapitaliser indirectement des banques qui en auraient besoin, ne sont pas utilisés.
À ma connaissance, seulement 70 milliards d’euros sur les 700 milliards d’euros disponibles ont été employés. Pourquoi n’utilise-t-on pas complètement ce mécanisme ?
Ma deuxième remarque porte sur la coordination des politiques budgétaires, j’y reviendrai, et la troisième, sur la nécessité de créer un fonds de garantie des dépôts dans le cadre de l’union bancaire. Bien que ce dernier point soit moins central, il revêt tout de même une certaine importance. Nous avons voté une résolution visant à le créer, mais il y a des blocages, en particulier de la part de l’Allemagne.
Nous devons par ailleurs imaginer une capacité budgétaire européenne de la zone euro pour faire face aux chocs économiques. Celle-ci se construirait autour d’une politique de convergence. Le débat a commencé sur la convergence fiscale et de l’impôt sur les sociétés, les problèmes étant ceux de l’assiette et du taux. Une proposition de convergence de l’évolution des salaires est aujourd'hui sur la table.
À ce sujet, on a tort d’accuser l’Allemagne, qui, depuis trois ans, mène une politique relativement forte d’augmentation des salaires. Les salaires allemands ne sont pas au niveau des salaires français, mais ils s’en rapprochent.
Enfin, l’investissement, public comme privé, n’est à la hauteur ni en Allemagne ni en France. Une solution qui me semble centrale consisterait à créer une réserve susceptible d’absorber les chocs économiques, qu’ils soient spécifiques à un pays déterminé ou généraux dans la zone.
La question qui se pose est évidemment celle du financement d’un tel fonds. Je pense que le Mécanisme européen de stabilité devrait être utilisé, sous une forme qui reste à définir, car il est issu d’un traité intergouvernemental. Ces fonds devraient être réintégrés dans l’Union économique et monétaire européenne ou dans la zone euro en tant que telle. Toutefois, dans ce cas, se poserait le problème des États qui n’en sont pas membres, ce qui était, heureusement, le cas du Royaume-Uni. Il apporterait ainsi les bases d’un budget important pour la zone euro, conformément à sa vocation, qui est d’aider les États dont les budgets sont déséquilibrés.
M. Jean Bizet. Il représente en effet 700 milliards d’euros !
M. Richard Yung. Il pourrait aussi financer ces grands investissements dont on discute depuis des années en sautant sur nos chaises – canal Rhin-Rhône, chemin de fer, plan numérique, et j’en passe –, alors que, pour l’heure, rien n’a encore été fait.
Je dois toutefois nuancer mon propos, car le plan Juncker a permis d’avancer sur ces investissements, si bien qu’une proposition est actuellement sur la table, afin de le doubler.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Richard Yung. Il passerait de 350 milliards d'euros à 700 milliards d’euros, ce qui est tout de même considérable.
Comment serait géré ce fonds, qui, sous une forme ou sous une autre, deviendrait le budget de la zone euro ?
Monsieur Gattolin, je pense qu’il faut désigner un responsable de ce fonds, un commissaire ou un ministre européen, qui prendrait ses instructions au conseil des ministres de l’économie et des finances, ou même, quand cela serait nécessaire, au Conseil européen. Un contrôle politique est nécessaire. Cela permettrait d’assurer la cohérence entre l’Eurogroupe, la Commission européenne, le Mécanisme de stabilité européen ou le budget, tout en assurant une représentation extérieure de la zone euro.
Ce responsable devrait donc rapporter au conseil des ministres, mais je pense qu’il devrait également être sous le contrôle d’une structure issue du Parlement européen. Je ne sais pas comment il faudrait appeler cette structure qui reste à inventer, mais elle serait en quelque sorte le parlement de la zone euro – après tout, tous les pays de la zone euro siègent au Parlement européen.
La difficulté serait d’y associer les Parlements nationaux, puisque c’est une partie de notre travail de discuter et de voter le budget. Nous pourrions nous inspirer du système du Bundesrat ou d’autres.
D’autres propositions pourraient sans doute être formulées. Nous pouvons faire des listes infinies de tout ce que nous souhaitons. Or le vrai problème n’est pas tellement de savoir ce que nous voulons faire, mais ce qui est susceptible de rencontrer un écho auprès de l’Allemagne, mais aussi de l’Espagne et de l’Italie.
Face à la politique américaine qui se met en place – America first, une politique traditionnelle des républicains –, et qui montre la volonté des États-Unis de défendre leurs intérêts, face au Brexit, la seule solution qui s’offre à nous est de construire une alliance forte entre la France et l’Allemagne.
Nous devons donc faire des propositions, monsieur le secrétaire d'État, et, dans le courant de l’année 2017, sans doute devrons-nous prendre des décisions susceptibles de produire un choc, afin de relancer le dialogue et d’affirmer notre volonté d’alliance avec l’Allemagne. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de me féliciter de la tenue de ce débat sur la zone euro, qui intervient au moment où le renforcement de l’Union économique et monétaire semble malheureusement passer au second plan des priorités politiques de l’Union européenne, Brexit et dossier de l’immigration aidant. Monsieur Collombat, je vous remercie de l’avoir inscrit à l’ordre du jour.
À la question qui a été posée, ma réponse sera la même que celle de mon collègue André Gattolin : oui, il faut réformer le fonctionnement de la zone euro. Toutefois, mes chers collègues, bien qu’elle soit trop lente à mon goût, il faut reconnaître que cette réforme est en cours.
Je vous rappelle que la nécessité de conclure, à l’été 2015, un troisième plan d’aide pour la Grèce a en effet démontré que l’Union économique et monétaire demeurait fragile et que ses défauts de conception n’avaient pas été entièrement effacés. Certes, les réformes impulsées entre 2010 et 2012, conjuguées à l’action de la BCE dans les moments décisifs, ont permis de préserver l’intégrité de la zone euro.
Je pense notamment au Mécanisme européen de stabilité et à l’Union bancaire. Je pense également au renforcement du pacte de stabilité et de croissance en matière de surveillance budgétaire et macroéconomique, ou encore à la coordination accrue des politiques dans le cadre du semestre européen et du pacte pour l’euro plus.
Au plus fort de la crise, les Européens ont su apporter des réponses alliant solidarité et responsabilité pour renforcer la cohérence, la crédibilité et la résilience de la zone euro. Mais depuis, rien ou presque n’a été entrepris.
Or, s’en tenir au statu quo actuel serait une faute, car si l’euro a été un acte économique fort et un acte politique fondamental, il demeure inachevé. En effet, les conséquences de la monnaie unique n’ont pas été tirées, ou du moins n’ont-elles pas été assumées. En clair, s’il y a bien une Union monétaire, les politiques budgétaires, économiques, fiscales et sociales sont restées largement indépendantes.
La convergence naturelle naïvement imaginée lors du lancement de l’euro n’a bien évidemment pas eu lieu. Pourtant, l’intégration de la zone euro est d’autant plus nécessaire que nos économies restent convalescentes. Ainsi, l’économie de la zone euro peine encore à retrouver son volume d’avant crise, le taux de chômage y reste particulièrement élevé et le taux d’investissement inférieur à son niveau de 2007. Surtout, le constat économique d’ensemble recouvre de très forts contrastes nationaux.
Sur ce point, je vous renvoie à l’audition réalisée hier par le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne de Jean-Claude Trichet. Ce dernier a souligné les différentiels d’investissement privé et de dépense publique entre les deux rives du Rhin. Alors que les taux d’emprunt remontent, ces différentiels sont extrêmement dangereux.
Pour remédier à cette situation, certains préconisent un budget de la zone euro suffisamment important pour mettre sur pied une union de transferts permanents ou assurer une fonction de stabilisation macroéconomique puissante. Si l’idée ne manque pas de fondement théorique, elle semble toutefois politiquement irréaliste en l’état actuel des choses.
C’est dans un premier temps en nous appuyant sur les réformes récentes telles que le Mécanisme de surveillance unique, le Mécanisme de résolution unique, le Mécanisme européen de stabilité auquel a fait allusion Richard Yung, et en corrigeant les faiblesses de la gouvernance que nous assurerons le rapprochement des économies et que nous relèverons les perspectives de croissance.
En effet, malgré les avancées réalisées ces dernières années, le cadre de gouvernance de l’Union économique et monétaire montre toujours de profondes lacunes. En particulier, le système de surveillance multilatérale, même s’il a été renforcé, n’a pas acquis la capacité décisionnelle suffisante pour inciter véritablement les États membres à suivre ses recommandations et à s’engager sur la voie de la responsabilité budgétaire, des réformes et de la convergence.
Sans procéder à une uniformisation complète des politiques des États membres, cette convergence pourrait s’appuyer sur un rapprochement du fonctionnement global des systèmes nationaux et sur un dispositif de « serpent fiscal » encadrant autour d’une moyenne certains taux d’imposition. Toutefois, les difficultés rencontrées par la taxe sur les transactions financières ou par l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés, dite ACCIS, démontrent s’il en était besoin la sensibilité de ces sujets.
Comme l’a également souligné Richard Yung, une collaboration étroite avec l’Allemagne serait dès lors un excellent point de départ. Un calendrier franco-allemand d’harmonisation fiscale et sociale pourrait ainsi servir de base à une série d’alignements volontaires auxquels les autres États de la zone euro devraient pouvoir s’associer.
Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes à quelques semaines du soixantième anniversaire du Traité de Rome. C’est un message que nous pourrions adresser à nos partenaires, notamment allemands, depuis Rome.
Quant au pilotage quotidien de la zone euro, il conviendrait de regrouper les postes de président de l’Eurogroupe et de commissaire en charge de l’euro et des affaires économiques et financières. Il s’agirait d’un véritable poste de ministre des finances européennes. Ce dernier serait notamment en charge de la coordination des politiques économiques et de la surveillance budgétaire, et pourrait mener un dialogue permanent avec la BCE sur les effets de la politique monétaire en matière de croissance et d’emploi.
Par ailleurs, l’exigence démocratique impose que cette nouvelle gouvernance prévoie l’association étroite et systématique des Parlements nationaux pour l’élaboration et le contrôle les politiques mises en œuvre dans le cadre de l’Union économique et monétaire. Corrélativement, la création d’un véritable Trésor européen s’avérerait nécessaire.
Mes chers collègues, je ne suis pas naïf. Je suis conscient que ces évolutions sont délicates à mettre en œuvre pour l’heure. Elles m’apparaissent cependant fondamentales pour l’avenir de la zone euro et, par voie de conséquence, pour celui de l’Europe tout entière.
Je suis raisonnablement optimiste, car, depuis la chute de Lehman Brothers, la zone euro a montré sa maturité et son sérieux à son rythme – nous aurions souhaité qu’il fût beaucoup plus rapide. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
M. David Rachline. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme vous tous, je vais bien évidemment répondre oui à la question posée par le débat de ce jour, car il y a de nombreuses réformes à mener. Toutefois, je vais totalement différer s'agissant des réformes à appliquer.
Pour vous, européistes béats, pas besoin de discuter pendant des heures, elles ont déjà été décidées par vos gourous, ceux qui ont fait de l’euro, et plus globalement de l’Union européenne, un dogme !
Le chemin qu’ils veulent imposer aux peuples des nations européennes a été énoncé dans le discret rapport des cinq présidents de l’Union européenne paru en juin 2015. Leur but n’est pas de savoir si l’euro est un bon outil ; non, il est de sauver l’euro à tout prix, ce qui pourrait par exemple passer, nous dit-on, par une surveillance des salaires par une Autorité de la compétitivité ; nos concitoyens les plus modestes vont apprécier !
Depuis lors, le Brexit est passé par là, mais votre dogmatisme demeure malheureusement intact. Plutôt que d’étudier cette réforme qui peut se résumer à davantage d’euro, davantage de convergence, davantage d’Union, ce que vous allez dire pour une large majorité d’entre vous, regardons plutôt quel est le bilan de ces années.
En 1992, Michel Rocard affirmait : « La monnaie unique, ce sera moins de chômeurs et plus de prospérité », tandis que Michel Sapin, déjà ministre de finances, promettait : « Plus de croissance, plus d’emplois, plus de solidarité » ! Je crois qu’on est loin, très loin du compte ! Désormais, un grand nombre d’économistes dont, excusez du peu, cinq prix Nobel, dénoncent les méfaits de l’euro.
Je citerai quelques éléments pour en faire le bilan : la production de l’industrie s’est effondrée en France, alors que, dans le même temps, elle augmentait fortement en Allemagne ; la productivité ayant évolué dans le même sens sur les deux rives du Rhin, c’est l’augmentation de 20 % de plus du coût du travail en France durant cette période du fait d’un euro trop fort pour l’économie française qui en est la cause. Une simple dépréciation de 1,3 % par an de notre monnaie aurait pu compenser cette différence.
Un autre paramètre que l’on peut prendre en compte est la balance commerciale. Avant l’euro, la France, comme l’Allemagne, était en excédent commercial, mais les courbes divergent au moment même de la création de l’euro. L’explication est exactement la même : l’euro empêche l’industrie française de rétablir normalement sa compétitivité et gêne donc nos exportations.
Ce constat est identique en ce qui concerne la croissance ou l’explosion de la dette publique.
Bref, faute de pouvoir utiliser le levier monétaire, la France perd son industrie, sa croissance devient très basse, l’activité économique des entreprises est très faible, le chômage augmente, les recettes fiscales ne rentrent plus, le déficit et la dette publique augmentent, et nous entrons dans le cercle vicieux de l’austérité, ce qui fait peser un risque énorme sur notre modèle social.
Toutefois, je vous connais, que vous soyez endoctrinés ou, ce qui est plus grave encore, dogmatiques, vous allez me dire que si l’euro ne fonctionne pas, c’est parce qu’il n’y a pas assez d’euro ! Certes, pour l’élite financière, l’euro est une bonne chose mais c’est loin d’être le cas pour la majorité de nos concitoyens. Cela s’explique par le fait qu’il est devenu une fin en soi alors que la monnaie ne devrait être qu’un outil. Or l’histoire nous apprend que, lorsque le moyen devient la fin, il y a peu de chance de trouver le bien commun.
En conclusion, il apparaît à la lecture des orientations des technocrates bruxellois que leur projet pour l’euro encourage la financiarisation de l’économie, dont découle une nouvelle forme d’esclavagisme ; d’ici au mois de mai prochain, nous allons nous employer à expliquer à nos compatriotes l’imposture de ce modèle économique que des élites déracinées veulent nous imposer.
De notre côté, nous préconisons que la monnaie redevienne un outil de souveraineté aux mains des chefs politiques et que cette monnaie soit au service de l’économie, elle-même au service de l’homme !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC.
M. Pierre Laurent. Je veux remercier mes collègues du groupe du RDSE d’avoir inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée ce débat, essentiel pour au moins deux raisons.
La première est que la gestion actuelle de la zone euro par les chefs d’État européens et la BCE est à nos yeux une des principales causes de la crise économique et financière que connaît l’Europe. Des transformations profondes sont urgentes et indispensables. L’orthodoxie monétaire actuelle est mortifère.
La seconde raison est que le Parlement est totalement dessaisi de ce débat, alors même que les orientations imposées par la BCE affectent directement et de manière structurelle nos politiques économiques et budgétaires.
Le déni de souveraineté que constitue cette situation est un problème démocratique majeur, car elle limite considérablement les droits du Parlement, notamment dans ses choix budgétaires, et à travers lui les droits souverains de notre peuple.
La gestion actuelle de l’euro souffre de deux tares originelles, que nous avions contestées et qui nous avaient conduits à refuser la monnaie unique, telle qu’elle nous était proposée à l’époque.
Premièrement, l’objectif initial assigné à la monnaie unique, au lieu de servir le financement d’un développement social et productif partagé en Europe en réduisant les inégalités, a été exclusivement réservé au soutien de politiques de rentabilité des marchés.
Deuxièmement, le statut de la Banque centrale européenne, qui, sous couvert de ce que l’on a appelé l’indépendance de la BCE, en a fait un instrument exclusif au service des marchés hors de tout contrôle politique et démocratique.
En vérité, la BCE ne rend aujourd'hui de comptes qu’aux marchés financiers, au Gouvernement allemand et aux institutions financières internationales au service des mêmes logiques.
Résultat, alors que l’euro et l’énorme pouvoir de création monétaire qu’il constitue pourraient servir l’intérêt des Européens, l’Europe se prive d’un tel pouvoir au nom des dogmes libéraux qui nous ont pourtant conduits dans la crise. Le sort de pays européens entiers est donc livré aux mains de traders qui peuvent les ruiner en quelques secondes.
Rien ne sera possible à terme sans remise en cause profonde des traités, et dans ces traités, du rôle et des missions de l’euro et de la Banque centrale européenne. Est-ce à dire que rien n’est possible pour avancer vers cet objectif ? Nous ne le pensons pas, et tout dépend de la bataille qui est menée, pour l’utilisation ou non que l’on décide de faire de la force de l’euro, et au service de quels objectifs.
Des centaines de milliards d’euros ont été injectées chaque année depuis la crise de 2008 uniquement pour renflouer le système bancaire et financier et maintenir ses exigences de rentabilité, mais aucun changement des critères d’utilisation de cet argent n’a été engagé, sauf pour durcir encore l’accès du crédit aux politiques publiques, aux programmes d’action créateurs d’emplois, à de nombreuses PME, à notre tissu productif.
Les mêmes logiques de gâchis financier sont entretenues, et nous nous dirigeons tout droit vers de nouvelles crises financières plus graves encore que celle de 2008. L’austérité, la réduction des politiques publiques, le dumping fiscal et social, qui tirent vers le bas la rémunération du travail et la qualité de l’action publique, se conjuguent pour augmenter le chômage, la précarité, la pauvreté, les inégalités dans toute l’Europe.
En 2016, la Banque centrale européenne a engagé au moins 500 milliards d’euros pour le refinancement bancaire, auxquels il faut ajouter 960 milliards d’euros pour le rachat de titres publics et privés, soit 80 milliards d’euros par mois, dans le cadre de la politique du quantitative easing. Tout cela pour quel résultat ? Aucune relance sociale ni productive, aucun investissement à la hauteur dans la transition écologique !
En revanche, malgré une pression mortifère contre la dépense publique, tandis que le dumping social et fiscal continue à plein régime, la dette poursuit son envol : les États européens emprunteront 900 milliards d’euros en 2017. Rien n’est donc réglé ; tout continue comme avant.
C’est donc d’abord et avant tout une nouvelle politique économique et monétaire dont la zone euro a besoin, une politique qui oriente enfin l’ensemble des financements disponibles et du crédit, création monétaire comprise, vers trois objectifs : l’emploi et la lutte contre le chômage et la grande pauvreté ; la transition écologique ; le développement de services publics promouvant les capacités humaines et le progrès social, notamment l’éducation, la recherche et l’enseignement supérieur, mais aussi la santé, le logement et les transports.
Ces différents programmes d’investissement nécessitent des centaines de milliards d’euros de financements. Ainsi, la Fondation Nicolas Hulot estime l’effort nécessaire à 3 % du PIB européen sur dix ans. En matière de recherche, un effort porté à 2 % serait nécessaire. La Confédération européenne des syndicats avance des évaluations comparables.
À la vérité, un nombre croissant d’économistes s’accordent à considérer qu’un effort pluriannuel de 2 % à 4 % du PIB européen, soit 300 à 600 milliards d’euros par an, doit être accompli. Est-ce inatteignable ? Pas du tout, si l’on compare ces sommes à celles des gâchis financiers dont j’ai parlé précédemment, sans parler des montants énormes qui échappent à l’impôt dans toute l’Europe grâce aux politiques d’optimisation et d’évasion fiscales, des sommes évaluées à 1 000 milliards d’euros !
Le problème n’est donc pas le manque d’argent, mais l’utilisation de celui-ci. De ce point de vue, les communistes proposent d’agir dans quatre directions.
Premièrement, il convient de dégonfler le poids de la dette et des prélèvements. Pour cela, nous proposons la tenue d’une conférence européenne sur la restructuration de la dette publique des États européens. Nous considérons aussi qu’un certain nombre de dépenses d’avenir indispensables doivent, sans attendre, cesser d’être incluses dans le calcul des déficits selon les critères de Maastricht ; c’est le sens de la proposition de résolution européenne que nous avons déposée hier.
Deuxièmement, il faut prendre l’initiative de lancer la préparation d’une « COP fiscale et financière », comme le propose notre collègue Éric Bocquet, en commençant par interdire aux banques et acteurs publics de la zone euro tout recours aux paradis fiscaux, y compris internes à l’Union européenne.
Troisièmement, il est nécessaire de changer les critères de refinancement bancaire de la Banque centrale européenne, ainsi que les critères de crédit de nos banques. Ainsi, les taux seraient abaissés, le cas échéant jusqu’à zéro, pour les crédits protégeant l’emploi et respectant des normes sociales et environnementales. On peut aussi instaurer une modulation des taux de crédit « anti-délocalisations », pour pousser à la relocalisation des productions. Nous pensons que, pour y parvenir, nous devons maîtriser nos outils bancaires et reconstituer un pôle bancaire public national, en nationalisant les deux grandes banques que sont la BNP Paribas et la Société Générale.
Quatrièmement, nous avançons une proposition majeure : créer une nouvelle institution, un fonds européen de développement social et solidaire, en remplacement de l’actuel Fonds européen de stabilité financière, exclusivement tourné vers la finance. Ce fonds procéderait à des rachats de titres publics pour refinancer de nouveaux crédits à très bas taux. C’est impossible, nous dit-on, car les traités l’interdisent. Il faudra, en effet, les changer sur ce point, notamment le 1 de l’article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Reste que les traités actuels permettent de refinancer des établissements publics de crédit. Le fonds que nous proposons de créer pourrait en être un.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, face à l’impasse actuelle, nous ne croyons pas à la sortie de l’euro, qui nous laisserait encore plus fragilisés et renverrait les États européens à la concurrence des dévaluations. Nous pensons que la France doit être à l’offensive, pour, avec d’autres pays, reconquérir le pouvoir sur cette immense force financière que constitue la capacité de crédit de la zone euro.
Aujourd’hui, nous avons l’euro fort pour les marchés et le dumping social contre les populations ; nous proposons un euro différent, utile au financement du développement social et progressivement reconstruit comme une monnaie commune, au service des besoins de convergence sociale des pays européens ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains.
M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si ce débat revêt, comme il a été dit, une très grande importance, c’est parce qu’il est le fruit de notre histoire. Dans quelques jours, le 25 mars prochain, nous fêterons les soixante ans du Traité de Rome. Depuis 1957, nous avons vécu soixante années de paix et de fondation d’une Europe politique.
Seulement, de traités en réformes institutionnelles, le pouvoir politique s’est laissé dépasser par le pouvoir économique. Le « technocratisme » et la surproduction normative ont entamé le processus de construction, qui s’est trouvé affaibli de manière exponentielle par la crise économique de 2008. Cette dernière a mis en évidence les limites de la gouvernance économique et politique de l’Union européenne, plus particulièrement de la zone euro. Malgré la volonté de réforme exprimée à la fois par les institutions de l’Union européenne et par des États membres, cette crise a révélé les lacunes de l’organisation de la zone euro.
La priorité donnée au renforcement de la gouvernance économique de l’Union économique et monétaire est compréhensible, mais n’a pas été accompagnée d’une réflexion sur la légitimité démocratique du régime politique de la zone euro. L’Europe et l’euro ont un sens pour les citoyens, qui attendent une Europe meilleure : plus proche, plus pragmatique et moins technocratique.
D’année en année, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, la Banque centrale européenne et le Conseil européen se sont imposés comme les acteurs majeurs de la politique économique, en liaison avec l’Eurogroupe. Aujourd’hui, la BCE apparaît comme la seule puissance centrale en matière économique. Elle a mené en 2015 et 2016 une politique de baisse des taux d’intérêt qui a profité aussi bien aux entreprises qu’aux ménages. Contenant la spirale déflationniste qui menaçait la zone euro, la politique monétaire et économique a également permis une baisse du chômage, mais, comme l’a souligné récemment l’OCDE, le creusement des inégalités s’est aggravé.
À présent, deux défis majeurs sont devant nous.
Tout d’abord, des élections se tiendront cette année dans trois pays, dont le nôtre. Or, le mois dernier, le sentiment des investisseurs s’est dégradé, à la suite des scrutins autrichien et italien. Les rendez-vous électoraux de 2017 créent de l’incertitude. En effet, pour l’indice de confiance des investisseurs Sentix, chacun des scrutins à venir est présenté comme un vote vital pour ou contre l’euro, ce qui perturbe les investisseurs et les entreprises, qui préfèrent avoir un horizon dégagé pour leurs décisions d’investissement.
Ensuite, les négociations sur le Brexit se dérouleront dans un contexte où les positions de la France et de l’Allemagne diffèrent : tandis que, pour notre pays, le Brexit est une occasion de bousculer les rapports de force au sein de l’Union européenne et de prendre l’initiative, l’Allemagne fixe ses conditions et exige une plus grande intégration de la zone euro, avec un changement des traités pour renforcer le contrôle sur la politique financière et économique – bref, une mise sous tutelle européenne des budgets nationaux.
Depuis des années, l’État français vit au-dessus de ses moyens. Son budget est en déficit permanent. Résultat : notre dette avoisine les 100 % du PIB. Notre politique actuelle consistant à augmenter les charges et les taxes ne dégraisse pas le mammouth ; elle le rend plus gourmand, puisque, plus l’État prélève de ressources fiscales, plus il dépense en fonctionnement et moins il investit.
Tel est le cercle vicieux dans lequel nous sommes entrés.
La France est en pleine déliquescence économique. Alors qu’elle bénéficie d’une nouvelle période de grâce pour la réduction de son déficit budgétaire, au grand dam de Bruxelles, elle s’enlise dans la mise en œuvre des réformes structurelles nécessaires à sa compétitivité. Les entreprises de notre pays réalisent des marges extrêmement faibles en termes de compétitivité et ne peuvent s’autoriser ni les embauches ni les investissements nécessaires à leur vitalité économique.
Les défis de la présidence maltaise de l’Union européenne sont aussi les nôtres : intéresser davantage les citoyens aux affaires européennes, rendre le travail institutionnel audible.
Aujourd’hui, la zone euro semble attendre son salut de l’extérieur, c’est-à-dire de la relance de la Chine et des États-Unis de Trump. C’est pourtant au sein même de l’Union européenne que doit se dessiner le leadership européen ! À cet égard, la France a un rôle évident à jouer.
La zone euro souffre d’un problème démocratique. Les Européens attendent de pouvoir se saisir politiquement et démocratiquement des enjeux européens. Cet idéal démocratique passe par la création d’un leadership politique clair, légitime et responsable, ainsi que par le renforcement démocratique des décisions européennes par les parlements nationaux et le Parlement européen. Il s’agit de donner pour interlocuteur à la Banque centrale européenne une gouvernance politique forte, un exécutif doté de la légitimité démocratique qui fait défaut à l’actuel Eurogroupe.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’enjeu de la réforme du fonctionnement de la zone euro réside dans la dimension politique. En effet, comme le soulignait Philippe Séguin, qui fut l’élu de mon département, il est essentiel que le politique guide l’économie et dangereux que l’économie guide le politique. Il faut que le politique assume ses responsabilités ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Michel Canevet et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains.
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, faut-il réformer le fonctionnement de la zone euro ? La réponse est : « Oui, mais ».
L’Europe va mal, et, comme nous l’avons souvent souligné ces derniers mois dans notre hémicycle, l’Union européenne est à la croisée des chemins. Il existe bien un risque majeur de désintégration du projet européen si rien n’est rapidement entrepris dans plusieurs domaines.
Il y a le terrorisme islamiste, la pression migratoire et les tensions fortes avec la Russie, sans compter les inquiétudes concernant la situation en Turquie. N’oublions pas cependant ce qui fut la tragique actualité de l’Union européenne pendant des mois : la crise de la zone euro. À l’heure de l’information en continu, une crise chasse l’autre dans les médias…
L’avenir de la zone euro suscite toujours l’inquiétude, et les conditions du sauvetage in extremis de la Grèce ont laissé des traces dans les opinions nationales : des impressions de panique et d’improvisation qui, d’ailleurs, tranchent avec la formidable machine à produire de la norme juridique et des institutions qu’est devenue l’Union européenne. Au sein de celle-ci, pensions-nous collectivement, tous les cas de figure étaient prévus et anticipés. Las, cette cacophonie a fait le lit des populismes et mis à mal le principe de solidarité.
À cette occasion, certains Européens se sont interrogés sur les raisons de la présence de la Grèce dans la zone euro au regard de son économie, minée depuis longtemps par une faible rentrée de l’impôt, des fraudes récurrentes à la TVA, une économie grise développée et un secteur public omnipotent. Autant de caractéristiques connues, qui pouvaient laisser présager quelques complications à venir. D’aucuns se demandent également quel serait le prochain pays de la zone euro en difficulté, au regard des performances économiques de certains États membres.
Il est vrai que, loin d’être homogène, la zone euro se caractérise par de fortes disparités entre les économies nationales, en plus d’un déficit de croissance et d’un chômage et d’un endettement public élevés. Elle n’a donc pas atteint son objectif de stabilité et de prospérité.
Comme l’extension vers l’Est, menée tambour battant, la création de la zone euro était avant tout une réforme politique. Comme pour l’extension vers l’Est, de nombreuses difficultés ont été éludées, probablement mal évaluées, dans la quête de cet objectif ô combien symbolique. Seulement, aujourd’hui, les problèmes sont là, car la réalité nous rattrape toujours.
Si force mensonges ont aussi été distillés par les eurosceptiques à la faveur des crises, il reste que nombre d’Européens se demandent désormais pourquoi ils doivent se serrer la ceinture pour renflouer ceux qui se sont laissé aller – une vision peut-être simpliste, mais qui ne peut pas être ignorée.
Les évolutions en cours, inspirées des travaux des présidents de la Commission européenne, du Conseil européen, du Parlement européen, de l’Eurogroupe et de la Banque centrale européenne, prévoient deux phases pour le renforcement des structures et des moyens de la zone euro.
La commission des affaires européennes du Sénat se penche évidemment sur ce dossier crucial. Je vous invite à consulter le récent rapport d’information La Phase I de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, qu’elle a adopté à l’unanimité et dont est issue une proposition de résolution européenne. J’en partage les conclusions et les inquiétudes.
Pour ce qui est de la France, il est temps d’entreprendre les réformes structurelles indispensables à la reprise de son économie. Sans économie forte, en effet, son poids politique dans l’Union européenne restera limité. Nous ne pouvons pas nous résoudre à consommer, comme aujourd’hui, une fraction notable de notre crédit politique pour obtenir la clémence de Bruxelles face à nos déficits. Comme l’a rappelé au Sénat le commissaire européen Moscovici, « l’influence, en Europe, dépend de la capacité à respecter sa parole. Un grand pays doit montrer l’exemple ». Parole d’orfèvre…
Comme je l’ai dit en préambule, les crises placent les Européens au pied du mur. Pour répondre à la question posée dans ce débat, il convient, certes, de réformer la zone euro, sans créer de nouvelles lourdeurs, avant que ne se pose avec plus d’acuité encore une autre question : faut-il sortir de la zone euro ? L’émergence de cette problématique dans les opinions constitue un signe d’échec qui doit nous alerter, car son instrumentalisation par les populistes et les eurosceptiques est déjà en train de fragiliser l’Europe. Cette question sera l’un des enjeux du débat présidentiel en France. Or, depuis le Brexit, nous savons que tout est possible, même le pire.
En réalité, plus qu’une réforme de l’euro, c’est, à la lumière des crises, une refondation de l’Europe qui nous paraît nécessaire. Dans ces moments importants pour l’avenir, il faudra à la France être forte pour ne pas se laisser définitivement distancer. Mes chers collègues, nous avons besoin de « plus de France » dans « mieux d’Europe », au contraire de ce qui se passe depuis cinq ans ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie tous les orateurs qui ont pris la parole dans ce débat passionnant, opportunément provoqué par le groupe du RDSE, en particulier par Pierre-Yves Collombat.
La réforme de la zone euro est une question essentielle pour l’avenir de l’Europe, sur laquelle la Haute Assemblée a déjà beaucoup travaillé, notamment dans le cadre du rapport d’information publié en novembre dernier par Fabienne Keller et François Marc, et que les différentes interventions de cet après-midi ont éclairée sous des angles différents.
Réformer la zone euro pour la rendre plus solide, plus stable et pour qu’elle contribue davantage à la croissance et à l’emploi est un enjeu majeur non seulement pour les pays qui partagent la monnaie unique, mais aussi pour toute l’Europe, qui a besoin que son cœur économique et politique fonctionne bien.
L’euro est un acquis fondamental de l’Europe. À la suite de la crise financière de 2008, puis des crises bancaires qui ont touché plusieurs pays, des pays d’Europe du Sud, mais aussi l’Irlande, et de la crise grecque, il a été à plusieurs reprises au bord de l’éclatement au cours des dernières années. Je me souviens que, en 2012, lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, la question du maintien de la Grèce dans la zone euro n’était pas résolue ; elle a continué de se poser jusqu’en juillet 2015. Par ailleurs, il a fallu au Président de la République beaucoup de détermination pour faire avancer le projet d’Union bancaire.
En définitive, les décisions que nous avons prises collectivement, dont certaines, comme la création du Fonds européen de stabilité financière, puis celle du Mécanisme européen de stabilité, avaient déjà été engagées avant notre accession aux responsabilités, ont permis d’assurer l’intégrité de la zone euro et, partant, la stabilité et la pérennité de la monnaie unique.
Aujourd’hui, l’euro est solide ; il est une protection dans la mondialisation face à l’instabilité financière. Il a mis fin à la spéculation sur les monnaies européennes qui, avant sa création, se déchaînait à chaque crise.
L’Union économique et monétaire, composée de onze États fondateurs, s’est élargie pour compter aujourd’hui dix-neuf États membres, représentant un espace économique de 338 millions d’habitants, au sein duquel les échanges sont facilités et qui se place au troisième rang mondial pour le PIB.
L’euro est également devenu une monnaie de référence au plan international. C’est ainsi qu’il est la deuxième devise de réserve à l’échelle mondiale.
Seulement, il ne suffit pas que l’euro protège ; il doit aussi soutenir et dynamiser la croissance, l’investissement et l’emploi.
C’est pourquoi il était important que la politique monétaire change, comme la France l’a souhaité. C’est ce qui s’est passé sous l’impulsion de Mario Draghi, en particulier via la baisse des taux d’intérêt et l’assouplissement quantitatif, le quantitative easing, comme on dit en anglais, auquel Pierre Laurent a fait référence, qui a permis une injection massive de liquidités par la Banque centrale européenne par le rachat de titres de dette souveraine et d’autres titres bancaires sur le marché secondaire, pour un montant total de plus de 1 270 milliards d’euros depuis mars 2015.
Ces rachats d’actifs se poursuivent, à un rythme un peu moindre que celui de 80 milliards d’euros par mois, mais encore très soutenu. Cette politique favorise des taux de refinancement bas et l’investissement des entreprises ; elle décourage l’immobilisation du capital et la rente, conformément d'ailleurs aux souhaits de Pierre Laurent.
La situation économique au sein de la zone euro s’est aujourd’hui améliorée. De nombreuses réformes ont été entreprises dans les États membres. Le pacte de stabilité et de croissance est appliqué avec une plus grande flexibilité, ainsi que la France l’avait souhaité, et il a été mis fin aux politiques d’austérité qui avaient aggravé la situation dans les pays d’Europe du Sud et qui ont eu un effet récessif sur la croissance, en même temps que des conséquences sociales très négatives.
La croissance économique repart dans la zone euro, même si c’est trop faiblement. Selon les prévisions de la Commission européenne, elle s’élèvera à 1,5 % en moyenne en 2017 – un chiffre qui tient compte des potentielles incidences négatives du Brexit, ce qui explique qu’il ne marque pas un progrès par rapport au résultat attendu pour 2016 – et avoisinera 1,7 % en 2018. Il y a donc bien reprise, mais une reprise encore insuffisante, notamment pour absorber le chômage, qui reste très élevé dans nombre d’États membres.
Par ailleurs, des fragilités demeurent, notamment en raison de la situation du secteur bancaire dans plusieurs pays, dont l’Italie, le Portugal et l’Espagne. Sans oublier que la Grèce continue d’avoir besoin de soutien dans le cadre du troisième programme d’assistance financière. D’une façon générale, les leçons de la crise et des fragilités de la zone euro doivent être tirées. C’est la raison pour laquelle le fonctionnement de cette zone doit, en effet, être encore amélioré, comme ce débat l’a mis en évidence.
De fait, des déséquilibres macroéconomiques importants persistent au sein de l’Union économique et monétaire depuis sa création, en particulier entre les pays du sud et ceux du nord de l’Europe. Si nous partageons depuis maintenant près de dix-huit ans la même monnaie, nos économies ont continué de diverger, comme Jean Bizet l’a souligné. C’est ainsi que les niveaux de dette et de déficit, les balances commerciales et les niveaux des salaires restent très différents d’un pays à un autre, de même que les taux de chômage.
Beaucoup reste donc à faire pour réaliser une réelle convergence des économies des États membres de la zone euro.
La France est convaincue que, pour assurer la solidité de la zone euro, il est nécessaire de mettre en œuvre une véritable stratégie économique de convergence économique et sociale. En effet, la coordination économique au sein de la zone euro ne peut se limiter aux seules règles budgétaires ni à la seule application du pacte de stabilité et de croissance. La gouvernance de la zone euro doit obéir à des objectifs politiques, ainsi qu’à un objectif structurel de convergence des niveaux économiques et sociaux.
C’est notamment pour cela que, en octobre 2015, à la demande de plusieurs États membres, dont la France, la Commission européenne a décidé une réforme du semestre européen, qui représente la phase I de la mise en œuvre du rapport dit « des cinq présidents », les présidents de la Banque centrale européenne, du Parlement européen, du Conseil européen, de l’Eurogroupe et de la Commission européenne.
Il a ainsi été décidé, notamment, de mieux prendre en compte les situations nationales différenciées, et non pas seulement les critères habituels du pacte de stabilité et de croissance, qui reprennent en partie les critères de convergence dits « de Maastricht ». Il a également été décidé de mieux prendre en compte la situation de la zone euro dans son ensemble, d’accorder une plus grande importance aux résultats en matière d’emploi et dans le domaine social, d’améliorer le dialogue démocratique, d’encourager la convergence en adoptant et en comparant les bonnes pratiques et de soutenir les réformes en recourant aux fonds structurels et d’investissement européens et à l’assistance technique. Il s’agit, en somme, de rendre le pacte de stabilité et de croissance plus intelligent, moins mécanique.
Cette volonté de réforme est aussi au cœur des autres dimensions du rapport des cinq présidents, publié en 2015 et auquel la France et l’Allemagne ont souhaité apporter une contribution commune.
Au lendemain du sauvetage de la Grèce, le Président de la République a également voulu tirer des leçons plus générales pour la zone euro : il a proposé de renforcer la convergence et de doter la zone euro d’une gouvernance économique renforcée, d’un président stable, d’une capacité budgétaire et d’un Parlement de la zone euro – je reviendrai sur ce point. Avec l’Allemagne, nous avons voulu mettre un accent plus particulier sur quatre priorités.
Premièrement, nous avons besoin d’une politique économique commune à la zone euro, qui soit élaborée sur proposition de la Commission européenne et approuvée chaque année par les chefs d’État et de gouvernement à l’occasion d’un sommet de la zone euro.
Deuxièmement, nous devons favoriser une convergence réelle des économies grâce à l’élaboration de mesures fournissant, en particulier, les bases fiscales et sociales nécessaires à la cohésion de la zone euro. En d’autres termes, il faut travailler à l’harmonisation fiscale et sociale. Dans le même temps, nous devons poursuivre l’approfondissement du marché intérieur, tout particulièrement des marchés du numérique, de l’énergie et des capitaux, tout en maintenant sur chacun d’eux un haut niveau de régulation, car à chacun correspondent des enjeux spécifiques ; je pense par exemple aux droits d’auteur sur le marché unique numérique.
Je tiens à souligner que la convergence sociale est, pour nous, un élément nécessaire à la convergence économique au sein de la zone euro. C’est pourquoi la France soutient l’initiative d’un socle européen des droits sociaux, présentée par la Commission européenne.
Le Premier ministre a d’ailleurs saisi de cette question le Conseil économique, social et environnemental, qui a rendu en décembre dernier un avis sur lequel la France s’est appuyée, ainsi que sur les travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, portant en particulier sur la question du salaire minimum européen, pour transmettre sa contribution à la Commission européenne à la fin du mois de décembre dernier.
Dans cette contribution, nous proposons notamment l’instauration dans tous les pays de l’Union européenne d’un salaire minimal national correspondant à une certaine proportion du salaire médian, par exemple 60 %. Nous proposons également un droit à la formation garanti pour tous les salariés et tous les travailleurs, quel que soit leur statut, dans l’ensemble de l’Union européenne, ainsi que la portabilité des droits, l’encouragement à la mobilité et le développement d’un Erasmus des apprentis, entre autres mesures.
Il nous faut également œuvrer à la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. La zone euro, pas plus que l’Union européenne dans son ensemble, ne peut être un espace économique où le social deviendrait la variable d’ajustement. C’est pourquoi nous voulons des garanties que la convergence des droits sociaux se fasse par le haut et que les règles en matière de détachement soient rigoureusement respectées et contrôlées.
Troisièmement, les efforts entrepris doivent être poursuivis pour, notamment, achever l’Union bancaire, avec la garantie des dépôts, le troisième pilier qui n’a toujours pas été adopté.
La priorité doit aussi être donnée aux investissements. De ce point de vue, le plan Juncker, que nous avons souhaité et soutenu, a obtenu de bons résultats dans plusieurs pays, notamment en France, qui en est l’un des principaux bénéficiaires. Nous avons donc demandé le prolongement et l’augmentation de ce plan destiné à soutenir des projets d’investissement dans des domaines d’avenir. Le Conseil a donné son accord ; nous attendons maintenant celui du Parlement européen.
Le plan Juncker passera ainsi d’un objectif de 315 milliards d’euros à une capacité totale de 500 milliards d’euros, ce qui permettra de renforcer les investissements tant publics que privés dans les domaines prioritaires que sont le numérique, l’écomobilité, la transition énergétique, la recherche et le soutien aux PME innovantes.
D’ores et déjà, 30,6 milliards d’euros du Fonds européen pour les investissements stratégiques ont été mobilisés, permettant de soutenir 163,9 milliards d’euros d’investissements en Europe. Nous sommes donc à mi-chemin de la réalisation de l’objectif initial.
Quatrièmement, il convient de renforcer la gouvernance et la cadre institutionnel de la zone euro. Une gouvernance stable et solide implique des évolutions institutionnelles.
Tout d’abord, des sommets plus réguliers de la zone euro sont nécessaires pour fixer les choix stratégiques. Ensuite, les capacités de l’Eurogroupe doivent être renforcées, par l’instauration d’une présidence permanente et la création d’une capacité budgétaire de la zone euro : cette réserve, dont Richard Yung a parlé, pourrait être mobilisée pour agir sur les déséquilibres macroéconomiques et, en cas de crise, pour prévenir les chocs ou pour y faire face, mais également pour soutenir les investissements au sein de la zone euro, en complément du soutien permis par le plan Juncker dans l’ensemble de l’Union européenne.
Ces évolutions doivent, selon nous, s’accompagner de la mise en place d’un contrôle parlementaire, qui permettrait de renforcer le débat démocratique sur les décisions prises dans la zone euro et d’améliorer la transparence vis-à-vis des citoyens. À ce sujet, nous pensons que la pleine implication du Parlement européen, mais aussi des Parlements nationaux, est nécessaire.
Enfin, pour mieux défendre nos intérêts à l’échelle mondiale, nous en appelons à une unification de la représentation de la zone euro au sein des institutions financières internationales, qu’il s’agisse du FMI, le Fonds monétaire international, ou de la Banque mondiale.
Dans les prochaines semaines, après la mise en œuvre de la première phase du rapport des cinq présidents dont j’ai parlé, c’est-à-dire la réforme du semestre européen à traités constants, et après le débat sur ses priorités, la Commission européenne a prévu de publier un livre blanc dans lequel elle devrait formuler des propositions qui seront débattues dès le printemps prochain. Évidemment, la France analysera ces propositions en fonction de ses priorités, en étudiant notamment leur efficacité en termes de convergence économique et sociale, d’amélioration de la gouvernance et de transparence démocratique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe affronte aujourd’hui un ensemble de crises de nature très différente : les unes tirent leur origine de l’extérieur du continent, les autres résultent de ses propres difficultés. Le Brexit, la menace terroriste, l’instabilité internationale, la crise des réfugiés sont autant de problèmes auxquels l’Europe doit répondre avec détermination.
À ce titre, elle doit accomplir un certain nombre de progrès en termes de sécurité et de protection des individus et renforcer ses politiques communes en matière d’asile, d’immigration, de défense et de politique extérieure. Toutefois, le soutien à la croissance et à l’emploi, la lutte contre la pauvreté et la précarité, l’aide à l’investissement dans les domaines prioritaires pour préparer l’avenir constituent également une nécessité incontournable pour l’Union européenne.
C’est pourquoi le bon fonctionnement de la zone euro doit rester au cœur de nos priorités : nous devons poursuivre notre action en faveur de son approfondissement et d’un rééquilibrage des politiques monétaires et fiscales. La France pèse dans ce débat, précisément parce qu’elle respecte ses engagements.
À cet égard, je tiens à dire que j’ai bien entendu les propos tenus par Daniel Gremillet et Pascal Allizard.
Seulement, si la France a contribué à promouvoir une autre interprétation du pacte de stabilité et de croissance en préconisant davantage de flexibilité, et à demander que l’on prenne en compte la situation des pays du sud de l’Europe, qu’il s’agisse du Portugal, de l’Espagne ou de la Grèce, si elle est parvenue à mettre en avant le débat sur la meilleure manière de soutenir la croissance au travers d’un plan d’investissement – lequel est devenu par la suite le plan Juncker – et à faire en sorte de prolonger ce plan dans le temps et d’en accroître l’ampleur, c’est bien parce que sa voix est respectée et que son déficit budgétaire, qui s’élevait à 5,1 % du PIB en 2011, lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, est désormais conforme à nos engagements, puisqu’il se situera en dessous de 3 % du PIB en 2017.
Oui, nous avons respecté nos engagements européens. En revanche, nous n’avons pas voulu mettre en œuvre de politiques d’austérité. Nous y sommes parvenus à notre rythme. Nous avons mené un certain nombre de réformes en maintenant un équilibre entre l’objectif de compétitivité et celui de protection des droits des salariés. Ainsi, le compte personnel d’activité est désormais accessible à l’ensemble des salariés. Nous avons voulu montrer qu’il est possible d’améliorer la situation économique des pays de la zone euro, de soutenir la croissance et les investissements et de conduire des réformes sans imposer de politiques régressives en matière sociale.
Relancer l’Europe passe par la consolidation du noyau que représente la zone euro. Il faudra mener des réformes, sans pour autant remettre en cause l’existence de l’euro lui-même, et s’assurer que l’euro est bien au service des objectifs de cohésion, de solidarité, de croissance et d’emploi que l’Union européenne s’est fixés. Il est de notre devoir de respecter nos engagements et de réussir à modifier le fonctionnement de la zone euro. Telle est la volonté de la France et du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Faut-il réformer le fonctionnement de la zone euro ? ».
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Nomination d’un membre de deux commissions mixtes paritaires
Mme la présidente. Il va être procédé à la nomination d’un membre titulaire, d’une part, à la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique et modifiant l’article 166 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et, d’autre part, à la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification de procédures mises en œuvre par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et comportant diverses dispositions relatives aux produits de santé, en remplacement de Mme Laurence Cohen, démissionnaire.
Cette candidature a été publiée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement. Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, je proclame Mme Annie David membre titulaire au sein de ces commissions mixtes paritaires.
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Situation de l’hôpital
Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain et citoyen
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur la situation de l'hôpital, organisé à la demande du groupe communiste républicain et citoyen.
La parole est à Mme Laurence Cohen, oratrice du groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Laurence Cohen, au nom du groupe communiste républicain et citoyen. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen a tenu à inscrire ce débat à l’ordre du jour du Sénat, car l’hôpital joue un rôle essentiel dans notre système de santé, comme le démontre l’actualité. Madame la secrétaire d'État, je regrette l’absence au banc du Gouvernement de Mme Marisol Touraine, même si j’apprécie que vous soyez là.
Je commencerai mon propos en rendant hommage aux personnels hospitaliers, qui, malgré l’avalanche de réformes qui s’est abattue sur l’hôpital depuis près de vingt ans maintenant, continuent d’offrir une haute qualité de soins dans des conditions de plus en plus difficiles.
En France, l’hôpital est synonyme d’accès aux soins pour toutes et tous. Malheureusement, ce principe d’égalité se heurte de plus en plus aux enjeux de rentabilité, car l’hôpital est géré comme n’importe quelle entreprise, la santé étant considérée comme une marchandise, le patient comme un consommateur et le médecin comme un « producteur » de soins. Je vous renvoie à cet égard au livre publié par le professeur André Grimald en 2009, L’Hôpital malade de la rentabilité, plus que jamais d’actualité.
Le fonctionnement même de l’hôpital est remis en cause par les politiques de restriction budgétaire conduites par les gouvernements successifs, singulièrement au cours de ces cinq dernières années, avec l’insuffisance notoire de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, l’ONDAM. Ces politiques ont pour effet d’organiser les déficits des établissements.
Compte tenu de cet ONDAM exsangue, de dépenses contraintes en hausse et d’un endettement bancaire de 29,9 milliards d’euros, dont le montant a triplé depuis 2003, les hôpitaux publics ne peuvent que réduire l’offre de soins. Le plan d’économies de plus de 3 milliards d’euros qui est prévu d’ici à 2017 prévoit la suppression de 22 000 postes ou, si vous préférez, madame la secrétaire d'État, le non-remplacement de 22 000 départs en retraite – notre groupe, cela revient au même ! –, ainsi que de très nombreuses suppressions de lits.
Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la DREES, quelque 57 000 lits d’hospitalisation ont été supprimés en onze ans, que ce soit dans les établissements de santé en France métropolitaine ou dans les départements et régions d’outre-mer, y compris au sein du service de santé des armées.
Cette diminution du nombre de lits a un impact grave sur le fonctionnement des services. Je l’avais déjà démontré en 2014, lorsque j’ai déposé une proposition de loi tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de services et d’établissements de santé ou leur regroupement. Je ne puis que déplorer le rejet de ce texte par le Sénat, car ce moratoire serait bien utile aujourd’hui.
Mes chers collègues, je vous invite à examiner attentivement la situation des urgences. Vous constaterez avec moi qu’il existe un lien entre la diminution du nombre de lits et l’augmentation des consultations aux urgences, dont le nombre s’est accru de 75 % en quinze ans, soit une hausse sans rapport avec l’augmentation de la population. Il s’agit d’un cercle vicieux : moins de lits d’aval, cela entraîne davantage d’affluence aux urgences et les engorge dans le même temps.
Les situations de crise, telles que les épidémies ou la canicule, sont révélatrices des conséquences des politiques d’austérité sur l’hôpital. Quel constat d’échec de la part de la ministre Marisol Touraine, quand, face à l’épidémie de grippe, elle demande aux hôpitaux de déprogrammer des opérations non urgentes, de rappeler des soignants et d’ouvrir des lits ! Quel constat d’échec également quand elle fait culpabiliser les personnels et les patients en leur reprochant leur non-vaccination !
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France, reconnaît que les établissements sont débordés. Il y voit deux explications : d’une part, une défaillance de la médecine de premier recours et, d’autre part, le fait que trop de lits aient été fermés.
Le Gouvernement n’est-il pas conduit à revoir des choix politiques profondément remis en cause à l’épreuve des faits ?
Cette dégradation du service public sur l’ensemble du territoire, en zone urbaine comme en zone rurale, est douloureusement ressentie par les patients et les personnels de santé. La souffrance des agents est palpable, les poussant parfois jusqu’au suicide. Elle touche toutes les catégories de personnels, comme nous l’ont expliqué certains membres de l'association Jean-Louis Mégnien ou encore les responsables syndicaux présents ce matin lors de notre conférence de presse, que je tiens à saluer.
Contre tous ces mauvais coups, qu’il s’agisse de la baisse des dotations, de la stagnation des salaires, du non-remplacement des départs en retraite, de la suppression des 35 heures à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris – l’AP-HP –, ou encore du regroupement à marche forcée des établissements dans les groupements hospitaliers de territoire, les GHT, les mobilisations se multiplient.
Je rappellerai le cas emblématique de l’Hôtel-Dieu, cas décidément bien gênant pour ceux qui, soutenus par le Président de la République lui-même, veulent mener une vaste opération foncière en faveur du réaménagement de l’île de la Cité. Alors que les luttes menées entre 2010 et 2014 avaient contribué au maintien des missions de service public dans cet hôpital historique, le plan brutal de restructuration qui a été décidé remet son avenir en cause, tout comme est menacé l’avenir des hôpitaux Bichat et Beaujon, celui des hôpitaux de Longjumeau et de Juvisy, de l’hôpital Jean-Verdier, à Bondy, de l’hôpital gériatrique Adélaïde-Hautval, à Villiers-le-Bel, pour n’en citer que quelques-uns en Île-de-France !
Je pourrai également citer la fermeture programmée de l’hôpital Henry-Gabrielle de Saint-Genis-Laval, près de Lyon, sans parler de la situation des hôpitaux psychiatriques, des maternités, que ce soit celles qui sont déjà fermées ou celles qui sont menacées de l’être comme la maternité des Bluets. Cette liste n’est malheureusement pas exhaustive, mes chers collègues !
Aussi, compte tenu de cette situation, que faire pour l’hôpital ? Quel projet voulons-nous ?
Il s’agit d’un débat de fond, avec deux logiques diamétralement opposées. Néanmoins, contrairement à ce que certains tentent de faire croire, il n’y a pas une vision moderne qui tendrait à faire évoluer le rôle et la place de l’hôpital, face à une vision passéiste et ringarde qui s’obstinerait à s’arc-bouter sur un hôpital-cathédrale en refusant tout changement !
En réalité, il existe, d’un côté, une conception marchande de la santé, avec la recherche d’une rentabilité maximum, symbolisée par la pratique de la T2A, la tarification à l'activité. Dans cette perspective, l’offre de soins à l’hôpital public est réduite à des fins d’économies budgétaires et on encourage de fait l’implantation et l’ancrage de structures privées à but lucratif sur les territoires. Il ne s’agit pas pour moi de diaboliser le secteur privé, mais de dénoncer l’idée selon laquelle il faudrait progressivement laisser au secteur public la gestion des soins difficiles et peu rentables, ainsi que les patients les moins solvables et, à l’inverse, ouvrir les soins les plus rentables au secteur privé.
De l’autre côté, il existe une politique qui vise la satisfaction des besoins de santé pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire. C’est celle que nous défendons !
Avec la loi Santé, la ministre a voulu organiser une offre globale des territoires pour mieux répondre à la gradation de la prise en charge des patients, un objectif que nous partageons. Cependant, qu’en est-il dans les faits ?
Depuis le 1er juillet dernier, les 1 100 hôpitaux existants sur notre territoire ont été rassemblés sans aucune concertation dans quelque 150 GHT. Nous assistons à la mise en place de mégapôles au détriment des hôpitaux de proximité. À l’avenir, un établissement support aura la main sur toutes les activités et les budgets, sous l’autorité des directeurs des agences régionales de santé – les ARS –, véritables préfets sanitaires.
De plus, comment ignorer que cette nouvelle organisation des soins aura des incidences sur la répartition territoriale des professionnels de santé ? Toutes les études montrent que l’activité médicale a tendance à se concentrer dans les pôles urbains où se situent les CHU. Aussi, loin de régler la problématique des déserts médicaux, ces GHT vont accentuer les inégalités en matière de densité médicale et paramédicale dans les régions.
Parallèlement, la loi Santé encourage l’ambulatoire. Nous n’y sommes pas opposés. Encore faut-il que chaque patient puisse en bénéficier dans les meilleures conditions, en termes tant de recours que de parcours de soins. Or certains soignants que nous avons auditionnés nous ont avertis de l’intensification de l’accueil en « hôpital-hôtel ». Ainsi, le CHU de Bordeaux a pour objectif de passer de 31,5 % à 60 % de soins en ambulatoire d’ici à la fin de 2017.
Alors que les patients qui viennent souvent de loin étaient auparavant accueillis dans le cadre d’une hospitalisation traditionnelle, ils seront désormais reçus en hôpital-hôtel. Dans ce schéma, la prise en charge financière est laissée au seul patient, lequel doit s’alimenter et se véhiculer. Si le Gouvernement en attend une économie de 7,5 millions d’euros par an, on peut sérieusement s’interroger sur le reste à charge pour les patients, sur une certaine forme de rationalisation du personnel et sur les responsabilités nouvelles qui vont peser sur les familles, singulièrement sur les femmes, hélas !
Ce débat sur l’avenir des hôpitaux s’invite dans l’actuelle campagne électorale, puisque le candidat de la droite et du centre propose notamment de rétablir les 39 heures à l’hôpital, de rationaliser la carte hospitalière et de limiter le nombre d’hôpitaux dotés d’un plateau technique de haut niveau, ce qui est à mettre en perspective avec son souhait de réduire les dépenses publiques de 100 milliards d’euros, de supprimer 500 000 emplois de fonctionnaires et de transférer la prise en charge des soins vers les complémentaires privées. Nous assistons en ce moment à une course entre les moins-disants de la santé, ce que nous condamnons avec force !
Selon un sondage du journal Les Échos du 9 décembre 2016, quelque 90 % des Français refusent la baisse les dépenses publiques en matière de santé ; 58 % d’entre eux estiment par ailleurs qu’il n’est pas souhaitable de supprimer 500 000 emplois publics.
Le groupe CRC pense que la relance de l’hôpital public doit constituer une priorité et se concrétiser par un investissement massif dans les établissements et dans les recrutements. La mise en place d’un système de santé solidaire alternatif n’est pas une utopie, mais une question de choix politique : à notre sens, il serait notamment possible de renforcer notre système de sécurité sociale en imaginant un financement plus juste et plus efficace.
De nouvelles ressources assureraient à notre système une meilleure santé financière : il suffirait pour cela de soumettre les revenus financiers des entreprises à cotisation, par exemple, ou de supprimer les exonérations dont elles bénéficient actuellement.
En amont de l’hôpital, il faut agir pour lutter contre les freins aux soins de premier recours. Il faut donc s’attaquer prioritairement aux dépassements d’honoraires, qui ont progressé de 8 % en 2015 selon le collectif interassociatif sur la santé. Il y a urgence à articuler les différents niveaux de réponses aux besoins sanitaires et sociaux de la population plutôt que de les mettre en concurrence. Un service public ambulatoire de proximité est indispensable, avec comme pivot les centres de santé publics ou associatifs, structures de soins de proximité qui pratiquent le tiers payant, afin justement de faciliter l’accès aux soins.
Il faut également augmenter le nombre de médecins et de personnels paramédicaux en supprimant les numerus clausus.
Enfin, pour lutter contre les inégalités territoriales de santé, il faut s’attaquer à l’épineuse question de la répartition géographique de ces personnels.
Outre la nécessité pour les pouvoirs publics de prendre des mesures incitatives plus volontaristes, il faut rendre ces professions plus attractives en augmentant les salaires et en lançant une réflexion sur le temps de travail. À ce sujet, madame la secrétaire d'État, j’attire votre attention sur la mobilisation actuelle des orthophonistes et des psychologues sur ces questions. J’ajoute qu’il faudrait également des crèches dans les hôpitaux.
Je terminerai mon propos en insistant sur le fait que le maillage sanitaire doit être pris en compte dans les politiques d’aménagement des territoires. C’est une question de démocratie, puisque cet enjeu implique de mieux reconnaître la place des usagers. C’est pourquoi nous proposons de remplacer les ARS par des conseils cantonaux de santé, coordonnés au niveau régional et national, et composés de représentants des professionnels, des élus locaux et des usagers.
La question de l’avenir de l’hôpital nous concerne tous. En tenant compte des besoins humains pour y répondre, on dessine les contours d’une politique de santé publique ambitieuse, qui s’articule à une médecine de ville bien ancrée sur l’ensemble du territoire. Notre pays en a les moyens, encore faut-il avoir la volonté de les mobiliser !
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, au travers de ce débat, nous lançons une alerte sur la situation de l’hôpital public : il y a vraiment urgence, sans jeu de mots ! Le système de santé français, qui a rétrogradé au vingt-quatrième rang mondial, doit retrouver la première place. C’est ce que nous appelons de nos vœux ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour le groupe UDI-UC.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe CRC nous permet aujourd’hui de nous exprimer sur un sujet important pour nos concitoyens : je veux parler de leur santé. Je ne dirai pas comme certains que le système de santé va mal ; je dirai plutôt qu’il a certainement besoin de retrouver un second souffle.
En revanche, comme vous venez de le rappeler, ma chère collègue, nos hôpitaux vont mal.
Mme Laurence Cohen. Merci de le reconnaître !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je pense que nous sommes tous d’accord sur ce constat inacceptable, dont les symptômes sont multiples.
Tout d’abord, notre pays compte trop d’hôpitaux, qui, par ailleurs, sont mal répartis. Dans son rapport public annuel de 2013, la Cour des comptes observait que « la répartition des hôpitaux sur le territoire résulte souvent d’héritages historiques qui ne correspondent plus aujourd’hui ni aux besoins des bassins de population ni même parfois aux normes de sécurité sanitaire ».
La France compte ainsi 6,4 lits pour 1 000 habitants, soit un tiers de plus que la moyenne de l’OCDE, et 14 hôpitaux publics par million d’habitants. À titre de comparaison, l’Allemagne en compte 10 et le Japon 12. C’est donc trop, beaucoup trop !
Ensuite, nous devrions parler de la situation financière de ces établissements, dont les déficits sont de plus en plus importants et surtout récurrents, presque structurels.
Certains continuent de rendre la T2A responsable de la situation malgré les aménagements qui lui ont été récemment apportés par la loi, sur l’initiative de la MECSS du Sénat, je le rappelle. La réalité, c’est qu’il existe des hôpitaux trop vieux, coûteux ou mal gérés. Là encore, je tiens à rappeler que la commission des affaires sociales du Sénat avait suggéré que les investissements de modernisation, les investissements les plus lourds autrement dit, ne soient plus amortis dans le budget des centres hospitaliers.
Les victimes de cette situation sont les soignants et les patients.
Les personnels souffrent de leurs conditions de travail. On le regrette tous ici, année après année. Les 35 heures ont désorganisé les services et les heures perdues n’ont pas toutes été compensées par des créations de postes. Le premier rôle des médecins et des infirmières est de soigner et de sauver des vies. Ils ne doivent pas perdre du temps et de l’énergie à développer, puis à appliquer des procédures et des protocoles qui ne sont pas toujours efficients. Cette désorganisation se retrouve parfois au cœur même de la chaîne de commandement des établissements, au sein desquels services administratifs et médicaux s’opposent.
Quant aux patients, hormis la qualité des soins, parlons des délais d’attente, notamment dans certains services d’urgence. C’est une question d’actualité, n’est-ce pas, madame la secrétaire d'État ?
La permanence des soins est défaillante, notamment en médecine de ville, il faut le reconnaître. Il faudrait davantage de maisons de garde en amont des urgences, car le système de santé demeure trop centré sur l’hôpital en France.
Mme Laurence Cohen. Et voilà !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. En effet, l’hôpital concentre 37 % des dépenses de l’assurance maladie contre 29 % en Allemagne, où la médecine de ville joue pleinement son rôle.
La liaison ville-hôpital doit être assurée avec beaucoup plus de rigueur. La moitié seulement des lettres de sortie sont rédigées. La loi les rend pourtant obligatoires. Appliquons la loi pour sécuriser et fiabiliser le parcours de soins et pour économiser de nombreux actes redondants ou inutiles.
La situation n’est pas bonne. Il est temps que nous puissions en débattre dans le cadre de la prochaine élection présidentielle. Aussi, formulons nos vœux !
Tout d’abord, je souhaite qu’une réflexion soit menée pour rééquilibrer les rôles respectifs de l’hôpital public et de l’hôpital privé. L’actuel gouvernement – la loi de modernisation de notre système de santé en a été une parfaite illustration - a tenté d’exclure l’hôpital privé du service public de santé. À nos yeux, il faut au contraire organiser la complémentarité entre le public et le privé au bénéfice du patient et du territoire, afin d’assurer pleinement la mission de service public.
Ensuite, il faut garantir à l’ensemble des Français l’accès à des soins de qualité sur tout le territoire, en encourageant les soins en ambulatoire ou l’hospitalisation à domicile, par exemple. Le GHT est une réponse intéressante. Son succès est toutefois tributaire du projet médical et de la capacité fédérative de l’hôpital pilote.
Enfin, pensons aux personnels soignants. Il faut redonner à ces métiers leurs lettres de noblesse. Il convient tout d’abord d’améliorer leurs conditions de travail en allégeant les procédures administratives, en clarifiant les compétences et en optimisant le temps de travail. Il faut également améliorer les carrières en les revalorisant, ce qui passe notamment par la formation. Or, dans le cadre du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement a réduit les fonds dans ce domaine.
Mes chers collègues, la situation de l’hôpital ne doit pas être considérée uniquement du point de vue de l’hôpital. Le problème est beaucoup plus général. Il est temps de moderniser notre système de santé avec les professionnels et pas contre eux ! Il est temps de développer pleinement les nouvelles technologies numériques, la télémédecine notamment, pour répondre aux enjeux actuels en termes d’économies et d’accès aux soins.
J’espère que ce sujet demeurera une priorité du futur gouvernement ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour le groupe écologiste.
Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le groupe CRC d’avoir inscrit ce débat extrêmement important pour nos concitoyens à l’ordre du jour de notre assemblée.
Représentatif d’un système de santé fondé sur la solidarité et l’universalité de l’accès aux soins, l’hôpital public présente trois caractéristiques, toutes fondamentales : il est accessible à tous, y compris les plus modestes et les plus fragiles ; il s’agit d’un lieu de formation reconnu pour ses compétences ; enfin, il s’agit également d’un lieu de recherche tout à fait indispensable pour garantir un niveau de soin le plus élevé et le plus innovant possible.
Au travers de ces trois dimensions, l’hôpital symbolise bien ce que signifie le service public dans notre pays.
Toutefois, nous le savons bien – il n’est qu’à voir les propos des personnels hospitaliers, dont les revendications sont récurrentes –, la situation est problématique aujourd'hui. Elle exige que l’on s’y penche et que l’on trouve des solutions.
Nombreux sont les hôpitaux publics endettés qui doivent négocier des emprunts auprès des banques, année après année, pour payer leurs charges, et qui doivent réduire leurs coûts en supprimant leurs dépenses comme ils le peuvent.
Dans le même temps, les conditions de travail des personnels soignants, dont l’engagement est malgré tout sans faille et tout à fait remarquable, se dégradent. Travaillant à une cadence infernale, ces personnels estiment ne plus avoir le temps de s’occuper correctement de leurs patients, ce qui est pourtant tout le sens de leur métier. En sous-effectifs, surchargés de travail, souvent épuisés, ils se sentent isolés, parfois même méprisés. Cette situation entraîne de nombreux burn-out et des drames. On se souvient notamment du suicide de cinq infirmiers en quelques semaines au cours de l’été dernier.
Comme l’a rappelé le Président de la République le 22 décembre dernier à l’occasion de l’inauguration de l’hôpital de Chambéry, l’hôpital ne peut fonctionner sans personnel, même avec les plus beaux équipements du monde. Madame la secrétaire d'État, les personnels hospitaliers manifestent leur mécontentement depuis des mois. Une prochaine manifestation est prévue en mars. Que comptez-vous faire pour répondre à leur appel à l’aide ?
Bien souvent, l’exemple utilisé pour montrer l’urgence de la situation est l’engorgement des services d’urgence de l’hôpital public. Ce problème est systématiquement dénoncé, non seulement par les personnels hospitaliers, dépassés par l’afflux de patients, mais aussi par les patients eux-mêmes, qui attendent de pouvoir être pris en charge pendant des heures.
Cette saturation a plusieurs causes plus ou moins directes.
Première explication : l’afflux aux urgences est lié au manque de médecins généralistes dans certains territoires, zones rurales comme quartiers urbains ; je pense notamment à la Seine-Saint-Denis. La saturation s’explique également par la longueur des délais nécessaires pour obtenir une consultation chez un spécialiste, ce qui oblige les malades à se rendre à l’hôpital pour être soignés. Elle résulte, enfin, du manque de gardes le soir, la nuit et le week-end. Il y a en la matière de grandes inégalités entre territoires. Il s’agit là d’un véritable problème dont il faudrait que les pouvoirs publics se saisissent.
Deuxième explication : le non-recours aux droits est une cause indirecte du nombre important des consultations aux urgences. Par manque d’information sur leurs droits, par découragement, parce qu’il manque toujours une pièce différente aux dossiers, nombre de nos concitoyens abandonnent et renoncent à bénéficier de leurs droits, notamment en matière de couverture santé. Pour ne prendre qu’un chiffre très représentatif, quelque 20 % des personnes légalement éligibles à la CMU complémentaire, soit un million de personnes, n’avaient pas demandé l’ouverture de leurs droits en 2013 ! Certaines personnes modestes viennent donc aux urgences parce qu’il n’y est pas obligatoire d’avancer les frais et parce que l’on y est soigné quoi qu’il arrive !
Troisième raison, le système des paiements à l’acte, dont le nombre détermine trop souvent le montant des financements versés à l’hôpital, peut inciter certains médecins – ils nous l’ont dit – à prescrire ou prodiguer des soins qui ne sont pas forcément indispensables, mais qui rapportent davantage qu’ils ne coûtent à la structure hospitalière. Il s’agit là d’une forme de pression extrêmement artificielle.
Le risque, mis en avant par d’autres collègues avant moi, est le suivant : le secteur privé se développe toujours plus, alors qu’il ne prend en charge ni les frais de recherche, ni les frais de formation, ni l’accueil des personnes les plus modestes, ces dernières nécessitant parfois, on le sait, une attention et un accompagnement plus importants.
En d’autres termes, l’hôpital public s’occupe de tout ce qui relève de l’intérêt général, et nous devons en être fiers, mais nous courrons le risque de voir le secteur privé, qui n’assume pas tous les efforts devant être consentis, notamment en termes d’investissement, se développer à son détriment. Or les investissements sont indispensables si nous voulons éviter d’avoir une médecine hospitalière à deux vitesses.
Je conclurai en évoquant l’étymologie du mot « hôpital » et son lien avec le terme « hospitalité ».
L’histoire de l’hôpital en France, longue de plusieurs siècles, s’est construite à partir de la notion d’hospitalité. Nous formulons donc le vœu que cette notion, qui est fondamentale, soit toujours présente dans nos réflexions, et nous proposons de travailler, ici, tous ensemble, avec cette préoccupation en tête.
Nous devons protéger et développer l’hôpital public, mais aussi trouver des solutions au malaise profond qu’il connaît actuellement, afin que ses trois missions – l’accueil de tous, y compris des plus pauvres, la recherche et une formation de haut niveau – puissent se perpétuer. Cela ferait sens, je crois, et honorerait notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Catherine Génisson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre de la situation de l’hôpital. Je veux remercier ici nos collègues du groupe CRC d’avoir pris cette initiative, quand bien même mon intervention n’aura pas tout à fait la même tonalité que celle de Mme Laurence Cohen.
L’hôpital public a été l’objet de nombreuses réformes durant ces vingt dernières années.
Sous l’impulsion du Président de la République, notre gouvernement a rétabli, dans la loi de modernisation de notre système de santé, le service public hospitalier devant garantir l’égalité d’accès aux soins pour nos concitoyens. Il a instauré les groupements hospitaliers de territoire, les GHT. Laissons ces structures se mettre en place ; il conviendra ensuite de les évaluer.
Depuis 2012, l’hôpital public s’est renforcé, avec la fin de la convergence tarifaire engagée par la précédente majorité. Près de 30 000 soignants et non-soignants ont été recrutés.
Un hôpital renforcé, c’est un hôpital attractif pour les professionnels.
Ainsi Mme la ministre de la santé a annoncé, en octobre 2016, des mesures concrètes pour favoriser l’engagement des jeunes diplômés dans une carrière médicale hospitalière.
Il faut citer, en particulier, la création d’une prime d’engagement pour inciter les jeunes diplômés à faire le choix d’une carrière médicale hospitalière, l’amélioration des droits sociaux pour que les jeunes contractuels bénéficient de la même couverture sociale que les praticiens hospitaliers ; le maintien à 100 % de la rémunération pendant les congés de maternité ; la création d’une prime d’exercice territorial pour valoriser le temps d’exercice médical quand il est partagé entre plusieurs établissements – c’est un point très important -, et la création d’un deuxième palier de l’indemnité d’engagement de service public exclusif pour valoriser l’engagement durable des praticiens à l’hôpital sans exercice libéral.
Pour ma part, je suis fière et heureuse d’avoir exercé mon activité médicale comme praticien hospitalier à temps plein.
Pour autant, il est aujourd'hui indéniable que les conditions de travail au sein de l’hôpital sont difficiles – agressivité des patients, cadences de travail, sentiment de perte de reconnaissance. Elles provoquent des souffrances au travail, comme en témoigne, malheureusement, la vague de suicides de l’été dernier, ayant tout particulièrement affecté des infirmiers.
Mme la ministre des affaires sociales et de la santé a entendu ce malaise du personnel hospitalier et présenté, en fin d’année 2016, un plan pour « prendre soin de ceux qui soignent » : quelque 30 millions d’euros, sur trois ans, permettront aux services de santé au travail d’intégrer psychologues, conseillers en prévention des risques, professionnels et assistants sociaux dans chaque groupement hospitalier de territoire.
S’y ajoutent la création d’un observatoire de la qualité de vie au travail et des risques psychosociaux, la mise en place d’un médiateur national chargé de traiter les conflits qui n’auraient pas trouvé de solutions au niveau local, la création d’une charte de l’accompagnement des professionnels lors des restructurations adoptée dans chaque établissement.
Des entretiens individuels annuels seront systématisés pour les paramédicaux et instaurés pour les médecins, afin d’aborder leur parcours, leur carrière, leur vécu professionnel. Enfin, une concertation devra avoir lieu avec les organisations syndicales pour adapter le régime indemnitaire et valoriser les astreintes.
Nous souhaitons, madame la secrétaire d’État, être informés de l’état d’avancement de ce plan.
Au-delà de ces différents plans d’action, primordiaux pour renforcer l’attractivité de l’exercice médical à l’hôpital public et répondre au malaise des personnels hospitaliers devant des conditions de travail de plus en plus difficiles – le même constat a été fait sur toutes les travées de cet hémicycle –, nous sommes fiers de l’excellence de notre médecine, de nos hôpitaux et des professionnels qui en sont les acteurs.
Nos professionnels, très compétents, font preuve d’une grande humanité, en dépit de leurs difficultés personnelles. Toutefois, au-delà des revendications catégorielles de carrière, ils revendiquent attention et reconnaissance au regard du travail fourni. Les personnels souhaitent défendre un projet hospitalier pour nos concitoyens.
L’intensification des conditions de travail doit être largement prise en compte. L’hôpital s’est réorganisé en profondeur au cours des dernières années : d’une part, l’hôpital de jour ou de semaine, avec une intensification importante des conditions de travail – je pense par exemple à la coordination des rendez-vous, qui constitue un réel casse-tête – et, en contrepartie, des week-ends libérés ; d’autre part, des services de soins où l’activité est permanente, tels que les urgences, la chirurgie lourde, l’obstétrique, les services de réanimation.
Dans ces services, la majorité des personnels ne dispose que d’un dimanche de repos par mois. Le travail est organisé par poste, se décomposant en poste du matin, d’après-midi, de nuit. Cela permet, certes, une optimisation de la qualité des soins, mais n’offre à une grande partie de ces personnels que 12 dimanches de repos par an ! Nous avons déjà connu ce débat, mais dans le sens de l’extension du travail le dimanche…
Les réformes passant, le principe du service hospitalier a toujours été maintenu. C’est fondamental : le service est l’élément structurant de l’hôpital. Ses activités cliniques, de recherche, d’enseignement doivent être privilégiées, libérées au maximum des tâches administratives.
Le projet de service concerne tous les acteurs qui le servent dans une communauté d’actions. La promotion de carrière doit pouvoir être clinique ; l’infirmière clinicienne doit être fortement soutenue, comme les coopérations interprofessionnelles.
La formation professionnelle continue, à laquelle nous avons montré notre attachement, doit être développée – nous en avons débattu lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Lors de mes études d’anesthésie, j’avais fait un stage dans un hôpital londonien, où j’avais rencontré un médecin anesthésiste qui avait commencé sa carrière hospitalière comme aide-soignante. De tels cas doivent être rares en France !
M. Alain Marc. En effet !
Mme Catherine Génisson. En ces périodes d’épidémie de grippe, je ne puis occulter le sujet de la permanence de soins et l’engorgement des services d’urgence.
Sans conclure sur la mission qu’avec mes collègues Laurence Cohen et René-Paul Savary, nous allons mener sur les services d’urgence, les difficultés de fonctionnement de ces services sont un peu le miroir des difficultés de fonctionnement de notre système de santé : en amont, accès aux soins, permanence des soins dans le secteur libéral ; en aval, difficultés pour les services hospitaliers d’accueillir un patient en urgence.
S’agissant de l’épidémie de grippe, dès la fin du mois d’octobre, Mme la ministre de la santé a donné les instructions nécessaires, tant au secteur libéral qu’à l’hôpital, pour prioriser l’accueil d’urgence, et, ce matin, le Président de la République a organisé une réunion de travail permettant de planifier toutes ces questions.
S’agissant du financement de l’hôpital public, j’indiquerai simplement que la tarification à l’activité, qui a eu son efficacité, n’est pas pour autant l’alpha et l’oméga de ce financement. La mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat a avancé des propositions intéressantes sur le sujet.
Au-delà de ces questions, la courroie de transmission entre secteur hospitalier et médecine libérale doit être confortée et devenir une réalité quotidienne, pour, enfin, un véritable accompagnement du parcours de santé de nos concitoyens. N’oublions pas non plus les complémentarités entre hôpital public et hôpital privé, notamment dans le domaine de l’imagerie médicale, sans méconnaître les spécificités de l’un et de l’autre.
Telles sont les quelques pistes de réflexion que je souhaitais formuler dans le cadre du débat – très utile, je le répète – voulu par nos collègues sénateurs membres du groupe CRC. Je les en remercie encore.
Néanmoins, je ne doute pas que les enjeux de santé seront au cœur des futures échéances électorales. Je me réjouis de ces débats à venir, voire de ces combats politiques qui permettront d’éclairer nos concitoyens. (M. Jean Desessard applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Républicains.
M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de ce débat, je voudrais vous dire ma préoccupation au sujet de l’hôpital, en général, et de l’hôpital dans les départements ruraux, en particulier.
Tout d’abord, je serai très clair sur le sujet : la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », ne répond pas à nos attentes. Je précise que j’ai été le seul député de mon groupe à l’Assemblée nationale à avoir voté contre en son temps, et je ne le regrette pas.
Pourquoi cette préoccupation de l’hôpital rural ? Partons d’abord des besoins des personnes éloignées géographiquement des hôpitaux et de la notion de perte de chances, notamment en cas d’urgence. Il est avéré que l’éloignement de certaines personnes augmente, hélas, la perte de chance. Certains pensent avoir trouvé le Graal, la solution, avec l’hélicoptère. Or celui-ci ne vole pas par tous les temps, ni la nuit. La qualité des moyens pour accéder aux urgences ne peut souffrir d’exception, je pense que vous en conviendrez.
Il reste le maillage des hôpitaux et ce qu’il recouvre réellement – en fait les services qu’il possède. Toutefois, ce qui m’intéresse surtout, c’est la distance maximale des usagers à l’hôpital et aussi, bien sûr, l’implantation de médecins libéraux en milieu rural. Ceux-ci interviennent souvent en première intention auprès des personnes ayant besoin de recevoir des soins d’urgence et dont l’hôpital est l’établissement pivot.
À titre personnel, je suis pour le refus de conventionnement avec la sécurité sociale lorsque des médecins choisissent de s’installer dans une zone surdense. C’est un point sur lequel, d’ailleurs, je ne suis pas tout à fait d’accord avec certains collègues de mon groupe.
Après tout, madame la secrétaire d’État, les études sont gratuites jusqu’à la sixième année en France. Ce n’est pas le cas aux États-Unis ni au Royaume-Uni. La Nation a donc consenti des efforts particuliers pour ces futurs médecins, qui, par la suite, sont payés durant leur internat. Il apparaît normal que, en retour, ceux-ci doivent quelque chose à la Nation les ayant formés gratuitement.
Doit-on maintenir à tout prix des hôpitaux dans des zones peu densément peuplées et très éloignées de grands centres urbains ? Je répondrai par l’affirmative, mais j’ajouterai aussitôt que cela ne peut probablement pas se faire à n’importe quel prix ou à n’importe quelle condition. En effet, tout citoyen français doit pouvoir avoir les mêmes chances d’accéder à des soins urgents délivrés en hôpital, où qu’il habite. Je pense aussi aux maternités, pour lesquelles on requiert un minimum de 300 accouchements annuels.
Or il est des zones de notre territoire où la densité de population est de moitié celle du Sahel et où l’on se trouve à plus d’une heure d’un centre hospitalier. Je pense à certaines zones de mon département de l’Aveyron, où aujourd’hui, d’ailleurs, la maternité de Decazeville est provisoirement fermée, celles de Millau et de Saint-Affrique sont parfois sur la sellette, alors qu’une réflexion est en cours pour un projet commun.
À côté des professionnels de santé, la notion d’aménagement du territoire ne peut laisser de côté les élus locaux et les parlementaires de ce territoire.
Les parlementaires ne méconnaissent pas l’évolution technique de la médecine et la nécessité d’avoir des hôpitaux performants, mais nous souhaitons, en même temps, une véritable politique de différenciation des territoires, avec des exceptions géographiques pleinement assumées par la Nation et qui permettent d’assurer ce que l’on pourrait appeler le « minimum vital » dans les délais les plus brefs. Pour celles-ci, une fois qu’elles auraient été définies, la notion d’équilibre budgétaire à tout prix ne serait pas la seule finalité et la seule condition de leur existence.
Madame la secrétaire d’État, je vous demande que les parlementaires ne soient pas écartés de toute réflexion et, surtout, que la notion d’exception géographique trouve une validation législative.
Aujourd'hui, on veut bien accepter cette notion, souvent en accord, d’ailleurs, avec le ministère, mais on ne l’a pas validée au travers de la loi. Or cette évolution permettrait d’éviter que les hôpitaux en milieu rural ne soient systématiquement remis en cause, ce qui est, malheureusement, trop souvent le cas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour le groupe CRC.
Mme Annie David. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont demandé à mettre en débat la situation de l’hôpital public, car celui-ci se trouve dans un état grave, nécessitant une intervention urgente, comme l’a dénoncé Laurence Cohen.
À l’approche d’échéances électorales qui auront une répercussion fondamentale sur les orientations prises en matière de santé publique, ce débat est impératif pour clarifier la vision que nous défendons pour notre système de santé actuel et à venir, pour ses patientes, ses patients et pour son personnel soignant.
Nous avons maintes fois alerté sur le danger des directions prises par les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, que ce soit avec la loi HPST de 2009 ou avec la loi Santé de 2016. Nous sommes aujourd’hui constamment interpellés sur les conséquences néfastes de ces textes sur la qualité des soins, les conditions de travail et de prise en charge ou les méthodes de gouvernance – antidémocratiques.
Dans tous les secteurs médicaux, nous retrouvons les mêmes symptômes. Et ces symptômes sont liés au même virus : la logique libérale et « austéritaire » de l’hôpital-entreprise instituée par ces deux lois. Aujourd’hui, et partout, ce sont nos régions et nos différents services hospitaliers qui paient les pots cassés !
En complément des propos de ma collègue Laurence Cohen, que je partage complètement, j’observerai que le secteur psychiatrique illustre tristement ces répercussions, et leur conséquence directe : des soins déshumanisés, des patients et des soignants malmenés. La psychiatrie a subi des baisses drastiques de budget : plus de 0,5 % du budget national tronqué en deux ans !
Les représentantes et représentants du personnel du centre hospitalier de Saint-Égrève, dans mon département, m’alertent sur le manque de personnel hospitalier, ainsi que sur la fusion et amputation de postes bien au-delà de ce que prévoyait le virage ambulatoire. Ceux de l’hôpital de Saint-Cyr dénoncent la suppression d’un pôle entier de pédopsychiatrie. L’hôpital du Léman, en Haute-Savoie, voit son service de psychiatrie démantelé et 43 lits disparaître.
Le centre hospitalier Le Vinatier, établissement de référence en psychiatrie et santé mentale dans le Rhône, devra, lui, réaliser 3,5 millions d’euros d’économies. Dans cet établissement, les coupes se traduisent déjà en restrictions de matériel et, bientôt, 80 postes seront supprimés.
Quant au pôle public psychiatrique du centre hospitalier de Vienne, également dans mon département, il a été transféré sur le centre psychothérapique privé du Nord-Dauphiné à Bourgoin-Jallieu. Outre la fermeture d’unités d’accueil et d’hospitalisation, ainsi que la dégradation de la prise en charge, en particulier des enfants, ce nouveau projet médical a précipité le départ de nombreux pédopsychiatres, laissant autant de postes vacants. Ainsi, les équipes soignantes travaillent dans une précarité ne leur permettant pas d’assurer toutes leurs missions.
Toutes ces femmes et ces hommes, garants de la qualité des soins, ne peuvent servir plus longtemps de variables d’ajustement face aux économies imposées par le Gouvernement, madame la secrétaire d’État, par l’intermédiaire des directions de ces établissements.
Cette austérité budgétaire s’accompagne de logiques bureaucratiques et comptables qui ont profondément métamorphosé la conception des soins. Aux origines des nouvelles méthodes de gestion du secteur de la psychiatrie, il y a le rapport de Michel Laforcade relatif à la santé mentale. Ce document consacre une approche scientiste et normalisatrice, dans laquelle la dimension psychique ne trouve pas de place.
Ainsi les protocoles de soin de la Haute Autorité de santé qui en découlent, et que dénonce le Collectif des 39, sont contraires à la démarche de la psychiatrie. Cette tendance à la taylorisation du métier de soignant nous retranche dans des logiques sécuritaires, des pratiques d’isolement et de contrainte. D’ailleurs, le minutage des tâches pratiqué par de nombreux hôpitaux est lui aussi révélateur de cette désastreuse approche : rationaliser le temps ne peut se faire qu’au détriment du relationnel, et ces pratiques manquent grandement d’humanité.
Pourtant, la psychiatrie française avait su abandonner les pratiques courantes d’asile au profit d’une proximité de soins spécifiques au contexte, au patient, à son histoire et ses souffrances. L’hôpital et, en particulier, la psychiatrie ne peuvent plus demeurer des usines à patients.
Dans des conditions de travail aussi extrêmes, il n’est pas étonnant que le pire puisse se produire. Les patients, excédés et usés, peuvent devenir violents, comme le montre l’agression, à Saint-Égrève, d’un agent du service psychiatrique ayant subi un traumatisme crânien.
Parfois, sous la pression, les membres du personnel en viennent à commettre l’irréparable. Comme le rappelait ma collègue Aline Archimbaud, le nombre de burn-out et de suicides, ou tentatives de suicide, est là malheureusement pour l’illustrer.
Comme vous le voyez, mes chers collègues, les alertes sont particulièrement nombreuses. Pourtant, le personnel soignant et ses représentants se heurtent systématiquement au silence des directrices et directeurs des agences régionales de santé – les ARS –, qui considèrent l’hôpital sous le seul prisme financier. De surcroît, la loi HPST les a rendus tout puissants au sein de leurs directoires – ma collègue Laurence Cohen évoquait, voilà un instant, des « préfets sanitaires » –, leur permettant ainsi d’imposer aux professionnels sur le terrain leurs plans d’austérité.
À ce propos, madame Génisson, il ne me semble pas que le plan visant à prendre soin des soignants soit véritablement mis en œuvre…
La logique « austéritaire » a aussi une répercussion sur l’offre de soins. La recherche d’économies a poussé à de gigantesques restructurations et regroupements, évoqués par ma collègue. Ces restructurations ont été menées sans concertation, sans aucune considération de la carte de l’accès aux soins et aux spécialités, ni de la capacité des patients à poursuivre leur traitement, et celle de leurs accompagnants à les y aider.
En témoigne l’exemple du GHT Paris Psychiatrie et Neurosciences, qui a dû déménager deux fois en l’espace de deux ans, en laissant vide de spécialistes le XIVe arrondissement, pourtant en grand besoin. À contre-courant de cette logique, il nous faut, pour lier ces besoins de structure collective et de soins de qualité, repenser notre système de santé.
Une médecine généraliste de proximité, organisant dans des centres de santé des équipes pluridisciplinaires de quartier, permet aux soignants de travailler dans des structures à échelle humaine.
Ces cellules ont un ancrage et une visibilité locale. Les soignants ont le temps de coopérer et de répondre au cas par cas aux patients et à leurs parents, à leurs maux et à leurs préoccupations. Ils n’en seront que plus motivés et engagés. Cette véritable politique de lutte contre les déserts médicaux permettra à l’hôpital, ainsi décongestionné, de se dédier pleinement à ses fonctions de spécialité, de prévention, de recherche et d’enseignement.
Aussi, et pour conclure, l’État doit assumer et assurer pleinement ses responsabilités. Il doit réinvestir massivement dans le secteur de la santé publique. Cela passe par un financement à la hauteur des besoins de nos hôpitaux et de nos centres de santé – pourquoi, madame la secrétaire d’État, ne pas ouvrir des lits dans l’urgence pour faire face à l’épidémie de grippe ? Cela passe aussi par un investissement fort dans le personnel, sa formation et ses conditions de travail.
Cette politique est indispensable si nous voulons véritablement conserver la qualité de nos soins et ne pas aboutir à un système de santé à deux vitesses. Cette conception humaniste et citoyenne de la santé publique et de la médecine est essentielle aux patients de nos hôpitaux publics et à l’ensemble de leurs services, psychiatrie comprise ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel, pour le groupe du RDSE.
M. Michel Amiel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on dit depuis bien longtemps que l’hôpital est malade et ne peut plus assurer sa fonction de service publique.
Pourtant, avant d’en venir à tout ce qui ne va pas, je voudrais rappeler quelle a été l’évolution de l’hôpital public. Ce dernier est passé, en quelques décennies, d’une logique asilaire à une logique de soins pour les plus démunis ; puis, il est devenu l’hôpital que nous connaissons aujourd’hui depuis la loi Debré des années 1950, qui a permis l’accès à l’excellence en matière médicale, et cela pour tous.
Que s’est-il donc passé ? Si la santé n’a pas de prix, elle a un coût ! « Depuis les années 1980, les soignants sont confrontés à une dégradation de leurs conditions de travail, et la rationalisation des dépenses hospitalières entraîne une limitation de la croissance des effectifs », souligne Valérie Carrara, psychologue du personnel à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l’AP-HP. Autrement dit, le gestionnaire a pris le pas sur le sanitaire, et la mise en place des 35 heures, loin d’engendrer des créations d’emploi, a créé de vives tensions en matière de ressources humaines.
Oui, l’hôpital n’a pas su se réformer. Il souffre d’une maladie que je qualifie d’« hospitalo-centrisme », maladie qu’il subit et qu’il propage, car, si l’hôpital est malade, c’est que l’ensemble du système de santé ne va pas bien. Dès lors, l’hôpital devient, ou redevient parfois, un lieu de premier recours, et non de premier secours.
Il en est ainsi des urgences, engorgées par des malades qui relèvent, non de l’urgence véritable, mais de la consultation non programmée, ou bien de l’hospitalisation en fin de vie, faute d’un manque cruel de soins palliatifs, que ce soit en ambulatoire ou dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD.
De même, en aval, combien de malades se trouvent en difficulté à la sortie de l’hospitalisation, souvent de plus en plus courte – et c’est heureux – grâce au virage ambulatoire ? Trop de lits d’hospitalisation ont été fermés au cours des dernières années, comme le montre l’épidémie de grippe qui sévit en ce moment.
Dans le même temps, il faut parfois un peu de courage politique pour affirmer que certains services d’hospitalisation doivent être fermés, car ils ne répondent plus aux critères d’exigence thérapeutique. Il s’agit bien, plutôt que de les maintenir ouverts à tout prix, d’orienter ces lits en fonction des besoins. Je pense par exemple aux soins de suite et de réadaptation ou aux post-urgences.
Par ailleurs, l’hôpital doit se retrouver au cœur d’un territoire de santé, et cette régionalisation, comme le prévoyait déjà la loi HPST de 2009 avec la création des ARS, doit encore être renforcée, afin de créer un maillage plus efficace du territoire, une rationalisation des coûts et une meilleure répartition des activités.
Oui, l’hôpital ne doit pas être un « hôpital d’ivoire ». Il doit s’ouvrir sur la ville, sur la médecine de ville, mais pas seulement. Il faut un décloisonnement entre ville et hôpital, public et privé, sanitaire et médico-social, voire social, car le patient est d’abord un individu, dont la bonne santé n’est pas seulement une absence de maladie, comme le rappelle la définition de l’Organisation mondiale de la santé.
Certes, la médecine hospitalière gardera et doit garder ses spécificités. Je voudrais en particulier évoquer un rôle essentiel de l’hôpital public : son rôle universitaire. J’entends par là sa mission de formation initiale de nos médecins et son statut de pôle d’excellence et d’innovation.
À ce titre, ne décourageons pas nos praticiens hospitaliers ! Je le dis clairement, leurs carrières doivent être revalorisées, sous l’angle financier, mais aussi en leur offrant un accès au meilleur et à l’innovation. Il faut réenchanter la carrière hospitalière et ne pas priver l’hôpital public de ses éléments les plus talentueux.
Les études universitaires médicales, elles aussi, sont trop concentrées sur l’hôpital. Si les étudiants en médecine apprennent leur art en milieu hospitalier, ils n’ont bien souvent aucune idée de ce qu’ils feront et de ce qu’ils verront en ville – une varicelle, une rougeole, une grippe. Là encore, une ouverture sur la médecine de ville via des stages dès le deuxième cycle serait nécessaire, pour leur permettre de mieux apprendre et appréhender leur métier.
Comment croire qu’avec une formation initiale uniquement portée par l’hôpital, sur la décision collective, avec l’utilisation de technologies de pointe et une baisse de l’enseignement de la clinique, le futur médecin, isolé dans son colloque singulier avec son patient, ne soit pas incité à diriger celui-ci vers l’hôpital ? Paradoxalement, la mission universitaire pédagogique de l’hôpital, un des éléments majeurs, est peu prise en compte dans la réflexion habituelle.
Néanmoins, je ne peux aborder la question de l’hôpital sans évoquer l’ensemble du personnel hospitalier, qu’il soit soignant, technique ou administratif. En ces temps où l’on parle beaucoup de souffrance au travail, je veux rendre un véritable hommage à l’ensemble du personnel hospitalier.
Il faut avoir vécu l’activité hospitalière de l’intérieur, et c’est mon cas, pour se rendre compte à quel point les conditions de travail se sont détériorées. Je le dis avec une certaine solennité, il n’est pas question selon moi de revoir à la baisse le nombre de fonctionnaires hospitaliers, en particulier dans la filière de soins.
Je voudrais enfin aborder un sujet qui m’est cher, celui de l’hôpital psychiatrique. Si l’hôpital général est en crise, l’hôpital psychiatrique est, lui, sinistré, alors même que jamais la demande n’a été aussi forte. Mes chers collègues, passez-moi le terme « demande », mais c’est bien là le cœur du problème : il s’agit de savoir si l’on veut une stricte logique de l’offre ou si l’on doit, au contraire, tenir compte des besoins en la matière. Je penche, bien évidemment, pour cette dernière orientation.
Oui, je le dis haut et fort, un pays comme le nôtre n’a pas, sur l’ensemble du territoire, une couverture suffisante en matière de psychiatrie hospitalière, et encore plus en pédopsychiatrie.
Voilà en quelques mots ce que je voulais dire. Sur un plan financier, seule une approche comptable pluriannuelle différente de l’ONDAM s’impose, avec une réforme de la tarification – la fameuse T2A –, qui a créé des activités « nobles », parce qu’elles sont rentables, et des activités méprisées, parce que ne rapportant pas d’argent.
Avec la loi Debré, l’hôpital s’était réformé dans les années cinquante. Aujourd’hui, c’est tout le système de santé qu’il faut revoir, non pas en distinguant le gros risque du petit risque, mais en responsabilisant tout un chacun, y compris le patient, en développant l’innovation, la télémédecine et, oui, peut-être, en faisant participer un peu plus ceux qui ont plus de moyens, comme ce fut le cas pour la récente réforme des allocations familiales, ou en taxant davantage le tabac.
Mme Laurence Cohen. Plus d’ONDAM, donc !
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Georges Patient. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie nos collègues du groupe CRC d’avoir proposé ce débat bienvenu. Il me permet en effet de vous alerter sur l’état très alarmant du secteur de la santé en Guyane et sur l’extrême tension qui existe au sein de ses établissements hospitaliers.
Sans exagération aucune, je puis dire que le service public hospitalier de Guyane est un grand corps malade, voire agonisant, qu’il est urgent de réanimer.
Madame la secrétaire d’État, je ne vous apprends rien. Mme la ministre de la santé s’est en effet rendue l’année dernière en Guyane, où elle a pu constater sur place l’ampleur du problème et a pris quelques dispositions en urgence : elle a fait venir des inspecteurs de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, pour faire le point sur les dysfonctionnements des hôpitaux publics, et a débloqué des fonds pour répondre aux besoins estimés les plus urgents de ces établissements.
Ces fonds étaient néanmoins nettement insuffisants au regard de l’ampleur des besoins. Les hôpitaux de Guyane sont en effet tous dans une logique de rattrapage structurel.
Le centre hospitalier Andrée-Rosemon de Cayenne, qui est l’hôpital principal de la Guyane, assure la prise en charge de patients non seulement à Cayenne, mais aussi dans les centres délocalisés de prévention et de soins situés sur plusieurs communes : environ 150 000 habitants, soit 60 % de la population. Il présente un déficit structurel de 40,5 millions d’euros et accuse plus de 25 millions d’euros de retards de paiements à ses fournisseurs, lesquels sont de plus en plus réticents à assurer les livraisons.
Pour qu’il puisse assurer ses missions, un triple rattrapage est nécessaire : un rattrapage sous forme de réajustement du financement des missions d’intérêt général ; un rattrapage des insuffisances de financement de ces trois dernières années ; la poursuite de sa politique d’investissements de remise à niveau pour garantir la sécurité des personnes et des bâtiments.
Le centre hospitalier de l’Ouest guyanais, à Saint-Laurent-du-Maroni, est l’unique structure de prise en charge sanitaire sur un territoire de plus de 50 000 kilomètres carrés, qui représente 60 % du territoire guyanais. Il couvre un bassin de santé de plus de 100 000 habitants, si l’on comptabilise le nombre d’étrangers en situation illégale venant du Suriname.
Comme le centre hospitalier Andrée-Rosemon, il est déficitaire. Il manque à ce jour 49 millions d’euros pour financer le nouvel hôpital, dont le coût est estimé à 147 millions. Il accuse un retard structurel pour 2016 de moins 10 millions, soit l’équivalent de 15 % de ses recettes. Cet établissement a lancé un plan de retour à l’équilibre qui devrait permettre d’améliorer le résultat de 5 millions d’euros entre 2017 et 2020.
Le centre médico-chirurgical de Kourou fait face aux mêmes problèmes : une situation financière très tendue, avec un déficit chronique ; une offre de soins de santé défaillante ; des problèmes de gouvernance et de ressources humaines.
Madame la secrétaire d’État, vous connaissez le diagnostic, puisque vous avez reçu le rapport de mission des inspecteurs de l’IGAS, un document que j’ai demandé à l’agence régionale de santé, mais que je n’ai jamais pu obtenir, à l’instar de bon nombre de professionnels de santé. Il faut croire qu’il s’agit du secret le mieux gardé du ministère, car il est également introuvable sur le site de l’IGAS.
Pourquoi tant de silence autour de ce rapport ? Pourquoi si peu d’empressement de la part de votre ministère pour répondre aux demandes des professionnels du secteur de santé ?
Je fais référence à leur courrier du 7 décembre 2016, qui met l’accent sur la demande récurrente de révision de la tarification à l’activité, la fameuse T2A. Cette révision, demandée unanimement, est nécessaire et légitime pour être en phase avec la réalité des surcoûts locaux induits, entre autres, par la taille de notre territoire, la faiblesse des infrastructures, l’isolement, la précarité et la morbidité de la population prise en charge.
Que faut-il faire pour être entendus puisque même les graves accidents récents qui y sont survenus ne semblent pas changer la donne ?
Je rappelle, car cela a été passé sous silence, que cinq bébés grands prématurés sont décédés des suites d’une infection nosocomiale en l’espace de deux mois, entre la fin juillet et la fin août 2016, dans le service de réanimation néonatale du centre hospitalier de Cayenne. Un mois auparavant, un patient brûlait vif dans sa chambre d’EHPAD. L’hôpital de Cayenne a même été qualifié de « mouroir » après ces événements tragiques.
Les hôpitaux de Guyane sont indignes d’un pays moderne. Pourtant, les enjeux sont de taille, puisque la Guyane est confrontée à la forte prévalence de maladies infectieuses et parasitaires – paludisme, tuberculose, VIH, etc. – et de maladies chroniques – obésité, diabète, hypertension artérielle, accidents vasculaires cérébraux. Devons-nous faire appel à Médecins sans frontières pour intervenir afin de pallier les défaillances de notre système de santé ?
Madame la secrétaire d’État, il serait bon que vous annonciez les mesures attendues avant les premières assises de la santé en Guyane, organisées par l’ARS, qui se tiendront le 19 janvier prochain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains.
M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les Français l’ont rappelé au travers de divers sondages récents, ils restent attachés à l’hôpital public, mais partagent avec les personnels hospitaliers le sentiment de fragilité de nos hôpitaux.
Fragilisées par un hypercentralisme de la gestion de la santé, les communautés hospitalières subissent, sur le terrain, des politiques publiques descendantes et bureaucratiques, sans véritable marge de manœuvre et d’adaptabilité régionale pour les acteurs de santé.
La création des ARS, voulue par les hospitaliers, déçoit par leur déploiement effectif. Au lieu de remplir le rôle de planificateur et de régulateur de l’offre de soins, l’État les incite à intervenir dans un rôle de tutelle bureaucratique, dans trop de compartiments de la gestion hospitalière.
La double tutelle nationale, du ministère des affaires sociales et de la santé et de la CNAM, est une source de complexification sur le terrain, et l’assurance maladie a tendance à vouloir s’immiscer toujours plus dans la gestion hospitalière.
Les agences régionales de santé demandent des plans de suppression d’effectifs, sans pour autant s’engager suffisamment dans des réformes courageuses d’évolution de l’organisation de l’offre de soins. Or rien n’est pire qu’une politique alourdissant les charges des établissements, souvent pour acheter la paix sociale, au détriment des réformes structurelles, le tout en prônant la poursuite des efforts d’efficience.
Il est indispensable que les réorganisations structurelles ne soient pas imposées, mais pensées par les équipes médico-soignantes sur le terrain, dans le respect du dialogue social et dans un esprit de coconstruction. Plusieurs mesures sont, à mon sens, prioritaires.
Il faut, premièrement, rendre attractifs les métiers hospitaliers. L’hôpital doit se donner les moyens d’être attrayant. Cela signifie améliorer les conditions de travail des jeunes médecins, donner de la visibilité sur leur carrière, avec la création de véritables parcours professionnels évolutifs, et revaloriser leur rémunération en début de carrière.
Le dialogue social mené aujourd’hui dans les établissements souffre, à la fois, d’un excès de formalisme et d’un manque d’autonomie qui ne permet pas d’adapter des décisions prises au niveau national à l’échelle locale ou d’innover.
Il convient d’ouvrir de nouveaux espaces d’autonomie pour le dialogue social au niveau territorial et au niveau des établissements, afin d’aborder les thématiques prioritaires pour l’avenir de métiers en évolution significative dans le cadre de la nouvelle territorialité et de la révolution numérique. Les prises en charge spécifiques auxquelles répondent seuls les hôpitaux publics doivent être reconnues et justement financées : urgences, personnes en perte d’autonomie ou de handicap, santé mentale, précarité.
Il faut, deuxièmement, faire évoluer le mode de financement de l’hôpital. Dans le cadre du rapport d’information de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, voté, je le rappelle, à l’unanimité, j’avais formulé, avec Jacky Le Menn, des propositions en ce sens.
La T2A, avec ses imperfections, a permis une structuration de la politique hospitalière. Cependant, il faut trouver un autre mode de régulation que celle du prix/volume, qui conduit à la baisse des tarifs et à la déconnexion des tarifs et des coûts, rendant le modèle économique non viable à terme.
Le modèle actuel de T2A est un frein aux coopérations et aux mutualisations de services médicaux et médico-techniques. Il convient de mettre en œuvre un choc de simplification et de soutien aux expérimentations en faveur des hôpitaux et des établissements médico-sociaux publics.
L’expérimentation d’un modèle de financement au parcours devrait permettre de tester comment, sur un territoire et sur un périmètre de soins modeste, il est possible d’inventer un financement alternatif.
Le décloisonnement est également un enjeu de réussite pour la réalisation de parcours de soins – décloisonnement du sanitaire, du médico-social et de la médecine de ville. Leur réussite sur les territoires ne peut reposer que sur la volonté des acteurs de soins dans des coopérations partagées et non imposées.
Il faut, troisièmement, remettre l’investissement au cœur des enjeux. Depuis plusieurs années, celui-ci se réduit comme peau de chagrin, alors que le parc immobilier est vétuste. Les besoins de mise aux normes de sécurité et de réhabilitation, en région PACA par exemple, sont estimés par l’ARS à 800 millions d’euros, alors que l’enveloppe régionale annuelle, hors opérations nationales, est de 10 millions.
Il en va de même pour l’investissement médical. À force de repousser les renouvellements d’équipements médicaux, à l’exception des renouvellements d’équipement lourds, le parc de biens médicaux est vieillissant.
Ce fort ralentissement de l’investissement hospitalier, y compris en CHRU, est préjudiciable au développement technologique de la médecine française et prive les patients des techniques de pointe.
À titre personnel, je suis favorable à la conservation des équipements de biens médicaux dans le giron de l’assurance maladie. Toutefois, pour ce qui est de l’investissement immobilier, je suis favorable – je le dis depuis longtemps – à la création d’un établissement financier dédié à l’investissement immobilier national.
Les établissements qui rencontrent les plus grandes difficultés face aux contraintes d’investissement sont les CHU. De manière plus large, il convient d’avoir une réflexion sur la pertinence du modèle hospitalo-universitaire français.
Près de soixante ans se sont écoulés depuis les ordonnances Debré, qui ont forgé la spécificité du modèle hospitalo-universitaire français et ses succès au niveau international. Les changements sociétaux, les progrès médicaux, scientifiques et technologiques, l’essor du numérique, les cadres statutaires et financiers recèlent autant de défis que d’opportunités pour les CHU.
Il faut agir pour promouvoir les CHU sur la recherche, l’innovation et l’enseignement, cette spécificité française contribue au rayonnement de notre médecine.
Toutefois, il convient aussi de repenser les enjeux, notamment territoriaux. J’ai demandé au président Migaud, au nom de la commission des affaires sociales, que la Cour des comptes produise un rapport sur les missions de soins des CHU, entre activités de recours et activités de référence. La refonte territoriale de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe, et la création des groupements hospitaliers de territoire, les GHT, mettent la notion de territorialité au centre de la stratégie des CHRU.
La territorialité des GHT met au centre de la stratégie des CHU l’organisation des missions entre activités de recours et activités de référence, en véritable complémentarité avec les autres CH du territoire et au sein des CHRU. Pour ne prendre que l’exemple des maternités, les CHRU disposent d’une maternité de niveau 3, mais, bien souvent, ces lits hyperspécialisés sont occupés par des parturientes relevant d’une maternité de niveau 1.
Le territoire est au centre de la réorganisation de l’offre de soins. Nous étions favorables à la définition des projets médicaux partagés comme fondement des périmètres des GHT, seule garantie de faire prévaloir une stratégie médicale. Pourtant, les GHT sont constitués sur les territoires et s’organisent autour des activités de médecine, chirurgie, obstétrique, dites « MCO ».
Il ne faut pas oublier deux pans essentiels de l’offre de soins : la psychiatrie et le secteur médico-social.
Les enjeux de la santé mentale sont importants. Outre la participation de la psychiatrie aux GHT, la constitution des territoires de santé mentale et la création des communautés psychiatriques de territoire, les CPT, constituent le socle des liens avec les citoyens et les collectivités locales.
Le renforcement des liens ville-hôpital, psychiatrie-disciplines somatiques et sanitaire-médico-social, dans le respect de la sectorisation, constitue autant de défis à relever. La révision du mode de tarification de la psychiatrie, souvent repoussée, serait un gage de modernisation du secteur.
Un autre besoin de décloisonnement, unanimement ressenti, est celui du sanitaire et du médico-social. Il est nécessaire de créer de véritable parcours de soins entre le médico-social gériatrique et handicapés et le sanitaire, parcours d’autant plus indispensable avec le développement du maintien à domicile.
De nombreuses initiatives intéressantes se sont, par ailleurs, développées dans le champ médico-social : téléconsultations, équipe mobile de gériatrie, de gérontopsychiatrie ou de soins palliatifs intervenant tant en public qu’en privé, consultations avancées et, bientôt, infirmières de nuit partagées entre plusieurs EPHAD. L’objectif central est d’éviter les hospitalisations inutiles de personnes âgées ou handicapées.
Pour conclure, notre système de santé, au sein duquel l’hôpital public joue un rôle majeur, a été jusqu’à présent incapable de s’adapter aux deux grandes transitions auxquelles font face l’ensemble des sociétés occidentales : la transition démographique et la transition épidémiologique.
Parallèlement, notre système de santé est toujours incapable d’apporter des réponses réelles à des problèmes qui ne sont pourtant pas nouveaux, notamment celui des inégalités de santé : inégalités territoriales, accessibilité aux soins, reste à charge…
Face à ces transitions et malgré les très nombreuses initiatives législatives, le système est resté fondamentalement le même : l’hôpital d’un côté, la ville de l’autre, le médico-social à part, tout comme le secteur associatif et les patients qui peinent à trouver leur repère entre tous les acteurs.
En retour, l’accumulation de réglementations tue complètement la capacité du système à générer de l’innovation, et, surtout, à généraliser les bonnes pratiques.
Il faut réintroduire dans notre système de santé de la déconcentration, de la cohérence, du pragmatisme, de l’autonomie, de l’expérimentation sur les territoires et laisser de l’initiative aux acteurs de terrain. Pour préserver dans l’avenir l’excellence de notre système de santé, les établissements hospitaliers doivent réussir la révolution de l’émergence de la territorialité et de la responsabilité populationnelle en santé. (MM. Cyril Pellevat et Jean Desessard applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Républicains.
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe communiste d’avoir mis à l’ordre du jour ce débat sur la situation de l’hôpital. J’indique mon soutien, comme mes collègues l’ont fait précédemment, aux professionnels de santé qui sont particulièrement débordés en cette période de grippe.
Je vais tout d’abord profiter des quelques minutes qui me sont imparties pour attirer votre attention, madame la secrétaire d’État, sur un dossier local.
Je souhaite vous alerter sur la situation des hôpitaux du Léman, à Thonon-les-Bains, en Haute-Savoie, déjà mentionnée par ma collègue Annie David. La situation de l’établissement est critique. Il est en baisse d’activité et son déficit atteint désormais 9 millions d’euros. Certes, un plan de redressement est en cours, et l’agence régionale de santé a débloqué une aide exceptionnelle de 3,5 millions d’euros pour cet établissement. Néanmoins, les réorganisations prévues sont peu satisfaisantes pour le personnel, les services et les patients.
Une difficulté importante se pose au sein de la structure psychiatrique des hôpitaux du Léman, comme je l’ai déjà indiqué par courrier à Mme la ministre de la santé.
L’agence régionale de santé envisagerait le transfert des lits d’hospitalisation en psychiatrie de Thonon vers la Roche-sur-Foron, à une heure de Thonon. Or, dans le Chablais, territoire situé autour de Thonon, on estime à 4 200 le nombre de personnes qui souffrent de troubles psychiques sévères.
La proximité favorisant les soins et la réinsertion, cette structure psychiatrique doit nécessairement être maintenue en son lieu actuel. Elle peut être rénovée s’il le faut, et de nouvelles structures d’hébergement alternatives à l’hospitalisation pourraient être créées.
Ce dossier local a donné lieu à de nombreuses manifestations et une pétition de 10 000 signatures a notamment été remise au sous-préfet il y a un an. La situation des hôpitaux du Léman suscite de vives réactions localement ; un collectif citoyen a notamment élaboré un « projet territorial d’accès aux soins pour tous dans le Chablais ». Madame la secrétaire d’État, allez-vous intervenir dans ce dossier ?
Malheureusement, ce cas n’a rien d’exceptionnel. De nombreux hôpitaux connaissent une mauvaise situation financière. Nous le savons, le secteur hospitalier français n’est pas en bonne santé.
Au niveau organisationnel, les conditions de travail du personnel soignant sont mauvaises, et les 35 heures y ont certainement contribué. Les professions hospitalières souffrent.
Je tiens à m’attarder sur la situation des infirmières et des aides-soignants. Nous connaissons la pénibilité de leurs conditions de travail, la grande utilité de leur emploi et leur faible rémunération. Si des emplois doivent être revalorisés, ce sont bien ceux-là. Du fait du manque de personnel – les retraités ne sont pas remplacés –, infirmiers et aides-soignants sont débordés et considèrent qu’ils ne peuvent mener à bien leur travail. L’hôpital français manque de moyens pour assurer un service de qualité. Je constate que, dans notre pays, certains hôpitaux recrutent des infirmières étrangères pour faire face à la pénurie qu’ils subissent.
Assurer de bonnes conditions de travail à ces professionnels reviendrait à garantir un meilleur service à l’ensemble des Français.
En Haute-Savoie, nous manquons cruellement d’infirmières. L’hôpital qui souffre le plus du manque d’infirmières est celui de Saint-Julien-en-Genevois. Le voisinage de la Suisse, où les salaires sont deux fois, voire trois fois plus élevés qu’en France, ne nous aide pas. Ce pays étant également confronté à un manque de personnel infirmier, il propose aux professionnels français des rémunérations très attractives.
La rémunération des personnels soignants étant fixée au niveau national, nos hôpitaux hauts savoyards essaient de rivaliser avec nos voisins suisses sur d’autres critères, tels que les plans de carrière ou encore les gardes d’enfants.
Enfin, nous devons veiller au maillage territorial de l’offre de soins.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Cyril Pellevat. Le principe de l’égalité devant le service public de santé doit prévaloir ; il y va de la vitalité de notre territoire.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Cyril Pellevat. Je conclurai mon propos en évoquant quelques-unes des solutions peu coûteuses qui permettraient d’alléger le poids supporté par nos établissements hospitaliers.
Je citerai, par exemple, la télémédecine ou médecine à distance. Il s’agit d’une solution d’avenir. Les professionnels de santé doivent prendre en compte le progrès technologique et informatique pour accomplir leurs missions. Cela permettra, en outre, de lutter contre l’explosion des dépenses de santé.
Sur le plan purement organisationnel, cette pratique permet à la plupart des établissements hospitaliers de remédier au problème des services d’urgences bondés, mais aussi à celui de la désertification médicale. Elle donne ainsi la possibilité aux patients d’accéder à des soins appropriés sans avoir nécessairement besoin de se déplacer physiquement, ni de patienter longuement avant de recevoir la visite du premier praticien disponible. La maîtrise du coût et la maximisation du gain de temps, notamment, sont des avantages directement procurés par cette nouvelle pratique.
Les Français doivent aussi devenir acteurs de leur santé. Les programmes de prévention, de responsabilisation et d’éducation à la santé doivent être encouragés. Sur ce sujet, il reste beaucoup à faire. (M. Jean Desessard applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez fait le choix d’inscrire à l’ordre du jour du Sénat ce débat consacré à la situation de l’hôpital public dans notre pays. Je vous en remercie, car c’est un sujet au cœur des préoccupations de nos concitoyens, notamment en cette année marquée par des échéances électorales majeures à l’occasion desquelles chacun devra exprimer des positions politiques claires.
Sur ce point, la position du Gouvernement et de notre majorité à l’égard de l’hôpital public n’a jamais changé depuis 2012. Nous n’avons eu de cesse de montrer notre attachement à cette institution et à ses valeurs, qui sont celles de la République.
Soigner tout le monde sans exclusion, dans l’excellence, y compris ceux qui n’ont rien ou qui sont à la rue, au quotidien comme dans les circonstances exceptionnelles – je pense à l’actuelle épidémie de grippe… Oui, l’hôpital public incarne la République sociale, qui est l’un des fondements de notre identité collective. Ces valeurs nécessitent des choix politiques, qui doivent être régulièrement réaffirmés.
Je vais citer des éléments concrets et précis en vue de répondre aux questions qui ont été posées. Je comprends que les échéances électorales vous incitent dans certains cas, mesdames, messieurs les sénateurs, à afficher vos différences, mais je ne peux pas vous laisser dire des choses inexactes.
Dire que ce gouvernement a « marchandisé » la santé et qu'il a considéré l’hôpital comme une entreprise privée, c’est dire quelque chose qui est faux !
Dire que 57 000 lits ont été supprimés en onze ans, c’est partiellement vrai ; ou plutôt, devrais-je dire, ces chiffres sont exacts, mais vous en oubliez d’autres. Toutefois, peut-être le faites-vous sciemment !
En effet, les chiffres que vous avez cités renvoient en réalité aux suppressions de lits depuis 2004 ; vous auriez dû le préciser. Par ailleurs, il ne s’agit pas de lits de médecine, mais, dans l’immense majorité des cas, de lits de chirurgie et d’unités de soins de longue durée. On peut trouver que cette mesure était bonne ou mauvaise, mais la moindre des choses est de préciser de quoi l’on parle !
La réalité des chiffres est la suivante : depuis 2012, nous avons créé 2 500 lits de médecine et 2 800 lits de soins de suite et de réadaptation, ces fameux lits « d’aval » qui permettent d’éviter l’embolie des services d’urgence et de l’hôpital public.
Mme Laurence Cohen. Tout va bien, donc !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Je n’ai pas dit cela, madame la sénatrice ! Je dis seulement qu’il faut donner tous les chiffres et les expliquer.
M. Jean Desessard. On ne comprend rien à vos chiffres !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Vous avez parlé, je le répète, de marchandisation de l’hôpital. Or c’est tout le contraire : nous avons redonné à l’hôpital public la place qu’il mérite dans notre système de santé.
Nous avons, tout d’abord, réintroduit le service public hospitalier dans la loi, non par idéologie ou par dogmatisme, mais parce que ce service public est une garantie pour l’ensemble des Français, les patients et les professionnels. C’est une garantie d’égalité d’accès aux soins, quels que soient les revenus des personnes, leurs pathologies, les soins nécessaires, une garantie de non-sélection des patients, de permanence des soins, quelles que soient les circonstances, de réponse à l’urgence, de soins de qualité pour tous.
Je dois le rappeler, la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, ou loi HPST, adoptée sous le quinquennat précédent, avait démantelé le service public hospitalier en le divisant en différentes « missions » que les établissements pouvaient choisir « à la carte ».
Avec la loi de modernisation de notre système de santé, le service public hospitalier a été rétabli en un bloc indissociable, qui engage donc pleinement les établissements assurant ce service public. Un principe fondateur a été réaffirmé dans ce texte.
Pour préserver et renforcer le service public, une décision essentielle a été prise dès 2012 : la fin de la convergence tarifaire entre le public et le privé. Cela peut paraître technique, mais chacun ici sait bien de quoi il retourne.
La précédente majorité avait décidé qu’il fallait rémunérer exactement de la même façon, avec les mêmes tarifs, les hôpitaux publics et les hôpitaux privés à but lucratif. Or les premiers assument des missions qui ne font pas partie des prérogatives des seconds. Je pense, en particulier, à l’accueil de tous, sans distinction, y compris des personnes les plus précaires, à des tarifs accessibles.
Dès notre arrivée aux responsabilités, j’y insiste, nous avons pris la décision de supprimer la convergence tarifaire. J’ai l’impression que beaucoup d’entre vous l’ont oublié !
Pour ce qui concerne l’accueil des plus précaires, sujet qui vous préoccupe particulièrement, mesdames, messieurs les sénateurs, je rappelle qu’il existe des financements fléchés pour les hôpitaux qui assument cette mission d’intérêt général, ou MIG.
Mme Aline Archimbaud a évoqué le problème du non-recours à la CMUC. Je veux lui indiquer que d’ici quelques mois, tous les demandeurs du RSA socle bénéficieront automatiquement de la CMUC, grâce à la modernisation des systèmes informatiques des différentes caisses.
M. Jean Desessard. Très bien !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Toujours dans l’objectif de renforcer le service public hospitalier, nous avons remis en cause le « tout T2A », c’est-à-dire le financement exclusif à l’activité engagé par la précédente majorité, qui n’est manifestement pas adapté à l’ensemble des spécialités et des missions de l’hôpital. Nous avons donc engagé un mouvement irréversible de réformes.
Un financement des activités isolées a ainsi été instauré depuis 2014. Cela signifie concrètement que les établissements isolés qui assurent des activités à un volume peu élevé, mais dont le maintien est indispensable à la population – je pense, bien sûr, en premier lieu, aux établissements des territoires ruraux – bénéficient désormais d’une part de financement fixe permettant de sécuriser leur fonctionnement. Situés dans des territoires où la population n’est pas nombreuse, ces établissements ne peuvent pas avoir plus d’activité !
M. Jean Desessard. Très bien !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. De plus, un mode de financement spécifique pour les hôpitaux de proximité a été mis en place depuis 2015. Il s’agit de la dotation modulée à l’activité, qui permet aux établissements de proximité assurant leurs missions au sein de territoires fragiles de bénéficier d’une part fixe de financement. À ce jour, 243 établissements bénéficient de ce mode de financement spécifique.
Ce mouvement s’est poursuivi avec la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, qui a permis d’adopter un certain nombre des propositions formulées par Olivier Véran dans son rapport. Concrètement, ces mesures permettront de sécuriser le financement de certaines spécialités peu compatibles avec la tarification à l’activité.
Je veux parler de la mise en place d’une dotation modulée pour les activités de soins critiques : réanimation, soins intensifs, surveillance continue.
Je veux également parler de la création d’une prestation intermédiaire, entre l’hospitalisation de jour et la consultation externe, afin de mieux valoriser les soins pluriprofessionnels et pluridisciplinaires mis en œuvre. Par exemple, le fait qu’un patient vienne à l’hôpital consulter un médecin, mais aussi un psychologue, un diététicien, un assistant social pourra être valorisé dans ce système de tarification. C’était une demande forte de l’ensemble des professionnels de santé, et cela a été fait.
Bien sûr, d’autres recommandations seront déployées dans le cadre de la prochaine campagne tarifaire, au-delà des modifications opérées dans la loi. C’est le cas notamment de l’adaptation des règles de financement des soins palliatifs, en cours de concertation avec les professionnels.
La ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, a aussi œuvré pour renforcer l’égalité d’accès aux soins sur l’ensemble du territoire.
Évidemment, je sais bien qu’il y a encore des inégalités,…
Mme Laurence Cohen. Il y en a encore beaucoup !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. … que, sur certains territoires, les hôpitaux sont plus éloignés, les médecins généralistes, moins nombreux, etc.
Néanmoins, une réforme extrêmement importante a été mise en œuvre pendant ce quinquennat : la création des groupements hospitaliers de territoire, les GHT.
Mme Éliane Assassi. Parlons-en !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Pourquoi cette création ? Parce que le service public hospitalier est plus fort quand les hôpitaux travaillent ensemble. C’est simple à comprendre,… (Non ! sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Ne soyez pas simpliste ! Venez en Seine-Saint-Denis ; vous verrez…
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. … et c’est tout le sens de la réforme qui a été conduite.
En rendant obligatoires les coopérations entre établissements publics de santé, ces groupements permettent de disposer d’ensembles cohérents, qui garantissent des parcours de soins hospitaliers.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas vrai !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Laissez-les se mettre en place, madame la sénatrice !
Les GHT permettent d’ores et déjà la mise en place de filières territoriales de prise en charge et l’instauration d’équipes médicales de territoire, autour d’un projet médical partagé.
On compte déjà aujourd'hui 135 groupements hospitaliers de territoire. Chacun a mis en place les grandes lignes de son projet médical partagé, que les GHT peuvent finaliser jusqu’au 1er juillet 2017.
Faire en sorte que les hôpitaux travaillent ensemble, que les équipes travaillent ensemble pour être complémentaires, est tout de même positif !
Mme Éliane Assassi. Venez sur le terrain !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Jusqu’à présent, cela ne se faisait pas ou, du moins, pas assez.
M. Alain Milon. Cela ne se faisait pas assez !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Je veux revenir sur la psychiatrie, que plusieurs d’entre vous ont évoquée.
Michel Laforcade, dont le rapport a été cité, a fait un travail remarquable. Il a travaillé en collaboration étroite avec les professionnels de la psychiatrie. À vrai dire, j’ignore pourquoi vous l’accablez avec de telles attaques…
Mme Éliane Assassi. Oh !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Le fil conducteur de son rapport est précisément d’améliorer l’accompagnement des personnes souffrant de troubles psychiques, en partant d’un principe simple : la santé mentale est un sujet de société, et pas seulement un sujet sanitaire.
Ce rapport défend notamment la création d’équipes mobiles de psychiatrie. On voit bien que l’on en a besoin ! La psychiatrie ne peut pas rester à l’intérieur de l’hôpital psychiatrique. (Mme Laurence Cohen s’exclame.) On compte à ce jour 120 équipes mobiles psychiatrie précarité, indispensables quand on sait que 30 % des personnes en très grande précarité, notamment des personnes à la rue, souffrent de troubles psychiques.
Dans son rapport, Michel Laforcade suggérait également de généraliser l’expérimentation « Un toit d'abord », qui a très bien montré, étude scientifique à l’appui, que loger de façon durable les personnes souffrant de troubles psychiques permet d’améliorer leur état de santé et d’éviter un nombre considérable d’hospitalisations. Nous venons de le faire.
Faire en sorte que toute la société se sente concernée par les questions de santé mentale, c’est aussi tout le sens de la création, par la ministre des affaires sociales et de la santé, du Conseil national de la santé mentale, où se côtoient des professionnels d’horizons très différents et qui est même présidé par un sociologue. (Mme Laurence Cohen s’exclame.)
Je veux maintenant revenir à l’hôpital et évoquer un certain nombre de chiffres.
Depuis 2012, le Gouvernement a innové pour construire l’hôpital de demain et lui permettre de répondre à un certain nombre de défis.
J’aimerais que l’on me dise où est l’austérité ! Les moyens de l’hôpital public ont augmenté de 10 milliards d’euros depuis 2012. On peut considérer que ce n’est pas assez, mais on ne peut pas dire que les moyens diminuent ! (Si ! sur les travées du groupe CRC.)
Mme Laurence Cohen. Les moyens n’ont jamais été aussi faibles !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, cette progression du budget de l’hôpital illustre l’importance que nous accordons à ce secteur, pour assurer son développement, en termes d’investissements, bien sûr, mais aussi de personnels (Mme Laurence Cohen s’exclame.) et d’équipements.
C'est bien de donner davantage de moyens, mais cela ne suffit pas : il faut également assurer la soutenabilité financière des investissements hospitaliers. C’est ce que nous avons fait. Nous avons notamment su mettre fin à des dérives qui avaient pu aboutir à des projets surdimensionnés – il faut savoir parler vrai –, dont les coûts, en particulier de fonctionnement, n’étaient absolument pas maîtrisés. La dette des hôpitaux, qui avait triplé entre 2003 et 2012, est maintenant stabilisée.
M. Alain Milon. C’est le plan Hôpital !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Des plans d’investissements réalistes et soutenables ont été lancés, pour permettre aux hôpitaux de se moderniser, ce qui est indispensable. C’est une exigence à la fois pour les patients et pour les professionnels qui y travaillent. Mais, désormais, ces investissements ne mettent plus en danger l’avenir des hôpitaux.
Dans cet esprit, Marisol Touraine a fixé, dès 2012, une trajectoire pour dix ans, qui a d’ores et déjà permis de financer quarante projets d’investissement, pour un montant d’aide dépassant 2 milliards d’euros. Un nouveau plan d’investissement de 2 milliards d’euros, lancé au mois de mai dernier, permettra de poursuivre cet effort. Au total, 4 milliards d’euros auront donc été engagés.
J’ajoute qu’un fonds de 400 millions d’euros avait été créé pour permettre aux hôpitaux concernés de sortir des difficultés liées aux emprunts toxiques qu’ils avaient contractés. Tout le monde semble l’avoir oublié…
Monsieur Milon, j’entends vos souhaits sur le niveau d’investissement hospitalier, mais je dois vous dire, même si vous avez pris soin de préciser que vous les exprimiez à titre personnel, qu’ils sont peu compatibles avec les économies que votre candidat à l’élection présidentielle, M. Fillon, entend faire sur la santé.
M. Alain Milon. On en reparlera !
M. Michel Amiel. Ah !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Mais je ne doute pas que vous saurez le faire infléchir son programme ! Au reste, ce ne serait pas la première fois qu’il infléchit ses propositions initiales…
M. Jean Desessard. Cela n’arrive jamais aux socialistes ?
Mme Éliane Assassi. Non ! Ils tiennent tous leurs engagements… (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Je veux maintenant vous parler du numérique, sujet que vous avez tous évoqué.
Il est vrai que l’hôpital doit s’approprier l’usage du numérique. Il le fait ! Ainsi, à l’heure actuelle, plus de 80 % des établissements ont informatisé les dossiers patients. Ce taux est quand même très important ! Celles et ceux qui, ici, ont, de près ou de loin, travaillé dans un hôpital savent que telle n’était pas la situation il y a une quinzaine d’années, et même voilà dix ou cinq ans. Par ailleurs, 70 % des hôpitaux ont dématérialisé la consultation de résultats d’analyses biologiques et 500 établissements ont sollicité et obtenu un soutien financier à travers le programme Hôpital numérique.
L’usage du numérique à l’hôpital, c’est aussi le développement de la télémédecine, pour permettre aux professionnels de se projeter au-delà des murs de leur hôpital et de mieux collaborer avec les hôpitaux de proximité, les centres spécialisés – parfois même à l’étranger – et, plus généralement, tous les collègues en ville. L’enveloppe de 90 millions d’euros qui a été dédiée à la télémédecine a permis d’amplifier cette dynamique.
La révolution numérique à l’hôpital, c’est enfin la médecine personnalisée. Pour la soutenir, nous avons doté notre pays d’un programme unique au monde, doté de 60 millions d’euros, pour permettre le séquençage de l’ensemble des cancers, donc la personnalisation des traitements. En 2018, nous analyserons ainsi six fois plus de tumeurs qu’aujourd’hui.
Un hôpital moderne, c’est aussi un hôpital qui s’ouvre aux patients, qui sont des citoyens. C’est bien légitime ! Les patients veulent comprendre. Ils veulent accéder à l’information. Ils veulent pouvoir se défendre. Ils veulent participer à l’élaboration des politiques de santé.
C’est pourquoi nous avons renforcé leurs droits et amélioré leur représentation à tous les niveaux du système de santé. Bien sûr, l’hôpital doit être au cœur de cette évolution. C’est pourquoi nous avons augmenté le temps consacré à l’information du patient, notamment avec la création de la lettre de liaison, remise au patient par un médecin le jour de sa sortie de l’hôpital. Cette lettre explique les tenants et les aboutissants de l’hospitalisation, à l’attention du médecin traitant.
Nous avons également permis aux patients d’être mieux représentés au sein des instances des hôpitaux, dans les conseils de surveillance comme dans tous les comités.
Enfin, j’en viens au personnel hospitalier. Je veux dire que, malgré le contexte budgétaire contraint, ce sont 31 000 personnes de plus – 3 000 médecins et 28 000 professionnels paramédicaux – qui travaillent à l’hôpital depuis 2012. (Mme Laurence Cohen s’exclame.)
Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe CRC, j’ai entendu tout à l'heure, à la télévision, des représentants de votre parti évoquer la suppression de 22 000 postes à l’hôpital. Je veux le dire très officiellement et très tranquillement : ce chiffre est faux. Je ne sais pas du tout où vous l’avez trouvé ! La réalité, c’est qu’il y a, aujourd'hui, 31 000 postes de plus à l’hôpital public qu’en 2012. Pour autant, je ne dis pas que c’est suffisant. Je ne dis pas que tous les professionnels de santé qui travaillent à l’hôpital estiment que tous les problèmes sont résolus.
Mme Laurence Cohen. D’où vient ce chiffre ? On ne le connaît pas !
M. Jean Desessard. Il nous avait été réservé pour notre débat de cet après-midi…
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Oui, travailler à l’hôpital est difficile. Chacun le sait, les professionnels les premiers ! En général, ce sont des passionnés.
Sur les conditions de travail des praticiens hospitaliers ou même des internes, je veux rappeler des réalités toutes simples.
Les praticiens hospitaliers, avant la loi sur les 35 heures, disposaient de cinq semaines de vacances par an. Savez-vous qu’aujourd'hui, avec les récupérations, ils en ont neuf ? Telle est la réalité.
Évidemment, ils ont énormément de travail en dehors de leurs congés, mais je ne peux pas vous laisser dire, à l’unanimité, que les conditions se dégradent de façon permanente. (Mme Annie David sourit et Mme Laurence Cohen s’exclame.) Bien sûr, on peut considérer qu’un certain nombre de choses ne sont pas satisfaisantes, mais il faut quand même reconnaître qu’il y a eu un des améliorations.
J’ai l’impression que plus personne ne se souvient qu’avant 2003 ceux qui faisaient des gardes à l’hôpital ne récupéraient pas ! Ils pouvaient travailler depuis huit ou neuf heures le matin jusqu’au lendemain dix-neuf heures, vingt heures ou vingt et une heures, nuit comprise ! Telle était la réalité jusqu’en 2003. Il est important de le rappeler.
Mme Annie David. Vous voulez y revenir ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Il faut donc reconnaître un certain nombre d’avancées, même si elles sont normales, légitimes et salutaires, non seulement pour les professionnels, mais aussi pour les patients.
Nous avons tenu à mieux reconnaître le travail hospitalier. Nous avons révisé la grille des agents de catégorie C – j’ai l’impression que tout le monde l’a oublié aussi –, avec une revalorisation, en deux ans, de 480 euros nets par an pour près de 420 000 agents. (M. Alain Milon s’exclame.) Nous avons également revalorisé la rémunération des infirmiers et des cadres de 250 à 500 euros par an, selon l’ancienneté.
Au-delà, Marisol Touraine a présenté voilà quelques semaines une stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail des professionnels de santé, que Mme Génisson a évoquée. Cette stratégie traduit l’ambition de faire de la qualité de vie au travail une priorité politique, un fondement des organisations hospitalières, pour prendre soin de ceux qui nous soignent.
J’en profite pour indiquer que les 35 heures n’ont pas du tout été supprimées à l’AP-HP ! (Mme Annie David s’exclame.) Je ne sais pas d’où vient cette affirmation.
La stratégie présentée par Marisol Touraine est constituée d’un ensemble de mesures tendant à améliorer l’environnement et les conditions de travail des professionnels au quotidien, notamment l’inscription de la qualité de vie au travail dans tous les projets d’établissement – on peut d'ailleurs trouver curieux que cela n’ait pas été fait plus tôt. Il y aura également désormais, dans chaque commission médicale d’établissement, une sous-commission dédiée à la qualité de vie au travail. Cela n’existait pas non plus jusqu’à présent. Le sujet n’était pas évoqué.
Bien évidemment, la stratégie vise aussi le renforcement de la sécurité des professionnels et une meilleure conciliation de leur vie privée et de leur vie professionnelle.
D’autres mesures sont prises pour améliorer la détection des risques psychosociaux. Je pense notamment à la généralisation des services pluridisciplinaires de santé au travail, incluant d’autres professionnels que des médecins du travail, comme des psychologues ou des assistants sociaux – si cela existe d'ores et déjà, il y a encore des services de médecine du travail qui ne compte que des médecins –, et à l’instauration de dispositifs d’écoute des professionnels en difficulté. (Mme Laurence Cohen s’exclame.) Je pense encore à une meilleure formation à l’encadrement de l’ensemble des responsables d’équipes, qu’elles soient médicales ou non.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’hôpital public a fait partie des priorités de ce quinquennat. (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRC.) Il ne s’agit absolument pas de dire que toutes les difficultés ont été résolues en l’espace de cinq ans. Mais il faut reconnaître que l’hôpital public est plus fort qu’il ne l’était alors, ne serait-ce que parce que le service public hospitalier a été rétabli et parce que la convergence tarifaire a été supprimée.
L’hôpital public s’est structuré. Il a développé sa capacité à innover et il a aussi – on le sait – largement contribué au rétablissement de l’équilibre des comptes de l’assurance maladie.
Mme Laurence Cohen. Tel était le but !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Je savais que vous alliez réagir !
Oui, l’hôpital public sort renforcé de ce quinquennat. À son égard, je refuse le pessimisme des uns et le catastrophisme des autres. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez été nombreux à dire que l’hôpital public est malade – pas forcément pour les mêmes raisons, d'ailleurs. Oui, on peut avoir conscience des difficultés qui peuvent exister à l’hôpital public – pour y avoir passé moi-même plus de vingt ans de ma vie, j’en ai une conscience aiguë –, mais, pour ma part, je suis fière de l’hôpital public. Je suis fière de tous les professionnels qui s’engagent au quotidien à l’hôpital public. De fait, c’est plus qu’un métier : c’est un engagement.
Pour terminer, je veux vous assurer, alors que l’heure des échéances électorales et des choix approche, que, pour notre part, nous ferons tout pour préserver et pour renforcer l’hôpital public, qui est le pilier de notre système de santé. (Mme Catherine Génisson applaudit.)
Mme Laurence Cohen. Nous voulons des actes, pas des paroles !
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la situation de l’hôpital.
7
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 17 janvier 2017 :
À quatorze heures trente :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (n° 19, 2016–2017) ;
Rapport de M. Mathieu Darnaud, fait au nom de la commission des lois (n° 287, 2016–2017) ;
Texte de la commission (n° 288, 2016–2017) ;
Avis de Mme Vivette Lopez, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 279, 2016–2017) ;
Avis de Mme Chantal Deseyne, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 280, 2016–2017) ;
Avis de M. Michel Canevet, fait au nom de la commission des finances (n° 281, 2016–2017) ;
Avis de M. Michel Magras, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 283, 2016–2017) ;
Avis de M. Jean-François Mayet, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 284, 2016–2017).
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
De dix-sept heures quarante-cinq à dix-neuf heures et le soir : suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (n° 19, 2016–2017).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD