M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une nouvelle fois, la commission des affaires européennes du Sénat nous donne l’occasion de débattre en amont de la réunion du Conseil européen qui clôturera l’année 2016. Si nous y associons la réunion informelle des vingt-sept dirigeants, c’est le dernier temps fort d’une année faite de rebondissements pour l’Union européenne.
Si le Grexit a largement vampirisé les débats en 2015, le Brexit a pris le relais en 2016, dans un contexte toujours plus tendu, lié notamment à la crise migratoire et au terrorisme, cela sur fond d’instabilité politique générale, entre la menace de l’accession de l’extrême droite à la présidence autrichienne, l’éviction de Matteo Renzi en Italie, l’élection de Donald Trump aux États-Unis et la poursuite du conflit en Syrie.
Dans ce contexte, l’Europe et ses dirigeants poursuivent leur chemin : le chemin vers la dislocation. J’ose le dire, mes chers collègues : la dislocation ! Nous n’avons jamais tant parlé d’Europe que depuis qu’elle va de mal en pis, et je le regrette, comme tous les membres du groupe UDI-UC, lequel, vous le savez, a l’Europe chevillée au corps.
M. Jean Desessard. Nous aussi !
M. Claude Kern. Pour autant, aucune solution politique forte ne se dégage aujourd’hui. Bien sûr, aucune n’est évidente.
S’agissant de la crise migratoire qui fragilise l’équilibre des dispositifs assurant la libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen, elle ne pourra trouver que des réponses complexes et multiples au sein de l’Union européenne, aux portes de l’Union, mais aussi sur les continents africain et asiatique, meurtris par les guerres et l’instabilité politique.
Néanmoins, sur certains terrains, nous disposons de davantage de marges de manœuvre, à court terme. Le renforcement de la coopération avec la Turquie, dont il a été pris acte au printemps, a constitué une avancée considérable ; mais je pense qu’il faut aller plus loin. Pour limiter les flux, la Turquie doit désormais aligner sa politique de visas sur celle de l’Europe, et cesser d’accorder des exemptions de visas aux ressortissants étrangers musulmans.
Cependant, mes chers collègues, il est une réalité : les relations entre Bruxelles et Ankara se détériorent de jour en jour, et le président turc n’hésite pas, notamment, à verser dans le chantage à l’ouverture des frontières. La diplomatie est certes affaire d’équilibre, mais l’apaisement des relations ne peut se faire à n’importe quel prix, et je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, d’être intransigeant sur le respect des droits de l’homme, bafoués au quotidien, depuis des mois, par le président Erdoğan. (Mme Marie Mercier et MM. Loïc Hervé, André Gattolin et Bernard Fournier applaudissent.)
Un autre levier pourrait être actionné à l’échelle européenne, avec des effets à moyen terme : il est à mon sens indispensable, monsieur le secrétaire d’État, que nous nous dotions rapidement d’une politique commune de l’asile et que les contrôles aux frontières Schengen soient renforcés, via la création d’une véritable police des frontières.
Ce sont là des pistes parmi d’autres ; certes, aucune n’est simple, toutes sont techniques. Mais au-delà des mesures techniques, c’est bien une réponse politique qu’il faut apporter à la crise des migrants.
Le constat est le même s’agissant de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme : à quand une coopération pleine et entière entre les États membres en matière de sécurité extérieure et de défense ?
Je veux à ce propos souligner le travail efficace de notre collègue Yves Pozzo di Borgo, qui a soutenu une résolution européenne sur les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune. Cette résolution a fait son chemin jusqu’à Varsovie, au sommet de l’OTAN ; elle a trouvé un écho récent, le 14 novembre dernier, dans la déclaration des ministres de la défense.
Le problème est toujours le même : seule la volonté politique nourrit le changement ; or, monsieur le secrétaire d’État, nous sommes loin, très loin, de l’Europe politique !
Les preuves sont nombreuses, mais la gestion du Brexit, avant et après le vote des Britanniques, a révélé à quel point l’Europe manque cruellement de pilotage politique. Nous attendons sur ce sujet des avancées concrètes, à l’issue de la réunion informelle dédiée à cette question des vingt-sept dirigeants européens.
L’actuel statu quo, en effet, n’est plus supportable. Or je crains fort, monsieur le secrétaire d’État, que l’agenda électoral du couple franco-allemand, à supposer que ce dernier existe encore vraiment, ne mette l’Europe encore plus à mal. De fait, la situation politique est gelée dans ces deux pays d’ici aux élections générales, qui n’ont pourtant lieu qu’en mai et juin en France, et en septembre en Allemagne. Autrement dit, une longue année nous attend, au cours de laquelle aucune décision courageuse ne pourra être envisagée pour l’Europe. Mais le monde ne s’arrête pas de tourner pendant que la France et l’Allemagne renouvellent leur personnel politique !
L’Europe est aujourd’hui à un nouveau tournant de son histoire, un entre-deux qui explique qu’elle suscite fascination et rejet, qu’elle nourrisse espoirs et frustrations.
L’Europe unie est le seul vecteur d’une autre mondialisation, plus progressiste et plus humaniste. L’Union européenne a besoin d’un nouveau projet, d’une nouvelle étape : celle de l’intégration politique. C’est la condition pour répondre aux crises que nous traversons et pour faire de l’actuelle Europe, simple entité économique, une Europe puissance, capable de peser dans les affaires du monde.
La seule manière de sauver l’Europe et de lui donner, véritablement, du sens, c’est de la sortir du gué dont elle peine toujours plus à s’extraire. Il devient urgent de poser les bases d’une véritable Europe politique.
Or, dans cette perspective, monsieur le secrétaire d’État, il faut se dégager de l’enlisement dans lequel nous nous trouvons. Aussi, je souhaite connaître votre position sur les conditions de la sortie du Royaume-Uni. Il faut, à mon sens, faire preuve de la plus rigoureuse des vigilances pour ne pas céder au chantage des Britanniques, qui, depuis l’origine, ne cessent de vouloir nous imposer leur calendrier et leurs conditions.
Par ailleurs, je tiens à vous interroger à propos d’un tout autre théâtre : quelles mesures envisagez-vous pour mettre un terme aux crimes de génocide perpétrés en Syrie ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Jean Desessard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette réunion de fin d’année du Conseil européen risque fort d’être expéditive : exceptionnellement, elle ne durera en fait qu’une seule journée.
Au terme de cette réunion raccourcie, rabotée, pour ne pas dire amputée – son ordre du jour est pourtant, comme toujours, pléthorique –, nul doute que le Conseil européen laissera toute latitude aux techniciens de la Commission et des États membres pour qu’ils puissent s’en donner à cœur joie.
L’Europe est en crise politique, institutionnelle et démocratique, mais surtout ne changeons rien, docteur Folamour !
Ainsi, à l’aube de l’année 2017, l’Europe bute notamment sur deux dossiers explosifs : le Brexit, naturellement, apparu en cours d’année, dont les contours et le calendrier demeurent encore des plus flous, et la crise des réfugiés qui s’éternise et s’aggrave, en particulier au sud de l’Europe.
Par manque de temps, je me concentrerai essentiellement sur ce dernier sujet.
En la matière, plusieurs axes de la politique européenne seront évoqués lors de cette réunion du Conseil.
Sera d’abord abordée la question des pactes avec les cinq pays africains que sont l’Éthiopie, le Mali, le Niger, le Nigeria et le Sénégal, dans la continuité du plan d’action adopté en 2015 au sommet de La Valette sur la migration qui a réuni les chefs d’État et de gouvernement européens et africains.
En échange d’une politique migratoire ferme et de retour des migrants illégaux, ainsi que d’une surveillance accrue des frontières, l’Union européenne s’engage à renforcer la coopération économique avec les États concernés. Le premier accord a d’ailleurs été signé dimanche dernier avec le Mali.
Le groupe écologiste soutient évidemment le renforcement de la politique d’aide au développement aux pays les plus pauvres, mais pas dans le cadre d’un mélange des genres des plus douteux qui amène à attacher aussi sommairement aide au développement et contrôle migratoire. Ces accords constituent d’ailleurs une première un peu inquiétante dans la politique européenne d’aide !
Rappelons que l’objet de la coopération au développement, telle qu’elle est inscrite dans les traités européens, est la réduction de la pauvreté, et non la gestion internationale de la migration ou la protection de nos frontières extérieures !
Vouloir s’attaquer aux racines des causes migratoires est un objectif fort louable. Mais, monsieur le secrétaire d’État, la méthode utilisée est-elle vraiment la bonne ? N’aurait-il pas été préférable de lier cette aide au respect des droits humains et à la lutte contre la corruption ?
N’oublions pas que la plupart des régimes africains concernés sont connus pour être instables, loin de briller par leur respect des droits humains, et trop souvent gangrénés par une corruption endémique.
Il n’y a qu’à regarder du côté de l’Éthiopie. Au début du mois de septembre, la Commission européenne a dû démentir l’information selon laquelle Addis-Abeba recevait directement de l’argent du Fonds fiduciaire d’urgence en faveur de l’Afrique. Elle l’a fait sous la pression des organisations non gouvernementales, les ONG, à la suite de la répression sanglante de manifestants par les forces de l’ordre. Et, voilà à peine dix jours, après l’arrestation arbitraire d’un opposant politique, la Commission est enfin sortie de son silence pour dénoncer les exactions du gouvernement éthiopien.
Au passage, la philosophie de ces cadres de coopération est quasi identique à celle qui a guidé l’accord controversé conclu au mois de mars dernier avec la Turquie. Et, que ce soit en Éthiopie ou en Turquie, l’Union européenne semble prête à fermer les yeux sur les violations des droits humains. Si la Commission européenne se réjouit des retombées de cet accord, qu’elle se rende bien compte que la mise en œuvre sera en l’espèce bien différente !
L’envers du décor de ce pacte avec la Turquie cache d’ailleurs une réalité plus qu’inquiétante. Certes, les arrivées se sont taries. Mais le nombre de migrants, tassés sous des tentes de fortune sur les îles grecques, est toujours aussi alarmant. De plus, les retours vers la Turquie s’élevaient à la fin du mois de septembre à 578, loin de l’objectif affiché de 14 000.
Ces difficultés de mise en œuvre tiennent à plusieurs raisons.
Malgré l’envoi d’une quarantaine d’experts nationaux de l’asile de toutes les parties de l’Europe, la Grèce reste sous-équipée pour traiter toutes les demandes. Et, fait plus marquant, les officiers grecs de l’asile ont refusé de renvoyer en Turquie un certain nombre de migrants, estimant à juste titre que le pays n’était pas sûr, et ce, malgré une position contraire du Parlement grec.
Nous avons là une bombe à retardement que nous avons créée en déléguant nos responsabilités en matière d’asile et de migration à des pays tiers n’offrant que peu de garanties de respect des droits de l’homme.
À défaut de solidarité et au mépris des valeurs inscrites dans nos traités fondateurs, nous nous sommes surtout focalisés sur une gestion extérieure et souvent coercitive de la crise, ainsi que sur la protection de nos frontières extérieures.
Nous sous-estimons aussi une autre bombe à retardement sur la route de la Méditerranée : celle de l’Italie ! La situation de ce pays en matière de migration est dramatique.
M. le président de la commission des affaires européennes et moi-même faisions partie de la délégation qui est rentrée d’Italie cet après-midi. Nous avons pu rencontrer les responsables politiques, mais aussi les responsables des Nations unies chargés des réfugiés.
Aujourd'hui, ce point n’est même pas à l’ordre du jour du Conseil européen à venir. Quelle est la situation en Italie ? Cette année, 180 000 migrants au moins y sont arrivés, battant le triste record de l’année 2014 de 170 000 migrants. Le chiffre a explosé. Les conditions d’accueil sont insupportables. Au cours des quatre dernières années, 600 000 à 700 000 personnes sont arrivées dans ce pays.
On se targue, on se félicite, on se gargarise à l’envi de l’incroyable effort européen qui est fait pour renforcer l’agence FRONTEX ou l’opération Triton. Mais de qui se moque-t-on ? Qui paie cette solidarité ?
Qui assume le sauvetage en mer sur les larges côtes italiennes et, au-delà, dans leur zone économique, alors qu’il est de la responsabilité du droit international de venir en aide aux personnes en danger de mort ? C’est à 60 % l’Italie, à 25 % les ONG, et à 10 % ou 15 % à peine l’agence FRONTEX ! Voilà la réalité.
Qui paie pour l’accueil des migrants ? C’est à 80 % l’Italie seule ! Cette année, cela lui coûtera 1,5 milliard d’euros, après 1,3 milliard d’euros l’an dernier !
Dans quel monde vivons-nous ? Sommes-nous proches de nos voisins ? Aidons-nous l’Italie ? Non ! C’est : « Débrouillez-vous ! Assurez vous-mêmes les frontières ! »
Nous discutons avec M. Stéphane Jacquemet, responsable du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés pour l’Europe du Sud ; je parle sous le contrôle de mon collègue René Danesi, qui faisait partie de notre délégation. Nous avons de quoi être inquiets, et pas seulement à cause de ce qui se passe en Italie ou de la situation des migrants. Nous devrions nous inquiéter de nous-mêmes, de ce que nous sommes et de ce que nous prétendons représenter.
La réalité, c’est que les routes de la migration sont aujourd'hui fermées. En Italie, ce ne sont plus 180 000 personnes qui passent pour traverser la France ou aller au Royaume-Uni ; cette année, sur ces 180 000, 100 000 ont demandé l’asile, soit une hausse de plus de 50 % par rapport à l’année précédente !
Nous pouvons parler de solidarité, nous gargariser, dire que le Conseil européen avance… Mais tout est inquiétant.
Je terminerai en évoquant la situation à Alep, car c’est le pire. Les gens qui sont massacrés individuellement, collectivement, familialement à Alep, ce sont ceux qui ne peuvent pas partir, ceux qui sont bloqués, parce qu’ils sont trop pauvres. Les seuls biens qui leur restent, c’est leur bout de toit. On est en train de les laisser massacrer.
La formulation de l’ordre du jour du Conseil européen est un scandale. On évoque de manière sibylline « la situation avec les autres pays », en faisant une référence à la Russie. Car on ne veut pas mettre en cause la Russie… Cela va être comme la Turquie. Les Russes vont être nos meilleurs alliés, nos « policiers de l’Europe », tandis que notre Europe, dans ses valeurs démocratiques, s’effondrera ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Michel Billout s’étant exprimé sur les sujets qui sont inscrits à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, je centrerai pour ma part mon propos sur un autre thème.
Hier, au cœur de l’Europe, s’ouvrait le procès en appel des lanceurs d’alerte Antoine Deltour et Raphaël Halet.
Il est reproché à ces deux lanceurs d’alerte d’avoir dévoilé des accords fiscaux secrets consentis à de grandes multinationales, accords qui ont eu pour conséquence de faire perdre des milliards d’euros à tous les partenaires européens du Luxembourg. Rappelons-le, l’évasion fiscale coûte chaque année 1 000 milliards d’euros au sein de l’Union européenne. Ce montant, qui manque aux budgets des États, représente presque six fois le budget annuel de l’Union européenne. C’est autant d’argent qui pourrait servir pour une Europe solidaire, une Europe du progrès social.
Nous avons tous entendu les discours très volontaristes de M. Juncker sur le sujet.
Les révélations permises par les découvertes d’Antoine Deltour ont mis en évidence la faiblesse du taux d’imposition dont ont pu bénéficier les grands groupes : 2 % ou 3 %. Nous sommes très loin des 29 % qui sont censés être réclamés par l’administration du Grand-Duché.
Antoine Deltour a expliqué plus tard qu’il n’avait pas d’idée précise de ce qu’il pourrait faire de ces informations, déclarant : « Je n’ai jamais été un militant. » Non, visiblement, il s’agissait juste de civisme, de dénoncer une pratique qui le choquait.
L’affaire LuxLeaks a provoqué un véritable séisme, comme cela fut le cas après les Panama Papers, les affaires OffshoreLeaks, UBS, HSBC, ou encore Cahuzac. Décidément, oui, les affaires se suivent et se ressemblent !
Monsieur le secrétaire d’État, un rapport récent publié par de nombreuses ONG internationales le 15 novembre dernier et qui associe en France les associations CCFD Terre Solidaire et Oxfam France met en évidence la progression spectaculaire du nombre de rescrits fiscaux dans les mois qui ont suivi l’affaire LuxLeaks. Ce nombre, étant de 547 en 2013, puis de 972 en 2014, a atteint finalement 1 444 à la fin de 2015, soit une augmentation de 160 % entre 2013 et 2015. Les hausses les plus fortes sont constatées en Belgique, 248 %, et au Luxembourg après le scandale LuxLeaks, 50 % en un an.
Le projet européen solidaire et social auquel les peuples aspirent est miné par cette compétition fiscale sans fin qui prive les États des ressources qui leur permettraient de répondre aux besoins des peuples.
Il est urgent d’avancer dans le chantier de l’harmonisation fiscale par l’assiette et par les taux, d’une part, par la transparence des grands groupes, d’autre part. Faute d’engager cet immense chantier, nous pouvons craindre les pires replis, l’exacerbation des tensions, un accroissement d’une forme de désespérance qui peut mener, chacun le sait, aux pires excès.
Monsieur le secrétaire d’État, nous avons l’impression que si le chantier de la construction de l’Union européenne avait commencé par l’harmonisation fiscale et sociale voilà soixante ans, nous y serions aujourd'hui, avec un autre horizon. Mais, comme l’aurait dit Paul Éluard, le passé est « un œuf cassé », et l’avenir « un œuf couvé » ! (Sourires.)
Vous nous pardonnerez cette sortie d’agenda, mais la préoccupation relative à la situation des lanceurs d’alerte est une constante dans nos interventions. Le groupe CRC, par la voix de mes collègues Patrick Abate et Jean-Pierre Bosino, s’est saisi de ces sujets lors de l’examen du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ou du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.
Compte tenu de l’actualité, le débat européen était une belle occasion d’évoquer une nouvelle fois une telle thématique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous rentrons de notre mission annuelle à l’ONU, où nous avons rencontré une dizaine d’ambassadeurs des grands pays. Or depuis que je fais de la politique, je n’ai jamais vu une situation internationale aussi dégradée.
Le Conseil européen va se tenir à un moment où la menace de désordre mondial est généralisée. Je ne crois pas que nous prenions celle-ci suffisamment au sérieux.
Les foyers d’explosion sont multiples. L’horreur d’Alep, ce n’est pas l’horreur d’une crise locale ; c’est l’horreur d’une stratégie visant à faire en sorte de terminer cette guerre pour que des vainqueurs soient désignés à la mi-janvier. L’objectif, c'est que, à cette date, quand le président Trump s’installera, il ait en face de lui une coalition ayant gagné cette guerre du Levant, c'est-à-dire une coalition autour de Bachar al-Assad, avec, d’un côté, la Russie et, de l’autre, l’Iran ! (M. André Gattolin applaudit.)
La situation est d’une extrême gravité. Outre les multiples foyers d’explosion, il faudrait mentionner tous les foyers que l’Histoire nous a montrés ; parfois, ce sont tout simplement des foyers de stupidité.
Regardons aujourd'hui le monde ! Voyons ce qui se passe au Levant ou en Libye ! Songeons aux menaces qui pèsent sur ce pays frère – je dirais même ce peuple frère – qu’est la Tunisie ; cette jeune démocratie est la première cible de l’État islamique. L’Ukraine, la mer de Chine, le Soudan ou le Mali sont autant de foyers d’explosion mondiale.
Contrairement à ce que l’on nous dit, il n’y a pas une crise des réfugiés. Ce que certains appellent la « crise des réfugiés », c’est d’abord la crise de la guerre !
M. Patrick Abate. Eh oui !
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. Car c’est la guerre qui crée les réfugiés.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très juste !
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. Il faut bien voir où est le mal. Le mal, ce n’est pas le réfugié ; le mal, c’est la guerre ! Pour nous, c’est cela le plus grave !
M. Patrick Abate. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. Dans ce contexte, le monde s’arme de plus et plus, et les tensions se multiplient.
Et, pendant ce temps, M. Trump remet en cause les trois bonnes nouvelles que nous avaient apportées les mois précédents : l’accord de Paris, dans le cadre de la COP21 ; l’accord nucléaire avec l’Iran ; la nomination d’un nouveau secrétaire général de l’ONU, António Guterres, qui, pour nous, avait toute pertinence pour assumer cette fonction.
M. Trump veut remettre en cause l’accord de Paris, remettre en cause l’accord sur le nucléaire iranien et court-circuiter l’ONU, qui ne servirait à rien. Si on supprime le multilatéral, on supprime le dialogue, et on a toutes les chances d’aller un jour ou l’autre au conflit !
Alors que les tensions se multiplient, tout le monde construit, tout le monde invente son Europe ! Nos amis chinois, qui pensent à la route de la soie, ont choisi seize pays européens avec lesquels ils vont investir. Nos amis russes, qui, pensant à l’Europe, ont tendance à confondre l’Europe avec l’OTAN, redessinent l’Europe qui leur convient. Et M. Trump, lui, ne veut pas entendre parler de l’Union européenne ; il veut seulement des pays européens amis des États-Unis, et il constitue son Europe.
Tout le monde dessine l’Europe depuis le Brexit, sauf les Européens ! Tout le monde pense l’Europe, son Europe, mais nous, nous ne nous pensons pas à notre Europe !
Tel le contexte dans lequel il faut appréhender ce Conseil européen. Nous le voyons, la situation est extrêmement grave et il nous faut aujourd'hui réagir.
Nous devons penser l’Europe de demain ! C’est ce que fait le Sénat. Avec la commission des affaires européennes, au sein de la commission des affaires étrangères, nous essayons de penser la refondation européenne.
Il va de soi que la refondation ne pourra pas s’y limiter, mais l’Europe de la défense est essentielle.
Monsieur le secrétaire d’État, nous apporterons des contributions, sans doute à la fin du mois de février. Le sujet est extrêmement difficile. Mais c’est tout de même notre première responsabilité. Nous n’allons pas laisser les autres penser l’Europe à notre place !
Nous espérons que le Conseil européen ne nous décevra pas. Les trois derniers qui ont été consacrés à la défense au cours de ces quatre années nous ont plutôt déçus.
Cependant, le plan d’action présenté par la Commission le 30 novembre va dans le bon sens. D’ailleurs, il s’inspire d’un rapport remis par nos collègues de la commission des affaires étrangères : en 2013, Jacques Gautier, André Vallini, Daniel Reiner et Xavier Pintat ont défini un certain nombre de principes que l’on retrouve dans le plan d’action européen. Je pourrais également évoquer la résolution qui a récemment été votée sur ces sujets.
Il y a des bonnes perspectives. Le fonds européen de défense s’inspire – je l’espère, et je pense que c’est positif – de la proposition qu’avait formulée en son temps Thierry Breton. Le semestre européen de défense est, je le crois, une étape aussi importante ; nous pouvons saluer ce signal. Les fonds structurels et d’investissement sont un élément essentiel pour nos industries de défense. Si nous devons renforcer ces industries, ce n’est pas pour faire la guerre ; c’est pour faire la paix. Revenons aux sources de notre stratégie de dissuasion. Les pôles régionaux d’excellence constituent aussi un signal positif.
De notre côté, il y a l’accord franco-allemand de 2016. Et nous voulons faire avancer cette idée, même si cela prendra évidemment du temps. C’est une sorte de Lancaster House élargi. Nous ne voulons pas couper les liens avec le Royaume-Uni en matière de défense ; nous en avons besoin pour notre propre défense. Il faudra sans doute associer d’autres pays.
De même, nous pouvons, me semble-t-il, nous réjouir de la compréhension qu’il commence à y avoir sur la nécessaire complémentarité entre l’OTAN et l’Europe. Ce n’est évidemment pas parce que nous voulons défendre des positions sur l’OTAN qu’il faut abandonner les ambitions européennes de défense !
À mon sens, c’est le sujet majeur pour nous. Nous devons bien mesurer que nous avons besoin d’un effort de défense. Mais cet effort doit s’inscrire dans une ambition de paix ! Souvenons-nous comment la force de dissuasion française a été créée, comment nous avons fait en sorte que ce pays fasse des efforts financiers considérables pour sa défense ! Mais « sa défense », cela ne signifie pas la guerre !
On entend prononcer le mot « guerre » à tout bout de champ : guerre des religions ; guerre des civilisations ; guerre des monnaies. Comme si la guerre devenait banale…
Ce qui est au cœur de la construction européenne, ce qui fait que l’Europe aura toujours une légitimité plus forte que le reste, c’est son combat pour la paix !
Aujourd'hui, nous avons plus que jamais besoin d’un continent qui se lève pour dire : « Ce que nous voulons, c’est la paix ! » Cela ne nous empêche pas, au contraire, de vouloir nous protéger ou d’investir dans la défense, puisque nous avons une conception dissuasive de la défense et de l’effort militaire. Mais cet effort-là, nous le voulons pour la paix.
Depuis le temps que je fais de la politique, c’est la première fois que je pense à mes petits-enfants en me demandant : « Dans quel monde vont-ils vivre ? » C’est la première fois que nous pouvons nous dire que nous ne sommes pas assurés de la paix, car la menace est multiple.
La paix est très importante. Elle passe évidemment par le combat européen, puisque c’est son essence. Elle passe aussi par un effort de défense, car c’est la protection que nous devons assumer.
Nous sommes dans un moment de gravité. L’Europe doit trouver sa place. Puisqu’elle cherche sa refondation, c’est sans doute dans la gravité qu’elle est la meilleure ! (Applaudissements.)