Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, la régulation de la publicité commerciale en direction des enfants et des adolescents recouvre un réel enjeu de santé publique, d’autant que la consommation télévisuelle de ces derniers ne cesse de croître et dépasse depuis près de quinze ans deux heures par jour. Les enfants et les adolescents, qui constituent un vivier potentiel de 8,3 millions de consommateurs directs, sont ainsi devenus le public cible par excellence des publicitaires. Des études convergentes montrent que plus de 70 % des parents pensent que leurs enfants sont influencés par les publicités dans leurs préférences alimentaires. Près du tiers indiquent que leurs enfants réclament le plus souvent des produits vus à la télévision, et 40 % estiment qu’il est devenu très difficile de résister à ces demandes, eu égard à la pression sociale.
La surexposition des enfants à la publicité a des conséquences non négligeables sur leur santé, notamment en matière d’obésité, en raison de la surreprésentation des produits sucrés et gras. Si l’insertion obligatoire de bandeaux en bas des annonces ou de messages de prévention est une bonne chose, son impact est, on le sait, très limité.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous approuvons la visée de cette proposition de loi. Toutefois, nous restons très dubitatifs quant à l’efficacité de son dispositif et aux conséquences de sa mise en œuvre. À notre sens, en effet, ce texte manque cruellement d’ambition, dans la mesure où il est prévu de limiter l’interdiction de la publicité dans les programmes jeunesse au seul service public audiovisuel.
La proposition de loi de notre ancien collègue écologiste Jacques Muller et d’Évelyne Didier, qui prévoyait de sanctuariser les programmes jeunesse en en excluant la publicité à la fois pour les chaînes publiques et les chaînes privées et en élargissant cette interdiction à d’autres créneaux horaires où les enfants regardent la télévision, avait davantage d’ambition. Elle tendait en outre à renforcer les sanctions et le contrôle en matière de promotion de produits et de publicité abusive, et préconisait une sensibilisation et une éducation à la publicité. Cette proposition de loi portait sur la réglementation de l’exposition des enfants à la publicité et ouvrait le chantier du financement de l’audiovisuel, dont les ressources proviennent pour partie de la publicité. Cette occasion de se pencher sur ces questions n’aura pas été mise à profit.
Nous estimons que, en l’état, la proposition de loi soumise à notre examen aujourd’hui est insuffisante et que la mise en œuvre de son dispositif aura même des effets négatifs.
Elle est insuffisante, car il serait illusoire de penser que les enfants et les adolescents ne regardent que des programmes jeunesse proposés par le service public. Madame la rapporteur, j’entends votre argument selon lequel la sanctuarisation des chaînes de télévision publiques leur apportera un avantage compétitif, mais les enfants ne regardent pas la télévision qu’en compagnie de leurs parents : la plupart d’entre eux, notamment les plus défavorisés, la regardent seuls.
Rappelons en outre que France Télévisions ne représente que 28 % de l’audience et diffuse 200 heures de programmes jeunesse, contre 640 heures pour la seule chaîne Gulli. Enfin, huit des dix programmes les plus regardés par les enfants de quatre à dix ans sont des émissions de téléréalité, qui ne constituent pas vraiment la spécialité du service public audiovisuel… Il en va de même pour les enfants âgés de onze à quatorze ans.
La mise en œuvre du dispositif de la proposition de loi risquerait par ailleurs d’avoir des effets négatifs, en creusant encore l’écart financier entre secteur public et secteur privé. France Télévisions a déjà perdu 746 millions d’euros entre 2009 et 2012, à la suite de la suppression de la publicité sur ses antennes après 20 heures.
Ajoutons que le contrat d’objectifs et de moyens et l’accord passé entre la direction de France Télévisions et les producteurs indépendants ont montré l’ambition du groupe de renforcer sa part de production. Cela implique des moyens supplémentaires, que la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques et la contribution à l’audiovisuel public ne pourront pas forcément assurer. Réduire encore la voilure en termes de recettes publicitaires ne pourrait au final que conduire à une remise en cause dudit accord, et ce n’est pas la sécurité financière prévue au travers des articles 3 et 4 de la proposition de loi qui aurait à coup sûr suffi à compenser le manque. Mais, de toute façon, cette compensation a été supprimée au cours de la navette parlementaire.
Davantage que la perte de moyens, c’est le déséquilibre aggravé entre secteur public et secteur privé qui nous inquiète. Ce dernier récupérera de facto la manne dont on prive le secteur public, alors que l’investissement des publicitaires en direction des enfants se concentre déjà sur le secteur privé.
Faire ainsi deux poids, deux mesures ne nous paraît pas complètement satisfaisant, d’où le dépôt de notre amendement à l’article 1er. La protection du jeune public doit concerner de façon identique les chaînes du service public et celles du secteur privé. Nous pouvons comprendre qu’une telle mesure générale soit plus difficile à mettre en œuvre, mais la politique des petits pas peut mener au gouffre…
Nous reconnaissons, monsieur Leleux, que le service public doit être soumis à de plus grandes exigences en matière de vertu. C’est d’ailleurs ce qui justifie son financement public. Néanmoins, s’agissant de la santé de nos enfants, pourquoi rester au milieu du gué ? Selon nous, il n’y a pas d’obstacle rédhibitoire à la généralisation de la mesure proposée : nous avons bien réussi à supprimer la publicité en faveur de l’alcool et du tabac dans les médias. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mmes Françoise Laborde et Patricia Schillinger applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, selon le psychanalyste Serge Tisseron, spécialiste de la télévision et de ses effets sur le comportement, « dans une société démocratique, tous les citoyens sont censés connaître le registre des messages qu’ils reçoivent. […] Les adultes parviennent très bien à les repérer, mais les enfants ne repèrent pas ces distinctions avant 6-7 ans. Du coup, ils reçoivent les messages publicitaires au même titre que […] des informations. Ils sont trompés sur la nature réelle des messages qui leur sont donnés. »
La proposition de loi de notre collègue Gattolin, adoptée il y a un an par le Sénat puis en janvier 2016 à l’Assemblée nationale, contre l’avis du Gouvernement, vise à réglementer la publicité dans les programmes jeunesse. Elle tend également à amoindrir la force des messages commerciaux à destination des enfants, cœur de cible particulièrement vulnérable des publicitaires !
À cet effet, l’article 2 supprime la publicité commerciale durant les programmes de la télévision publique destinés aux enfants de moins de douze ans, ainsi que pendant les quinze minutes qui les précèdent ou qui les suivent. De plus, l’article 1er de la proposition de loi prévoit une régulation –certes très modeste ! – de la publicité dans les programmes jeunesse sur les chaînes privées, au travers d’une réglementation, par un décret en Conseil d’État, des messages publicitaires diffusés.
Un regrettable constat fonde la nécessité de cette proposition : la publicité abuse les enfants à un âge où ils sont dans une relation surtout affective avec les marques et ne comprennent pas leur nature commerciale. Des études ont ainsi montré que la publicité à destination des enfants a une incidence néfaste sur leur développement, pouvant engendrer un comportement prescripteur, des préférences pour les aliments peu sains et causer des problèmes d’obésité. Ce sont les raisons pour lesquelles le Québec, depuis 1980, la Suède, depuis 1991, et la Norvège, depuis 1992, ont choisi d’interdire la publicité dans les programmes pour enfants.
De manière plus spécifique, Taïwan et le Mexique ont interdit en 2016 la publicité télévisuelle faisant la promotion de certains aliments à destination des enfants. Dans un objectif de santé publique, il est urgent de suivre les recommandations de l’OMS à cet égard, qui invitent à réduire à la fois l’exposition des enfants et la force des messages commerciaux.
Par ailleurs, la publicité fait parfois la promotion auprès des enfants de produits destinés aux adultes, comme le maquillage ou les vêtements, en véhiculant avec force des stéréotypes de genre. À cet égard aussi, le service public a un devoir d’exemplarité !
Enfin, concernant les publicités sur les sites internet des chaînes de télévision, des chercheurs ont montré que, à tout âge, l’enfant n’est pas en mesure de faire la différence entre le contenu publicitaire et le contenu du site. Est en cause la confusion des visuels entre la bannière publicitaire et le site, spécifiquement entretenue par les annonceurs. Il est donc de bon sens que la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse des chaînes publiques françaises s’applique également aux sites internet associés.
Cette proposition de loi constitue une étape indispensable, mais il est nécessaire d’aller plus loin dans la protection des enfants contre la force de persuasion de la publicité. Il faut lutter activement contre la confusion entretenue par le marketing ciblé sur les enfants entre la fiction et la publicité, qui fait obstacle au développement de leurs facultés naissantes d’exercice de leur pensée.
Premièrement, il s’agit de veiller à la bonne application des textes existants. Par exemple, le décret du 27 mars 1992 confie au CSA le soin de veiller au respect des modalités d’identification et d’insertion des écrans publicitaires, qui doivent être aisément identifiables au sein des programmes, ce qui n’est pas le cas : les indicatifs publicitaires sont trop courts pour permettre une réelle séparation entre les publicités et le reste du programme, et la continuité des codes visuels et sonores contribue à masquer les transitions entre différentes parties du programme.
Deuxièmement, malgré l’interdiction de la publicité clandestine en France, il serait souhaitable de contrôler plus rigoureusement les programmes de fiction proposés aux enfants, trop souvent envahis, directement ou indirectement, par des références à des marques et des discours de consommation.
Troisièmement, pour aller plus loin, il pourrait être envisagé de mettre en place des dispositifs neutralisant les techniques de frappe du marketing ciblé sur les enfants, que ce soit dans la publicité à la télévision ou ailleurs. L’exemple de la BBC, qui a interdit aux présentateurs des programmes jeunesse de ses chaînes d’apparaître dans une publicité sans accord préalable, illustre ce qui pourrait être fait pour réduire la force des messages publicitaires. En effet, leur impact sur le public vulnérable que constituent les enfants tient à l’utilisation de techniques marketing éprouvées, comme le recours à des célébrités ou à de fausses allégations nutritionnelles et de santé.
Il est possible et souhaitable, en suivant l’exemple britannique, de réduire la force de ces messages, comme nous enjoint d’ailleurs de le faire l’OMS.
La suppression de la publicité pendant les programmes nationaux de télévision destinés aux moins de douze ans, ainsi que durant quinze minutes avant et après la diffusion de ces programmes, nous paraît donc une mesure particulièrement utile pour protéger les enfants d’une publicité qui, je le répète, les abuse.
Ainsi, comme en première lecture, aucun des membres du RDSE ne s’opposera à l’adoption conforme de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme des discussions entre les deux chambres sur ce texte ô combien important en termes d’enjeux de santé publique et d’éducation.
Je tiens à souligner le travail effectué par notre ancien collègue Jacques Muller et repris par André Gattolin. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Le consensus sur les objectifs de cette proposition de loi traduit l’urgence de faire évoluer la réglementation en matière de publicité en direction des jeunes enfants. En effet, nul ne conteste plus les effets néfastes de la publicité sur ce public fragile, hormis certains lobbies.
Cependant, si les objectifs sont partagés, les modalités pour les atteindre ne le sont pas nécessairement. J’en veux pour preuve les positionnements successifs de certains de nos collègues, que je regrette.
Or, comme l’a rappelé notre rapporteur Corinne Bouchoux, dont je veux également saluer la qualité du travail, ce texte est équilibré, puisque l’interdiction envisagée a une triple caractéristique : elle est ciblée, complète et adaptée au service public de l’audiovisuel.
Plus précisément, il s’agit de prévoir que les programmes de la télévision publique destinés aux enfants de moins de douze ans ne comportent pas de messages publicitaires autres que des messages de prévention. Exeunt donc les publicités pour des produits alimentaires et des jouets ! Ces programmes jeunesse seraient sanctuarisés, l’interdiction courant en outre quinze minutes avant et quinze minutes après leur diffusion.
Certes, les débats perdurent s’agissant d’une éventuelle perte de recettes pour l’audiovisuel public. Cette perte se chiffre à environ 20 millions d’euros. Mes chers collègues, permettez-moi de conforter la position de notre rapporteur, qui estime que cette inquiétude n’est nullement fondée. En effet, le Gouvernement a pris acte de la volonté du Parlement d’avancer sur ce sujet, tout comme le groupe France Télévisions, qui a pris en compte cette future évolution dans le nouveau contrat d’objectifs et de moyens. Dans ce dernier, France Télévisions précise que cette perte ne pèsera pas sur ses comptes et ne se traduira pas par un moindre financement des films d’animation français. Je tiens ici à saluer votre engagement, madame la ministre.
Par ailleurs, sur la forme de l’article tel qu’il nous est soumis après examen par l’Assemblée nationale, des questionnements sont apparus. Le texte prévoit désormais que « les messages publicitaires diffusés par les services de télévision dans les programmes destinés à la jeunesse sont réglementés par un décret en Conseil d’État ».
Sur ce point, des interrogations de deux natures ont été exprimées. D’abord, les chaînes de télévision privées ont fait valoir que cette rédaction pourrait conduire à élargir le champ d’application des dispositions à leur secteur. Comme l’a indiqué notre rapporteur, ces craintes n’ont pas lieu d’être. Ensuite s’est posée la question de la pertinence de cet ajout en droit. Notre rapporteur a fait le choix, après examen approfondi, de ne pas modifier la version de l’Assemblée nationale. En effet, considérant que cet ajout était sans conséquence, elle a préféré – et la commission l’a suivie – s’en tenir à la version des députés, afin de passer des paroles aux actes : l’adoption conforme nous permettrait d’espérer une mise en œuvre rapide de ces dispositions.
Ajoutons que l’Union nationale des associations familiales nous invite à voter en l’état la proposition de loi,…
M. David Assouline. Ce n’est pas du lobbying, ça ?
M. Claude Kern. … qui introduit selon elle « deux leviers essentiels : la protection de l’enfant et la prévention en valorisant les messages pour la santé et le développement des enfants ». Nous répondrions ainsi au souhait des 87 % de Français favorables à l’interdiction de la publicité commerciale dans les émissions des chaînes publiques destinées aux enfants.
Aussi, mes chers collègues, je vous invite à soutenir cette proposition de loi, comme je le ferai, à l’instar des autres membres du groupe UDI-UC.
Je tiens cependant à souligner que ce texte pose, en filigrane, la question de la remise à plat du financement de France Télévisions.
Mme Patricia Schillinger et M. David Assouline. Ah !
M. Claude Kern. En effet, indépendamment de l’examen de ce texte, nous ne ferons pas l’économie d’une refonte du mécanisme de financement de l’audiovisuel public. Cette réforme structurelle s’impose du fait de l’impact de la révolution numérique, qui change radicalement le mode de consommation des programmes télévisuels.
Dans cette perspective, je veux rappeler que nous soutenons les mesures proposées par nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin dans leur rapport de 2015 intitulé « Pour un nouveau modèle de financement de l’audiovisuel public : trois étapes pour aboutir à la création de “France Médias” en 2020 ». Comme ils le suggèrent, il convient d’envisager une hausse de la contribution à l’audiovisuel public et un reversement de la totalité du produit de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques. Il s’agit, à court terme, de stabiliser les ressources de l’audiovisuel public. À plus long terme, il sera indispensable d’instaurer une contribution forfaitaire universelle, sur le modèle allemand. Cette réforme sera sans conteste l’un des grands chantiers culturels du prochain quinquennat.
Mes chers collègues, pensez au bien-être et à la santé de nos enfants ! Dans cet esprit, je vous invite à soutenir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes tous animés des mêmes bonnes intentions, mais les dispositions de ce texte permettront-elles de les mettre en œuvre et d’atteindre l’objectif affiché ?
Il s’agit de protéger les enfants de messages qu’ils ne sont pas encore en mesure de décrypter comme les adultes, faute de la distance nécessaire. France Télévisions, qui est exemplaire en la matière, a décidé de supprimer la publicité dans ses programmes jeunesse destinés aux moins de six ans : je le dis à l’intention de ceux qui font comme si cette mesure n’avait pas déjà été prise ! Or, dans ce débat, il n’est question que de France Télévisions, et pas des chaînes privées, qui n’ont pourtant pas pris la même décision vertueuse.
De manière plus globale, il me semble que l’on méconnaît l’évolution du monde de l’audiovisuel : il n’y a plus de sanctuarisation possible. En effet, les enfants regardent beaucoup de programmes destinés aux adultes, tels que des émissions de téléréalité, des séries ou même des émissions d’information. Or, s’agissant de ces programmes, rien n’est proposé pour encadrer la publicité. En outre, les enfants ne regardent pas en priorité France Télévisions, y compris pour ce qui est des programmes jeunesse, puisque le service public en diffuse 200 heures, contre plus de 600 heures pour la seule chaîne privée Gulli. Ajoutons qu’un enfant sait se servir d’une télécommande : si ses parents ont réglé le téléviseur sur une chaîne du service public, il pourra toujours « zapper » en leur absence !
Par ailleurs, les enfants regardent de plus en plus de programmes sur internet, en particulier sur YouTube. On n’en est plus à l’ère de la télé à papa ! Ainsi, le clip d’une chanson de Disney a été visionné 570 000 fois, les épisodes de Petit Ours brun 60 millions de fois, le Roi Lion 9 millions de fois… Or, avant et après ces vidéos sont diffusées des publicités pour des jouets de guerre, pour Flunch ou pour McDonald’s, qui promeuvent la violence et la malbouffe. Sur internet non plus, aucune régulation n’est prévue : je ne dis pas qu’il était aisé d’en introduire une dans ce texte, dans la mesure où le CSA ne contrôle pas ce qui est diffusé sur la Toile ; c’est d’ailleurs un problème général qu’il faudra poser, pour prendre en compte la fantastique mutation technologique que connaît le secteur audiovisuel. Pour l’heure, aucune règle, aucune moralisation ne vaut dans l’espace où s’effectue désormais la majeure part de la consommation d’images !
Dans ces conditions, je ne crois pas à la sanctuarisation. Si l’on ne traite pas tout le monde sur un pied d’égalité, il y aura des effets d’aubaine et des effets pervers. L’interdiction de la publicité durant les programmes jeunesse ne procurera pas, selon moi, un avantage compétitif à France Télévisions. J’ai plutôt l’impression que ce sera l’inverse, notamment parce qu’il faudra que France Télévisions investisse dans la production française, celle qui exprime nos talents, nos valeurs, pour pouvoir continuer à proposer des émissions pour enfants de qualité. Or, pour investir, il faut de l’argent, et voilà que l’on propose de priver France Télévisions de 20 millions d’euros de manne publicitaire !
Le COM a anticipé cette perte, nous dit-on. Nous en discuterons lors de l’examen des prochains projets de loi de finances, mais la perte de ressources se fera sentir avant 2018. En effet, les annonceurs élaborent des budgets pluriannuels : sachant qu’il n’y aura plus de publicité sur France Télévisions en 2018, ils se désengageront dès à présent. Dans le même ordre d’idées, quand on a supprimé la publicité après 20 heures sur France Télévisions, des annonceurs, envisageant leur partenariat avec le groupe public de façon globale, ont aussi cessé d’acheter des créneaux publicitaires avant 20 heures.
Le Gouvernement, quant à lui, avait prévu d’augmenter de 1 euro la redevance, ce qui aurait engendré une ressource supplémentaire de 25 millions d’euros. Malheureusement, l’Assemblée nationale n’a pas suivi… Comment être sûrs que le relèvement de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques, destiné à compenser la perte de 20 millions d’euros de recettes, sera reconduit les prochaines années ? Quelles seront les intentions de ceux qui gouverneront demain ? On ne le sait pas !
M. André Gattolin. Ce sont les électeurs qui décideront !
M. David Assouline. Le candidat de la droite à l’élection présidentielle considère, semble-t-il, que le périmètre de France Télévisions est beaucoup trop large, que le contribuable est trop sollicité et qu’il faudra réduire la voilure. Je ne suis donc pas certain que les gouvernants de demain pérenniseront la hausse de cette taxe. En revanche, l’augmentation de la redevance garantissait une ressource pérenne de 25 millions d’euros directement affectée au service public de l’audiovisuel, quelle que soit la majorité en place.
Ces éléments objectifs doivent être pris en compte, même s’ils pondèrent l’enthousiasme de certains.
Il faut certes protéger les enfants des agressions des prédateurs qui profitent de leur innocence pour faire pression sur eux et, par suite, sur leurs familles, mais, encore une fois, la seule action efficace réside dans l’éducation des enfants et des familles et dans la moralisation de l’audiovisuel en général. On a tort de croire que l’interdiction de la publicité durant les programmes jeunesse pour le seul service public permettra la sanctuarisation de ce dernier, qui s’est d’ailleurs déjà montré très vertueux en interdisant la publicité à destination des enfants de moins de six ans et, pour le reste, en mettant en place un contrôle, en amont de la diffusion des spots publicitaires, du respect des chartes signées avec les professionnels en matière de moralisation de la publicité.
Les Français seraient favorables à 87 % à l’interdiction de la publicité durant les programmes jeunesse diffusés sur France Télévisions, paraît-il. Ce n’est qu’un sondage : les Français n’ont pas été consultés ! Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais les résultats d’un sondage ne sont pas un argument d’autorité, surtout par les temps qui courent !
M. André Gattolin. Du calme…
M. David Assouline. Si vous voulez que la politique et le débat public aient encore un sens, arrêtez d’assimiler sondage et consultation des Français ! Les sondages ne sont pas de la science !
Il va de soi que les familles sont d’accord pour que l’on protège les enfants de la publicité sur France Télévisions ! Cela ne veut pas dire pour autant qu’elles sont favorables à la publicité à destination des enfants sur les chaînes privées. Le sondage en question mérite d’autant moins de fonder la réflexion qu’il a été commandé par l’auteur de la proposition de loi…
M. André Gattolin. Et alors ?
M. David Assouline. Ce n’est qu’un élément versé au débat. Il n’a pas de valeur scientifique.
M. André Gattolin. Persiflage !
M. David Assouline. On n’imagine pas qu’un gouvernement se fonde sur un sondage commandé par ses soins pour prendre une mesure !
Pour toutes ces raisons, je ne partage pas l’enthousiasme de certains de mes collègues pour ce texte. Cependant, reconnaissant les bonnes intentions de Mme la rapporteur et de l’auteur de la proposition de loi,…
M. André Gattolin. Ah !
M. David Assouline. … nous nous abstiendrons. Cette abstention n’est pas passive. Nous nous battrons pour que, d’ici à 2018, le financement de France Télévisions soit garanti et que le dispositif soit amélioré et étendu à l’ensemble des chaînes, de manière que les plus vertueux ne soient pas désavantagés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Claudine Lepage applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous étudions ce soir nous est revenu de l’Assemblée nationale dans une version quasiment identique à celle qu’avait élaborée le Sénat.
En effet, les députés ont maintenu le principe de la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse de France Télévisions, ainsi que l’intégralité des assouplissements que nous avions apportés au dispositif initial. Je pense que la Haute Assemblée peut se féliciter de ce succès.
La proposition de loi devrait donc être adoptée par le Sénat sans difficulté, comme elle l’a été en commission la semaine dernière.
Compte tenu des réticences du Gouvernement et du débat qui a eu lieu au sein de notre commission, je m’efforcerai d’expliquer, à la suite de notre rapporteur, en quoi ce dispositif de protection des mineurs, tel que nous l’avons encadré en commission, permettra d’atteindre l’objectif affiché, tout en respectant les intérêts économiques en présence.
Je tiens d’ailleurs, en tant que membre de la commission, à féliciter le rapporteur, Corinne Bouchoux, pour son investissement personnel et pour avoir su trouver un équilibre entre les différents enjeux mis en lumière lors de nos auditions.
Les secteurs économiques concernés sont le secteur publicitaire, celui des produits visant un jeune public et, enfin, le diffuseur des messages, France Télévisions.
Tout d’abord, concernant la publicité et les produits de consommation, il faut préciser que la réforme ne vise que l’audiovisuel public, les chaînes privées continuant à relever d’une autorégulation, sous le contrôle du CSA.
En outre, lors de la première lecture, nous avons introduit, pour les programmes visés, une limite d’âge de douze ans, qui nous semble raisonnable au regard de la situation de vulnérabilité des plus jeunes. Le champ d’application du texte a donc été restreint.
Surtout, nous avons supprimé la hausse de 50 % de la taxe sur la publicité prévue par le texte initial. Cette hausse, représentant 7,5 millions d’euros, aurait impacté les annonceurs et, par ricochet, leurs clients.
Concernant France Télévisions, il est difficile de chiffrer exactement le manque à gagner dû à la disparition de la publicité durant les programmes jeunesse, mais celle-ci appellera de toute façon une compensation, même si des économies peuvent évidemment la pallier pour partie. Comme l’a souligné le rapporteur, France Télévisions a déjà répercuté les effets de la réforme dans la rédaction de son contrat d’objectifs et de moyens, en intégrant, à partir de 2018, une baisse des recettes de publicité de 20 millions d’euros. La compensation intégrale est cependant loin d’être évidente ; il s’agissait du principal argument opposé par le Gouvernement à l’adoption de la proposition de loi. Or, une réforme des ressources de France Télévisions est devenue nécessaire à court terme, que cette proposition de loi soit adoptée ou pas. Notre commission a déjà engagé une réflexion sur ce thème.
Le récent rapport présenté par nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin a montré qu’il était urgent de revoir des règles établies lorsqu’internet n’existait pas. Il faut envisager de restreindre la dépendance de France Télévisions à des recettes publicitaires qui vont mathématiquement se réduire comme peau de chagrin du fait d’un transfert vers d’autres modes de communication.
Aussi notre commission, sur l’initiative de Jean-Pierre Leleux, a-t-elle procédé à un changement de date pour l’entrée en vigueur du texte. Nous avons retenu celle du 1er janvier 2018, pour que la suppression de la publicité durant les programmes destinés à la jeunesse coïncide avec une réforme de la contribution à l’audiovisuel public que le Sénat préconise de conduire dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018. Le soin de mener cette réforme reviendra au prochain gouvernement.
Enfin, il faut savoir quel rôle nous voulons donner au service public. J’estime que celui-ci est dans son rôle lorsqu’il refuse la publicité durant des programmes destinés aux enfants de moins de douze ans et que cette exemplarité justifie l’investissement que chaque citoyen accepte de faire pour financer un service qui se distingue de celui des chaînes privées. En quoi France Télévisions pourrait-elle faire valoir une identité spécifique si elle insère dans ses programmes jeunesse les mêmes écrans publicitaires que les chaînes privées ? Il me semble que la suppression de la publicité contribuera à affirmer l’identité spécifique de France Télévisions.
Cette mesure est réalisable financièrement, et elle répond à un souhait réel des parents. Les temps évoluent. La durée d’exposition de l’enfant aux programmes télévisés n’est pas comparable avec celle que nous avons connue avant la naissance d’internet, lorsque les chaînes se comptaient sur les doigts d’une main et que les parents conservaient un certain contrôle. Le développement de l’obésité chez les jeunes et la surconsommation sont des phénomènes nouveaux.
S’il n’est pas question de modifier du jour au lendemain les équilibres économiques dépendant de la publicité, je pense que nous pouvons nous rassembler autour de l’idée d’un audiovisuel public protecteur et ayant valeur de modèle.
Notre groupe se réjouit que ce texte équilibré, qui est l’objet d’une très forte attente, soit le fruit du travail du Sénat. Nous espérons qu’il pourra réunir le consensus le plus large. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste.)