Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.
Mme Laurence Cohen. Nous avions déposé en commission un amendement qui a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40, alors que son objet n’était que de flécher les recettes générées par l'augmentation du prix du tabac. En effet, si nous partageons l'objectif de lutter plus efficacement en faveur de la prévention contre le tabagisme, la réalité du trafic de cigarettes et du tabac impose de consacrer davantage de moyens à cette ambition.
Jusqu'à présent, les hausses des prix du tabac n'ont pas été d'une grande efficacité dans la prévention contre le tabagisme. Cette fois-ci, la hausse prévue par le présent texte est plus forte. On peut dès lors se demander l’impact qu’elle aura sur la consommation. La question reste ouverte.
Le problème que je souhaite mettre en lumière est que cette hausse se concentre sur les produits pour l'instant les moins chers, notamment le tabac à rouler, produits vers lesquels les jeunes et les plus précaires se sont tournés du fait des augmentations successives des prix du tabac. De plus, les buralistes installés en France, notamment dans les zones frontalières, subissent les effets de la contrebande et de la contrefaçon. Il nous semble donc que la solution à ce problème serait un lissage des prix au niveau européen.
Pour ces raisons, nous proposons de maintenir l'augmentation du prix du tabac, tout en réfléchissant à un fléchage des recettes supplémentaires au profit des politiques de prévention du tabagisme, notamment chez les jeunes, et des services des douanes, qui luttent contre la contrebande et les trafics de cigarettes et tabac.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ce dossier est compliqué.
Madame Cohen, je m’inscris en faux contre vos propos : les augmentations de prix ont entraîné, à l’évidence, une baisse de la consommation de tabac au cours des quinze dernières années. (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme Françoise Gatel. Une baisse des achats, plutôt !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. En France !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Pardonnez-moi, je travaille depuis trois ans sur ce dossier, et j’habite à côté de la frontière luxembourgeoise : je crois connaître le sujet.
Nos analyses nous conduisent à affirmer que les augmentations de prix, qui ont été plus importantes en France que dans les autres pays d’Europe continentale, ont conduit à une baisse spectaculaire de la consommation, de 20 % à 30 % au minimum – nous vous donnerons les chiffres précis –, au cours des quinze dernières années, dans le circuit légal. Une baisse aussi importante des ventes, fût-ce dans le circuit légal, ne peut être compensée totalement par les importations illégales ou les trafics en tous genres. J’assume ce que je dis, et je sais la valeur des propos tenus par un membre du Gouvernement devant une assemblée parlementaire. Nous pourrons reprendre ce débat avec des chiffres plus précis, si vous le souhaitez.
Par ailleurs, la lutte contre les importations illégales a été considérablement renforcée par plusieurs dispositifs. Le Sénat a accepté la proposition du Gouvernement d’interdire les achats sur internet. Jusqu’alors, en effet, seules les ventes sur internet étaient interdites, disposition difficile à appliquer, les ventes étant réalisées par des sites basés à l’étranger. Nos cyberservices de douanes se livrent désormais à de faux achats en ligne pour repérer les circuits de vente sur internet. Cela produit déjà des effets.
Nous avons également renforcé les limitations des quantités d’achat de tabac autorisées dans les pays limitrophes pour une consommation personnelle. Nous sommes même allés, je le dis tout bas, au-delà des standards européens : nous avons pris des dispositions plus dures pour limiter le nombre de paquets autorisés pour sa consommation personnelle. Pour l’instant, personne ne nous a attaqués…
Yves Daudigny a cité un article de presse témoignant de cette réalité dans le nord de la France. J’ai personnellement assisté à des contrôles aux frontières. La personne qui se rend dans un pays étranger pour acheter des cigarettes pour son beau-frère, sa belle-sœur, son tonton et son fiston, on la reconnaît : elle achète souvent des marques différentes. Elle a même parfois la naïveté de le dire. Or je peux vous dire qu’elle est sanctionnée. Naturellement, si cette personne achète deux cartouches pour son usage personnel, elle ne l’est pas.
Autre observation : certains orateurs ont l’air de considérer que le dispositif prévu par l’article 16 entraînera automatiquement une augmentation des prix. Nous faisons le pari que tel ne sera pas le cas. Georges Labazée l’a parfaitement expliqué : les principaux producteurs de tabac sont localisés à l’étranger et vendent presque exclusivement à un seul distributeur agréé en France, qui est d’ailleurs l’une de leurs filiales. Les profits sont donc réalisés à l’étranger, pour un chiffre d’affaires fait en France. Cela est parfaitement anormal.
D’après nos estimations, fondées sur des calculs et des comparaisons, les marges réalisées par les fabricants sur les produits vendus en France sont très supérieures à ce qu’elles peuvent être à l’étranger, où le prix de vente est inférieur. Nous faisons donc le pari que, avec le lancement simultané du paquet neutre, les fabricants peuvent absorber cette taxe d’un rendement attendu de 130 millions d'euros, compte tenu des quantités écoulées et du chiffre d’affaires en jeu.
Reste un problème particulièrement important, parmi d’autres, qui doit être traité : la situation des petites entreprises qui fabriquent en France et qui passent par le principal distributeur agréé pour écouler leurs marchandises. Ces petites entreprises se voient déjà appliquer des tarifs près de quatre fois supérieurs à ceux acquittés par les fabricants installés à l’étranger. C’est là qu’est le problème ! Il n’est pas de savoir si la contribution supplémentaire sera répercutée ou non sur les prix par le distributeur agréé, dont nous tairons d’ailleurs le nom, la loi ayant une portée générale et non particulière.
Une harmonisation est possible. C’est l’objet du travail que nous avons conduit récemment et que nous allons reprendre, j’en prends l’engagement devant vous, à l’occasion de la navette sur ce texte. Nous devons trouver la meilleure des solutions pour ces fabricants nationaux. Je m’y suis également engagé auprès d’eux et auprès des députés. Prenons seulement garde aux chiffres qui circulent, notamment des marges réalisées, et qui ne correspondent pas toujours à la réalité.
Dans tous les cas, supprimer l’article 16, comme le propose la commission des affaires sociales, irait complètement à l’encontre de nos objectifs collectifs : la lutte contre le tabagisme et la justice fiscale. Les gros producteurs de tabac, qui réalisent des milliards d’euros de chiffres d’affaires, et donc des milliards d’euros de profit sur les ventes de tabac en France, ne paient pas un radis d’impôt à notre pays !
Le seul moyen que nous avons trouvé pour mettre fin à cette situation – d’autres moyens apparaîtront peut-être à l’avenir ; des travaux sont actuellement menés en ce sens à l’échelle européenne – est celui que nous vous proposons dans cet article : la contribution du distributeur agréé, dont je rappelle qu’il est le fiston d’un des fabricants. Nous faisons le pari qu’il l’absorbera pour qu’il n’y ait pas d’impact à la vente.
Un mot, enfin, sur la traçabilité des cigarettes. C’est un sujet important qui, je le dis franchement, nous a divisés. Nous avons eu des combats violents sur ce sujet à l’Assemblée nationale. Ce ne sera pas le cas ici ; ce n’est pas le genre de la maison.
Je me suis fait traiter de tous les noms : défenseur du lobby du tabac, défenseur du lobby des fabricants des puces électroniques permettant la traçabilité des cigarettes… Je vous le dis dans les yeux, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne fréquente ni les uns ni les autres.
Les députés ont souhaité supprimer la disposition transcrivant la directive européenne sur ce sujet dans la loi française. Je leur ai fait part de mon profond désaccord. Les députés m’ont alors indiqué leur intention d’écrire au Président et de militer pour qu’un système de traçabilité soit mis en place à l’échelle européenne. Un an plus tard, rien n’a été fait. Le Parlement a commis une erreur.
J’ai signé ce matin, avec Marisol Touraine, un courrier à l’adresse de la Commission européenne pour rappeler les priorités de la France.
Première priorité : mettre en place un système de traçabilité.
M. Yves Daudigny. Très bien !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Deuxième priorité : veiller à ce que ce système soit indépendant des fabricants. Cela implique qu’il soit doté des moyens nécessaires.
Il y a quelques mois, nous avions signé avec Marisol Touraine le même type de courrier, toujours à l’adresse de la Commission européenne, pour demander qu’un travail d’harmonisation de la fiscalité sur ce type de produits, qui ne sont pas des produits comme les autres, soit mené à l’échelle européenne.
Je regretterais que le Sénat supprime l’article 16, même si j’entends bien le problème qu’il pose pour les fabricants français. Ce n’est pas un petit problème – je ne voudrais pas être méprisant envers qui que ce soit –, il doit être traité, mais il ne se compare tout de même pas, dans son ampleur, à celui que nous pensons commencer à résoudre avec les dispositions de cet article. Le Sénat, naturellement, est souverain. Je voulais seulement nous mettre en garde et insister sur un point : l’objet de cet article me semble rejoindre les préoccupations exprimées par les divers orateurs, y compris le président de la commission des affaires sociales.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 3 rectifié est présenté par MM. Frassa, Gilles, Calvet, Lemoyne, Guerriau, Chaize, Magras, Trillard, Longuet et Bonhomme, Mme Deromedi, MM. D. Laurent, Vasselle, Kern et Charon, Mme Gruny et M. de Raincourt.
L'amendement n° 65 est présenté par M. Vanlerenberghe, au nom de la commission des affaires sociales.
L'amendement n° 166 rectifié quater est présenté par MM. Longeot, Canevet et Bockel, Mme Billon et MM. Tandonnet et Gabouty.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bruno Gilles, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié.
M. Bruno Gilles. On l’aura bien compris, c’est un amendement pour supprimer cet article de 130 millions d'euros de taxe supplémentaire.
Monsieur le secrétaire d'État, vous venez de nous dire que cette taxe pourrait être répercutée sur les prix, soit plus vraisemblablement prise en compte dans les relations entre les fournisseurs et les fabricants et répercutée sur ces derniers. Mais je crois que le Gouvernement n’y croit pas lui-même. Et je reprends d’ailleurs vos propos lors des débats de l’Assemblée nationale : « Nous faisons le pari, parce que les différents fabricants sont en concurrence, que cette taxe pourra être répercutée sur les marges des fabricants. […] C’est en tout cas l’hypothèse que nous faisons. Cela nous semble raisonnable, et nous ferons pression en ce sens – car nous disposons tout de même d’un certain pouvoir pour fixer les prix des produits ».
Mais on ne peut pas légiférer à coups de paris. Cet article a été rédigé sans étude d’impact approfondie et sans concertation préalable avec les entreprises. Il est pourtant évident que rien ne permet de préjuger que les fabricants de tabac accepteront de prendre à leur charge une taxe qui, finalement, ne les concerne pas directement.
Alors, on peut légiférer à coups de paris quelque peu hasardeux, d’autant que la survie d’entreprises, cela a été dit avant moi par de nombreux collègues, est touchée. La plus importante d’entre elles, qui est cible de toutes les attaques, la société qu’il ne faut pas citer, mais qui est implantée à 100 % en France, c’est quand même un de vos partenaires privilégiés. Je me permets de rappeler qu’elle vous collecte 14 milliards d'euros de droits sur le tabac et de TVA ; qu’elle s’acquitte chaque année de 80 millions d'euros d’impôts ; qu’elle génère 1 500 emplois directs et 1 000 emplois indirects, répartis sur les 37 sites du territoire. Et c’est évident que lui ajouter 130 millions d'euros de contribution, c’est mettre en péril sa survie. La France ne peut donc se permettre de traiter ainsi les filiales de multinationales implantées sur notre sol ; cela serait vraiment un mauvais signe.
Pour conclure, cette mesure est mal ficelée, car ses dispositions étant caution à des rejets par le Conseil constitutionnel et les instances européennes, sa mise en œuvre le 1er janvier 2017 est impossible d’un point de vue opérationnel. La ministre de la santé et le secrétaire d'État chargé du budget n’ont pas tant voulu exprimer une volonté de faire baisser le tabagisme, que surtout obtenir des objectifs de lutte contre l’optimisation fiscale et la réduction des déficits budgétaires.
C’est pour toutes ces raisons que nous proposons de supprimer l’article 16.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l’amendement n° 65.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. La commission partage totalement vos propos, monsieur le secrétaire d’État, ainsi que ceux tenus précédemment par M. le président de la commission : nous voulons ardemment lutter contre la consommation de tabac. Le problème est de trouver des moyens efficaces de le faire.
Gilbert Barbier, citant ce matin en commission le rapport de la MILDECA, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, nous disait qu’il y avait dans la population française 30 % de consommateurs de tabac, soit un Français sur trois. Cette addiction est énorme !
Pour les raisons de santé publique rappelées par le président Alain Milon, il faut donc lutter résolument contre la consommation de tabac. Comment y parvenir ? Je ne crois pas, monsieur le secrétaire d’État, que vous y réussirez avec cet article 16.
Vous avez évoqué les milliards d’euros – les chiffres sont éloquents ! – des fabricants de tabac qui échappent à l’impôt, et vous proposez une taxe qui devrait rapporter, si elle était appliquée, 130 millions d’euros. La disproportion est notable !
Selon moi, il faudrait frapper beaucoup plus fort, ce qui se comprendrait parfaitement.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Vous me rétorquerez qu’en tapant très fort, on asséchera complètement la ressource fiscale. Bruno Gilles évoquait le chiffre de 14 milliards d’euros, qui correspond aux 11 milliards d’euros des droits à la consommation, auxquels il faut ajouter la TVA, un montant qui va directement dans les caisses de l’État.
L’impératif de santé publique doit l’emporter sur les considérations relatives aux recettes fiscales de l’État. On l’a démontré ici à l’envi, le coût de la consommation de tabac en termes de santé publique est de trois ou quatre fois le montant des recettes fiscales correspondantes.
Nous proposons la suppression de l’article 16, qui crée une nouvelle taxe portant sur le chiffre d’affaires des fournisseurs agréés de tabac en France. Il est pourtant communément admis, même si le Gouvernement a décidé de maintenir la C3S, la contribution sociale de solidarité des sociétés, que cette assiette n’est pas la plus pertinente.
Quelles seront les conséquences de cette nouvelle taxe ? Nous n’en savons rien.
Le fournisseur principal ou le fabricant peut augmenter ses tarifs, réduire sa marge ; nous n’en avons pas connaissance, pas plus que des termes de leurs relations commerciales.
Il est probable que cette taxe sera répercutée, du moins à moyen terme, sur les prix. Elle aura produit, dans ce cas, le même effet que l’augmentation des droits d’accises sur les cigarettes, laquelle aurait sans doute visé plus directement les quatre grandes firmes qui sont l’objet de toutes les attentions.
M. le président de la commission l’a rappelé, le Sénat avait refusé la mise en place de cette contribution lors de l’examen du projet de loi Santé, considérant que d’autres leviers d’augmentation de la fiscalité du tabac étaient disponibles et que le dispositif proposé était inopérant.
Pour toutes ces raisons, je le répète, nous demandons la suppression de l’article 16.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour présenter l’amendement n° 166 rectifié quater.
M. Jean-François Longeot. Cet amendement vise à supprimer l’article 16, qui prévoit l’instauration d’une taxe sur le chiffre d’affaires des fournisseurs agréés de tabac en France et, par conséquent, des hausses de prix importantes du tabac en France.
Cette proposition apparaît totalement inappropriée, en raison de son impact immédiat sur les prix de vente des produits du tabac en France et de sa contrariété évidente avec plusieurs principes de droit constitutionnel et de droit communautaire. C’est d’ailleurs pour ces raisons que les gouvernements successifs et les ministres encore en fonction se sont toujours opposés à des propositions similaires.
En effet, les prix du tabac en France étant déterminés librement par les fabricants, toute augmentation de la fiscalité directe ou indirecte appliquée à ces produits ou à ces acteurs a vocation à être répercutée sur les prix de vente. Aussi, des hausses de prix de vente très importantes pourraient intervenir si l’augmentation de la taxe, dont le taux est déjà extrêmement élevé, était répercutée par les fournisseurs sur les fabricants.
Alors rapporteur général du budget, Christian Eckert justifiait, le 4 décembre 2013, son opposition à une taxe de ce type en invoquant l’argument suivant : « Je ne vois pas ce qui empêcherait les cigarettiers de répercuter ce nouveau prélèvement sur les prix. »
En outre, une telle mesure serait contraire à la position récente du Gouvernement. Le ministre de l’économie et des finances Michel Sapin rappelait, le 18 septembre dernier, qu’« il n’était pas question d’augmenter les taxes » sur le tabac, la priorité étant de mettre en place le paquet neutre « dans les meilleures conditions possible ».
Enfin, cette taxe, dans l’hypothèse où celle-ci ne pourrait être répercutée sur les fabricants pour des raisons contractuelles, pourrait mettre en péril la survie économique de nombreux distributeurs agréés en France, notamment les plus fragiles, en raison d’un coût très important. C’est en partie pour cette raison que le Sénat, à l’occasion de la discussion de la loi de modernisation de notre système de santé, avait supprimé une disposition similaire.
Pour toutes ces raisons, je demande la suppression de l’article 16.
Mme la présidente. Qu’en pense la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Les amendements de suppression identiques à celui de la commission reposant sur des argumentations similaires, j’y suis bien évidemment favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous dites, monsieur le rapporteur général, que les trois argumentations sont similaires. J’ai entendu, quant à moi, des avis complètement opposés. Alors que, selon vous, il faudrait taper plus fort, le dernier intervenant a argué de hausses de prix insupportables… Il faudrait se mettre d’accord !
Il a été dit, par ailleurs, que ces hausses de prix allaient freiner la consommation. Toutes les associations de lutte contre le tabagisme tiennent ce genre de discours, plaidant pour des hausses brutales et massives afin d’impacter la consommation.
Je vous ai promis des chiffres : en 2001, la consommation de cigarettes dans le circuit légal représentait 83 milliards d’unités ; en 2011, ce chiffre était tombé à 54,1 milliards, soit une baisse de 35 %.
Ce mouvement s’est inversé ces derniers temps. Nous avons relevé, pour la première fois depuis longtemps, une hausse des ventes dans le circuit légal. Cela traduit-il une hausse de la consommation ou bien une baisse des importations et trafics en tous genres ? Il est difficile de le savoir. Les spécialistes et les professionnels qui sont en contact avec les fumeurs, notamment les buralistes, nous disent que plusieurs facteurs ont joué en faveur de cette hausse de la consommation. C’est le cas de l’Euro 2016 de football ou du beau temps. Cette augmentation, certes légère, mais incontestable, représente une rupture après plus d’une décennie de baisse de la consommation dans le circuit légal.
Autre sujet, sur lequel nous reviendrons en examinant l’article suivant : nous avons décidé d’augmenter la fiscalité sur le tabac à rouler, et vous avez laissé entendre que vous y étiez favorable. À ce propos, je veux répondre à M. Gilles, qui m’a reproché de vouloir légiférer sur la base d’un pari. Quels sont les pouvoirs du gouvernement en France ? Contrairement à ce que pensent la plupart des gens, il homologue les prix, mais il ne les fixe pas.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est pour ça qu’ils augmenteront !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Comment cela s’est-il passé précédemment, lorsque des gouvernements ont décidé d’augmenter la fiscalité sur le tabac ? Les hausses de prix ont-elles été automatiques ? Non, pour la bonne raison qu’il existe des ententes, des comportements et des « prix limite » : les fabricants savent bien que, au-delà d’un certain prix, il risque de se produire une baisse des achats ou un développement des circuits de contrefaçon.
Du fait de l’arrivée du paquet neutre, nous pensons que la concurrence entre fabricants jouera encore plus fortement. J’ai lu leurs communiqués et entendu leurs déclarations : ils annoncent qu’ils vont répercuter la hausse de la fiscalité sur le prix du tabac. Mais dans quelles proportions ?
D’aucuns parlent d’une augmentation extraordinaire. Or, en cas de répercussion intégrale, nous nous attendons à une hausse de 10 à 20 centimes d’euro par paquet, et même probablement moins. Compte tenu de la stabilité de la fiscalité pratiquée l’année dernière, nous assisterons à une progression normale.
Ne croyez pas qu’il s’agit pour nous d’une affaire de recettes pour le budget de l’État ! Qu’avons-nous constaté ? Lorsque les prix augmentent, la consommation légale diminue et les recettes stagnent, quand elles ne baissent pas. Puis il faut six mois ou un an pour retrouver une certaine croissance. Mais il faut aussi tenir compte des phénomènes démographiques et d’autres paramètres.
La constitutionnalité de la mesure et sa conformité au droit européen ont été évoquées. C’est une véritable question. Nous avons soumis cet article au Conseil d’État, dont l’avis peut laisser préjuger de celui du Conseil constitutionnel, sur lequel personne ici ne saurait avoir de certitude.
Nous avons tenu à introduire cet article dans le texte initial du projet de loi de financement de la sécurité sociale afin de nous contraindre à le soumettre au Conseil d’État, lequel n’a pas considéré qu’il était non conforme.
Vous dites que le distributeur agréé ne paie que 80 millions d’euros d’impôt sur les sociétés. Cela ne vous choque-t-il pas ? Hors taxes, il réalise en France au moins 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires ! S’il paie seulement 80 millions d’euros au titre de l’impôt sur les sociétés, c’est parce que les prix auxquels achète cette société, qui est la filiale de l’un des quatre grands producteurs mondiaux, sont fixés de telle sorte qu’elle fasse le moins possible de bénéfices dans notre pays.
Les fabricants ne sont pas plus bêtes que d’autres ! Étant aux deux bouts de la chaîne, ils fixent les prix de façon à ce que le bénéfice réalisé in fine en France soit le plus faible possible.
Nous avions eu d’autres idées, comme celle de taxer de façon plus significative les bénéfices du distributeur. Mais ceux-ci étant relativement bas par rapport au chiffre d’affaires, nous aurions mis en place systématiquement des taux que le Conseil constitutionnel aurait jugés, à juste titre, confiscatoires.
La mesure voulue par le Gouvernement a davantage pour objectif de lutter contre le montage fiscal permettant à des fabricants qui font un chiffre d’affaires extraordinaire en France de ne pas payer un radis d’impôt à l’État. Cette situation ne vous choque peut-être pas, mais, nous, elle nous choque !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Je ferai trois brèves remarques.
Premièrement, Yves Daudigny a évoqué la traçabilité, sujet sur lequel a rebondi M. le secrétaire d’État. Je pense que cette question mérite effectivement débat.
Deuxièmement, je ne suis pas persuadé qu’une concertation ait été conduite en amont, notamment avec les distributeurs, et que l’on ait mesuré les conséquences et l’impact du dispositif.
Troisièmement, l’article 16 traduit une certaine hypocrisie de la part du Gouvernement. En effet, mes chers collègues, la mesure qui nous est proposée est purement comptable,…
M. Bruno Gilles. Bien sûr !
M. Alain Vasselle. … ayant pour objectif d’alimenter le budget de la sécurité sociale. On l’a « habillée » en disant qu’il s’agissait d’abonder un fonds de prévention, mais j’aimerais savoir quelles actions supplémentaires de prévention le Gouvernement compte mettre en œuvre grâce à ce fonds. La prévention, cela fait des décennies qu’on en parle et qu’on s’efforce de la développer, mais le seul résultat qu’on obtienne est l’augmentation du prix du tabac.
Vous le savez et vous l’avez dit vous-même, monsieur le secrétaire d’État, une mesure de cette nature atteindra très vite ses limites. (M. Daniel Chasseing et Mme Vivette Lopez applaudissent.)
M. Bruno Gilles. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Je m’inscris en faux contre l’intervention de M. Vasselle : les derniers arguments présentés par M. le secrétaire d’État sont tout à fait solides et acceptables.
Le groupe socialiste a exprimé, par la voix de Georges Labazée, un certain nombre de préoccupations et a déposé sur cet article l’amendement n° 380 rectifié, dont nous souhaiterions débattre.
Au vu des explications qui viennent d’être données, nous ne voterons pas ces amendements de suppression.
M. Alain Vasselle. Quelle surprise…
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.
Mme Aline Archimbaud. Un chiffre doit nous faire réfléchir. C’est celui, impressionnant, des dégâts sanitaires du tabagisme, qui a été confirmé par de nombreuses études, notamment celle de l’INSERM : 80 000 morts par an, soit autant que l’ensemble des décès liés à l’alcool, aux accidents de la route, aux suicides, aux homicides et aux drogues illicites.
Ce chiffre ne peut que nous interpeller. Nous ne voterons donc pas ces amendements de suppression, car il est de notre responsabilité politique de tenter de répondre à cette situation. Il y va également, comme l’a dit M. le secrétaire d’État, de la justice fiscale.
D’autres problèmes sont à régler. Une de nos collègues a évoqué la nécessité de renforcer les services douaniers. Vous avez évoqué, monsieur le secrétaire d’État, les efforts déjà engagés à cet égard. Il faut les renforcer en termes de traçabilité. La presse s’en est fait l’écho récemment, les systèmes de traçabilité au plan international sont en effet opaques et pas franchement indépendants.
Enfin, et je reviendrai sur ce sujet par la suite, nous devons réfléchir à l’avenir des buralistes.
Il ne faut pas tout mélanger ! Il est possible à la fois de refuser ces amendements de suppression, et donc d’adopter la taxation proposée, et de régler les problèmes que je viens d’évoquer ainsi que ceux signalés par Georges Labazée.
Par ailleurs, j’ai bien entendu l’engagement de M. le secrétaire d’État d’examiner, durant la navette, la façon de répondre à la question spécifique des producteurs français.