Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour ce débat approfondi, qui est à la hauteur de la gravité des enjeux. Cette rigueur, cette transparence, nous les devons à nos soldats déployés en opérations. Nous les devons aussi aux Françaises et aux Français face auxquels nous avons un devoir de vérité et de responsabilité. Je suis heureux que le débat d’aujourd’hui ait reflété ces exigences.

Mon collègue Jean-Marc Todeschini vient de répondre très largement aux aspects touchant à la programmation militaire, au budget, au format de nos forces et à la coopération avec nos partenaires. Pour ma part, je voudrais tenter de répondre le plus complètement possible à vos questions sur l’environnement politique et stratégique de nos interventions extérieures.

Vous m’avez interrogé, à juste titre, sur la Syrie. La situation sur le terrain est grave, en particulier, mais pas seulement, dans la ville d’Alep encerclée et bombardée par les forces du régime et de ses soutiens. Les propositions russes d’une trêve de quelques heures ne sauraient tromper personne : sous couvert de l’argument de la lutte contre le terrorisme, il s’agit bien de procéder à la destruction méthodique de la deuxième ville de Syrie.

Jean-Marc Ayrault a rappelé nos efforts, dans toutes les enceintes, en particulier au Conseil de sécurité des Nations unies, pour mettre fin de manière durable et soutenable à ces bombardements. Monsieur Vera, vous avez eu raison d’évoquer la proposition française, faite par le ministre des affaires étrangères, d’un mécanisme robuste de vérification de la mise en œuvre de la cessation des hostilités. Encore faut-il qu’une véritable cessation des hostilités se mette en place. Nous en sommes encore loin !

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez interrogé sur le rôle de la Russie et sur le dialogue que nous menons avec elle sur ce dossier. Jean-Marc Ayrault l’a évoqué : ce dialogue est constant, à tous les niveaux. Nous disons à la Russie avec franchise ce que nous pensons de ses agissements sur le théâtre syrien. Nous recherchons aussi, car c’est notre responsabilité, les moyens d’avancer. Une discussion sur ce point aura d’ailleurs lieu ce soir, à Berlin, comme l’a indiqué le ministre des affaires étrangères, entre le Président de la République, la Chancelière Merkel et le Président Poutine. Nous espérons que la Russie va reconsidérer sa position et œuvrer avec nous vers une solution politique durable en Syrie. C’est en tout cas à cela que nous travaillons.

En effet, madame Aïchi, la réponse politique est bien notre priorité. Nous sommes en discussion à cet égard avec l’ensemble de nos partenaires régionaux, qui souffrent également de ce conflit. Nous sommes certes bien conscients que l’outil militaire ne saurait, par lui-même, résoudre les crises et conflits. Notre responsabilité est toutefois de lutter contre le terrorisme, de détruire l’organisation qui a planifié et organisé les attaques terroristes contre la France ; c’est ce que nous faisons, au sein de la coalition contre Daech, même si nous savons que ce combat contre le terrorisme durera longtemps et ne s’arrêtera pas à cette action militaire en Syrie et en Irak.

Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur le rôle de la Turquie dans le conflit syrien. Il faut d’abord rappeler que la Turquie est particulièrement exposée aux conséquences de ce conflit. Elle accueille sur son sol plus de trois millions de réfugiés. Elle est confrontée à une grande instabilité à sa frontière méridionale. Elle a, elle aussi, le droit de se défendre contre le terrorisme. Cette réponse doit cependant être proportionnée et se faire dans le cadre de la légalité internationale. Jean-Marc Ayrault sera en Turquie au début de la semaine prochaine et mènera des consultations approfondies sur ces points.

Vous m’avez également interrogé sur le suivi politique des opérations. Il est naturellement indispensable. Malgré les difficultés, nous disposons d’expériences positives à ce sujet au Mali, où un accord de paix a été signé, et en République centrafricaine – Jeanny Lorgeoux a insisté sur ce point, qu’il a illustré avec beaucoup de précision –, où une transition politique a pu s’accomplir. C’est le sens de la réunion sur la stabilisation de Mossoul que la France accueillera demain au niveau ministériel.

Nous devons tout faire pour que, dans les zones libérées de Daech, s’installe une gouvernance inclusive, où chaque communauté puisse trouver sa place et qui soit susceptible de délivrer les services de base dont la population a besoin. Et je n’oublie pas l’aspect humanitaire. La France se mobilise pour épargner le plus possible de souffrances aux populations civiles de Mossoul et pour leur apporter toute l’aide humanitaire nécessaire. Nous travaillons avec la communauté internationale pour faire en sorte que 750 000 réfugiés puissent être accueillis autour de Mossoul.

Vous m’avez interrogé – je pense en particulier à M. Joël Guerriau – sur le phénomène des combattants terroristes étrangers présents sur le théâtre syro-irakien et dont certains sont de nationalité française. À cet égard, je commencerai par dire que, grâce à nos efforts pour prévenir les départs et pour assurer un traitement judiciaire approprié des retours, le flux de ressortissants français ayant combattu dans les rangs de Daech et qui reviennent sur notre territoire est aujourd’hui maîtrisable. Toutefois, nous devons naturellement nous assurer que chaque retour est pris en compte par l’institution judiciaire – et je n’oublie pas les familles, en particulier, les enfants en bas âge, qui doivent faire l’objet d’une prise en charge appropriée.

À la suite de Jean-Marc Ayrault dans son intervention liminaire, vous avez souligné, monsieur le vice-président Jacques Gautier, messieurs Robert del Picchia, Joël Guerriau et Jean--Noël Guérini, l’importance d’une Europe de la défense forte et efficace pour faire face à nos défis communs. C’est un sujet qui me tient à cœur, vous vous en doutez.

Cela a été rappelé par Jean-Marc Todeschini, l’Union européenne s’est dernièrement dotée d’une stratégie globale de sécurité qu’il convient maintenant de mettre en œuvre de façon concrète pour disposer des capacités militaires projetables, ce qui renvoie à la nécessité de projets multinationaux ambitieux, mais aussi à la capacité de financer nos opérations communes. La France a présenté, conjointement avec l’Allemagne, des propositions communes de relance de l’Europe de la défense que nous espérons concrétiser au Conseil européen de décembre prochain.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la France dispose d’un système de décision politique qui lui permet de décider, si nécessaire dans l’urgence, d’opérations extérieures lorsque nos intérêts de sécurité sont en jeu. C’est l’esprit de nos institutions, comme l’a rappelé le vice-président Gautier. Cela ne dispense cependant pas de garantir à la représentation nationale un rôle central.

Vous êtes saisis de chaque nouvelle intervention de nos forces armées à l’étranger. Vous adoptez également la programmation militaire, qui détermine le format de nos forces et le contrat opérationnel pluriannuel de nos armées – Jean-Marc Todeschini est revenu sur ces points. Enfin, vous confirmez ces choix structurants par le vote annuel du budget de la défense et le vote pluriannuel de la loi de programmation militaire. Vous êtes les garants de l’adhésion de la nation aux choix politiques et stratégiques qui engagent notre pays. C’est ce qu’a reflété notre débat d’aujourd’hui. Je souhaite, pour ma part, que ce mode d’association de la représentation nationale à nos interventions extérieures se poursuive à l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les opérations extérieures de la France.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2016.

6

Mises au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard.

M. Pascal Allizard. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 31, mon collègue Daniel Chasseing a été comptabilisé comme votant pour, alors qu’il souhaitait voter contre.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Cornano.

M. Jacques Cornano. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 37 sur l’ensemble du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, mon vote a été enregistré comme favorable alors qu’il était défavorable.

Mme la présidente. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique des scrutins.

7

Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016.

Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, Brexit, agenda post-Bratislava, réponse à la crise migratoire, politique commerciale, relations avec la Russie, le Conseil européen qui se tiendra jeudi et vendredi à Bruxelles a un agenda particulièrement lourd et sera donc important.

Important, il le sera d’abord parce qu’il s’agira du premier Conseil européen en présence de Theresa May, qui aura donc l’occasion de préciser ses intentions sur le calendrier et les modalités de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Le 2 octobre dernier, lors du congrès de son parti, la Première ministre britannique a annoncé que son gouvernement activerait l’article 50 « avant la fin mars 2017 ». Cela montre que la fermeté et la clarté sur la procédure et le calendrier étaient nécessaires après le référendum britannique. Ce calendrier permettra, comme nous le souhaitions, que la sortie du Royaume-Uni soit effective avant le renouvellement, au milieu de l’année 2019, du Parlement européen et de la Commission européenne.

La négociation sur la sortie du Royaume-Uni, comme sur les relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, ne commencera pas avant le déclenchement de l’article 50. Nous avons d’ores et déjà posé un certain nombre de principes sur lesquels le Président de la République s’était exprimé dès le lendemain du référendum et qui sont désormais repris par les Vingt-Sept.

Premier principe : il ne peut y avoir de prénégociation avant l’activation par le gouvernement britannique de l’article 50.

Deuxième principe, qui guidera les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne : il y aura un lien entre les quatre libertés du marché unique, à savoir la libre circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes. L’accès du Royaume-Uni au marché intérieur européen sera donc conditionné par la liberté de circulation des citoyens européens au Royaume-Uni. À défaut de satisfaire à cette condition, il faudra conclure un autre type d’accord commercial.

Troisième principe : si le Royaume-Uni souhaite, dans le cadre de la négociation, conserver l’accès au marché intérieur, comme à certaines politiques communes, il lui faudra respecter un certain nombre d’obligations et de règles. De plus, une contribution financière lui sera demandée. Certes, cette négociation n’a pas commencé et l’on ne peut donc pas préjuger le type de relations que le Royaume-Uni voudra négocier avec l’Union européenne. Au regard de ce que sont les relations avec d’autres États tiers voisins, on peut toutefois constater que l’accès à une partie du marché intérieur européen ou la participation à des politiques européennes est forcément assorti d’une contribution financière.

Chacun se prépare à cette négociation – les Britanniques, l’Union européenne, nous-mêmes. Je veux simplement insister sur un point : il s’agit non de punir, mais d’être dans la clarté et de préserver les intérêts de l’Union européenne, son intégrité et sa cohésion. Il est clair que, lorsque l’on est à l’extérieur, ce n’est pas la même chose que lorsque l’on est à l’intérieur. On ne peut pas conserver les mêmes avantages sans supporter les obligations ! C’est évidemment très important pour l’avenir de l’Union.

L’avenir de l’Union sera précisément l’un des points de discussion lors du Conseil européen, qui sera le premier à se tenir après la réunion à vingt-sept des chefs d’État ou de gouvernement à Bratislava. Même si le Brexit est un sujet très important, qui nécessitera beaucoup d’attention, il n’est pas et ne doit pas être tout l’agenda européen.

Le Conseil européen fera donc le point sur la mise en œuvre de la feuille de route adoptée à Bratislava, avec le constat de premières avancées obtenues ces dernières semaines. Je pense, en particulier, au lancement du corps européen de garde-côtes et de gardes-frontières, au prolongement du plan Juncker ou encore à l’adoption en cours du plan d’investissement extérieur.

Le Conseil européen reviendra plus particulièrement sur quelques questions prioritaires.

La première reste la réponse européenne à la crise migratoire. Si le nombre des migrants arrivés en Europe via la Méditerranée orientale a connu une nette baisse, sous l’effet de la fermeture de la route des Balkans et de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, la situation en Méditerranée centrale, au large de la Libye, reste marquée par un nombre important d’arrivées, en hausse légère par rapport à 2015 – de même niveau qu’en 2014 –, et, surtout, par un dramatique trafic meurtrier d’êtres humains, avec des naufrages qui se poursuivent. Cela crée une situation difficile pour l’Italie, qui accueille actuellement au total plus de 160 000 réfugiés et migrants dans des centres sur l’ensemble de son territoire.

Même si les arrivées sont beaucoup moins nombreuses, la situation en Grèce est, elle aussi, difficile, car les centres d’accueil dans les îles sont saturés. Nous devons donc poursuivre nos efforts dans la voie d’une réponse collective qui soit à la fois solidaire, responsable et crédible.

Le déploiement, depuis le début de ce mois, du corps de gardes-frontières et de garde-côtes européens marque, je le disais, une étape importante dans le renforcement du contrôle de nos frontières extérieures. C’était, vous le savez, une priorité pour la France, car la soutenabilité et la pérennité de l’espace Schengen impliquent que les frontières extérieures soient bien protégées, que leur contrôle soit efficace et sécurisé. Cette mission, l’agence FRONTEX ne pouvait la conduire pleinement, car elle ne disposait pas jusqu’à présent du mandat nécessaire et des capacités suffisantes.

La Commission européenne, le Parlement européen et les États membres se sont donc mis d’accord, en moins d’un an, pour que la nouvelle agence, disposant de prérogatives et d’effectifs accrus, puisse être mise en place.

Mais notre conviction est que l’Europe doit encore poursuivre ses efforts en matière de renforcement des frontières extérieures communes. Dans ce domaine particulier, je voudrais mentionner nos deux priorités principales.

Premièrement, la conclusion rapide de la révision du code frontières Schengen rendra possible le contrôle systématique et coordonné de tous les voyageurs franchissant les frontières extérieures de l’Union européenne. Nous souhaitons un accord sur ce sujet avant la fin de cette année. Nous attendons par conséquent du Parlement européen qu’il permette l’adoption rapide de cette législation.

Deuxièmement, nous désirons que la Commission européenne puisse présenter dans les meilleurs délais sa proposition de création d’un système européen d’autorisation et d’information concernant les voyages, baptisé ETIAS, du même type que le système électronique américain d’autorisation de voyage, ESTA. L’objectif de ce mécanisme est de recueillir, avant leur départ, les informations concernant les voyageurs provenant de pays tiers exemptés de visa, afin de déterminer si, d’une part, ils remplissent les conditions requises pour se rendre dans l’espace Schengen et si, d’autre part, ils présentent un risque en matière de sécurité ou sur le plan migratoire. Cet outil supplémentaire est aujourd’hui, selon nous, indispensable pour la maîtrise de nos frontières extérieures.

Une politique migratoire efficace à l’échelle européenne passe aussi par le renforcement de la lutte contre les filières d’exploitation de l’immigration illégale, en particulier en Méditerranée centrale. C’est pourquoi la lutte contre les passeurs et les trafics a été renforcée, notamment par l’élargissement du mandat de l’opération maritime EUNAVFOR MED/Sophia.

Parallèlement au secours des naufragés en mer, le retour de ceux qui ne relèvent pas de l’asile doit être accéléré. Nous devons également agir sur les causes profondes des migrations, notamment en Afrique. Dans cet objectif, l’Union européenne va nouer avec l’Éthiopie, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Nigeria des pactes migratoires, destinés à mobiliser davantage de ressources pour financer des projets de développement et de stabilisation.

Ces premiers pactes devraient être finalisés en vue du Conseil européen du mois de décembre. Il nous paraît préférable de concentrer, dans un premier temps, ces partenariats sur quelques pays prioritaires, à savoir ceux que j’ai énumérés à l’instant, de façon à s’assurer de l’efficacité de ces dispositifs avant de les étendre progressivement à d’autres pays. Dans ce cadre, l’ensemble des outils dont dispose l’Union, notamment les politiques de développement et de commerce, doivent être mis à contribution pour la réussite de ces partenariats.

De même, nous devons rapidement avancer sur le plan d’investissement extérieur présenté par la Commission européenne au mois de septembre. L’idée est de faire bénéficier la coopération extérieure d’une sorte de plan Juncker. Ce plan devrait se voir attribuer 3,35 milliards d’euros en provenance du budget de l’Union et du Fonds européen de développement. Son objet sera de stimuler les investissements en Afrique et dans les pays voisins de l’Europe.

Nous soutenons fortement cette initiative, qui s’inscrit dans le cadre des décisions prises au sommet de La Valette entre l’Union européenne et les pays d’Afrique. Comme la Haute Assemblée l’a souvent souligné, le soutien au développement est une condition essentielle pour agir avec efficacité sur les causes des migrations. Nous sommes convaincus que l’Europe doit, à l’avenir, investir massivement dans ses relations avec le continent africain et dans le développement de l’Afrique.

M. Charles Revet. C’est une certitude !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Enfin, concernant la réponse à la crise migratoire, j’évoquerai l’accord entre l’Union européenne et la Turquie.

Au cours des derniers mois, cet accord, ainsi que la fermeture de la route des Balkans, a conduit à une diminution importante des traversées en mer Égée. Cette tendance semble perdurer, puisque les flux observés sur la route des Balkans restent faibles, de l’ordre de 80 personnes par jour en moyenne depuis le mois de juin.

La Grèce fait néanmoins toujours face à la saturation de ses centres d’accueil. Selon les autorités grecques, environ 60 000 migrants sont actuellement bloqués dans ce pays, dont 14 500 dans les îles. Cette situation requiert l’implication de tous les États membres : ils doivent se montrer solidaires, notamment pour aider le Bureau européen d’appui en matière d’asile, ou EASO, qui traite les demandes d’asile, non seulement pour soutenir le système d’asile grec, mais aussi pour mettre en œuvre les relocalisations de ceux des réfugiés qui se voient accorder le droit à l’asile en Europe.

La France est le premier pays pour ce qui concerne le nombre de relocalisations effectuées à partir de la Grèce : depuis le 1er janvier, elle a accueilli 1 756 Syriens, Irakiens et Érythréens.

Cela étant, tous les États membres doivent respecter leurs engagements. Pour notre part, dans le cadre de la relocalisation de 160 000 réfugiés au cours des deux prochaines années, nous nous sommes engagés à en accueillir 30 000, provenant tant de la Grèce que de l’Italie. D’autres États membres ont également des obligations ; à mes yeux, c’est vraiment la moindre des solidarités que nous devons à la Grèce et à l’Italie.

S’agissant de la mise en œuvre de la feuille de route relative à la libéralisation du régime des visas, je veux rappeler qu’elle ne pourra intervenir que si les 72 critères fixés à la Turquie sont respectés. Un de ces critères, en particulier, a trait à la révision d’une loi de lutte contre le terrorisme. Il faut en outre que la clause de sauvegarde révisée soit adoptée. Ce point tout à fait important vise d’ailleurs, au-delà de la Turquie, l’ensemble des pays concernés par la libéralisation éventuelle du régime des visas.

Nous avons donc avancé, au cours des derniers mois, dans plusieurs domaines. Pour autant, la réponse européenne à la crise migratoire doit continuer à être mise en œuvre d’une façon résolue et durable, dans sa globalité, par un renforcement de nos dispositifs dans tous les domaines : contrôle des frontières, lutte contre les passeurs, retour de ceux qui ne sont pas admis, accueil et relocalisation dans les pays européens de ceux qui se voient accorder le statut de réfugiés, ainsi que coopération et soutien aux pays d’origine et de transit.

Le Conseil européen verra également se tenir un débat important sur la politique commerciale. L’Union européenne est la première puissance commerciale au monde, et elle le restera même après le Brexit. Une politique commerciale forte est nécessaire à la défense de nos intérêts ; c’est aussi un levier d’action majeur pour l’Union européenne sur le plan de la mondialisation. Nous en sommes convaincus, le dynamisme commercial de l’Union peut, et doit, être une source d’emplois, de croissance et d’opportunités pour les entreprises européennes, notamment pour les PME.

La France est par conséquent favorable à l’ouverture des échanges, car elle est une grande puissance commerciale, mais cette ouverture doit se faire sur la base de la réciprocité, dans la transparence, pour ce qui est des négociations, et dans le respect des biens publics, de l’environnement, du droit social et de ce que l’on appelle souvent notre exception culturelle.

Les accords bilatéraux de libre-échange ne doivent pas être négociés aux dépens de nos intérêts, de notre capacité à réguler, ou de nos normes sociales et environnementales, qui sont évidemment d’un haut niveau en Europe. Ce débat au Conseil européen devra donc permettre de clarifier et de garantir les principes d’une politique commerciale robuste, grâce à laquelle nous pourrons tirer parti des échanges avec le reste du monde, mais ce dans des conditions régulées et équilibrées, qui ne jouent pas au détriment de l’Europe, de ses entreprises, de ses agriculteurs et de ses travailleurs.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. À ce titre, l’accord économique et commercial global, ou CETA, négocié avec le Canada, est particulièrement important. Nous considérons que, après de longues années de négociations, nous sommes parvenus à un bon accord. Par exemple, la reconnaissance par le Canada, dans le cadre de cet accord, des indications géographiques protégées françaises est évidemment très importante pour notre agriculture.

C’est pourquoi la France est favorable à l’entrée en vigueur de ce traité, comme le Premier ministre l’a rappelé lors de son déplacement au Canada la semaine dernière. Tous les États membres, à l’exception de la Belgique, sont désormais en mesure de donner leur accord à la signature et à l’application provisoire du CETA. Deux autres États membres, la Roumanie et la Bulgarie, ont suspendu leur accord final pour une raison qui ne tient pas au contenu du traité lui-même, à savoir l’adoption par le Canada de restrictions, en matière de visas, vis-à-vis de ces deux pays de l’Union européenne.

Sur le contenu même de l’accord, une déclaration interprétative et plusieurs déclarations nationales ont été rédigées et auront une valeur juridique contraignante. De ce fait, les réserves qui pouvaient encore exister dans plusieurs États membres, notamment en Allemagne, ont été levées. Cette déclaration interprétative ainsi que les débats qui vont se poursuivre avec la Belgique permettront de répondre aux préoccupations exprimées par des parlements régionaux belges. Nous espérons que se dégage un accord unanime le plus rapidement possible.

Quant au partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, ou TTIP, en négociation avec les États-Unis, il faut être clair : les discussions n’ont pas fait apparaître de mouvements suffisants de la part des États-Unis pour que les conditions nécessaires à un accord ambitieux et équilibré soient réunies. Il convient de sortir de la situation de blocage actuelle pour repartir, le moment venu, sur de nouvelles bases.

Notre objectif reste de conclure un accord mutuellement bénéfique lorsque les conditions seront réunies. Toutefois, cela nécessite de prendre du recul et de réfléchir collectivement sur la manière dont ces négociations pourront être réengagées.

Nous voulons également que le prochain Conseil européen se saisisse de la question des pratiques de concurrence déloyale et que toutes les mesures soient prises pour y répondre. Des milliers d’emplois européens sont en jeu. C’est pourquoi les instruments de défense commerciale devront être renforcés. Nous veillerons à ce qu’une attention particulière soit accordée à la situation de l’industrie sidérurgique, qui est certes confrontée à des problématiques de surcapacités, mais aussi à une concurrence déloyale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, lors de ce Conseil européen, d’autres questions importantes seront par ailleurs abordées.

Le Conseil tiendra notamment un débat stratégique sur nos relations avec la Russie. Ce débat est prévu de longue date. Il vise à penser nos relations avec ce partenaire, lesquelles doivent se développer dans le cadre du droit international et de nos intérêts mutuels. Il interviendra au lendemain de deux moments diplomatiques importants : un sommet au « format Normandie », qui se tient en ce moment même à Berlin, et une rencontre entre le Président de la République, la chancelière Merkel et le président Poutine qui portera sur la Syrie, dans le contexte dramatique des bombardements sur Alep du régime syrien et des soutiens de celui-ci.

Le veto que la Russie a opposé à la résolution que la France avait déposée, au début du mois d’octobre, au Conseil de sécurité des Nations unies, en faveur d’une cessation des hostilités et d’une trêve, a montré une attitude qui n’était ni de compromis ni de détente.

L’Europe doit répondre à cette situation avec unité et fermeté. Nous devons vigoureusement soutenir une démarche coordonnée pour ce qui concerne l’aide humanitaire, dans la lignée de l’initiative d’urgence humanitaire annoncée par Mme Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune. Mais nous devons dans le même temps rester très fermes vis-à-vis du régime syrien et de ses soutiens, donc de la Russie, pour que des négociations sur l’avenir de la Syrie puissent véritablement se nouer. Avant tout, la trêve doit être durable et la population doit se voir épargner ces bombardements et recevoir accès au soutien humanitaire.

Enfin, ce Conseil européen sera également l’occasion de saluer la ratification par l’Union de l’accord de Paris issu de la COP 21. Cette ratification a permis l’entrée en vigueur de cet accord. Cette dynamique doit désormais se poursuivre.

Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, les échéances sont nombreuses sur l’agenda de l’Union européenne. La feuille de route décidée à Bratislava doit conduire notre action et nous permettre de mettre en œuvre une véritable relance européenne. Il est de notre responsabilité d’être l’un des moteurs de cette relance. Mais c’est aussi dans notre intérêt, car la France a besoin d’une Europe forte, à même de répondre aux défis et aux urgences qui se présentent à elle, et dont la voix porte sur la scène internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. M. le président de la commission des affaires européennes et M. le vice-président de la commission des affaires étrangères applaudissent également.)