Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la communauté musulmane française est la première d’Europe. Elle représente 7,5 % de la population. L’islam est aujourd’hui la deuxième religion de France après le catholicisme. Il est donc tout à fait légitime que le Sénat s’empare de ce sujet.
Dans le contexte de progression d’un islam rigoriste et totalitaire qui bafoue les règles de la République, la mission sénatoriale a cherché à établir un état des lieux de la communauté musulmane en France. Puis elle s’est posé la question de savoir comment concilier la liberté du culte musulman avec la laïcité et avec le principe constitutionnel d’égalité entre les femmes et les hommes.
La mission d’information a mis en évidence la place que les pays d’origine ont dans l’organisation du culte musulman dans notre pays, qu’il s’agisse des rapports avec les mosquées et les associations cultuelles et culturelles qui les gèrent, ou de la désignation et de la rémunération des imams exerçant en France.
Le rapport le montre, il existe non pas un islam de France, mais une diversité d’islams diffusés par des États étrangers. Cette multiplicité des acteurs contribue à la complexité de la compréhension de l’islam en France et alimente une certaine suspicion, notamment en ce qui concerne les financements venus de pays étrangers, financements qui manquent de transparence. Imagine-t-on la France financer les cultes chrétiens dans tel ou tel pays musulman ?
Il est nécessaire d’organiser le financement du culte musulman de manière transparente et totalement affranchie de l’influence des pays étrangers au travers de la Fondation pour les œuvres de l’islam de France.
Pour construire un islam de France, le rapport met un autre aspect important en évidence : la formation des imams et des aumôniers.
La plupart des imams exerçant en France sont étrangers. Plus de 300 sont directement financés par des États étrangers. Il s’agit le plus souvent d’imams de la communauté d’origine des mosquées. Ces imams peinent quelquefois à maîtriser la langue française. Formés à l’étranger, ils connaissent peu le contexte social et culturel de notre pays, et apparaissent en décalage avec la population musulmane, qui est française à 75 %.
Je regrette que la mission d’information n’ait pas repris ma proposition de mettre en place un diplôme universitaire destiné aux imams et, plus largement, à l’ensemble des cadres religieux formés à l’étranger. L’obtention de ce diplôme universitaire conditionnerait leur exercice du culte sur le territoire. Les enseignements porteraient sur la langue française, mais aussi sur notre culture et les valeurs de la République. Ce cursus permettrait d’aborder les grands principes que sont la laïcité, l’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre les discriminations, mais aussi l’histoire de la Shoah.
Le troisième aspect que je souhaite aborder concerne la formation des aumôniers.
L’aumônerie permet d’encadrer l’expression des convictions religieuses et de garantir la liberté de culte des usagers du service public. Depuis le décret du 6 février 1991, les aumôniers sont des contractuels des établissements dans lesquels ils interviennent. Les directeurs des établissements publics nomment les aumôniers sur proposition des autorités religieuses puis l’administration les agrée. En revanche, rien n’est prévu au sujet de leur formation.
Il est nécessaire que l’État prenne en charge la formation des aumôniers, qui sont des agents publics, et qu’il appuie la féminisation dans ce secteur en facilitant le recrutement d’aumônières.
Le rapport suggère une uniformisation du statut des aumôniers avec une procédure d’agrément homogène, une formation théologique et civique, un régime de protection sociale mieux défini et une rémunération pour les aumôniers qui n’exercent pas d’autres activités.
Pour ma part, j’estime que l’État pourrait mettre en place une formation accueillant des étudiants aumôniers chrétiens, juifs et musulmans. Cette formation comprendrait un tronc commun destiné, comme pour les imams, aux futurs aumôniers de chacune de ces religions. Parallèlement, une spécialité par religion serait enseignée. Le cursus serait élaboré de manière conjointe par l’État et les institutions représentatives des principaux cultes.
Le dernier sujet que je souhaite aborder concerne l’enseignement privé, qui connaît une progression constante. Je comprends la demande des parents. Toutefois, ces écoles privées doivent répondre aux mêmes obligations que les autres filières du système éducatif.
La mission d’information a auditionné le directeur de l’école Averroès à Lille.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Chantal Deseyne. Or un professeur de philosophie ayant démissionné de cet établissement expliquait au Figaro le 6 avril dernier : « Sous couvert d’un projet éducatif républicain, le lycée Averroès pratique un double jeu et diffuse, de manière sournoise, une conception qui est celle des Frères musulmans. » Cette situation interpelle la parlementaire que je suis.
Il me semble nécessaire de contrôler plus régulièrement tant les contenus que les valeurs véhiculées par les établissements privés musulmans, et d’étendre cette mesure à tout établissement confessionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Giudicelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Colette Giudicelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en quelques dizaines d’années, notre pays a vu son paysage confessionnel changer en profondeur.
Nous avons notamment assisté à une montée de l’islam, qui a pris une place plus visible dans notre société. Il était donc important de réaliser un état des lieux de l’islam en France.
Notre mission a décidé de s’inscrire dans le strict respect de la loi de 1905 : cette loi de séparation des églises et de l’État a en effet su instaurer un équilibre fragile qu’il convient absolument de préserver.
Mais, pour que le travail réalisé puisse être tout à fait complet, il nous a, à mon sens, manqué quelques éléments : je regrette l’absence de données fiables sur le nombre de musulmans en France, sur le nombre de pratiquants et même sur le nombre d’imams exerçant sur le territoire.
Il y a quelques années, dans l’étude Trajectoires et Origines, le nombre de musulmans en France était estimé à 2,1 millions, mais ce chiffre ne prenait en compte ni les moins de 18 ans ni les plus de 50 ans. D’ailleurs, l’Institut national d’études démographiques rehausse régulièrement ses précédentes estimations…
Il y aurait donc aujourd’hui 4 millions de musulmans dans notre pays selon les services du ministère de l’intérieur. Toutefois, pour Amar Lasfar, président de l’Union des organisations islamiques de France, les musulmans représenteraient de 5 millions à 6 millions de personnes. Les pratiquants seraient 41 % selon un sondage de l’IFOP.
Cette méconnaissance des chiffres crée plusieurs difficultés.
En premier lieu, et cela me gêne, elle laisse la porte ouverte aux extrémistes qui avancent régulièrement des chiffres fantaisistes allant de 8 millions à 12 millions selon les sources. L’absence de données fiables alimente tous les fantasmes et laisse le champ libre aux thèses dangereuses comme celles du « grand remplacement » ou de l’invasion arabo-musulmane, phénomènes auxquels, selon certains, notre pays serait confronté.
En second lieu, elle réduit la possibilité de conduire de manière efficace les politiques publiques.
Dans leur rapport d’information sur la lutte contre les discriminations, Jean-René Lecerf et Esther Benbassa indiquent que « disposer de données statistiques précises sur la composition de la société française est un préalable indispensable ».
Depuis de nombreuses années, la question de savoir s’il convient ou non d’autoriser les statistiques ethniques et de réformer la loi Informatique et libertés de 1978 est en débat.
Même si la Constitution a posé certaines limites, il me semble qu’il faut aller plus loin qu’une enquête de l’INSEE tous les quatre ans, comme le proposent nos rapporteurs, pour « mieux connaître » la population musulmane. Si l’islam est effectivement la deuxième religion de France, il est souhaitable de relancer la question des études sur l’origine des personnes ou sur leur religion afin de pourvoir aborder en toute sérénité et de manière fiable les évolutions démographiques.
Ma seconde observation porte sur les instances de dialogue entre l’État et l’islam. Il semble indispensable que les pouvoirs publics aient des interlocuteurs représentatifs.
Le financement de la construction de mosquées, la formation et le statut des imams, les questions liées à l’abattage rituel, la lutte contre la radicalisation sont autant de sujets qui imposent un dialogue entre des représentants du culte musulman et les pouvoirs publics.
La création d’une instance représentative a été complexe. Depuis son origine en 2003, le Conseil français du culte musulman est contesté par plusieurs associations, dont l’Union des organisations islamiques de France, l’UOIF.
En 2015, le Gouvernement a décidé de créer une nouvelle instance de dialogue.
Il reste une question de fond : est-il vraiment de la responsabilité de l’État de mettre en place des structures représentatives de l’islam en France ?
Pour nos rapporteurs, la réponse est claire : « Il appartient aux communautés de s’organiser elles-mêmes dans le cadre de nouvelles modalités tenant davantage compte des exigences de représentativité. » Il faut donc continuer dans cette voie, réformer le CFCM en profondeur, en incitant un peu plus la majorité silencieuse des musulmans à s’impliquer dans la construction d’un islam de France.
Quel doit être le rapport de la France au religieux et en particulier au monde musulman ? Il y a urgence à apporter des réponses pragmatiques et tournées vers l’avenir, dans un respect qui doit être réciproque et en se fondant sur les principes immuables de notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. David Rachline. Madame la présidente, mon nom ne se prononce pas « Rakline ».
Monsieur le ministre, mes chers collègues, cette mission a permis de faire un certain nombre de constats que je partage pour partie. J’en sourirais si la situation n’était pas si grave, car voilà trente ans que le Front national dénonce, sous les avanies du monde politico-médiatique, des phénomènes que vous semblez découvrir aujourd’hui.
Par exemple, le rapport évoque les liens entre les musulmans et leur pays d’origine : c’est évidemment une préoccupation majeure, en même temps que la démonstration flagrante de l’échec total de la politique des tenants de l’intégration qui, en ne voulant pas entendre parler d’assimilation, ont créé des millions de déracinés.
On peut citer aussi l’évocation de l’absence de connaissance de la part des imams de notre culture, de notre histoire, voire de notre langue.
Pour le reste, permettez-moi, mes chers collègues, de regretter le ton un peu mièvre et la tiédeur générale qui ressort de ce rapport. Les dangers du communautarisme et du multiculturalisme ne disparaîtront pas avec des mesures ou des préconisations à l’eau de rose.
Il ne peut y avoir un islam de France qu’à partir du moment où celui-ci respecte notre identité, nos valeurs, nos mœurs et la loi de la République. Aujourd’hui, le système politico-religieux que véhicule le fondamentalisme musulman est en opposition complète avec la civilisation occidentale. Notre rôle est d’endiguer ce courant délétère. Nous n’en prenons pas le chemin…
Notre système occidental peut être résumé en trois points, aujourd’hui totalement remis en cause par les fondamentalistes musulmans : l’égalité entre l’homme et la femme ; le principe de la laïcité, qui distingue le religieux du politique sans imposer la négation du principe de transcendance ; enfin la liberté de conscience, qui induit la liberté de culte.
Ces trois points ne sont pas acceptés par l’islam radical. Or ils sont non négociables, car ils sont le fondement de l’organisation de notre société.
Face à cette situation, quatre points nous semblent impératifs : faire respecter la laïcité, combattre l’islam radical, redonner à notre modèle de société ses repères et contrôler les flux migratoires.
Faire respecter la laïcité signifie ne pas céder aux revendications communautaristes qui gangrènent nos territoires, nos quartiers, nos entreprises, nos piscines, nos hôpitaux. Nous préconisons une constitutionnalisation de la non-reconnaissance du communautarisme, l’interdiction de toute disposition discriminatoire, notamment dans les établissements financés par de l’argent public, la fin du financement public des associations ne respectant pas les valeurs de laïcité et, bien sûr, le financement des cultes par les fidèles ainsi que l’interdiction des financements étrangers.
Combattre l’islam radical, cela commence chez nous par la fermeture des mosquées radicales et l’expulsion des imams radicaux. Mais il faut aussi le combattre à l’étranger par une politique extérieure cohérente.
Redonner à notre société sa fierté, sa grandeur et ses repères permettra à notre modèle d’être attractif pour toutes les populations désormais sur notre territoire, afin qu’elles puissent adopter avec enthousiasme le modèle de société du pays qui les accueille.
Contrôler les flux migratoires est une nécessité, car nous savons que l’immigration d’aujourd’hui est à 80 % musulmane. Si on estimait le nombre de musulmans sur le sol français à 10 000 en 1905, les spécialistes s’accordent pour évaluer leur nombre à 7 millions ou 8 millions aujourd’hui. Cette explosion démographique est bien trop exponentielle pour envisager sereinement une assimilation.
Si ces quatre points ne sont pas mis en œuvre ensemble, débattre d’un islam de France ne résoudra rien.
M. Yannick Vaugrenard. C’est bâclé !
Mme la présidente. Je rappelle que ch suivi des consonnes l ou r se prononce [k], comme dans chlore ou chrome.
M. David Rachline. Pas dans le cas présent !
Mme la présidente. Nous sommes attachés à la langue française, à la manière dont elle s’écrit et se prononce ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le Sénat de nous avoir offert cet échange approfondi, intéressant, riche et dense sur la question de l’islam de France. Je salue également la qualité du travail accompli par la mission d’information.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Son rapport permet de faire avancer notre réflexion collective sur la construction d’un islam de France à un moment où le Gouvernement a décidé d’avancer sur cette question, d’élaborer des propositions et de conclure un certain nombre de débats qui sont sur le métier depuis longtemps.
J’ai particulièrement apprécié, et j’ai même été impressionné, par la convergence des propos entre les orateurs des différents groupes, à quelques exceptions près… Cela témoigne de la conscience que nous avons de la gravité du sujet et de notre volonté de le faire progresser dans un cadre responsable et consensuel.
Je souhaite répondre le plus précisément possible aux questions, toutes légitimes, que vous avez formulées, afin de poursuivre la réflexion. En effet, la construction d’un islam de France ne se réduira pas à la mise en œuvre des décisions prises par ce gouvernement. Ce sujet s’inscrira dans le temps long de l’histoire de la relation de la République à l’islam. Il faut que nous jetions les fondements d’une réflexion et d’une action qui puissent se poursuivre par-delà les échéances électorales qui se présentent à nous et même au-delà des prochains quinquennats. Ce sujet va nous mobiliser longtemps.
Le premier point sur lequel je voudrais insister est celui des principes. Le ministre de l’intérieur, ministre des cultes, est aussi le ministre d’un certain nombre de valeurs et de principes républicains sur lesquels il faut tenir des propos clairs. La réflexion que nous engageons collectivement doit s’inscrire dans un cadre qui ne doit pas souffrir d’ambiguïté.
Tout d’abord, il n’y a qu’une communauté, la communauté nationale, et qu’une loi, celle de la République.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ensuite, il y a un principe fondamental, qui est très lié à l’histoire politique de notre pays : le principe de laïcité. Sur ce principe, il faut aussi nous entendre dès lors que nous considérons qu’il n’y a qu’une communauté, la communauté nationale, et qu’une loi, la loi de la République.
Qu’est-ce que la laïcité ? Quel contenu devons-nous donner à ce concept, de manière à ce que nous soyons bien d’accord sur le cadre dans lequel doit s’inscrire la refondation de la relation entre la République et l’islam ?
La laïcité, c’est la possibilité de croire ou de ne pas croire et, dès lors que l’on a fait le choix de sa religion, d’être assuré, par les lois de la République, de façon intangible, de la pratiquer en toute liberté sans que l’intolérance de quiconque à l’intérieur de la société, fût-il fidèle de telle ou telle religion, ne puisse venir remettre en cause cette tolérance. Très concrètement, cela signifie que la République garantit la liberté religieuse ; ceux qui en bénéficient ne peuvent s’en prendre à la République dans ses principes ni dans ses fondements.
Deuxièmement, nous devons garantir le même traitement à toutes les religions dans la République.
Enfin, troisièmement, la laïcité ne peut être érigée en hostilité de principe au fait religieux ; j’y insiste, parce qu’il y a un débat sur cette question. La laïcité n’est pas une déclaration de guerre aux religions ; il s’agit, je le répète, d’un principe qui permet à chacun au sein de la République de faire le choix de sa religion et d’être assuré d’avoir la liberté de la pratiquer. Par conséquent, nul ne peut convoquer la laïcité contre telle ou telle religion. Aussi, tous ceux qui préemptent aujourd’hui la notion de laïcité, à laquelle nous tenons, pour en faire une arme de guerre contre, disons-le clairement, les musulmans de France, se trompent et ils en affaiblissent la portée.
Mme Éliane Assassi. Absolument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ainsi, lorsque certains préconisent l’interdiction totale des signes religieux dans l’espace public, il ne s’agit plus de laïcité mais d’une déclaration de guerre absolue à l’encontre des religions.
Les lois que nous nous sommes données en 1905, en 2004 et en 2010 ont un contenu. Si elles doivent être rigoureusement et absolument appliquées sans la moindre faiblesse, elles ne doivent pas non plus être dénaturées pour doter la laïcité d’un autre sens que celui que ses concepteurs entendaient lui donner.
En tant que ministre de l’intérieur, j’estime qu’il est de ma responsabilité, de mon devoir de républicain, de veiller strictement à cela, ce qui implique des actes fort simples. Ainsi, lorsque des individus détournent la loi de 2010 en se substituant à ceux qui doivent payer une amende pour rendre le texte inopérant, il est de mon devoir de l’empêcher.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est le sens de l’amendement que j’ai présenté au Parlement et qui a été adopté à une belle unanimité, ou presque, par le Sénat, ce dont je vous sais gré.
D’un autre côté, lorsque j’entends des personnes préempter la notion de laïcité pour lui faire dire autre chose que ce qui est prévu par les textes, il est également de mon devoir de rappeler le contenu de nos principes et que nous en débattions.
Ce cadre étant défini, que peut-on faire pour donner de la force à la relation entre la République et les musulmans de France ? Je voudrais présenter les choses clairement et simplement à ce sujet.
Plusieurs orateurs ont posé la question de la représentativité des instances de l’islam de France et celle du rôle que l’État peut ou doit jouer afin de donner à ces instances l’importance nécessaire pour entretenir une relation forte avec l’État. L’État peut-il s’occuper de la relation entre la République et l’islam de France ? Oui, selon moi, mais dans les limites de la loi de 1905. Pourquoi ? Parce que les musulmans se situent pleinement dans la République, mais qu’une infime minorité d’entre eux s’inscrit dans l’enfermement communautariste, considérant que les lois de la religion sont supérieures à celles de la République. Certains d’entre eux vont jusqu’à penser que les lois de la religion, qu’ils dévoient, justifient la violence à l’égard des principes républicains, d’où l’engagement de musulmans radicaux dans le terrorisme.
La République ne peut ignorer ce phénomène et elle ne peut s’exonérer de demander aux musulmans de France de prendre leurs responsabilités pour défendre absolument et puissamment les principes républicains, au moment où ils sont attaqués par les terroristes au nom d’une conception dévoyée de la religion.
Il n’y a donc pas d’antinomie entre, d’une part, la loi de 1905 et le principe de laïcité et, d’autre part, l’intérêt que la République porte à la question religieuse et à la place des musulmans dans la République. La République a même le devoir d’engager un dialogue approfondi et respectueux avec l’ensemble des musulmans de France pour que ceux qui veulent s’en prendre aux valeurs de la République au nom d’une religion soient stoppés dans leurs projets funestes et pour que la République soit plus forte que cette tentation.
Nous devons aussi le faire pour protéger les musulmans de France contre cette dérive dont ils sont aussi les victimes, parfois mêmes les premières. Le Premier ministre l’a souligné dans un très beau discours devant l’Assemblée nationale au mois de janvier 2015, nous ne voulons pas que, dans notre pays, les fidèles d’une religion aient peur et que les fidèles d’une autre religion aient honte.
Oui, nous avons ce devoir moral de nous attaquer à cette question et de la prendre à bras-le-corps ! Néanmoins, nous ne pouvons le faire en ignorant les principes et les lois de la République et nous, républicains, ne pouvons organiser le culte lui-même à la place des représentants du culte. Il n’est pas question de prendre la tête d’une association cultuelle dont le rôle serait d’établir la transparence dans le financement des mosquées et de la formation des imams. Ce que nous faisons par le dialogue ne doit pas nous conduire à nous substituer aux représentants des cultes eux-mêmes pour organiser l’islam de France.
Nous devons donc trouver un équilibre auquel nous devrons absolument nous tenir pour organiser correctement la relation entre la République et les musulmans de France. Quels sont les enjeux de ces questions et comment les traiter ?
Premier enjeu : nous devons donner de la force aux institutions représentatives de l’islam. Vous avez indiqué regretter que le Conseil français du culte musulman n’ait pas la représentativité que l’on pourrait en attendre. Or je viens d’affirmer qu’il n’appartient pas à l’État de s’occuper de l’organisation des cultes.
Nous avons donc trouvé, dans le respect rigoureux des principes de laïcité, un moyen profondément républicain et qui s’est révélé utile pour atteindre ce but. Vous l’avez souligné dans votre rapport – je vous en remercie –, nous avons créé une instance de dialogue permettant de sortir de la relation bilatérale entre l’État et le Conseil français du culte musulman afin d’associer d’autres acteurs à la réflexion collective. Ces derniers ont ainsi contribué, par un dialogue renforcé bien qu’inachevé, à donner plus de force au Conseil français du culte musulman, y compris dans sa relation avec l’État.
Grâce à l’élargissement de cette instance de dialogue, nos échanges réguliers avec M. Kbibech, le nouveau président du CFCM, et les membres de cet organisme au sujet de la relation de l’État à la religion musulmane sont beaucoup plus riches et plus denses qu’auparavant.
Deuxième enjeu sur lequel je veux insister : nous avons voulu que cette instance de dialogue, qui inclut le CFCM et n’est donc pas instaurée contre lui, permette d’aborder des questions non traitées de façon approfondie jusqu’à présent.
Prenons des exemples concrets. Après la publication d’un rapport confié, au sein du ministère de l’intérieur, à l’Inspection générale de l’administration sur les carrés confessionnels, nous avons réussi à faire des propositions ayant vocation à être appliquées.
Vous nous avez par ailleurs fait part, madame Deseyne, de votre regret que la mission n’ait pas repris à son compte l’idée de diplômes universitaires formant à la laïcité et aux principes de la République. Je veux vous rassurer à ce sujet : l’un des premiers sujets que nous avons évoqués au sein de l’instance de dialogue était la création de tels diplômes pour les ministres du culte aumôniers ayant vocation à être employés par les administrations de l’État. Il y avait six diplômes universitaires de ce type au moment de la création de l’instance de dialogue, il y en a quatorze aujourd’hui et il y en aura vingt en 2017.
Ce diplôme permet à ceux qui se préparent à être imams dans les aumôneries ou ailleurs et qui le souhaitent de recevoir un enseignement des valeurs de la République et du principe de laïcité. En outre, pour les aumôniers employés par l’État, l’obtention de ce diplôme est obligatoire. Ainsi, ce dont vous regrettez l’absence dans votre rapport existe déjà et est mis en œuvre par le Gouvernement. Votre rapport le présente même comme une avancée significative de la relation entre la République et les musulmans de France.
Par ailleurs, cette instance a permis d’aborder beaucoup d’autres questions, comme celle de l’abattage rituel.
Aujourd’hui, il nous faut aller beaucoup plus loin. C’est pourquoi nous avons conçu une nouvelle architecture au mois de juin, c’est-à-dire, monsieur Reichardt, avant la publication du rapport du Sénat. Néanmoins, ce rapport, que je trouve excellent, comporte un certain nombre d’éléments auxquels nous n’avions pas pensé et qui ont permis au Gouvernement d’affiner sa démarche. On peut ainsi constater au travers de ses propositions d’orientations que ce rapport traduit un travail de fond.
M. Jean-François Husson. Une fois de plus !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les analyses et les propositions qui en découlent m’ont ainsi conduit à affiner mon travail et à constater, une fois de plus, la qualité du travail sénatorial sur les sujets les plus compliqués.
Que préconisions-nous ? Premièrement, la mise en place d’une fondation pour l’islam de France qui, contrairement à celle qui l’a précédée, ne traitera pas de questions cultuelles. Il nous paraît en effet constitutionnellement délicat, eu égard aux principes de la loi de 1905, d’attribuer à cette fondation des fonds publics si elle traite de questions cultuelles. En outre, la fondation initiale, qui procédait d’une juste aspiration, avait été un échec que nous ne voulions pas reproduire. Enfin, il nous semblait intéressant que cette fondation traitant de questions culturelles et sociales fût en mesure de créer un pont entre les musulmans de France et la République sans se cantonner aux seules questions cultuelles.
Cela a donné lieu à un débat, mais j’assume cette position, qui me conduit à apprécier la nomination, à la tête de cette fondation, d’un grand républicain. Il travaillera avec des musulmans issus de plusieurs courants et de plusieurs secteurs de la société afin que cette fondation incarne bien notre volonté de créer un lien indestructible entre les musulmans de France et la République.
Le fait qu’il s’y trouve des républicains non musulmans et des musulmans résolument républicains est le signe que, en France, l’appartenance à la République prévaut et que c’est elle qui permet toutes les autres appartenances. Cette nomination avait donc un sens politique et l’interprétation selon laquelle cette décision perpétue, avec les musulmans de France, une relation tirée d’une période de notre histoire n’ayant plus cours ne correspond pas du tout à notre intention, qui était même inverse.
Cette fondation pourra donc s’intéresser à des sujets aussi divers que les œuvres sociales, la découverte des œuvres de l’islam, ses aspects culturels et pourra aussi contribuer au financement de la formation profane des imams. En effet, tout ministre du culte formé reçoit une formation profane, laquelle peut être financée par des acteurs comme cette fondation – c’est le financement de la formation théologique qui est impossible.
Cette fondation doit être créée avant la fin de cette année. Sa constitution se passe bien ; Jean-Pierre Chevènement rassemble actuellement autour de lui l’ensemble des acteurs concernés dans un souci de dialogue et d’écoute ; toutes les étapes juridiques du processus sont respectées pour que notre but soit atteint.
La deuxième préconisation est la création d’une association cultuelle pour régler la question, qui nous préoccupe et que vous avez tous évoquée à juste titre, mesdames, messieurs les sénateurs : la transparence du financement des mosquées et de la formation des imams. Cette association cultuelle aura vocation à n’être dirigée que par des représentants du culte. L’État n’a pas à y participer, car cette affaire ne concerne que les représentants du culte musulman, définissant entre eux les modalités du financement des mosquées et de la formation des imams.
À ce sujet, plusieurs questions ont été posées.
Tout d’abord, la redevance ou la taxe sur le halal. Il n’est pas possible, comme l’un d’entre vous le suggérait, de financer par une telle taxe les mosquées ou la formation des imams, pour une raison constitutionnelle incontournable. En revanche, Mme Benbassa y insistait à juste titre, il est tout à fait possible de définir avec les acteurs de cette filière une modalité de leur contribution à l’association cultuelle de sorte à assurer les ressources de cette association et le financement par ses soins de la construction de mosquées ou de la formation des imams.
Quid, ensuite, des financements étrangers ? Tant la fondation que l’association ne recevront que des fonds français, mais, je le rappelle, l’interdiction complète du financement étranger pour le culte musulman n’est pas possible au regard des principes de notre droit puisque d’autres religions reçoivent des fonds étrangers.