M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, rapporteur. (Applaudissements sur de nombreuses travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, né de l’effroi suscité par les terribles attentats de 2015 et de la question terrifiante qu’ils ont posée à toute la Nation – comment des enfants de France peuvent-ils avoir pour seul dessein sa destruction ? –, le projet de loi « Égalité et citoyenneté » répond à l’objectif ambitieux de renforcer la cohésion de la société française en encourageant l’engagement civique – tout particulièrement celui des jeunes, en les accompagnant vers l’autonomie – et en luttant contre les discriminations.

Les titres Ier et III de ce texte, que je suis chargée de rapporter, pourraient rassembler, autour de ce constat alarmant d’une désintégration de notre société, laquelle n’a cessé d’ériger en valeurs suprêmes la liberté et les droits individuels, au détriment de la responsabilité et de la solidarité réelle.

Le Premier ministre disait très justement, en mars 2015, que « pour une majorité de nos concitoyens, la République est devenue souvent une illusion ».

Le Président du Sénat, dans son excellent rapport de 2015, intitulé « La Nation française, un héritage en partage », a formulé une série de propositions destinées à renforcer l’appartenance républicaine, affirmant avec raison que la nation française constitue un héritage à partager, qu’il nous appartient de faire vivre et de transmettre.

Mais le présent projet de loi a fait l’objet d’un véritable emballement, passant de 41 à 217 articles après son examen par l’Assemblée nationale. Il a dérivé, pour devenir un texte obèse et hétéroclite, un cabinet de curiosités, un « leboncoin » législatif, en quelque sorte (Sourires et applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.), traitant de sujets aussi divers que les cantines, les ordonnances de Charles X ou les auberges de jeunesse.

II a tant dérivé que, dans l’exercice de ma mission de rapporteur, j’ai eu à plusieurs reprises l’impression de perdre le fil du propos initial, tout comme, d’ailleurs, j’ai perdu de vue, au cours de l’été, la secrétaire d’État chargée de l’égalité réelle ! (Rires sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

La nécessité s’est donc imposée de définir une méthode rigoureuse pour l’étude de ce texte.

Avec le président Lenoir, nous avons proposé une méthode fondée sur six critères.

Premièrement, il s’agissait de recentrer le projet de loi sur son objectif initial, en écartant les dispositions sans lien avec le texte.

Deuxièmement, il convenait de n’adopter que des dispositifs réalistes, qu’il était possible, au regard des moyens de l’État, de mettre en œuvre.

M. Charles Revet. Très bien ! Voilà qui est sérieux !

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Ainsi, le service civique universel est une chimère, sachant que l’État peinera déjà à accueillir en service civique la moitié d’une classe d’âge à la fin de 2017 et au début de 2018.

Troisièmement, nous devions supprimer les dispositions relevant du pouvoir réglementaire et les très nombreuses demandes de rapport.

Quatrièmement, il fallait veiller à ne pas imposer de nouvelles contraintes, souvent irréalistes, à nos compatriotes, aux entreprises, aux collectivités.

Cinquièmement, il importait de ne pas revenir sur des dispositions adoptées récemment par le Sénat lors de l’élaboration des lois NOTRe, Macron, « Travail » ou « Création et patrimoine », dont certaines ne sont même pas encore mises en œuvre.

Sixièmement, nous devions affirmer notre rôle de législateur responsable en refusant que le Sénat soit une simple chambre d’enregistrement. C’est le sens de notre proposition exigeante de contrôle renforcé et sécurisé de la procédure d’ouverture d’une école.

Notre rigueur est conforme à l’appel – devrais-je dire le rappel ? – du Conseil d’État du 27 septembre dernier invitant à changer de culture législative, à résister à la pression des événements, à mettre fin à ce qu’il appelle « l’emballement législatif et réglementaire », qui produit chaque année un million de mots supplémentaires.

Fidèles à cette ligne de conduite, et appliquant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, nous avons déclaré irrecevables soixante-quatre amendements dont les dispositions étaient sans lien avec le texte.

M. Jean-Pierre Sueur. Avec beaucoup de zèle !

Mme Françoise Gatel, rapporteur. La commission l’a fait avec respect et rigueur, monsieur Sueur,…

M. Jean-Pierre Sueur. J’espère bien !

Mme Françoise Gatel, rapporteur. … sans préjugé sur leur objet ni sur la qualité ou l’appartenance politique de leur auteur.

À cet instant, mes chers collègues, je ne peux pas ne pas évoquer la polémique créée autour de la déclaration d’irrecevabilité du dispositif relatif au délit d’entrave numérique à l’IVG, l’interruption volontaire de grossesse.

Si la commission spéciale n’avait pas déclaré l’irrecevabilité, cette disposition aurait pu être censurée d’office par le juge constitutionnel, comme cela avait été le cas pour le projet de loi Macron. Je le dis avec gravité : les insinuations de vilenie, les affirmations mensongères concernant l’influence de lobbies, les imputations d’esprit réactionnaire, voire obscurantiste, sont intolérables. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Permettez-moi d’exprimer, avec beaucoup de respect, un réel étonnement.

Si des délits d’entrave numérique à l’IVG sont effectivement constatés et d’ampleur, pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas inscrit cette incrimination dans le texte initial (Mme Françoise Laborde et M. Jacques Mézard approuvent.) ou ne l’y a-t-il pas introduite, par voir d’amendement, à l’Assemblée nationale ?

M. François Bonhomme. Oui ! Retour à l’envoyeur !

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Pourquoi a-t-il déposé un tel amendement à la dernière minute, au Sénat, sans la moindre explication ?

Sous-entendre que la décision de la commission spéciale constituerait la trahison d’une femme d’exception, Simone Veil, est indécent, détestable et indigne. Simone Veil, ministre centriste, a suscité l’engagement en politique de beaucoup de femmes.

M. Didier Guillaume. À l’époque, internet n’existait pas !

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Je suis l’une de ces femmes, et je ne peux taire ma profonde indignation devant cette manœuvre grossière de dénigrement, qui masque en réalité, mes chers collègues, une impréparation fiévreuse du Gouvernement et une tentative sans scrupule de rassembler une majorité quelque peu effritée ! (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Les Français attendent de nous de la rigueur et sont las de ces polémiques outrancières.

M. le président. Veuillez conclure, madame la rapporteur.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Je le dis, j’ai approuvé le souhait de mettre en œuvre la refondation d’une société responsable et solidaire, car un pays n’a pas d’avenir sans l’engagement de tous ses citoyens. En ce sens, la réserve civique, le service civique, l’accès facilité à la fonction publique sont de justes dispositions.

Mais je le redis, très calmement : ce texte a largement dérivé, tant et si bien que son esprit initial s’est évaporé.

Notre estimable assemblée manquerait à son devoir si elle ne demeurait pas le lieu de la réflexion et du travail serein.

Pour conclure (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.), je veux remercier, pour leur active participation et leur esprit constructif, nos collègues de la commission spéciale, et saluer l’appui du président Jean-Claude Lenoir.

M. Charles Revet. Comme toujours !

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, vous l’aurez compris, c’est dans cet état d’esprit, rigoureux mais pas grincheux, qu’avec Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale, et ma collègue rapporteur Dominique Estrosi Sassone nous abordons cette séance publique. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l’UDI-UC.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, la commission spéciale m’a désignée rapporteur du titre II, intitulé « Mixité sociale et égalité des chances dans l’habitat », du projet de loi « Égalité et citoyenneté ».

Construire davantage de logements sociaux, loger mieux et en plus grand nombre les ménages modestes, défavorisés ou précaires, favoriser la mixité sociale et éviter la création de ghettos sont autant d’objectifs auxquels la commission spéciale et le Sénat tout entier s’associent, et ce depuis longtemps.

MM. Michel Raison et Charles Revet. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Cependant, si nous partageons ces objectifs, nous ne partageons pas la méthode choisie par le Gouvernement. Avec le projet de loi « Égalité et citoyenneté », qui succède au renforcement de la loi SRU en 2014, une nouvelle étape est franchie dans la bureaucratisation du logement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

Les différences considérables existant entre les départements, d’ailleurs plus marquées encore à des échelles plus fines, montrent que les problèmes du logement ne doivent pas être traités globalement, mais au cas par cas, au rebours des lois conçues et votées depuis Paris.

La confiance dans les élus locaux et le réalisme des dispositifs proposés ont guidé la commission spéciale dans ses choix sur ce volet.

Tout d’abord, le projet de loi prévoit de renforcer la mixité sociale dans le logement en diversifiant de façon plus volontariste les attributions de logements, de manière que les ménages les plus modestes ne soient pas systématiquement orientés vers les quartiers prioritaires de la politique de la ville et, réciproquement, que les foyers à niveau de vie intermédiaire soient incités à s’installer dans ces quartiers.

Cette politique d’attribution n’affecte que le flux, et pas le stock. Autre problème, cette politique risque fort d’être ingérable. En effet, vouloir influer sur les politiques d’attribution pourrait conduire à des condamnations pour discrimination.

Une approche uniquement quantitative de la mixité sociale ne peut garantir que les populations les plus fragiles s’adaptent facilement aux quartiers « riches », en raison tant du coût de la vie que des liens sociaux qui les unissent à leurs anciens quartiers et qui représentent autant de ressources négligées par les approches techniciennes.

C’est pourquoi la commission spéciale a proposé que ces objectifs soient déterminés par accord entre les collectivités locales concernées et le préfet. Mettre en place des objectifs déconnectés de la réalité et sanctionner leur non-réalisation par une substitution automatique du préfet à la collectivité territoriale dans l’attribution des logements, comme le propose le Gouvernement, ne peut que décourager les maires de construire des logements sociaux ou d’apporter leur garantie aux organismes qui les construisent.

M. Charles Revet. Tout à fait !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Dans la même perspective, les délégations du contingent préfectoral, la possibilité de créer une commission d’attribution ou la voix prépondérante du maire sont autant d’éléments qui incitent les maires à maintenir leurs engagements en matière de logement.

Pour tenter d’augmenter l’offre locative sociale, le projet de loi prévoit de renforcer les contraintes imposées par la loi SRU. La dimension productiviste a progressivement pris le pas sur le volet qualitatif de la loi SRU, renforcé par la loi ALUR, laquelle a resserré l’étau autour des communes contrevenantes. Or chacun sait que les obligations inscrites dans la loi sont intenables. Le Gouvernement n’a pas voulu revoir les modalités d’application de cette loi et s’est contenté d’introduire deux nouvelles exemptions et de renforcer les pénalités financières à l’encontre des communes déficitaires ou carencées.

Au contraire, la commission spéciale a souhaité redéfinir l’ensemble du dispositif de la loi SRU, non pas, comme j’ai pu l’entendre dire, pour exonérer les communes de leurs obligations de construction de logements sociaux, mais simplement pour permettre une meilleure adaptation de l’objectif aux réalités du terrain, dans un souci d’efficacité et de bonne gestion, et pour éviter un effet d’éviction trop important de l’offre privée.

Ainsi, un contrat d’objectifs et de moyens conclu entre le maire et le préfet permettra de déterminer, en fonction de la situation locale, le taux de logements sociaux et surtout l’échéance à laquelle ce seuil devra être atteint. De même, dans un contexte de baisse des dotations, la commission spéciale a considéré que le renforcement des sanctions financières à l’encontre des communes déficitaires et des communes carencées n’était ni souhaitable ni soutenable. Elle a en conséquence supprimé les dispositions correspondantes.

Considérant qu’il ne fallait pas ignorer la question de la mixité sociale dans les communes ayant plus de 50 % de logements sociaux, la commission spéciale a proposé la mise en place d’un contrat d’objectifs et de moyens qui leur permettra de diversifier leur offre de logements par la construction de logements intermédiaires.

S’agissant, enfin, des gens du voyage, la commission spéciale a cherché à répondre aux difficultés rencontrées par les élus locaux. Sans remettre en cause les droits nouveaux accordés aux gens du voyage, elle a simplifié et modernisé les procédures d’évacuation des campements illicites situés dans les communes remplissant leurs obligations d’accueil.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. La commission spéciale vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce texte, au bénéfice des modifications apportées. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, que peut-on attendre d’un gouvernement dont l’une des ministres estime que « la société française est d’abord minée par le repli identitaire » ? Comme plusieurs millions de Français, je crois au contraire que la société française est d’abord minée par le fait que notre pays et notre société sont infiltrés par des ennemis de la France ! (Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Emmanuelle Cosse, ministre, manifeste ironiquement sa désapprobation.)

Que proposez-vous ? Votre politique peut se résumer ainsi : « Le vivre-ensemble décrété est un échec ; décrétons-le davantage encore ! »

Pour faire avancer votre idéologie et faire taire ceux qui pensent différemment, vous n’hésitez pas à flirter avec le totalitarisme, si j’en crois, par exemple, votre amendement n° 664, vos mesures pro-migrants imposées à nos concitoyens, ou encore votre souhait de retirer aux maires des prérogatives en termes de logement.

Certes, période préélectorale oblige, la majorité sénatoriale est revenue sur les mesures les plus idéologiques, mais c’est bien l’ensemble des politiques menées depuis des décennies qui ont abouti à la situation que nous connaissons aujourd’hui, prophétisée par les patriotes que la classe politique a préféré vilipender pendant des années.

Ainsi, au nom du vivre-ensemble, vous avez créé le communautarisme ; au nom de la lutte contre le racisme, vous avez créé des individus qui rejettent la France, ses valeurs, son histoire ; au nom de la mixité sociale, vous avez créé des ghettos. Bref, idéologie et électoralisme ont supplanté bien commun et sens du service chez ceux qui se sont succédé au pouvoir : il était donc logique que l’on aboutisse à un échec !

Oui, la citoyenneté est un sujet crucial pour l’avenir de notre pays, mais son traitement ne passe pas par des « mesurettes » !

Il passe par une réflexion sur notre identité, sur nos racines et sur notre futur.

Il passe par la volonté de transmettre l’amour de la France et de sa civilisation bimillénaire, par la volonté de préserver nos spécificités alors que le risque de l’uniformité guette notre planète, et, bien sûr, par le retour à une pleine et entière souveraineté du peuple français.

Avant de parler de citoyenneté, il faut remonter à la notion qui lui est liée : la nationalité ! Une profonde remise en cause du code de la nationalité me semble un préambule nécessaire pour parvenir à lutter contre « l’apartheid territorial, social et ethnique », pour reprendre les mots du Premier ministre. De la nationalité découle la citoyenneté, avec ses droits et ses devoirs.

Pour ce qui est des devoirs, cela commence par le respect des symboles de notre pays, en particulier son drapeau et son hymne. Nous présenterons ainsi un amendement visant à doubler les peines sanctionnant ceux qui outragent ces attributs de la nation.

Pour ce qui est des droits, je propose leur renforcement ! Oui, il faut renforcer les droits des citoyens français, et le premier de ces droits, c’est que les Français soient, en France, servis en priorité !

Mme Éliane Assassi. C’est scandaleux !

M. David Rachline. La priorité nationale, dans tous les domaines – logement, emploi, aides sociales, etc. –, est le premier des droits qu’il faut renforcer si nous voulons, pour reprendre des mots contenus dans ce texte, « encourager l’engagement républicain de tous les citoyens pour faire vivre la fraternité » !

La première idée à développer, pour faire vivre le sentiment d’appartenance à la nation française, est que le pays doit s’occuper en priorité, ce qui ne veut pas dire en exclusivité, des fils et des filles de France !

Mme Éliane Assassi. Comment les définissez-vous, ces fils et filles de France ?

M. David Rachline. L’existence même de ce projet de loi est un aveu de l’échec de vos politiques. Je vous en prie, n’essayez pas de réparer vos erreurs, d’autant que vous n’êtes pas prêts à remettre en cause l’idéologie qui a précisément eu pour conséquence la situation que nous connaissons. Laissez la place à ceux qui veulent servir les Français, à ceux qui veulent faire vivre la nation française, à ceux qui veulent que la civilisation française continue de briller dans le monde, bref à ceux pour qui, selon les mots d’un lieutenant tombé au champ d’honneur, « France n’est pas un vain mot ».

M. Stéphane Ravier. Bravo !

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, près de dix-huit mois après l’attentat contre Charlie Hebdo, le projet de loi « Égalité et citoyenneté », qui avait été annoncé comme une réponse de l’État aux fractures de notre société, nous est présenté.

Je dois dire la difficulté d’appréhender ce texte, tant il lui manque l’essentiel, c’est-à-dire un fil directeur et une ambition, une structure et une cohérence.

M. Philippe Dallier. Nous sommes d’accord !

M. Christian Favier. Ce projet de loi se présente comme une accumulation de mesures, dont la portée et la pertinence sont aléatoires, voire contradictoires. Cela entache sa lecture et sa compréhension.

Notons d’ailleurs que le ministère à l’égalité réelle, qui devait défendre ce texte, a été supprimé cet été.

M. Daniel Dubois. Où est-il donc passé ? (Sourires sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Christian Favier. Que faut-il en déduire ?

Le titre même de ce projet de loi, « Égalité et citoyenneté », est source de confusion. Il n’y a pas d’égalité sans citoyenneté, tout comme il n’y a pas de citoyenneté sans égalité, puisqu’au cœur de la notion de citoyenneté se trouve celle d’égalité de tous les citoyens, porteurs des mêmes droits et des mêmes devoirs. L’intitulé de ce projet de loi est donc inutilement redondant.

Cela témoigne, à nos yeux, de la faiblesse de pensée qui caractérise ce texte, lequel, en dépit de son titre, ne traite nullement de la question de la citoyenneté.

La citoyenneté, c’est ce qui fait bien commun entre les individus ; c’est ce que l’on appelle, en droit, « l’intérêt général ». Cette notion fonde l’existence des services publics et de la fonction publique pour garantir le respect des droits acquis pour tous, ciment de la République.

Or il n’est pas question de cela dans ce texte. Pis, ce qui est désigné comme la source des maux de notre société, ce n’est pas la pauvreté et l’exclusion, les écarts de richesse et la reproduction des inégalités : c’est la concentration de cette pauvreté dans quelques quartiers.

L’objectif défini n’est donc pas de s’attaquer à la pauvreté, mais de mieux la distiller sur le territoire, de la rendre moins visible, et donc plus acceptable. Pour ce faire, le Gouvernement recourt aux notions aléatoires d’« égalité des chances » et de « mixité sociale ». L’action de l’exécutif, sans surprise, s’inscrit donc dans une logique de gestion de la pénurie plutôt que dans une volonté réellement transformatrice.

Étonnamment, ce projet de loi n’aborde la question de l’« entre soi » qu’au travers du prisme du logement social et des quartiers populaires, comme si l’« entre soi » n’existait pas dans d’autres quartiers, comme si seules les couches populaires étaient concernées par la perte de sens et de valeurs. C’est oublier un peu vite d’autres formes de comportements antirépublicains, comme la fraude fiscale, la corruption, la délinquance en col blanc.

M. Christian Favier. Depuis des mois, avec l’état d’urgence et la déchéance de nationalité, on instille la peur : comment imaginer pouvoir, aujourd’hui, avec ce projet de loi, infléchir le sentiment d’angoisse exacerbé qui alimente tous les replis et toutes les violences ? Les peurs sont multiples : peur du terrorisme, bien sûr, mais aussi peur de l’exclusion, peur du déclassement. Et ce n’est pas le coup de rabot donné à l’aide personnalisée au logement, qui concerne 600 000 familles, qui va calmer ces inquiétudes.

S’appuyant sur ces ambiguïtés et ces lacunes, la commission spéciale a totalement récrit ce projet de loi, en y apportant de la cohérence. Malheureusement, cette cohérence est avant tout celle du rejet de toute contrainte, de toute règle, sous couvert de défense de la libre administration des collectivités et de la liberté des entreprises, conformément au dogme de la dérégulation et de la déréglementation.

Fondant ses travaux sur la défaillance de l’État, en termes de dotations notamment, la commission spéciale a justifié et légalisé le recul de l’engagement des collectivités en matière de solidarité et d’investissement public.

Nous avons ainsi assisté à un « détricotage » total du droit au logement. La loi SRU a été vidée de sa substance, alors même que le nombre de demandeurs de logement ne cesse d’augmenter et que le mal-logement progresse. Pis, les nouvelles dispositions pénalisent même les maires bâtisseurs, en les obligeant à construire du logement privé plutôt que du logement public.

Les valeurs portées par la majorité sénatoriale de droite ont envahi ce texte, qui promeut maintenant une société du chacun pour soi, une société où les droits sont à la carte, changeant au gré du lieu de résidence, une société qui favorise l’« entre soi » et la reproduction des inégalités.

Les élus communistes et républicains, pour leur part, portent un tout autre diagnostic et ont une tout autre ambition pour notre pays.

Le problème des quartiers populaires, c’est non pas leurs habitants, mais bien les politiques nationales qui y ont été menées. Le problème, c’est l’effacement de l’État par la suppression des services publics, le manque de fonctionnaires, le niveau record du chômage des jeunes, le recul de l’école comme catalyseur de l’égalité, tout cela engendrant un sentiment dangereux d’abandon.

Nous vivons dans une société de plus en plus inégalitaire, une société marquée par les reculs sociaux, où l’on veut nous faire croire que la précarité serait une fatalité, une société où l’ascenseur social est bloqué, où le déclin est présenté comme inexorable.

Le renoncement des gouvernements successifs depuis quatorze ans, voilà ce qui a fait le lit de la perte de repères ! Leur détermination à être de simples gestionnaires des déficits publics signe leur impuissance. Dans le même esprit, les dénis de démocratie, le recours répété au 49.3, le non-respect de la parole politique ont fini de miner l’idée d’une République du peuple au service du peuple.

L’interférence des intérêts privés avec les politiques publiques et la faiblesse des modèles de représentation ont ruiné l’idée même que la politique pouvait être la source d’un progrès collectif, et non simplement l’outil de reproduction d’une élite autoproclamée.

Reposant sur une identification erronée des problèmes et des maux de notre société, ce projet de loi ne peut y apporter les bonnes réponses. Le retour de l’État et la « République en actes » promis par le Premier ministre, ce doit être aussi le retour des services publics, leur modernisation, leur diversification, pour mieux répondre aux besoins d’une société moderne ouverte sur le monde, d’une société humaine.

Ainsi, nous estimons que la responsabilité première des pouvoirs publics devrait être de redéfinir ce qui nous rassemble et d’identifier les droits nouveaux qui doivent être attachés à la citoyenneté : des droits politiques, bien sûr – de ce point de vue, nous regrettons amèrement l’absence remarquée, dans ce projet de loi, de l’octroi aux étrangers du droit de vote aux élections locales, promesse du président de la République –,…

Mme Éliane Assassi. Eh oui ! Ce n’est pas encore pour maintenant !

M. Christian Favier. … mais également des droits sociaux et des droits économiques.

En étant focalisé sur les jeunes et les quartiers, ce texte, tel que récrit par la droite, participe au brouillage idéologique, aux amalgames et à la stigmatisation.

Voilà, mes chers collègues, l’état d’esprit dans lequel nous abordons cette discussion : nous avons le sentiment, une nouvelle fois, d’une occasion manquée, alors même qu’il y a urgence à édifier une société apaisée, capable de bâtir sur ce qui la rassemble plutôt que sur ce qui la divise. Par nos nombreux amendements, nous nous efforcerons de relever ce défi et de remettre ce texte à l’endroit ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)