M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, sur l'article.
M. Michel Le Scouarnec. Nous abordons l’article 13 de ce projet de loi, un article qui prévoit la création d’un registre des représentants d’intérêts auprès du Gouvernement. Je souscris à une telle mesure, mais j’ai été sollicité par l’Association des maires du Morbihan au sujet de l’inscription d’élus sur ce registre aux côtés des représentants d’intérêts privés.
Cette similitude pose un véritable problème de principe puisque les associations de maires sont guidées par la recherche de l’intérêt général. Elles sont par ailleurs composées de personnes élues au suffrage universel, ce qui constitue une différence de nature évidente avec d’autres lobbys.
En outre, ces associations départementales d’élus portent auprès des pouvoirs publics les préoccupations des exécutifs élus des collectivités locales.
M. Michel Bouvard. Oui !
M. Michel Le Scouarnec. Les élus locaux répondent quotidiennement aux sollicitations des représentants de l’État…
M. Michel Bouvard. Très bien !
M. Michel Le Scouarnec. … pour contribuer à la réflexion partagée qui doit présider à l’élaboration des textes législatifs, sans ignorer non plus la mise en œuvre localement des politiques publiques.
Par ailleurs, ces associations d’élus, reconnues d’utilité publique, sont déjà contrôlées dans leur gestion et leur fonctionnement.
Mes collègues du groupe CRC et moi-même ne sommes pas opposés au nécessaire besoin de transparence, bien au contraire. Toutefois, nous pensons que la défense de l’intérêt général ne doit pas être assimilée à celle d’intérêts purement privés. C’est pourquoi nous espérons que nos débats permettront d’amender cet article, afin d’exclure les associations d’élus locaux de la liste visée.
M. le président. L'amendement n° 561 rectifié, présenté par MM. Collombat, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier, Vall et Hue, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Je suis tout simplement pour la suppression de ce registre, qui ne sert strictement à rien.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Rien !
M. Pierre-Yves Collombat. Très franchement, une fois encore, on fait de la fumée ! Nous y reviendrons au cours de notre discussion, mais, par exemple, les élus, en particulier les élus nationaux, devraient demander la permission de rencontrer des gens ? C’est complètement loufoque ! Quant à ceux qui veulent corrompre, ce n’est pas parce qu’ils sont inscrits sur un registre ou qu’ils doivent rendre des comptes qu’ils seront empêchés de le faire ! (M. le rapporteur pour avis de la commission des finances manifeste son approbation.)
Très franchement, ce genre de proposition me paraît pour le moins curieuse. C’est…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. … du vent !
M. Bruno Sido. On lave plus blanc que blanc !
M. Pierre-Yves Collombat. … faire croire qu’on veut faire quelque chose alors qu’on ne fait rien ! (M. le rapporteur pour avis de la commission des finances et Mme Sophie Primas applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Notre collègue Pierre-Yves Collombat propose de supprimer l’article 13 ; mon explication de vote vaudra donc intervention sur cet article.
À rebours de ce qui vient d’être dit, je voudrais souligner l’importance de cet article, qui, une fois enrichi de quelques amendements, mettra la France au niveau des meilleurs standards internationaux en matière de transparence. (Marques d’ironie sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
L’ambition de cet article est de faire la pleine lumière sur des activités que chacun connaît, dont la presse se fait souvent l’écho plutôt défavorable, et sur lesquelles nos concitoyens souhaitent que le voile soit levé. Les représentants d’intérêts, que l’on peut appeler lobbyistes, existent. Nous les connaissons ; nous tenons, ici même, un registre les concernant, et nous savons, pour chaque type de texte, quels sont ceux qui sont souvent sollicités.
Il faut d’abord lever toute ambiguïté : il ne s’agit pas de stigmatiser leur activité : les représentants d’intérêts sont utiles. Néanmoins, leur activité n’est possible et comprise qu’à condition d’être transparente, encadrée et contrôlée. Il y va du lien de confiance indispensable au bon fonctionnement de notre démocratie et à la légitimité de la décision publique.
Je profite de cette intervention pour remercier les associations et les ONG qui, depuis des années, plaident en faveur d’une telle transparence et, par là même, féliciter les députés pour leur travail : le texte qu’ils nous ont transmis est très intéressant.
Cependant, il nous faut encore renforcer et clarifier le cadre légal des rapports entre ces représentants d’intérêts et les pouvoirs publics.
Une définition large des représentants doit être établie, via la suppression de certaines exclusions du répertoire, en particulier – nous y reviendrons – celle des associations à vocation cultuelle. Un dispositif permettant à l’acteur public d’obtenir toutes les informations nécessaires concernant le représentant d’intérêts doit également être institué.
Enfin, un mécanisme de sanction efficace doit être mis en place. Dans une tribune publiée dans un journal du soir, M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, a d’ailleurs invité l’ensemble des acteurs publics à généraliser la disposition de l’article 26 de la loi de modernisation de notre système de santé, qui oblige les industriels du tabac à déclarer leurs dépenses de lobbying, en précisant notamment l’identité et la rémunération des personnes qui les conduisent. Si cette mesure vaut pour le secteur du tabac, il n’y a aucune raison qu’elle ne vaille pas pour l’ensemble des autres activités industrielles et commerciales !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Je me permettrai, sur cet amendement, de développer un peu plus largement mon propos, ce qui m’évitera d’y revenir.
Il faut cesser d’imaginer que le lobbyiste est par essence fourbe, corrompu ou infréquentable. Le lobbyiste est parfois celui qui nous permet de corriger l’insuffisance de certaines études d’impact.
M. Bruno Sido. Lorsqu’elles existent !
M. François Pillet, rapporteur. Il est normal que tout parlementaire ait la possibilité d’écouter les personnes de son choix, et, par la suite, d’en faire ce qu’il veut.
Nous ne discutons, ce soir, que de la meilleure façon d’améliorer la transparence de la décision publique, celle de l’élaboration des lois et règlements, et l’image que s’en font nos concitoyens.
Le Sénat n’avait pas de leçon à recevoir, pas plus que l’Assemblée nationale : depuis très longtemps, nous avons créé notre propre registre de représentants d’intérêts. En revanche, un tel répertoire n’existait pas pour le Gouvernement : s’agissant des relations entre le Gouvernement et les groupes d’intérêts, l’information n’était pas disponible.
C’est donc à juste titre que le Gouvernement a présenté son projet de loi ; mais celui-ci a été radicalement transformé par l’Assemblée nationale : à l’origine, le Gouvernement ne souhaitait absolument pas réglementer la manière dont les différentes assemblées organisent leurs relations avec les lobbyistes. C’est l’Assemblée nationale qui a imaginé la création d’un répertoire unique. Qu’a fait la commission des lois du Sénat ?
Nous sommes en République : il existe des principes, et des pouvoirs constitutionnels dont l’indépendance doit être respectée. Il n’appartient donc à personne d’autre qu’au Sénat lui-même, et notamment pas à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – le président Nadal a d’ailleurs bien dit que telle n’était pas sa volonté –, de fixer la liste de ceux qui auront le droit d’entrer dans la salle des conférences pour nous contacter. Cela restera de la compétence du Sénat.
La commission des lois a donc sanctuarisé ce principe. Quant à l’idée d’un répertoire unique, pourquoi pas ? À partir des registres respectifs du Sénat et de l’Assemblée nationale, et de celui qui sera créé par la Haute Autorité pour le Gouvernement, la Haute Autorité publiera une liste, qui pourra, par exemple, être présentée par ordre alphabétique, et qui sera transmise à nos concitoyens.
De toute façon, il n’est pas en notre pouvoir d’empêcher la publication d’une telle liste : n’importe quelle association ou les sites nossenateurs.fr et nosdeputes.fr peuvent parfaitement publier la liste des personnes inscrites sur les registres des différentes assemblées.
Nous avons donc veillé au bon respect de la compétence et surtout de l’indépendance de nos assemblées. Je note d’ailleurs avec intérêt que, conformément à une tradition républicaine respectée et respectable, le Gouvernement – il faut dire les choses agréables lorsque l’occasion s’en présente – s’est abstenu de déposer des amendements sur les dispositions que j’ai proposées, que la commission des lois a retenues et qui, s’inscrivant dans cette architecture, intéressent donc les assemblées.
La commission a donc été guidée par quelques idées maîtresses, dont la première est la suivante : un répertoire commun est souhaitable.
Pour reprendre la formule employée par le président Nadal, il s’agit de ne surtout pas toucher à l’indépendance, et de construire une simple « plate-forme technique ». (M. Bruno Sido fait la moue.) De toute façon, le texte de la commission protège notre règlement et la gestion de nos relations avec les groupes d’intérêts de toute influence extérieure, qu’elle vienne de la Haute Autorité ou de qui que ce soit d’autre.
M. Bruno Sido. On peut rêver !
M. François Pillet, rapporteur. En revanche, la Haute Autorité gérera les groupes d’intérêts entrant en communication avec le Gouvernement.
Voilà donc l’ossature de ce texte tel qu’issu des travaux de la commission des lois. Je vous indique d’ailleurs que nous avons distrait les collectivités territoriales de ce dispositif.
J’aurai l’occasion, lors de l’examen des amendements suivants, de donner des précisions supplémentaires. Concernant l’amendement de M. Collombat, à l’évidence, il est contraire à la position de la commission, puisqu’il prévoit tout simplement de supprimer l’article 13 dans sa rédaction adoptée en commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Sapin, ministre. Il s’agit d’un moment important de notre débat. Je ne répéterai pas ce qu’a dit votre rapporteur : je suis d’accord avec la totalité de ses arguments. Je vais tenter de les compléter ou, éventuellement, de les préciser.
Avons-nous inventé quelque chose de totalement nouveau ? La réponse est non. D’abord, un tel dispositif existe à l’étranger. Je ne suis pas favorable à ce que nous copiions toujours ce qui se fait à l’étranger ; mais, de temps en temps, nous faisons des comparaisons. Il vous arrive à vous aussi, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, de nous comparer à tel ou tel autre pays, et vous avez raison de le faire. Certes, comparaison n’est pas raison, mais la comparaison peut être utile.
Les institutions européennes, en particulier le Parlement européen – peut-être certains d’entre vous ont-ils été parlementaires européens –, fonctionnent en se dotant d’un tel registre. Et les bureaux des deux assemblées, le Sénat et l’Assemblée nationale, ont décidé d’eux-mêmes, librement, de mettre en place un registre qui leur est propre – cet argument, que votre rapporteur vient de donner, me paraît décisif.
Le dispositif existe donc déjà ; comme votre rapporteur vient très bien de le dire, il n’est d’ailleurs pas question de modifier les registres existants, que ce soit celui de l’Assemblée nationale ou celui du Sénat : ce qui existe continuera à fonctionner de la même manière, et seule la volonté libre et protégée du Sénat, pour ce qui le concerne, ou de l’Assemblée nationale, pour ce qui la concerne, pourra faire évoluer le dispositif.
Les associations ou groupes qui apparaissent déjà sur votre registre – ils sont en très grand nombre – n’hésitent pas à dire qu’il est nécessaire qu’ils puissent prendre contact avec vous pour éclairer votre jugement. Que votre jugement puisse être éclairé par d’autres lumières n’ôte évidemment rien à sa liberté !
Tout ce que nous proposons, c’est que – j’allais dire « ce n’est que », mais ce n’est pas rien ! – le même dispositif que celui que vous avez choisi de vous appliquer à vous-mêmes soit aussi appliqué au Gouvernement.
M. François Pillet, rapporteur. Effectivement !
M. Michel Sapin, ministre. Oui, au Gouvernement, et non au Parlement qui, quant à lui, a déjà décidé librement d’appliquer pour lui-même un tel dispositif ! Je veux vraiment que les choses soient claires pour tous. J’ai en effet parfois eu le sentiment, à écouter vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous considériez que le dispositif vous concernait.
Non, monsieur Collombat ! Vous avez déjà décidé, en toute liberté ! C’est déjà comme cela, ici, que les choses se passent ! (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.) Que vous soyez en désaccord avec le dispositif, je veux bien le croire, mais c’est ainsi qu’a choisi librement de procéder votre bureau, il y a déjà plusieurs années.
Par ailleurs, mais votre rapporteur a déjà dit tout ce qu’il fallait dire sur ce point, un représentant d’intérêts ne doit pas être considéré comme un délinquant potentiel. Il fait valoir des arguments ; mais même des arguments de défense d’intérêts privés – je ne sais si ce dernier terme est approprié : des arguments peuvent concerner des personnes privées mais être collectivement défendus – sont des arguments utiles, et même nécessaires.
À vous écouter, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le début de notre débat, et à lire vos amendements, j’ai d’ailleurs le sentiment – ce n’est en aucun cas une critique – que des représentants d’intérêts vous ont rencontré et ont permis que votre jugement et même, parfois, votre plume soient éclairés. S’ils vous sont utiles, pourquoi ne le seraient-ils pas également au Gouvernement ? Voulez-vous un Gouvernement fermé aux autres ? On en a parfois fait le reproche aux différents gouvernements, quelle qu’en soit la couleur politique. Mais non ! Le Gouvernement doit être ouvert aux autres, mais dans la transparence, comme vous l’avez décidé pour vous-mêmes.
Le Gouvernement vous propose donc d’appliquer au Gouvernement les mêmes règles que celles que vous avez décidé de vous appliquer à vous-mêmes. (Très bien ! sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je ne suis pas contre la transparence, mais je suis contre l’apparence de la transparence !
Ah, les exemples étrangers ! Une anecdote : lorsque le délire déontologique a commencé à régner sur ce pays, les membres de la commission des lois se sont rendus à l’étranger, parce que, à l’étranger, on fait des choses absolument extraordinaires… Avec une mission de la commission des lois menée par le doyen Gélard, nous sommes allés à Washington rendre une visite aux sénateurs américains – ils remplissent des pavés de 1 000 pages avant de pouvoir exercer leur mandat –, et notamment au président de la commission de déontologie – il est bien logé ! (Sourires.) Je lui ai demandé combien de sénateurs avaient été inquiétés depuis la création de la commission, vingt ans auparavant. Sa réponse ? Trois, dont un pour harcèlement sexuel ! (Ah ! sur plusieurs travées.)
Mmes Corinne Bouchoux, Catherine Deroche et Sophie Primas. Cela arrive !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Un nom !
M. Pierre-Yves Collombat. Quand on sait qu’aux États-Unis les lobbys sont parfaitement légaux, que la Cour suprême a levé tout plafonnement des dépenses de financement des campagnes électorales, qu’il existe des fondations financées par les lobbys pour entretenir le train de vie des parlementaires, n’est-ce pas se moquer du monde ?
Avez-vous lu le classement publié par Transparency International ? C’est le résultat d’enquêtes d’opinion ! C’est donc le ressenti qui est étudié : on interroge les gens sur leur sentiment concernant le niveau de corruption dans leur pays, et on agrège les données pour en faire un classement. Dans la dernière édition de ce classement, la France, en 23e position, est devancée par le Luxembourg, le Qatar, Hong Kong,…
M. Georges Labazée. Panama !
M. Pierre-Yves Collombat. … et précède d’un souffle seulement les Émirats arabes unis ! La lecture de cette liste devrait nous inciter à regarder d’un peu plus près la qualité des enquêtes menées ! Mais non, la rengaine tourne en boucle : « la France est corrompue ! ». Conclusion : on décide d’imiter les dispositifs adoptés par ces pays étrangers ; comme ça, au moins, les journaux seront satisfaits !
Eh bien non ! Pour ma part, je suis contre ce type de pratiques, et contre le développement de cette ère du faux-semblant ! (Mme Sophie Primas applaudit.)
M. Bruno Sido. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Je ne résiste pas au plaisir de prendre la parole après Pierre-Yves Collombat. Nous étions tous les deux du même voyage.
M. Bruno Sido. Le ressenti est-il le même ?
M. Alain Anziani. À l’évidence, nous n’avons pas les mêmes lunettes ! Ou plutôt, Pierre-Yves Collombat a des lunettes ; je n’en ai pas. Mais je pense avoir une aussi bonne vue que lui. (Sourires.)
Mme Sophie Primas et M. Bruno Sido. Qui a payé pour ce voyage ?
M. Alain Anziani. Il s’agissait d’une mission officielle du Sénat !
J’ai fait le même voyage que Pierre-Yves Collombat, mais je n’en garde pas les mêmes souvenirs. Ce fut, à mon sens, une expérience très intéressante.
Aux États-Unis, le système est complètement différent de ce que nous connaissons : ce qui est exigé, c’est la transparence. Un parlementaire lié par tel ou tel intérêt doit prendre la parole pour dire, avant tout débat concernant cet intérêt, qu’il n’y prendra pas part et s’abstiendra de voter. Telle est la règle américaine ; celui qui ne la respecte pas est sanctionné. Des publications avec des registres, cher Pierre-Yves Collombat, et ensuite – c’est la différence avec notre pays – c’est livré à l’opinion publique.
Certes, il n’y a eu que trois condamnations pour non-respect de cette règle. Mais en disant cela il ne dit que la moitié de la vérité : les ennuis, procès…
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas vrai !
M. Alain Anziani. … et démissions relatifs à de telles situations sont beaucoup plus nombreux que ne le laisse penser le chiffre des condamnations, parce que la presse et l’opinion s’en emparent. Les parlementaires concernés se retrouvent donc très sévèrement sanctionnés. Ce peut même être le cas pour des ministres, y compris en Europe, et par exemple en Espagne : des ministres y ont démissionné pour des questions de transparence.
M. Pierre-Yves Collombat. En France aussi, des ministres ont démissionné, pour fraude fiscale !
M. Alain Anziani. Je voulais simplement, mes chers collègues, vous livrer ce témoignage qui montre que la transparence est vraiment, en démocratie, une vertu indispensable. (MM. Richard Yung et Henri Cabanel applaudissent.)
M. Pierre-Yves Collombat. C’est l’honnêteté qui est indispensable, pas l’apparence de l’honnêteté !
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. À écouter les différents collègues qui m’ont précédé, je me pose la question, et je la pose au Gouvernement : à quand la prochaine loi de lutte contre la corruption ? Je n’étais pas présent dans cet hémicycle lorsque la dernière en date de ces lois a été votée, en 2013. Que l’on légifère dans ce domaine, cela n’est pas nouveau : en 1992 et 1993, Christian Bonnet fut le rapporteur, au Sénat, du premier texte de lutte contre la corruption, visant à prévenir les situations telles que celles qui ont été dénoncées récemment. Sans l’affaire Cahuzac, aurions-nous légiféré dans ce domaine ? Je n’en suis pas certain.
Je trouve donc que nous faisons preuve d’un certain excès de zèle. À en rajouter en permanence, à voter des textes de loi de cette nature, nous créons et renforçons dans l’opinion le doute à l’égard de la probité des parlementaires.
Mme Sophie Primas. Exactement !
M. Alain Vasselle. Le texte est là ; …
Mme Sophie Primas. Il ne sert à rien !
M. Alain Vasselle. … il faut faire avec ! Je remercie le rapporteur de nous avoir éclairés sur les motifs qui l’ont animé dans la rédaction de cet article 13.
La proposition de notre collègue Collombat a le mérite d’être une solution radicale ; mais, en l’état actuel de la législation, et compte tenu des dispositions qui ont été votées dans le passé, je ne pense pas qu’il s’agisse de la bonne solution. Il vaut mieux procéder aux aménagements proposés par le rapporteur.
C’est la raison pour laquelle je ne suivrai pas la proposition de M. Collombat, même si j’apprécie nombre de ses interventions. (M. Pierre-Yves Collombat sourit.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je ne voudrais pas prolonger outre mesure ce débat, qui est par ailleurs très riche et très intéressant.
Je souhaite toutefois souligner qu’il y va d’une question de principe : l’organisation du travail parlementaire ne peut être régie par la loi. Ce qui régit l’organisation du travail parlementaire, c’est principalement l’ordonnance de 1958, dont le statut est très particulier. En effet, il ne s’agit pas d’une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, donc publiée sur la base d’une loi d’habilitation, mais d’une ordonnance publiée sur la base d’une disposition constitutionnelle adoptée en vue de la mise en place des institutions de la Ve République.
Cette ordonnance, de manière tout à fait dérogatoire et exceptionnelle, intervient dans un domaine qui relève normalement du règlement de chacune de nos assemblées ; seul le règlement de nos assemblées, en effet, doit normalement pouvoir régir l’organisation du travail des députés et des sénateurs.
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Par exception, nous avons continué à faire reposer une partie des règles relatives à notre travail sur l’ordonnance de 1958, qui a été modifiée plusieurs fois.
Mais, ce que nous ne pouvons admettre, c’est que le législateur ordinaire interfère avec les règles fixées par l’ordonnance de 1958 et avec les règles établies par le règlement intérieur de notre assemblée, et régisse les modalités de notre travail. Cela s’appelle la séparation des pouvoirs !
Cela vaut d’ailleurs de la même façon pour la présidence de la République et pour le Conseil constitutionnel : il s’agit de pouvoirs publics constitutionnels, institués par la Constitution elle-même, rouages du fonctionnement de notre démocratie.
Par ailleurs, et même si l’Assemblée nationale l’a prévu d’une manière d’ailleurs extraordinairement timide, il ne nous paraît pas possible d’habiliter la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique à faire la moindre observation à un membre du Parlement sur la manière dont il organise, dans le cadre de son travail, les relations qu’il entretient avec les représentants des forces vives de notre pays.
C’est la raison pour laquelle la commission a tenu à écarter toute interférence de la Haute Autorité avec le travail des parlementaires. La Haute Autorité peut naturellement se prononcer sur le comportement des représentants des groupes d’intérêts, mais pas sur la manière dont nous organisons, nous, parlementaires, nos relations avec eux, relations nécessaires et même indispensables à la qualité du travail législatif. La Haute Autorité n’a donc pas à formuler d’avis ou de conseils aux parlementaires sur ces relations tout à fait légitimes.
Enfin, je précise que le Sénat n’a pas attendu le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui pour se préoccuper de la régulation de ses relations avec les représentants des groupes d’intérêts.
Mme Jacqueline Gourault. Oui !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Dès 2009, sur l’initiative du président Larcher, et sous l’impulsion de notre collègue Jean-Léonce Dupont, une instruction générale du bureau a été élaborée, qui figure dans les documents statutaires de notre assemblée, pour régir les modalités de l’inscription de groupes d’intérêts sur la liste des groupes d’intérêts habilités à accéder à un certain nombre de locaux du Sénat. Nous vérifions – il y a d’ailleurs eu des refus d’inscription – que ces groupes d’intérêts sont fréquentables, ce qui est tout de même la moindre des choses !
Tout le sens du travail de la commission a donc consisté à vous proposer de rattacher à l’ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires la fixation des règles relatives aux relations des assemblées avec les groupes d’intérêts, lesquelles relèvent donc, à ce titre, de la seule compétence du bureau de chaque assemblée. Cela revient à exclure que le législateur ordinaire puisse intervenir dans ce domaine.
C’est la raison pour laquelle, naturellement, je souhaite que la position de la commission soit suivie.
M. François Pillet, rapporteur, Mme Jacqueline Gourault et M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux.
Je vous rappelle que la commission des affaires européennes auditionne à dix-neuf heures M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes, sur les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin. Cette audition est ouverte à tous les sénateurs.
Nous reprendrons nos travaux à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)