PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
M. Jean-Claude Lenoir. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me suis souvent demandé comment l’auteur d’un amendement ou d’un texte législatif, projet ou proposition de loi, pouvait faire en sorte de lui donner son nom. Le plus ancien et le plus connu des amendements de ce type fut l’amendement Wallon, et la plus ancienne loi à porter le nom de son auteur fut la loi Le Chapelier, qui remonte à 1791.
D’autres lois se voient aujourd'hui attribuer le nom, bien connu, de ministres actuels, en particulier le vôtre, monsieur Sapin. Il faut le souligner, c’est la deuxième fois que vous entrez dans l’histoire des lois. Cela témoigne à la fois de votre longévité en politique et de votre persévérance à défendre des idées qui sont justes.
Toutefois, vous devriez être quelque peu embarrassé, car votre projet de loi a été alourdi d’un certain nombre d’articles relativement éloignés du sujet. Comme plusieurs orateurs l’ont déjà souligné, il eût notamment été préférable de prévoir, en plus du texte émanant de votre ministère, un texte consacré spécifiquement à l’agriculture.
L’agriculture est le parent pauvre de ce texte ! Le projet de loi conçu par le Gouvernement ne comprenait qu’une dizaine d’articles sur ce thème. Certes, l’Assemblée nationale a multiplié leur nombre par quatre – cela a d’ailleurs mis à mal le travail du rapporteur, la version examinée en commission n’étant plus du tout la même que celle qui avait servi de base aux auditions –, mais il n’est absolument plus question d’agriculture aujourd'hui.
À cette tribune, on a évoqué l’essentiel, à savoir le texte, sans aucune mention de toute une série de dispositions qui auraient au demeurant justifié la présence dans l’hémicycle du ministre chargé de l’agriculture, au moins pour la discussion générale.
Autre particularité, que l’on retrouve à la fois dans le projet du Gouvernement et dans les mesures ajoutées par les députés, les dispositions touchant à l’agriculture ont, pour l’essentiel, été tirées d’une proposition de loi débattue au Sénat et adoptée à une large majorité.
Ce sont effectivement quelque 200 sénateurs qui se sont prononcés en faveur de cette proposition de loi, dont j’étais le premier auteur. Mais, une fois parvenu à l’Assemblée nationale, le texte a été rejeté sans ménagement par les députés, qui n’ont même pas voulu en discuter en séance publique.
Nous avons persévéré en deuxième lecture. Et, à notre grand étonnement, ainsi qu’à notre grande satisfaction, nous retrouvons la plupart de nos propositions dans plusieurs textes présentés par le Gouvernement. Je pense par exemple à la loi de finances initiale pour 2016 ou la loi de finances rectificative pour 2015. La semaine dernière encore, nous avons examiné une proposition de loi déposée par les socialistes sur les outils de gestion des risques en agriculture ; j’y faisais allusion en début de séance. À chaque fois, certaines des mesures que nous avions suggérées sont reprises.
Idem pour la transparence. À l’issue d’importants travaux menés par les sénateurs, d’ailleurs sur l’initiative du président du Sénat, M. Gérard Larcher, nous avions avancé des propositions, notamment pour faire en sorte que la formation des prix s’appuie sur des indicateurs de coût de production et de prix du marché.
Nous avions également appelé de nos vœux un renforcement de la contractualisation, avec des organisations de producteurs qui pourraient en être partie prenante et disposer d’un rôle accru dans les discussions avec leurs partenaires.
Nous retrouvons une autre proposition que nous avions formulée : une conférence pourrait réunir l’ensemble des acteurs de la filière, c’est-à-dire les producteurs, les transformateurs et les distributeurs.
L’origine des produits a également suscité un débat. Nous entendions pouvoir expérimenter une formule « eurocompatible » qui permette au consommateur d’avoir accès à des informations évidentes s’agissant de l’origine des produits carnés et laitiers consommés.
En outre, sur l’initiative de notre collègue Daniel Dubois, nous avions prévu la possibilité de communiquer et de publier la liste des entreprises ne répondant pas aux demandes de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. C’est une proposition que nous retrouvons aujourd'hui.
Enfin, le Gouvernement a également repris à son compte la disposition concernant la non-cessibilité à titre onéreux des contrats laitiers, que nous avions adoptée dans notre proposition de loi.
Nous aurions donc de quoi être satisfaits aujourd'hui. Mais que de temps perdu ! La proposition de loi que j’évoque a été examinée à l’automne, puis débattue et votée au mois de novembre. Huit mois plus tard, nous en sommes au même point !
Il eût été plus judicieux et plus efficace que le Gouvernement acceptât de discuter nos propositions. Certes, nous n’appartenons pas à la majorité présidentielle. Mais nous représentons un certain nombre d’électeurs et nous avions travaillé avec l’ensemble de la profession. Nous aurions ainsi mieux travaillé. Votre texte aurait été « dépouillé » de ce qui, au fond, ne vient pas de vous. Cela nous aurait permis d’avoir, à l’image de ce que vous avez réalisé voilà une vingtaine d’années, un texte sur la transparence ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Élisabeth Lamure. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi contient de nombreuses dispositions relatives aux entreprises, qui auront un effet, notamment, sur les PME et les entreprises de taille intermédiaires, ou ETI.
J’aborderai rapidement les négociations commerciales, les délais de paiement et les sanctions afférentes et, enfin, la qualification des artisans.
Les négociations commerciales sont traitées au sens large, même si le sujet a été abordé sous le prisme des produits agricoles.
Ainsi, le projet de loi contient une des dispositions de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire : la prise en compte d’indicateurs de coût de production et de prix de marché dans la formation des prix.
Mais je voudrais également évoquer la possibilité qui est donnée de conclure une convention annuelle, biennale ou triennale, afin de permettre une visibilité sur les prix à plus long terme.
Cette convention devra être conclue avant le 1er février, et non plus au 1er mars, de l’année pendant laquelle elle prend effet, ou dans les deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou des services. Or, outre que la date de conclusion de ces négociations est avancée d’un mois, celles-ci doivent en plus être menées en deux mois seulement, alors qu’elles sont déjà très tendues, comme nous le constatons chaque année.
Le problème réside aussi dans le fait que cela ne concernera pas seulement les produits agricoles. Les industriels sont touchés par la mesure, et ils s’en inquiètent, car ils voient les contraintes qu’elle fera peser sur les cycles de négociation. Je partage donc complètement l’analyse de notre rapporteur sur ce point.
Je me réjouis des travaux effectués par la commission des affaires économiques sur les délais de paiement.
Au mois de décembre dernier, nous avions déjà rejeté à l’unanimité de la commission l’allongement des délais de paiement pour les entreprises exportant hors de l’Union européenne. Nous avions tous convenu du fait que cette dérogation ferait supporter aux fournisseurs français de ces entreprises, majoritairement des PME, les coûts liés aux délais de paiement pratiqués sur les marchés éloignés.
Dans son rapport du mois de janvier 2014, l’Observatoire des délais de paiement s’était d’ailleurs exprimé contre une nouvelle dérogation, en indiquant : « La mise en place d’un régime dérogatoire « aurait pour conséquence de faire supporter aux fournisseurs résidents les coûts liés aux délais de paiement pratiqués sur des marchés éloignés. Les possibilités d’introduire des délais cachés, dénoncées sans relâche par l’Observatoire au fil de ses travaux, pourraient également s’en trouver renforcées. »
Bien entendu, il faut prendre en compte les problématiques des entreprises de grand export. Mais les solutions existent, qu’il s’agisse de l’affacturage ou des financements bancaires, notamment via la Banque publique d’investissement, qui préfinance déjà par ailleurs le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le CICE.
Nous le savons, le non-respect des délais de paiement représente un réel problème pour les entreprises de petite taille et de taille intermédiaire. C’est la principale cause de leurs difficultés de trésorerie, avec, à terme, la mise à mal de la pérennité de l’activité.
Ce phénomène est difficile à endiguer – le dernier rapport de l’Observatoire des délais de paiement nous le rappelle –, avec une situation qui s’est particulièrement dégradée entre mi-2014 et mi-2015.
L’adoption de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron, avait permis d’introduire de nouvelles dispositions visant à lutter contre ce phénomène.
Le Gouvernement nous propose de rehausser encore, de 375 000 euros à 2 millions euros, le niveau des amendes prononcées par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, et de publier les sanctions au nom du principe du name and shame.
La commission des affaires économiques partage ces objectifs. Elle supprime toutefois la possibilité de cumuler les amendes sans plafonnement, pour éviter des difficultés d’ordre constitutionnel.
La qualification des artisans était un sujet conflictuel au début du parcours législatif du texte. Je me réjouis que la solution finalement trouvée soit de nature à satisfaire les intéressés. L’artisanat étant un gage de savoir-faire, de qualité et de transmission des savoirs, il n’était pas question de brader cette tradition française ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi nous arrive de l’Assemblée nationale avec désormais 172 articles, répartis en 8 titres, sur des sujets extrêmement variés, n’ayant souvent entre eux qu’un lien ténu, et c’est un euphémisme.
C’est un texte hétéroclite, ayant triplé de volume au cours de son examen par nos collègues députés. Il est parfois difficile de trouver un fil directeur à toutes les dispositions qui y figurent.
Au projet initial présenté par Michel Sapin, d’où son nom de « Sapin II », se sont ajoutées des dispositions relevant de la compétence du garde des sceaux et différentes mesures tirées de l’ancien projet de loi sur les nouvelles opportunités économiques, ou NOE, le fameux Macron II, sacrifié sur l’autel gouvernemental.
M. Stéphane Le Foll a profité des travaux à l’Assemblée nationale pour intégrer de nombreuses mesures relatives au secteur agricole ; Jean-Claude Lenoir en a fort bien parlé. Elles sont, pour une large part, reprises d’une proposition de loi votée par la Haute Assemblée.
Il a aussi fallu compter avec un certain nombre d’initiatives de nos collègues députés, particulièrement inventifs, qui ont ajouté des mesures diverses.
Sur les objectifs du texte, on ne peut évidemment qu’être favorable au renforcement des mesures de lutte contre la corruption. L’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, et Transparency International soulignent depuis de nombreuses années les insuffisances de notre législation sur ce point.
On ne peut pas non plus contester la nécessité de reconnaître et protéger les lanceurs d’alerte, ou encore de réglementer les pratiques de lobbying après des décideurs publics. Ma collègue Jacqueline Gourault a fort bien précisé la position du groupe UDI-UC sur ces différents sujets.
Il y a évidemment une convergence de notre part avec le Gouvernement sur la nécessité de lutter contre la corruption et d’œuvrer pour la transparence.
La volonté de dépasser le cadre national nous est commune. Mais, nous le savons tous, vouloir embrasser un champ large n’est pas toujours la meilleure assurance d’atteindre l’objectif. Aussi le Sénat sera-t-il dans son rôle en recentrant parfois les dispositifs, en évitant une multiplicité des modes d’intervention – François Pillet l’a brièvement évoqué – ou en rappelant que des procédures existent déjà.
J’en viens à la partie du projet de loi sur laquelle la commission des finances est saisie.
Des mesures de renforcement de la régulation financière sont tout d’abord prévues, notamment à travers l’extension et le renforcement des compétences de l’Autorité des marchés financiers et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
Le texte vise à sécuriser davantage le système financier et les consommateurs. Il tend également à adopter différentes dispositions concernant la protection des consommateurs, le financement des entreprises ou encore la modernisation de la vie économique et financière.
Ces mesures relèvent pour une bonne partie de la transposition en droit français de plusieurs textes européens, via de nombreuses ordonnances. Des habilitations nous paraissant trop larges et vagues sur des sujets dont l’importance justifierait que le Parlement ne se dessaisisse pas de son pouvoir d’examen. Parfois, ces ordonnances ressemblent à des blancs-seings tant les habilitations sont vagues, voire inexistantes. À juste titre, notre commission des finances a proposé d’encadrer ces dernières.
Dans la suite de la loi Macron, le projet de loi contient aussi un certain nombre de mesures – je pense aux dispositions de feu le projet de loi NOE – intéressantes pour les entreprises et l’activité économique. Il s’agit précisément de faciliter la création et le développement d’activités et d’emplois, notamment par le travail indépendant, et de réformer le financement des start-up, des micro-entreprises et des PME en jouant sur les seuils.
Je regrette simplement que ces mesures, utiles pour l’activité et la croissance, quoiqu’insuffisantes, ne fassent pas l’objet d’une stratégie globale. Le fait qu’elles soient éparses et disséminées dans différents textes nuit, me semble-t-il, à la cohérence de l’ensemble et à la visibilité dont les entreprises ont besoin.
Le groupe UDI-UC et la majorité sénatoriale ont abordé l’examen de ce projet de loi dans un état d’esprit constructif. Le travail en commission a considérablement amélioré le texte et, je crois, l’a enrichi, tout en s’inscrivant dans les objectifs de transparence, de lutte contre la corruption et de modernisation de la vie économique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacky Deromedi. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Jacky Deromedi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer l’action de M. Pillet, rapporteur de la commission des lois, et de MM. de Montgolfier et Gremillet, rapporteurs des commissions saisies pour avis. Je n’oublie évidemment pas le président de la commission des lois, M. Philippe Bas. Ils ont effectué un remarquable travail d’analyse et de précision juridiques. C’est d’autant plus méritoire que les délais étaient extrêmement courts.
Lutte contre la corruption, transparence et modernisation de la vie économique… Qui s’opposerait à de telles orientations ? Nous les partageons sur toutes les travées.
S’il fallait rendre compte des progrès accomplis en la matière au poids des lois votées depuis une vingtaine d’années, nous serions incontestablement au sommet du classement de Transparency International.
Il y avait une loi « Sapin I ». Nous voici à la loi « Sapin II ». Faut-il s’attendre à une future loi « Sapin III » ? Nous devrions résister au risque d’inflation législative.
Il faut en tout cas féliciter notre commission des lois d’être parvenue à des solutions équilibrées, en supprimant certaines contraintes abusives du texte initial, tout en préservant les objectifs de transparence et de lutte contre la corruption.
Il faut féliciter la commission d’avoir préféré le droit commun, y compris en matière de sanctions, à l’empilement excessif de nouveaux dispositifs, qui finissent par constituer de véritables usines à gaz.
Il faut la féliciter aussi d’avoir donné la préférence au respect des prérogatives de l’autorité judiciaire et encadré par des garanties nouvelles les nombreuses procédures administratives créées par ce texte.
Mérite aussi d’être approuvé le choix de la commission de mieux circonscrire les missions de l’agence, dont elle a opportunément changé le nom en « Agence de prévention de la corruption ». La commission en a fait une instance où la pédagogie, le conseil et les recommandations, la volonté d’agir en amont, et non pas après la commission des infractions, l’emportent sur une logique de répression.
Nous approuvons la suppression des pouvoirs de sanction de l’agence, le traitement des infractions étant renvoyé à la justice.
La compétence de l’agence a été étendue aux personnes morales de droit privé, aux entreprises auprès desquelles elle pourra exercer sa mission d’assistance et de conseil. Ce dispositif sera particulièrement utile aux PME-TPE.
L’agence disposera-t-elle de moyens suffisants ? On peut en douter. L’étude d’impact estime à 77 personnes l’effectif nécessaire. En Italie, l’agence comparable rassemble 350 collaborateurs. Au Royaume-Uni, pays du Brexit, les effectifs du Serious Fraud Office sont de 380 agents permanents, auxquels peuvent être adjoints des collaborateurs occasionnels pour les affaires de corruption les plus importantes.
Des affaires récentes ont mis les lanceurs d’alerte sous les projecteurs des médias. Là encore, la commission des lois a adopté un dispositif plus équilibré, associant protection et responsabilité des lanceurs d’alerte.
J’insiste sur la responsabilité, car des réputations peuvent être ruinées par des signalements abusifs ou partiellement erronés, surtout dans la société actuelle, où une personne innocente peut être facilement livrée en pâture à la vindicte du public.
Mme Jacky Deromedi. La commission des lois a donc pris toutes les précautions nécessaires pour interdire des stigmatisations indues sans empêcher pour autant la divulgation d’informations exactes. Cela concerne la définition des lanceurs d’alerte et la création d’une procédure graduée du signalement que le lanceur d’alerte devra respecter s’il veut bénéficier de la protection de la loi.
Il importe que les victimes de signalements abusifs disposent de procédures rapides pour faire cesser ces agissements et obtenir des rectificatifs sans délai.
Je souhaite évoquer le nouveau régime des représentants d’intérêts ou lobbyistes. Les assemblées parlementaires ont été les premières à adopter de tels dispositifs. Ce système permet plus de transparence.
Le texte adopté par l’Assemblée nationale portait la marque d’une méfiance caractérisée envers les représentants d’intérêts ; il était très invasif et disproportionné. Or, si l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers, il n’est pas non plus nécessairement leur ennemi et ne saurait leur tourner le dos.
La commission des lois est parvenue à construire un régime équilibré. J’ai déposé un amendement tendant à exclure les associations caritatives ou philanthropiques du régime de représentants d’intérêts. Est-il admissible de soumettre à toutes ces obligations, par exemple, les Restaurants du cœur, la Croix-Rouge ou la Fondation Abbé Pierre ?
Dans toutes les procédures prévues par le projet de loi, il faut enfin être attentif au respect du secret professionnel. Au fil des lois successives, le champ du secret s’effiloche. Or il est indispensable de le protéger. Pensons, par exemple, au secret des médecins, des avocats, dans les domaines qui atteignent les citoyens dans leur vie privée ou relèvent de l’intime, du for intérieur.
Notre groupe votera ce projet de loi, amendé par la commission des lois et par notre Haute Assemblée. Revenu à l’équilibre, ce texte constituera un pas supplémentaire vers plus de démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
(M. Thierry Foucaud remplace Mme Jacqueline Gourault au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue la qualité des propos que nous avons entendus. Ne pas y répondre serait mal élevé de ma part, ce qui est toujours très mal vu ici.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Pas seulement ici !
M. Michel Sapin, ministre. En effet !
J’ai apprécié la tonalité de ces interventions, même si certaines comportaient des aspects critiques, ce qui est parfaitement légitime. Toutefois, j’ai senti chez les uns et les autres une volonté d’avancer ; c’est très positif.
Les uns trouveront que le texte va trop loin, tandis que d’autres considéreront au contraire qu’il ne va pas assez loin. Certains, et je m’en réjouis, peuvent prendre comme élément de comparaison le texte initial du Gouvernement ou le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, que j’avais soutenu. Mais, globalement, la volonté d’avancer est réelle.
D’aucuns me diront qu’on ne peut évidemment pas être en désaccord avec des objectifs de lutte contre la corruption et de transparence de la vie publique. Mais, chacun le sait, des différences peuvent apparaître entre nous dans la manière de les appliquer dans les faits. L’examen du contenu concret du projet de loi nous permettra précisément de voir si nous convergeons bien sur tous les sujets.
Vous ne m’en voudrez pas, monsieur Lenoir, mais je laisse de côté les questions relatives à l’agriculture. Certes, je ne me sens pas incompétent en la matière, étant élu d’une région à dominante agricole et ayant quelques ascendances familiales dans l’élevage des vaches limousines. Mais la responsabilité de vous répondre revient plutôt à M. Le Foll, qui sera présent lors de l’examen des articles concernés.
J’ai noté votre insatisfaction quant à la lenteur de l’examen des propositions de loi, et votre satisfaction que ce projet de loi permette de faire accélérer les choses. Raison de plus d’avancer le plus rapidement possible pour le rendre effectif.
Beaucoup d’entre vous ont insisté sur la lutte contre la corruption ou sur le répertoire commun des représentants d’intérêts. À ce stade, la question des lanceurs d’alerte concentre une part importante des discussions.
On peut avoir une vision idéaliste du lanceur d’alerte, ce qui n’est pas mon cas, ou une vision par définition extrêmement soupçonneuse, ce qui n’est évidemment pas mon souhait. Un lanceur d’alerte n’est pas lanceur d’alerte parce qu’il le proclame ; il est lanceur d’alerte parce qu’il répond à un certain nombre de critères. L’enjeu, aujourd’hui, c’est la définition d’un statut.
À la différence de ce que l’on peut connaître dans d’autres pays, par exemple aux États-Unis, un lanceur d’alerte n’est pas rémunéré pour cela. Il agit dans l’intérêt général. Cette notion d’intérêt général me paraît être au cœur du débat sur son action.
Celui qui agirait par pure vengeance, par volonté de mettre en difficulté son employeur, parce qu’il serait mécontent de sa vie professionnelle, ne serait pas un lanceur d’alerte. En revanche, celui qui, par désintéressement personnel et volonté de défendre l’intérêt général – dès lors qu’il a respecté un certain nombre de procédures, ce qui est légitime –, déclenche l’alerte mérite d’être considéré, défendu et, parfois, aidé s’il fait l’objet de procédures judiciaires ou est privé de son emploi.
J’attire votre attention sur un point. Selon une vision assez simple, peut être considéré comme lanceur d’alerte celui qui révèle des faits délictueux, voire criminels. La question est alors de savoir si les faits mis au jour tombent, ou non, sous cette qualification. Si ce n’est pas le cas, la personne qui les a révélés n’est, dans cette logique, pas un lanceur d’alerte. Pourtant, nous connaissons des cas où les faits dénoncés n’étaient pas délictueux. Je pense en particulier à Antoine Deltour, qui a dénoncé non pas des faits délictueux, mais une situation parfaitement anormale, celle des LuxLeaks. Elle était tellement anormale que le nouveau gouvernement et le nouveau parlement luxembourgeois se sont empressés d’y mettre fin et que les États membres de l’Union européenne, sur la proposition de la Commission, ont adopté une directive pour faire la transparence sur la situation fiscale des entreprises dans chacun des pays concernés.
De fait, Antoine Deltour a agi dans l’intérêt général, sans pour autant dénoncer une situation illégale. Ce cas de figure doit être visé par la loi, même si, j’en conviens, le travail de rédaction n’est pas toujours simple. Certes, on ne rédige pas la loi en fonction d’une personne ou d’une situation. Mais on peut s’inspirer de faits concrets pour prévoir des dispositions de portée générale. Je vous demande vraiment d’y réfléchir.
Il faut évidemment procéder à des simplifications, apporter des garanties, protéger contre les entreprises de délation qui seraient uniquement motivées par un esprit de vengeance. Mais je vous invite à être attentifs à ce que je viens d’évoquer. Nous aurons fait œuvre utile si nous parvenons à avancer.
Je remercie M. le rapporteur, M. le président de la commission des lois et l’ensemble des intervenants de leur important travail. Tous ont montré leur compétence sur ces sujets. Je souhaite que la discussion des articles nous permette de prouver notre capacité à converger autour d’objectifs communs.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le ministre, le Sénat aura été sensible à votre volonté de « coproduction » législative, pour reprendre le terme utilisé par l’un des rapporteurs, sur ce texte de lutte contre la corruption.
C’est un souci que nous partageons sur toutes les travées. Il est vrai que les standards internationaux en matière de lutte contre la corruption ne sont pas toujours respectés en France. De fait, pour des raisons non seulement morales, mais aussi économiques, nous devons faire en sorte que notre pays les respecte. Par conséquent, nous entamons ce débat avec une volonté commune que je crois de bon augure.
Pour autant, nous avons des divergences. Vous avez mentionné l’organisation du lancement de l’alerte pour permettre la poursuite de crimes ou de délits, mais il y en a d’autres.
Dans un instant, nous allons aborder l’article 1er du projet de loi. À cet égard, je voudrais revenir sur l’autorité chargée de lutter contre la corruption et de la prévenir, que nous avons renommée « Agence de prévention de la corruption », afin qu’elle se concentre sur sa mission de prévention.
Je veux dès à présent vous exposer brièvement la position de la commission des lois du Sénat, en espérant pouvoir contribuer, avec d’autres collègues, à vous convaincre.
Le système prévu par l’Assemblée nationale est hybride. L’agence créée par les députés n’est pas une autorité administrative indépendante ; l’État agit sous l’autorité des ministres dans le cadre d’une structure interministérielle. Vous proposez que cette structure ait un pouvoir non seulement de recommandations et même d’avertissement – nous acceptons d’aller jusque-là –, mais également de sanction, avec une commission des sanctions. Là, nous vous mettons en garde. Nous estimons qu’il ne faut pas réinventer la justice. Les procédures judiciaires doivent garantir le respect des droits de la défense par une procédure contradictoire, confier à des magistrats la responsabilité des sanctions et prévoir la possibilité d’un appel et d’une cassation.
Par conséquent, confier à un service ministériel une responsabilité qui déborde sur les prérogatives de l’autorité judiciaire ne nous semble pas la bonne orientation à prendre. Assurons la mission de prévention et de conseil de ce service interministériel, et permettons à l’autorité judiciaire d’assumer sa mission de sanction, dans le respect des droits auxquels les justiciables sont à juste titre attachés !
C’est ce qu’a voulu faire la commission des lois. M. le rapporteur aura l’occasion de revenir plus en détail sur ce point, qui est, pour nous, tout à fait essentiel.