compte rendu intégral

Présidence de M. Thierry Foucaud

vice-président

Secrétaires :

M. François Fortassin,

M. Bruno Gilles.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Ouverture de la première session extraordinaire de 2015-2016

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, au cours de la séance du 17 juin dernier, le décret de M. le Président de la République portant convocation du Parlement en session extraordinaire, à compter du 1er juillet 2016, a été porté à la connaissance du Sénat.

La session extraordinaire est ouverte depuis vendredi dernier.

2

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 30 juin a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

3

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi.

Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, lors du scrutin public sur la proposition de loi tendant à modifier le mode de scrutin pour l’élection du conseil général de Mayotte présentée par notre collègue Thani Mohamed Soilihi, je souhaitais voter pour.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est très bien, mais cela ne change pas le vote !

M. le président. Ma chère collègue, acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

4

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, je voudrais appeler l’attention de notre assemblée et de la présidence sur ce qui s’est passé jeudi dernier.

Nous examinions la proposition de loi visant à mettre en place des outils de gestion des risques en agriculture, texte déposé par le groupe socialiste et républicain. Ses dispositions ayant un coût pour les finances publiques étaient gagées par un relèvement des droits sur les tabacs prévu par son dernier article. Le Gouvernement a donné un avis favorable à l’adoption de cette proposition de loi. J’ai demandé au ministre si, dans ces conditions, il levait le gage. Il m’a répondu par la négative. Un tel refus est tout à fait contraire à tous les textes en vigueur.

J’appelle donc l’attention de la présidence du Sénat sur cette dérive inacceptable. Si le Gouvernement accepte un amendement ou une proposition de loi gagés par des recettes de poche, il doit lever le gage.

J’aurais normalement dû demander une suspension de séance pour que la commission des finances soit saisie et puisse se prononcer. Ne voulant pas indisposer mes collègues, je ne l’ai pas fait, par esprit de camaraderie, mais il ne faudrait pas que cela se reproduise…

M. le président. Monsieur Lenoir, acte vous est donné de votre rappel au règlement. Je vous propose d’évoquer ce point lors de la prochaine conférence des présidents.

5

Candidature à une délégation sénatoriale

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe UDI-UC a fait connaître à la présidence le nom de la candidate qu’il propose pour siéger à la délégation sénatoriale aux entreprises en remplacement de Mme Valérie Létard, démissionnaire.

Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

6

Retrait d’une question orale

M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 1427 de Mme Sophie Primas est retirée de l’ordre du jour de la séance du mardi 19 juillet, ainsi que du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.

Acte est donné de cette communication.

7

Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 1er juillet 2016, trois décisions relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant respectivement sur la saisine d’office du président du tribunal de commerce pour ordonner le dépôt des comptes annuels sous astreinte (n° 2016-548 QPC), la dotation globale de compensation (n° 2016-549 QPC) et la procédure devant la cour de discipline budgétaire et financière (n° 2016-550 QPC).

Acte est donné de ces communications.

8

Hommage à Michel Rocard, ancien sénateur

M. le président. Messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris samedi soir le décès de notre ancien collègue Michel Rocard, qui fut sénateur des Yvelines de 1995 à 1997, après avoir été député des Yvelines et maire de Conflans-Sainte-Honorine. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre des finances et M. le ministre de l’économie, se lèvent.)

Européen convaincu, il siégea au Parlement européen de 1994 à 2009, présidant plusieurs commissions clés de cette institution.

Grand partisan de la décentralisation, il devint ministre d’État, chargé du plan et de l’aménagement du territoire, en 1981, au lendemain de l’élection à la présidence de la République de François Mitterrand, exerça la fonction de ministre de l’agriculture de 1983 à 1985 et accéda aux fonctions de Premier ministre en 1988.

À ce poste qu’il occupa trois ans, il fut notamment l’inspirateur des accords de Matignon, qui mirent fin aux violences en Nouvelle-Calédonie : la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou est restée dans nos mémoires. Michel Rocard était d’ailleurs particulièrement fier de son action pour la pacification de la Nouvelle-Calédonie.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite présenter à sa famille et à ses proches, aux Conflanaises et aux Conflanais, ainsi qu’au président du groupe socialiste et républicain, nos sincères condoléances.

Je vous invite à observer un moment de recueillement en mémoire de Michel Rocard, auquel un hommage national sera rendu jeudi, à midi, aux Invalides. (MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)

9

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de l’Assemblée nationale du Québec, conduite par son président, M. Jacques Chagnon. (MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

La délégation est accompagnée par M. Jean-Claude Carle, président du groupe d’amitié France-Québec.

Elle effectue une visite d’étude sur les enjeux éthiques et législatifs du développement des nouvelles technologies sur l’édition du génome.

Elle s’est rendue ce matin au Genopole d’Évry, et doit rencontrer plusieurs experts dans ce domaine ainsi que des membres de la commission des affaires sociales et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques spécialistes de ces questions.

Une rencontre avec des sénateurs de la commission des affaires européennes, présidée par notre collègue M. Jean Bizet, est également prévue, demain, pour échanger sur l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada.

Nous souhaitons à nos homologues québécois de fructueux travaux et la plus cordiale bienvenue au Sénat français. (MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs applaudissent.)

10

Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - Orientation et protection des lanceurs d’alerte

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

 
 
 

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (projet n° 691, texte de la commission n° 713, rapport n° 712, tomes I et II, avis nos 707 et 710) et de la proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte (proposition n° 683 rectifié, texte de la commission n° 714, rapport n° 712, tomes I et II).

Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le président, permettez-moi tout d’abord de vous remercier des mots que vous avez prononcés en souvenir de Michel Rocard ; le Gouvernement s’y associe pleinement, ainsi que moi-même, à titre personnel.

Monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter et que je défends avec Jean-Jacques Urvoas, Stéphane Le Foll et Emmanuel Macron touche à différents domaines de la vie publique et de la vie économique : les relations entre les pouvoirs publics et les représentants d’intérêts, la lutte contre la corruption, la protection des lanceurs d’alerte, la régulation financière, l’activité d’artisan ou encore la vie des sociétés.

Chacun sait à quel point ces matières sont devenues sensibles pour nos concitoyens et le Gouvernement a entendu répondre à ces exigences nouvelles, car, à travers elles, c’est l’image même de notre démocratie et une part de la confiance de nos concitoyens dans leurs institutions qui sont en jeu.

Ce texte doit contribuer à faire de notre pays une démocratie moderne, sûre de ses valeurs, et non pas une démocratie du soupçon ; il doit contribuer à construire pour notre pays une économie au service de tous et à combattre les excès d’une finance débridée et sans règles.

Ce texte doit hisser la France à la hauteur des meilleurs standards internationaux et renforcer la confiance de nos concitoyens dans leur système politique et économique. Il est sous-tendu par deux objectifs qui, je le pense, peuvent tous nous rassembler : d’une part, l’accroissement de la transparence dans le fonctionnement de la vie politique et économique ; d’autre part, l’encouragement de la « bonne finance » et la lutte contre la « mauvaise finance ». Il vise ainsi à permettre un financement efficace et sûr de notre économie. Il a aussi pour ambition de sanctionner plus sévèrement encore les dévoiements de la finance qui menacent notre modèle économique et social.

Pour aboutir à la discussion qui s’ouvre aujourd’hui, un débat intense s’est noué à l’Assemblée nationale et ici même au sein des commissions. Un important travail s’est engagé, d’où sont déjà ressorties des avancées notables, qui non seulement traduisent la volonté de la Haute Assemblée d’œuvrer dans un esprit constructif, mais aussi témoignent de la capacité d’un tel texte à rassembler au-delà des clivages partisans.

Au fond, sur un sujet comme celui-là, qui touche de si près à l’éthique et aux règles de notre vie publique, il est rassurant de constater que le travail parlementaire se déroule dans un tel esprit. Je tiens, à cet égard, à remercier tout particulièrement les rapporteurs, MM. Pillet, Gremillet et de Montgolfier, de leur mobilisation sur ce projet de loi et à saluer le travail qu’ils ont accompli.

Je ne peux cependant vous cacher que le texte, tel qu’il est présenté en séance publique, comporte quelques sujets de désaccord réel entre les deux assemblées et entre le Sénat et le Gouvernement. Je pense tout particulièrement au statut et à la protection des lanceurs d’alerte, point sur lequel les désaccords semblent marqués. Je souhaite profondément que nos échanges éclairent le débat sur ce sujet et nous permettent de progresser pour rapprocher nos points de vue.

Plusieurs axes du texte ont retenu l’attention de vos commissions ; je souhaite y revenir en quelques mots, car il s’agit d’enjeux majeurs sur lesquels il me paraît important que nous puissions avancer.

Le premier axe du projet de loi est le renforcement de la protection des lanceurs d’alerte, par la définition d’un statut général de ceux-ci.

L’affaire Antoine Deltour et celle des « Panama papers », notamment, ont encore mis en lumière très récemment le rôle éminent des lanceurs d’alerte.

Bien sûr, il faut au législateur concilier, d’une part, la protection de la liberté de communication et d’expression du lanceur d’alerte contre toute atteinte ou sanction injustifiée, et, d’autre part, la sauvegarde de l’ordre public et la protection des droits des tiers, en particulier du droit au respect de la vie privée.

L’alerte éthique repose sur la responsabilité individuelle et le sens de l’intérêt général. Elle ne peut s’affranchir du respect de règles visant à encadrer sa révélation pour vérifier son authenticité et son bien-fondé et mettre à même d’agir les autorités compétentes.

La conciliation des exigences que j’ai mentionnées n’est aujourd’hui pas assez équilibrée, car la protection des lanceurs d’alerte reste nettement insuffisante. Il n’est pas juste que ceux-ci subissent, parfois dans l’indifférence générale, les conséquences de la révélation au public de faits, alors que cette révélation a profité à l’ensemble de la société. Il n’est pas juste par exemple qu’Antoine Deltour soit condamné à des peines d’emprisonnement avec sursis et d’amende par une juridiction luxembourgeoise alors que, grâce à son action, animée par un sens fort de l’intérêt général, il a été mis fin à des pratiques d’optimisation fiscale agressives hautement préjudiciables à l’intérêt général.

C’est pour ce motif que la protection des lanceurs d’alerte doit être renforcée, en prenant en considération au moins deux préoccupations.

En premier lieu, la loi doit donner une définition du lanceur d’alerte à la fois précise et étendue. Celle-ci doit, c’est certain, couvrir les graves atteintes à la légalité, mais elle doit aussi prendre en compte les situations s’apparentant à celle d’Antoine Deltour.

En second lieu, la loi doit déterminer un régime d’aide financière pouvant être accordée aux lanceurs d’alerte. Le lanceur d’alerte ne doit pas avoir à subir les conséquences financières de la révélation de faits d’intérêt général pendant des années de procédure judiciaire engagée pour faire valoir ses droits. C’est la raison pour laquelle la loi doit prévoir l’avance des frais de procédure judiciaire au bénéfice des lanceurs d’alerte dans une telle situation. Elle doit, en outre – nous avons sur ce point un débat –, garantir l’octroi d’une aide financière aux lanceurs d’alerte lorsque, en raison du signalement qu’ils ont effectué dans les conditions légales, ils connaissent de graves difficultés financières qui compromettent leurs conditions d’existence.

Le deuxième axe de ce projet de loi est l’institution d’un répertoire des représentants d’intérêts.

L’action des représentants d’intérêts doit être rendue transparente par la loi, non pas – j’insiste sur ce point – pour stigmatiser les uns et les autres, mais pour renforcer la légitimité de l’action publique. Les citoyens doivent pouvoir savoir qui intervient auprès des autorités publiques pour influencer leurs décisions. C’est une exigence démocratique impérieuse, à laquelle le Sénat s’est d’ailleurs soumis volontairement voilà quelques années et qui, je le rappelle, trouve sa source dans l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Cette transparence ne jette le discrédit sur quiconque ; au contraire, l’existence et l’utilité des représentants d’intérêts sont ainsi reconnues. Il n’y a donc pas lieu de s’en méfier dès lors qu’elle est raisonnée et au service d’un objectif d’intérêt général.

Vous le savez, l’Assemblée nationale a adopté un article 13 substantiellement modifié au regard de la version présentée par le Gouvernement. La commission des lois du Sénat a récrit une partie considérable de ces dispositions. Je salue la volonté de la commission d’avancer dans le sens d’une plus grande transparence du fonctionnement des principales institutions de la République.

Toutefois, le Gouvernement a le souci de garantir, d’une part, la conformité à la Constitution des dispositions de cet article, et, d’autre part, le caractère opérationnel du dispositif que nous souhaitons mettre en place.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé des amendements au texte adopté par la commission. Il vous sera demandé de supprimer les dispositions relatives au Président de la République et au Conseil constitutionnel, qui, de mon point de vue, ne relèvent pas de la loi ordinaire, de fixer vous-mêmes les obligations déontologiques auxquelles les représentants d’intérêts seront soumis, conformément à l’article 34 de la Constitution, de substituer à la sanction pénale, sans doute excessive, que la commission a prévue, en cas de méconnaissance par un représentant d’intérêts de ses obligations déclaratives, une sanction administrative, mieux adaptée à la nature des manquements en cause, qui pourra être prononcée par la HATVP, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Je dois enfin ajouter que je ne vois que des avantages à ce qu’un registre unique, commun au Gouvernement et au Parlement, soit adopté et à ce que les représentants d’intérêts soient tous soumis aux mêmes obligations déclaratives et déontologiques. De telles mesures constitueraient des simplifications appréciées.

Dans ces conditions, le répertoire des représentants d’intérêts sera un outil au service de nos concitoyens, qui participera utilement à l’entreprise de relégitimation de l’action publique engagée par ce gouvernement et profitable à tous.

Faire plus de transparence sur les relations entre les représentants d’intérêts, dont l’activité sera bien encadrée, et les pouvoirs publics constituera, je le répète, une avancée pour l’intérêt général.

Le troisième axe du projet de loi est la lutte contre la corruption.

Vous le savez, la France est encore mal notée par des organisations internationales, comme l’OCDE, ou des organisations non gouvernementales, comme Transparency International France. Il lui est reproché de manquer encore de dispositifs suffisamment puissants pour prévenir la corruption transnationale.

Il est à noter que la justice française n’a condamné définitivement aucune société française pour corruption active d’agent public étranger depuis 2000, date de la création de cette infraction. En revanche, certaines sociétés françaises ont été sanctionnées, parfois extrêmement lourdement, par des justices étrangères. C’est, de toute évidence, une situation inacceptable, nuisible in fine à notre image et à la souveraineté de la France, ainsi qu’à nos entreprises. C’est ce retard que nous avons voulu combler pour mettre notre pays au niveau des grandes démocraties modernes.

Il s’agit d’abord de mieux prévenir et détecter la corruption. Le projet de loi prévoit à ce titre la création de l’Agence de prévention de la corruption, qui remplacera le service central de prévention de la corruption créé par la loi du 29 janvier 1993, dont elle reprendra bien sûr les missions, tout en assurant celles, nouvelles, qui lui seront attribuées.

Il est créé aussi une obligation de vigilance dans le domaine de la lutte contre la corruption, applicable à certaines entreprises et établissements publics à caractère industriel et commercial.

Il s’agit ensuite de rendre plus effective la répression de la corruption au travers d’un renforcement de notre arsenal répressif. Deux mesures me semblent particulièrement significatives à cet égard. Il s’agit, d’une part, de la peine complémentaire dite de mise en conformité des procédures de prévention et de détection de la corruption applicables aux entreprises, et, d’autre part, de ce qu’il est convenu d’appeler, de manière imprécise, la transaction pénale, introduite dans le projet de loi par l’Assemblée nationale et que la commission des lois du Sénat a maintenue, après avoir amendé opportunément la rédaction de l’article concerné.

Je suis convaincu que vous pourrez améliorer le texte pour garantir sa pleine cohérence et son utilité, afin de mettre notre pays aux meilleurs standards de lutte contre la corruption, en particulier la corruption transnationale. J’appelle cependant votre attention sur la nécessité de rétablir le pouvoir de sanction de l’Agence de prévention de la corruption, qui est un gage d’efficacité et de célérité de son action.

Le quatrième axe est la modernisation de la vie économique, volet du projet de loi qu’Emmanuel Macron vous présentera. Le texte traduit quatre ambitions cohérentes.

La première ambition est le renforcement de la régulation financière. Rendre la régulation financière française encore plus efficace permet de contribuer à la stabilité financière et à la compétitivité de la place financière de Paris. Cela permet aussi d’accroître la protection des épargnants. C’est, j’en suis certain, une préoccupation que nous partageons tous.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Bien sûr !

M. Michel Sapin, ministre. Le projet de loi prévoit ainsi plusieurs mesures pour étoffer les pouvoirs de l’Autorité des marchés financiers.

L’ACPR, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, qui est l’autre superviseur financier français, verra également ses pouvoirs renforcés : nous allons en particulier créer un régime de résolution pour les assurances – c’est une première en Europe –, afin de renforcer la stabilité financière et la protection des assurés.

Afin de garantir la protection de tous les assurés, nous devons également veiller à harmoniser en regard le code de la mutualité. Les mutuelles ont par ailleurs besoin d’une gouvernance modernisée pour faire face à ces nouveaux enjeux de régulation. Le Gouvernement propose de travailler par voie d’ordonnance à ce toilettage technique et, bien entendu, d’associer le Parlement à ses travaux. L’habilitation a été supprimée en commission, mais je vous proposerai de la réintroduire dans le texte ; nous aurons un échange, que je souhaite approfondi, sur les raisons pour lesquelles cette réforme est importante et sur ce que le Gouvernement souhaite faire.

L’Assemblée nationale a également souhaité renforcer les pouvoirs du HCSF, le Haut Conseil de stabilité financière, créé voici deux ans. Cette institution, qui veille à l’interaction entre les développements financiers et la stabilité économique, a effectivement un rôle majeur à jouer, ce à quoi vous êtes, je n’en doute pas, également sensibles.

Vous avez procédé à quelques modifications, en commission des finances, pour renforcer le dispositif des sanctions dans le domaine financier ou pour préciser les pouvoirs du HCSF. Nous aurons l’occasion d’en discuter en séance publique.

Outre ce renforcement des pouvoirs du HCSF, il a été introduit une disposition visant à obliger les sociétés à déclarer l’identité de la ou des personnes contrôlant ou possédant véritablement leur structure, ce que l’on appelle les bénéficiaires effectifs. Désormais, les sociétés devront transmettre au registre du commerce et des sociétés les informations nécessaires à cette identification, permettant ainsi à toutes et à tous d’accéder à ces données, à l’instar de ce que permet le registre des trusts créé au début du mois de mai. Les pratiques consistant à se dissimuler derrière des structures complexes et opaques doivent cesser.

Enfin, l’Assemblée nationale a souhaité introduire une disposition novatrice pour lutter contre les pratiques prédatrices de ce que l’on appelle les « fonds vautours ». Ce texte placera la France à la pointe de ce combat, avec un bon équilibre entre efficacité et constitutionnalité.

C’est une disposition très complémentaire de celle qui est soutenue par le Gouvernement pour améliorer la protection des biens d’États étrangers en France. La commission des lois avait des interrogations légitimes sur l’articulation entre ces deux dispositions, qui l’avaient amenée à supprimer les deux articles afin d’y retravailler. C’est ce qui a été fait en bonne intelligence avec le rapporteur, et le Gouvernement vous proposera de rétablir ces deux dispositifs dans une rédaction améliorée pour en assurer la sécurité juridique et l’efficacité.

La deuxième ambition est celle d’une meilleure protection des consommateurs et des épargnants.

J’insisterai tout particulièrement sur une disposition. J’ai souhaité proposer l’interdiction pure et simple de la publicité pour des plateformes internet donnant accès à des instruments financiers extrêmement risqués. « Devenez trader en quelques heures et vous gagnerez beaucoup d’argent ! » Depuis 2011, le nombre de réclamations auprès de l’AMF, l’Autorité des marchés financiers, a été multiplié par dix-huit. Plus de 90 % des personnes qui s’adonnent à ces sortes de paris perdent de l’argent, parfois des sommes très importantes, sans compter que certains acteurs se livrent à des pratiques frauduleuses. Cette mesure a été renforcée à l’Assemblée nationale. L’équilibre qui a été atteint me semble permettre de bien couvrir les situations à l’origine des plaintes.

La troisième ambition concerne le financement de l’économie française.

Une première mesure, qui me paraît d’importance majeure, vise à faciliter le financement de l’économie par les investisseurs. À cette fin, conformément à ce que permet le droit communautaire, le projet de loi crée un régime prudentiel adapté pour les régimes de retraite complémentaires, en maintenant un niveau de protection élevé des assurés. Cette évolution offrira des perspectives de rendement accrues pour les épargnants et permettra de dégager plusieurs dizaines de milliards d’euros pour le financement des entreprises françaises.

Par ailleurs, le LDD, le livret de développement durable, comportera désormais un volet dédié à l’économie sociale et solidaire, laquelle représente, je le rappelle, 10 % du produit intérieur brut en France. Concrètement, les banques proposeront annuellement à leurs clients détenteurs d’un LDD d’en affecter une partie au financement d’une personne morale relevant de l’économie sociale et solidaire.

L’Assemblée nationale a également souhaité étendre les obligations d’emploi de l’épargne réglementée qui incombent aux banques aux entités de l’économie sociale et solidaire. Le Sénat a souhaité, en commission, revenir au texte initial du Gouvernement. De mon point de vue, cependant, l’extension des obligations d’emploi inciterait les banques à investir davantage dans ce secteur ; c’est la raison pour laquelle je serai favorable à l’amendement qui a été déposé en ce sens.

Les dispositions visant à favoriser le parcours de croissance des entreprises, notamment des entreprises artisanales, ont été considérablement enrichies par les travaux de l’Assemblée nationale et par ceux qui ont été conduits en commission par le Sénat. Je ne peux que saluer ce travail en commun, dont Emmanuel Macron s’attachera à vous exposer plus précisément le contenu.

Il en va de même pour le volet agricole, sur lequel, là encore, un important travail en commun a pu être accompli. Il s’agit de dispositions parfois subtiles, mais substantielles, qui touchent tant au foncier, c'est-à-dire au principal outil de production, qu’à l’organisation des chaînes de valeur dans ce secteur. La transparence doit être ici un moyen d’apaiser ce secteur et, ainsi, de le renforcer.