M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Josette Durrieu, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les sanctions européennes ont été une manifestation indispensable de la fermeté des États membres de l’Union européenne. Ceux-ci ont su se montrer unis sur cette question, d’abord autour de l’initiative de la France, de l’Allemagne et de la Pologne pour tenter d’arrêter le conflit, puis avec la mise en place du format « Normandie » afin d’élaborer les accords de Minsk.
Les sanctions étaient de fait le seul instrument dont nous disposions pour réagir aux violations graves du droit international, touchant à la souveraineté et à l’intégrité d’un État, commises par la Russie après l’annexion de la Crimée. C’était les sanctions, la guerre ou rien !
Nous n’approuvons pas le texte adopté à l’Assemblée nationale au mois d’avril dernier.
L’efficacité des sanctions n’est que relative, mais celles-ci ont permis un premier cessez-le-feu, qui n’a pas duré, un nouveau cessez-le-feu entré en vigueur le 1er mai dernier, une désescalade – l’expansion des séparatistes à l’est de l’Ukraine a été arrêtée –, la progression du retrait des armes légères, le rétablissement du paiement des pensions, les échanges de prisonniers ; tout le monde a en tête la libération, le 25 mai dernier, de la pilote ukrainienne Nadia Savtchenko.
Cependant, ces sanctions n’ont pas permis de progresser dans le sens du règlement du conflit et de la pleine mise en œuvre des accords de Minsk.
La situation sécuritaire demeure fragile. Il reste encore beaucoup à faire. Le déminage est un problème majeur, tout comme le retrait des armes lourdes.
Mais, et c’est sur ce point qu’il faut insister, le volet politique des accords n’avance pas. La responsabilité en incombe à parts égales à la Russie et à l’Ukraine.
Les accords de Minsk prévoyaient deux réformes institutionnelles en Ukraine : la révision constitutionnelle relative à la décentralisation, laquelle n’a été adoptée en première lecture que par la Rada, et le statut spécial pour les territoires de l’est, lequel, s’il a été adopté définitivement le 16 septembre 2015, n’est pas entré en vigueur.
Les élections locales à l’est ne peuvent pas se tenir, du fait, en partie, de l’opposition des séparatistes : ces derniers refusent la composition actuelle de la commission électorale, la participation des partis ukrainiens et des médias ukrainiens, ainsi que le vote de 1,5 million de réfugiés. La situation est incontestablement bloquée.
En conditionnant la levée des sanctions à la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk, le dispositif ne permet pas d’enclencher une quelconque dynamique susceptible d’ouvrir le dialogue et de conduire au règlement du conflit.
La proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui, laquelle reprend le rapport d’information d’octobre 2015 rédigé, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, par Robert del Picchia, Gaëtan Gorce et moi-même et intitulé France-Russie : pour éviter l’impasse, vise à trouver la voie de la reprise d’un dialogue avec la Russie, notamment avec les parlementaires.
C’est par la voie du dialogue parlementaire rétabli et donc de la levée des obstacles que constituent les sanctions individuelles – et seulement les sanctions individuelles – visant les parlementaires russes – et seulement les parlementaires russes – que nous pourrons progresser.
Précisons tout de même que les sanctions diplomatiques ne sont pas liées aux accords de Minsk.
En conclusion, nous réaffirmons notre attachement indéfectible aux principes d’intégrité, de souveraineté et d’indépendance des États, qui sont le fondement de l’ordre international. Nous condamnons l’agression de l’Ukraine par la Russie et l’annexion de la Crimée, mais nous pensons que c’est par le dialogue rétabli – en premier lieu entre parlementaires – que nous pourrons trouver le chemin de la paix (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la commission des affaires européennes, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée est appelée à se prononcer sur une proposition de résolution européenne relative au régime de sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie pour ses agissements en Ukraine.
À quelques jours du Conseil européen des 28 et 29 juin prochain, qui doit aborder la question de la prolongation des sanctions à l’encontre de la Russie, ce débat me donne l’occasion de rappeler la position du Gouvernement, mais aussi ses efforts en faveur du règlement du conflit dans l’est de l’Ukraine. Je me réjouis de la grande convergence des orateurs qui se sont exprimés à l’instant et de la qualité des travaux effectués par le Sénat et sa commission des affaires étrangères à l’occasion de cette proposition de résolution.
La Russie est un partenaire stratégique de la France, comme elle doit l’être pour l’Union européenne. Il est dans notre intérêt commun d’avoir une coopération aussi large que possible dans de très nombreux domaines. Tel est le sens des conclusions adoptées par le conseil Affaires étrangères le 14 mars dernier sur la relation stratégique entre l’Union européenne et la Russie. Cette coopération repose toutefois sur des principes clairs, au premier rang desquels figure le respect du droit international.
La France fonde sa diplomatie sur le droit international et sur son respect en toutes circonstances : pour nous, c’est la condition de la sécurité comme de la paix. Il faut donc le redire : les sanctions ne sont pas une fin en soi. Chacune des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne l’a été pour des raisons très précises. Ces mesures constituent des réactions à des violations graves du droit international et leur adoption vise en premier lieu à conduire la Russie à se mettre en conformité avec ses obligations et à créer les conditions qui nous permettront de les lever.
Tout d’abord, des sanctions ciblées ont été adoptées le 17 mars 2014 à l’encontre d’individus ou d’entités russes et séparatistes ayant tiré profit de l’annexion illégale de la Crimée ou ayant directement joué un rôle dans les suites de cette annexion.
Le prétendu référendum du 16 mars 2014, qui s’est déroulé en présence de forces armées russes, comme l’a reconnu le président Poutine lui-même, et en l’absence de tout observateur international, a été condamné par toute la communauté internationale, tout comme l’annexion de la Crimée, au travers des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies.
Ces sanctions ont été par la suite étendues à une liste d’individus et d’entités dont l’action entrave la bonne mise en œuvre des accords de Minsk.
Au-delà de ces mesures individuelles, l’Union européenne a également adopté des sanctions économiques dites « sectorielles », en juillet 2014, du fait des actions de déstabilisation menées par la Russie en Ukraine, en particulier après le crash du vol MH17 provoqué par un tir de missile dans l’est du pays, qui a fait 298 morts civils.
Ces sanctions ont été renforcées le 12 septembre 2014 en raison de l’aggravation du conflit dans l’est de l’Ukraine, qui a fait plus de 9 000 morts et 21 000 blessés au cours des deux dernières années et dans lequel la Russie apporte un soutien direct aux séparatistes.
Les sanctions sectorielles ne pourront être levées qu’en fonction de la mise en œuvre des accords de Minsk. Il a en effet été décidé lors du Conseil européen des 19 et 20 mars 2015 de lier la levée des sanctions à la mise en œuvre intégrale de ces accords, négociés dans le cadre du format « Normandie » sur l’initiative du Président de la République lors des commémorations du soixante-dixième anniversaire du débarquement.
C’est la première fois qu’était rétabli un dialogue direct entre le président Poutine et le président Porochenko, sous l’égide du Président de la République et de la chancelière Angela Merkel.
Face à cette agression armée contre un État souverain, l’Union européenne a répondu par des instruments permettant d’encourager le règlement pacifique de la crise en évitant le risque d’une escalade plus importante encore sur le terrain. Elle a répondu par des instruments qui respectent intégralement le droit international et les personnes visées par ces mesures restrictives disposent sans exception d’une voie de recours au niveau de l’Union européenne.
En effet, toute personne visée par des sanctions peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour en contester le bien-fondé, et le juge a procédé à des annulations lorsque cela s’est révélé justifié.
À l’inverse, la Russie n’assure pas de réciprocité en la matière : les personnalités européennes interdites de séjour en Russie n’ont aucune voie de recours pour obtenir la levée des restrictions dont elles font l’objet.
Votre projet de résolution aborde également la question très importante de l’effet des sanctions sur les économies russe et européenne, en particulier sur les entreprises européennes. C’est un point important. Les sanctions ont en effet des conséquences négatives pour l’économie russe – c’est leur principe même –, mais également, dans une certaine mesure, pour l’économie européenne.
Je souligne néanmoins, tout d’abord, que les entreprises françaises présentes en Russie avant 2014 sont toutes restées sur ce marché. Un grand nombre d’entre elles ont réduit leur présence, mais pas une ne s’est retirée. Certaines sont même entrées sur le marché russe depuis deux ans.
Ensuite, comme cela a déjà été dit, l’analyse des causes des difficultés que connaissent certains acteurs économiques français présents sur les marchés russes ne doit pas occulter le fait que les fragilités structurelles de l’économie russe, accentuées par la baisse des prix du pétrole et la dévaluation du rouble qui a suivi, participent aussi à la dégradation de nos relations commerciales avec la Russie.
Par ailleurs, les mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis le début de la crise ukrainienne ont été conçues afin de minimiser leur impact sur l’économie européenne et d’imposer une pression sur la Russie. Le Gouvernement y a particulièrement veillé, en insistant par exemple pour que l’embargo sur les armes ne s’applique pas aux contrats conclus avant la date d’entrée en vigueur de cette mesure. Le secteur spatial et le secteur gazier sont aussi explicitement exclus du champ des sanctions.
Les sanctions ont donc été à la fois graduelles et proportionnées, et elles demeurent circonscrites à quelques secteurs précis de l’économie russe. Les relations économiques avec la Russie restent donc possibles et se poursuivent dans de nombreux domaines.
Enfin, je dirai un mot de l’embargo sur les viandes porcines. Cet embargo, cela a été rappelé, a été adopté par la Russie en janvier 2014, soit avant l’annexion de la Crimée et les premières sanctions européennes, pour des motifs présentés comme sanitaires, qui ne concernaient en réalité que certaines régions de l’Union européenne. Il a donc été décrété non pas en réponse aux sanctions européennes, mais bien de façon unilatérale.
Quoi qu’il en soit, notre objectif est d’obtenir la levée de cet embargo, qui ne repose sur aucun fondement sanitaire sérieux, du moins en ce qui concerne notre pays, puisque nous ne présentons aucun cas de fièvre porcine africaine.
Des contacts réguliers ont lieu, avec l’implication de la Commission européenne, pour y parvenir. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, s’est notamment rendu à Moscou le 8 octobre 2015 pour défendre cette position. Il a eu d’autres contacts avec son homologue depuis lors. Il a aussi obtenu de la Commission européenne l’adoption d’un paquet de mesures de compensation de 500 millions d’euros pour faire face à la crise.
Le Premier ministre, Manuel Valls, s’en est entretenu avec son homologue, Dimitri Medvedev, à Davos, et Jean-Marc Ayrault a également évoqué cette question lors de sa visite à Moscou, le 19 avril dernier.
Pour nos agriculteurs, toutes les démarches que la France a entreprises auprès de la Commission européenne et qu’elle effectue à Moscou, auprès du Gouvernement russe, sont utiles et devraient être soutenues sur l’ensemble de ces travées.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, les sanctions adoptées par l’Union européenne sont des instruments au service de la résolution du conflit en Ukraine. À l’heure où nous débattons de ce texte, ce conflit n’est malheureusement pas résolu et l’intensification des violations du cessez-le-feu que l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, observe sur le terrain est extrêmement préoccupante.
La trêve instaurée le 1er mai a permis une baisse significative des violations du cessez-le-feu, même si elles persistent et continuent à faire des victimes.
Néanmoins, la médiation de la France et de l’Allemagne dans le format « Normandie » a permis de mettre un terme à la phase la plus violente des combats. D’après les estimations de l’ONU, le nombre de victimes parmi les populations civiles a été divisé par neuf depuis la signature des accords de Minsk le 12 février 2015, qui fixent une feuille de route pour le règlement du conflit.
Plus de deux ans après le début de la crise, la Russie reste à la table des négociations pour parvenir à un règlement dans le cadre des accords de Minsk.
Aux termes de ceux-ci, la Russie a réaffirmé reconnaître et vouloir respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Elle a reconnu le caractère unitaire de l’État ukrainien tout en appelant à l’adoption d’une organisation décentralisée. Elle doit cependant pleinement respecter ses engagements et contribuer à la mise en œuvre complète des accords de Minsk.
Nous devons avancer dans cette direction. C’est bien là l’objectif de ces régimes de sanction – il s’agit de disposer d’un levier pour revenir à la négociation – et c’est tout le sens de l’action menée par Jean-Marc Ayrault, en concertation avec son homologue allemand, Frank-Walter Steinmeier.
La France et l’Allemagne poursuivent leurs efforts pour aboutir à cette fin. Ils sont la seule chance crédible de mettre un terme à cette guerre qui se déroule aux portes de l’Europe. Ces efforts nécessitent avant toute chose que les deux parties respectent leurs engagements en mettant en œuvre des actions concrètes.
L’Ukraine a déjà adopté en première lecture la réforme constitutionnelle instaurant une décentralisation dans le pays. Elle doit poursuivre la mise en œuvre de ses engagements, en particulier sur les élections et sur la loi d’autonomie pour les régions de l’est de l’Ukraine, qui leur donnera un statut spécial.
La Russie aujourd’hui sait ce qu’il lui appartient de faire pour que les armes se taisent dans le Donbass. Il lui revient en effet d’assurer le respect du cessez-le-feu, d’exercer les pressions nécessaires sur les séparatistes pour qu’ils cessent leurs activités militaires sur le terrain et qu’ils laissent la mission d’observation de l’OSCE se déployer jusqu’à la frontière internationale. Il faut également que les séparatistes, comme les Russes, contribuent positivement aux discussions sur la loi électorale, condition nécessaire au déroulement des élections dans le Donbass.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne nous résignons pas à la situation actuelle en Ukraine, qui n’est bonne ni pour l’Ukraine, ni pour la Russie, ni pour la sécurité du continent européen.
L’ambition de la France, comme de l’Allemagne, est de parvenir à une paix durable et négociée, conformément aux accords de Minsk, seule feuille de route agréée par l’ensemble des parties. Son respect intégral permettra la levée des sanctions. Chaque pas dans la mise en œuvre de la feuille de route de Minsk doit être encouragé et soutenu.
Notre ambition commune doit être de rétablir les conditions qui permettront à la Russie de redevenir pour l’Union européenne le partenaire politique, économique et commercial de premier plan qu’elle doit être. La géographie, l’histoire, les échanges culturels et humains : tout milite en faveur d’une Russie partenaire de l’Europe.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement français est résolu à maintenir le dialogue avec la Russie dans tous les domaines, en particulier ceux où la sécurité internationale est en jeu. Je pense à la Syrie, à l’Iran, à la lutte contre la prolifération nucléaire, à la situation au Proche-Orient et, bien sûr, à la lutte contre le terrorisme.
Fermeté, cohérence, responsabilité : tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principes qui ont guidé et qui continuent de guider l’action du Gouvernement dans ce dossier. Nous ne transigerons pas avec nos principes et nous ne dévierons pas de notre feuille de route, les accords de Minsk.
Oui, nous souhaitons la levée des sanctions, en lien avec le règlement de la crise dans le Donbass.
Oui, si les accords de Minsk sont respectés, les sanctions seront levées.
Ce serait une erreur de sortir de ce cadre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.) Ce cadre, c’est le règlement pacifique négocié du conflit en Ukraine, c’est l’unité des Européens, en appui au processus de Minsk et aux efforts franco-allemands au sein du format « Normandie ».
Telle est la position de l’Union européenne et du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Maurey, d'une motion n°27.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de résolution européenne relative au régime de sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie, présentée en application de l’article 73 quater du règlement (n° 659, 2015-2016).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe, pour la motion.
La parole est à M. Hervé Maurey, pour la motion.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, si j’interviens devant vous aujourd’hui pour défendre cette motion tendant à opposer la question préalable et pour vous inviter à rejeter la proposition de résolution portée par notre commission des affaires européennes, c’est parce que je pense que cette proposition de résolution, certes dépourvue de force contraignante pour le Gouvernement, n’est pas opportune.
Si nous l’adoptions, nous enverrions en effet un signal politique désastreux au peuple ukrainien tout d’abord, mais aussi à l’ensemble des pays de l’Europe de l’Est et à toute la communauté internationale.
Nos rapporteurs se sont efforcés d’élaborer un texte en des termes mesurés. Je leur sais gré de leurs efforts pour ne pas tomber dans une caricature grossière, comme ont, hélas ! pu le faire nos collègues députés le mois dernier lorsqu’ils ont examiné et voté une proposition de résolution dont l’objet était similaire.
Pour autant, la démarche est, hélas ! la même. Certes, sur la forme, cette proposition de résolution réaffirme les principes d’indépendance et de souveraineté territoriale de l’Ukraine et prend la précaution de regretter, si ce n’est de condamner, l’annexion de la Crimée. Toutefois, sur le fond, malgré les précautions de langage, cette proposition de résolution aboutit, ni plus ni moins, au même résultat que celle qui a été votée par l’Assemblée nationale à la fin du mois d’avril, à savoir exiger la levée des sanctions contre la Russie.
De ce point de vue, la contradiction entre l’exposé des motifs et le texte même de la résolution est patente.
L’exposé des motifs évoque la corrélation entre respect des accords de Minsk et levée des sanctions alors que la proposition de résolution propose de revenir sur cette corrélation.
Chacun connaît les motivations des auteurs de cette proposition de résolution : d’une part, la lutte contre le terrorisme en général, et contre Daech en particulier, incite à un renforcement de nos liens avec la Russie ; d’autre part, les difficultés rencontrées par nos éleveurs, notamment dans la filière porcine, conduisent à chercher une solution à la crise qu’ils traversent actuellement.
Sur ce point, permettez-moi de rappeler, comme l’a fait M. le secrétaire d’État, que les premières mesures d’embargo sanitaire décidées par la Russie sont antérieures à la crise ukrainienne et que rien ne nous assure d’ailleurs qu’un infléchissement de la France dans ce dossier conduirait à une sortie de crise durable pour nos éleveurs. Il y a même lieu de penser malheureusement que les éleveurs allemands bénéficieraient bien plus que les éleveurs français d’une telle mesure.
Mes chers collègues, ne faisons pas peser sur l’Ukraine la responsabilité de la tragique situation de l’agriculture française. Ce serait trop facile !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Hervé Maurey. Au-delà, la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France, dont chacun connaît l’attachement au droit international et à l’intangibilité des frontières, la France, patrie des droits de l’homme, terre de liberté, qui, par son histoire, jouit d’une position singulière sur la scène internationale, la France ne peut pas, au nom d’une pseudo-realpolitik, accepter l’annexion de la Crimée, au terme d’un processus que l’Assemblée générale des Nations unies a reconnu comme illégal, accepter la déstabilisation de l’Ukraine avec l’occupation de l’est de son territoire, faire fi des milliers de morts et de blessés, d’un million et demi de personnes déplacées, auxquels il faut malheureusement ajouter les victimes du vol MH17 à l’été 2014, en demandant la levée des sanctions prises à l’égard des responsables de cette situation.
Les accords de Minsk de février 2015, adoptés dans le cadre du format « Normandie », et dans la négociation desquels la France et l’Allemagne ont joué un rôle déterminant, prévoient notamment un cessez-le-feu, le retrait des armes lourdes du Donbass et la restauration des frontières ukrainiennes. Ils ont été signés par la Russie et doivent être appliqués par la Russie.
Le Président de la République a déclaré la semaine dernière que « les sanctions seront donc maintenues tant que ce processus [de Minsk] n’est pas pleinement mis en œuvre, mais [qu’]elles peuvent être modulées s’il est prouvé que cet accord se trouve appliqué ». C’est ce qu’a rappelé M. le secrétaire d'État à l’instant. La France considère – et elle a raison – comme un préalable le respect du cessez-le-feu prévu par les accords de Minsk et l’engagement d’élections dans le Donbass.
Les sanctions ne sont de toute évidence pas une fin en soi, mais elles sont un levier de négociation pour inciter la Russie à mettre un terme à sa politique de déstabilisation de l’Ukraine, mise en place lorsque ce pays a eu l’audace de vouloir se rapprocher de l’Union européenne en signant un accord d’association dont nous avons, je vous le rappelle, autorisé la ratification à la quasi-unanimité de notre assemblée le 7 mai 2015.
Je serai le premier à plaider en faveur de la levée des sanctions lorsque la Russie aura fait preuve de bonne volonté et aura montré de véritables signes d’apaisement, notamment dans l’est de l’Ukraine.
Nous en sommes malheureusement très loin. Loin de s’apaiser, loin de se calmer, loin de se pacifier, la situation dans le Donbass est à nouveau en de train de se dégrader. Pas un jour ne passe sans que des soldats ukrainiens soient tués ou blessés sur la ligne de front.
L’OSCE a par exemple recensé la semaine dernière près de 300 explosions non identifiées autour de Donetsk en une seule nuit. Tout indique que non seulement les « séparatistes » soutenus par Moscou ne respectent pas le cessez-le-feu, mais qu’ils disposent en outre d’un soutien logistique et d’armements sophistiqués qui ne peuvent venir que de Russie.
Dans ces conditions, comment peut-on envisager sérieusement l’organisation d’élections dans le Donbass ?
Que demandent les Ukrainiens ? Le retrait des armements russes, l’accès des organisations internationales à la zone et la mise en place d’une mission de police sous l’égide de l’OSCE pour assurer la protection des populations.
Est-ce extravagant ? Peut-on transiger sur des points comme cela, surtout après avoir réaffirmé dans l’exposé des motifs de la résolution un attachement « indéfectible à l’intégrité territoriale, à la souveraineté et à l’indépendance de l’Ukraine » ?
J’admets bien volontiers que, depuis le début de la crise, les autorités ukrainiennes n’ont pas toujours eu le comportement exemplaire que nous aurions souhaité. J’ai déjà eu l’occasion de dire qu’elles tardent à mettre en œuvre les réformes auxquelles elles se sont engagées, qu’il s’agisse de la réforme territoriale, fortement soutenue par notre assemblée, des réformes économiques ou de la mise en place d’un véritable État de droit.
Mais vous admettrez, mes chers collègues, que la situation dans le Donbass – je ne parle même pas de la Crimée – ne facilite pas la mise en place des réformes ! Et que, dans cette situation, la Russie porte une part de responsabilité écrasante.
C’est pourquoi, je le répète, l’adoption de cette proposition de résolution, en évoquant la levée des sanctions alors même que les conditions sont loin d’être réunies et qu’en particulier la Russie continue à s’affranchir des engagements qu’elle a elle-même pris à Minsk, serait particulièrement inopportune.
Au-delà de la seule question ukrainienne, l’adoption de cette proposition de résolution enverrait un très mauvais signal.
Un très mauvais signal à la Russie, d’abord, qui pourrait y voir – et elle aurait raison – une sorte de « blanc-seing », accordé sur tous les territoires qui ont appartenu à l’Union soviétique et qui constituent aujourd’hui ce qu’elle appelle son « étranger proche », au mépris des aspirations des peuples.
Dois-je souligner que, de ce point de vue, l’instabilité et le pourrissement que la Russie entretient dans le Donbass ne sont pas sans rappeler la situation de plusieurs autres territoires tels que la Transnistrie, l’Abkhazie ou l’Ossétie du Sud ?
Qu’avons-nous à gagner à la prolifération, sur le continent européen, de territoires sur lesquels des organisations criminelles et des trafics en tous genres peuvent prospérer en toute quiétude ? N’y a-t-il pas là une véritable menace à moyen terme pour notre sécurité ? L’objectif de lutte contre le terrorisme et la situation du Moyen-Orient ne sont-ils pas en train de nous faire perdre de vue ce risque-là ?
Corrélativement, l’adoption de cette proposition de résolution serait un signal très négatif adressé à nos amis d’Europe de l’Est, voisins de la Russie ou de l’Ukraine. Nous savons que de très nombreux pays de l’ancienne URSS sont inquiets de la situation en Ukraine et craignent d’être à leur tour victimes d’une telle situation et de tels agissements si nous n’y mettons pas un terme.
Quel message de solidarité leur adresserions-nous en votant une résolution qui dit en substance que, passés les premiers émois et les premiers cris, l’Union européenne, et en son sein la France, peut fort bien s’accommoder d’une Russie toute-puissante à qui l’on reconnaît tous pouvoirs sur les peuples vivant à ses frontières ?
Le statut historique et politique de la France, patrie des droits de l’homme et membre de Conseil de sécurité des Nations unies nous oblige, je le répète, à plus d’exemplarité.
Mes chers collègues, je crois que la France s’est honorée, dès les premiers jours de la crise ukrainienne, par les positions fermes qu’elle a soutenues et par le rôle déterminant qu’elle a tenu, avec l’Allemagne, pour tenter de trouver une solution de sortie acceptable par tous.
Les accords de Minsk ne sont sans doute pas parfaits, mais ils existent, ils ont été acceptés par les Russes comme par les Ukrainiens, et ils constituent à ce jour la seule feuille de route possible pour une sortie de crise.
N’allons pas remettre en cause l’autorité et la crédibilité de notre politique étrangère en votant cette proposition de résolution à un moment où tout indique que la Russie ne respecte pas ses engagements.
Cela serait également regrettable pour le Sénat, et en contradiction avec la démarche de coopération interparlementaire que nous avons mise en place avec la Rada de la République ukrainienne sur l’initiative du président Larcher. Ce dernier m’avait demandé de porter un message d’amitié au président de la Rada, aujourd’hui Premier ministre. Au cours de l’année écoulée, nous avons accueilli plusieurs délégations de parlementaires ukrainiens avec lesquelles nous avons eu des échanges très fructueux.
Enfin, je vous signale que le président du Sénat recevra dans quelques jours le président de la République ukrainienne, M. Porochenko, en visite officielle à Paris, et j’espère que nous n’aurons pas à l’accueillir dans le contexte du vote de cette proposition de résolution.
Je serai le premier à me prononcer en faveur de la levée des sanctions le jour où la Russie montrera des signes clairs et non équivoques de sa volonté de respecter le droit international et les engagements qu’elle a pris auprès de ses partenaires. La situation en Ukraine témoigne, hélas ! chaque jour que ce n’est manifestement pas le cas aujourd'hui.
C’est la raison pour laquelle je vous invite à rejeter cette proposition de résolution en votant cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)