M. le président. La parole est à M. Daniel Percheron.
M. Daniel Percheron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis d’une génération historiquement respectueuse de l’université, avant et après 1968. Citadelle intellectuelle d’une indépendance absolue, servie par de grands professeurs, elle représentait et représente toujours pour moi l’universalisme français !
Ce soir, je participe avec toute l’humilité nécessaire à ce débat sur la stratégie universitaire, son financement, le rôle de l’État stratège.
Monsieur le secrétaire d’État, vous et moi sommes des tenants de ce beau compromis que l’on appelle la social-démocratie ! Vous occupez les fonctions qui furent celles de Jules Ferry, d’Edgar Faure, de Jean-Pierre Chevènement ou, plus près de nous, de Lionel Jospin.
Le sujet essentiel qui nous occupe ce soir, c’est la formation de la jeunesse, à l’heure où de nouveaux défis doivent être relevés. Jules Ferry savait ce qu’il voulait : l’élection des maires au suffrage universel – il faut le remercier mille fois pour cela ! –, mais aussi l’école communale et une France de citoyens adoptant la devise républicaine et acceptant l’apaisement de la laïcité On ne le dit pas suffisamment, et Mona Ozouf a raison de le rappeler.
Edgar Faure a, quant à lui, repavé l’université d’imagination et d’ambitions nouvelles après mai 1968, conscient que les étudiants d’alors, très minoritaires au sein de leur classe d’âge – on l’oublie parfois aujourd’hui –, représentaient la révolution intellectuelle pour les décennies à venir.
Ensuite, Jean-Pierre Chevènement a fait le pari de la massification de l’enseignement supérieur, qui serait aussi sa démocratisation.
Enfin, Lionel Jospin a su entendre l’ambition des territoires. On compte aujourd’hui près de quatre cents villes universitaires. S’agit-il d’un éparpillement ? Pour ma part, je pense qu’il s’agit plutôt d’une irrigation tout à fait fertile du territoire ! Dans le Pas-de-Calais, département de statut néocolonial de plus de 1 million d’habitants surplombé par son puissant voisin, le Nord, nous avons accueilli les nouvelles « universités Jospin ». Elles apportent à notre département une valeur ajoutée qu’aucun classement ne récuse et accueillent le plus grand nombre de boursiers du pays ! Elles représentent par conséquent un succès complet !
Il faut souligner que vos prédécesseurs, monsieur le secrétaire d’État, évoluaient dans le cadre de l’État-nation, qui apportait, qu’on le veuille ou non, davantage de sécurité, tandis que vous êtes en première ligne pour faire face à la situation créée par des élites, souvent libérales, parfois réformistes, qui ont cru que la mondialisation serait heureuse, que l’intelligence de l’Occident lui assurerait l’essentiel de la valeur ajoutée, qu’il garderait le haut du pavé dans la division du travail à l’échelle de la planète. Il n’en a rien été et nous nous trouvons confrontés à une compétition mondiale d’une férocité exceptionnelle : il s’agit, pour nos universités, de bien figurer au classement de Shanghai ! Aujourd’hui, nous voulons que nos universités soient reconnues et célébrées par le communisme de marché ! (Sourires.) Quel revirement ! Là où il est, le petit homme et grand politique qu’était Deng Xiaoping ne doit pas en revenir ! Le programme d'investissements d'avenir a été conçu dans ce but : atteindre les meilleures places dans ce classement.
Il faut reconnaître, monsieur le secrétaire d’État, que vous n’avez pas la tâche facile ! Cela étant, je ne doute pas que les 35 millions d’euros appartenant à l’université d’Artois, celle des boursiers, et évaporés à la suite d’un moment d’inattention seront prochainement restitués à celle-ci.
À propos des investissements d’avenir, dont la mise en œuvre est assurée par Louis Schweitzer, je voudrais vous dire, avec bien sûr toute la partialité d’un élu local, à quel point je suis en désaccord avec vous !
Dans son ouvrage intitulé Une brève histoire de l’avenir, Jacques Attali indiquait qu’il n’y a, en France, qu’un seul endroit où l’on puisse reconstruire un cœur de mondialisation : le long de la voie à grande vitesse Londres-Lille-Bruxelles-Amsterdam-Cologne. Il s’agit de la colonne vertébrale de l’Europe ; c’est là que se concentrent les lumières sur la carte de l’Europe vue du ciel, la nuit.
Pourtant, la région Nord-Pas-de-Calais ne bénéficie que de 1,6 % du total national des dépenses exposées au titre du crédit d’impôt recherche, contre 65 % pour la région d’Île-de-France. Et il va falloir que le président de notre université aille baragouiner en anglais devant le jury du programme d'investissements d'avenir, présidé par Louis Schweitzer, pour obtenir le pain et le vin de l’avenir de son établissement… C’est incroyable ! Quand je vois que, dix-huit mois après leur lancement, cinq pôles universitaires d’excellence ont été déclassés, je me dis que l’aménagement du territoire n’a plus de sens. Tout cela n’est pas sérieux !
Je propose donc de tourner la page des investissements d’avenir. Si nos lycéens sont les mieux traités du monde, puisque l’on consacre à chacun d’entre eux plus de 12 000 euros par an, c’est grâce à la décentralisation, à l’action des grandes collectivités locales, chacune dans son rôle. Aucune ligne rouge n’a jamais été franchie : à l’État la transmission du savoir, l’affirmation de la laïcité, aux grandes collectivités locales la gestion de l’accueil des élèves, des équipements et de la vie quotidienne.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Daniel Percheron. Je pense que le programme d'investissements d'avenir pourrait être abandonné à l’occasion du renouvellement des contrats de plan État-région. Si la conférence des présidents d’université revenait sur son erreur tragique, consistant à refuser toute régionalisation, vous pourriez sûrement faire en sorte, à l’horizon 2017-2018, que nos universités figurent dans le classement de Shanghai.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Daniel Percheron. Les collectivités territoriales ont parfaitement réussi avec les lycées. L’avenir des universités appartient d’abord aux territoires, sous l’autorité de l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la volonté stratégique manifestée dans la loi de 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche nous satisfait dans son principe. Le choix d’une approche à moyen et long terme constitue en effet une nécessité.
En 2015, le comité pour la stratégie nationale de l’enseignement supérieur a produit un rapport de grande qualité, intitulé Pour une société apprenante. Il invite notamment à une pédagogie, à une transmission et à une coproduction des savoirs à la fois plus attractives pour la jeunesse et mieux adaptées aux mutations globales qui se dessinent. On y trouve des axes de réflexion et un véritable plan d’action.
Sous l’impulsion de ce rapport, le Président de la République a annoncé l’ambition d’atteindre le taux de 60 % de diplômés du supérieur dans une classe d’âge. C’est affirmer que la réussite ne doit pas être conditionnée par l’origine sociale : nous nous réjouissons, mais, pour que cette ambition devienne réalité, il convient d’augmenter le budget du programme « Formations supérieures et recherche universitaire »,…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Tout à fait !
Mme Marie-Christine Blandin. … de sorte que les moyens alloués par étudiant restent stables, voire augmentent, afin que l’on puisse allier quantitatif et qualitatif.
À cela s’ajoute le fait que l’inclusion n’implique pas uniquement la formation elle-même : les crédits attribués au programme « Vie étudiante » sont une nécessité et conditionnent même l’accès de toutes et de tous à l’enseignement supérieur.
Pour un ou une jeune d’origine sociale modeste, s’engager dans un cursus de plusieurs années soulève la question des moyens sur la durée. L’accès au logement et aux bourses sur critères sociaux est déterminant. Le groupe écologiste fera donc preuve de la plus grande vigilance quant aux engagements pris par le Gouvernement lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2017.
Dans le cadre de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur, il est proposé d’augmenter le nombre de docteurs et de développer l’emploi scientifique dans les secteurs économique et administratif. La Cour des comptes estime que, « au regard des moyens investis, les résultats en matière d’insertion professionnelle des jeunes docteurs sont décevants ». Quand allons-nous enfin conditionner le bénéfice du crédit d’impôt recherche, le CIR, à l’emploi de doctorants ? Les écologistes déposent des amendements en ce sens depuis 2006 ! Quand des voies d’accès réservées aux concours de la fonction publique, autres que ceux de l’enseignement secondaire, seront-elles créées, comme le prévoient la loi de 2013 et le code de la recherche ?
Le signal actuellement envoyé aux chercheuses et chercheurs est démobilisateur, alors qu’ils jouent un rôle indispensable pour développer la connaissance, l’innovation sociale et économique.
Le Président de la République veut que l’accord trouvé lors de la COP 21 soit effectif et exemplaire : cela ne sera pas le cas sans une mutation de l’enseignement supérieur et de la recherche vers la transition énergétique, de l’efficience à l’écoconception, de la troisième révolution industrielle à la démocratie sociale en période de non-croissance.
Je terminerai mon intervention en évoquant des défis à relever.
Tout d’abord, la prévention des conflits d’intérêts devrait être enseignée dans le cadre de toutes les formations médicales. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Ensuite, coopérer entre disciplines scolaires, favoriser le numérique collaboratif, mener une pédagogie plus inclusive devrait s’apprendre dans toutes les écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Ce n’est pas non plus le cas actuellement.
Enfin, faire une part significative à la pratique, à la mise en situation, aux retours d’expérience par le biais de l’alternance ou d’autres temps privilégiés contribuerait à un plus grand épanouissement. Or le tempo des concours et les modes de validation rendent souvent cela impossible.
Comment concilier l’autonomie des universités avec la mise en œuvre, en leur sein, de ce type d’exigences, promues par le Gouvernement comme par le Parlement ?
Qui dit autonomie, dit moyens : ceux que pourrait apporter la formation continue sont évoqués et convoités par les universitaires. Cette belle mission de l’université qu’est la formation continue demandera néanmoins de la créativité, et non la simple transposition des cours de formation initiale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’évolution des métiers, de plus en plus qualifiés, implique une adaptation des modalités d’enseignement, un accès de tous à la connaissance et à la formation tout au long de la vie. Voilà une belle ambition à laquelle nous souscrivons, mais lui donner une traduction concrète est le défi que doivent relever nos universités au quotidien, en se rapprochant le plus possible de cet objectif.
En février 2013, le Président de la République a déclaré, dans un discours prononcé au Collège de France, que la loi relative à l’enseignement supérieur et la recherche aurait deux objectifs : la réussite des étudiants et le décloisonnement. Nous devons user de tous les moyens dont nous disposons pour tenter de les atteindre !
Le processus de décloisonnement et de simplification a été engagé. Récemment, cinquante mesures ont été annoncées en vue de faciliter les démarches des étudiants et des professionnels des universités ou pour rationaliser certaines mentions de licences et de masters. En revanche, le volet relatif à la réussite des étudiants n’a connu que des avancées trop timides. Sur ce point, nous pouvons, nous devons mieux faire, monsieur le secrétaire d’État.
Les inégalités sont également territoriales et les nouvelles formes d’enseignement, comme les MOOC, tiendront à l’avenir une place fondamentale dans l’accès des jeunes à l’enseignement supérieur. Selon nous, les développer doit constituer une priorité ; ce n’est pas encore le cas, et des progrès rapides sont nécessaires, car l’enjeu dépasse nos frontières !
Il nous faut produire davantage de contenus intégrés à la formation initiale et continue, pour que les utilisateurs aient plus souvent recours à la certification des connaissances acquises. Bien sûr, le principe de la gratuité des cours en ligne doit être maintenu si l’on veut véritablement utiliser les MOOC pour démocratiser les savoirs. Il y a là un potentiel extraordinaire à développer !
Cette révolution numérique n’est toutefois pas suffisante. Nous devons maintenir une forte présence des établissements universitaires sur nos territoires. C’est une question d’aménagement du territoire et de maintien de la matière grise, y compris dans la ruralité. Le groupe du RDSE s’inquiète particulièrement de l’avenir des antennes universitaires délocalisées qui dispensent des formations très spécialisées, prisées par les entreprises locales.
Nous approuvons bien évidemment la mise en place d’une stratégie de long terme pour l’enseignement supérieur et les grands axes de celle-ci : construire une société « apprenante » et soutenir notre économie, développer l’internationalisation, favoriser l’ascension sociale, inventer l’éducation supérieure du XXIe siècle et répondre aux aspirations de la jeunesse.
Ces objectifs sont louables, mais les moyens pour les atteindre font encore quelque peu défaut. La France consacre 1,49 % de son produit intérieur brut à l’enseignement supérieur, contre 1,59 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. La situation budgétaire des universités est difficile et l’investissement n’est pas à la hauteur des enjeux. On attend de l’enseignement supérieur qu’il atteigne de nouveaux objectifs, tout en préservant la qualité de l’enseignement, sans pour autant accroître ses moyens, alors que le nombre d’étudiants ne cesse d’augmenter.
Ce constat appelle un renforcement urgent des capacités d’accueil des universités. Des filières sont saturées et le tirage au sort des candidats relève d’une conception assez étrange de la réussite par le mérite… Cette situation n’est tout simplement pas acceptable !
M. Jean-Claude Requier. C’est vrai !
Mme Françoise Laborde. La mise en place d’une sélection entre la première et la deuxième année de master, en recourant à un décret plus de trente ans après la promulgation de la loi Savary, a fait couler beaucoup d'encre. Elle révèle, s'il en était besoin, l’insuffisance des capacités d’accueil et l’inadéquation entre la formation des étudiants, d’un côté, et les besoins des professionnels, de l’autre.
Nous aurons l’occasion d’évoquer plus longuement ce sujet lors de l’examen du projet de loi « égalité et citoyenneté », mais, reconnaissons-le, une université de qualité et une formation professionnalisante impliquent le recours à une sélection en fonction des résultats et des motivations des étudiants. Comment pourrait-il en être autrement ?
Dans un contexte de réduction de la dépense publique, le budget de l’enseignement supérieur a pu échapper aux coupes budgétaires. Mais, aujourd’hui, il est insuffisant au regard des nouvelles responsabilités confiées aux universités, qui devront notamment assumer les titularisations et l’augmentation du point d’indice des personnels.
Notre pays a fait le choix, que je partage, de maintenir un système de financement de l’université principalement public. Cela me semble essentiel au regard de la mission de service public qu’elle assure. Toutefois, il ne faut pas s’interdire de recourir au mécénat d’entreprises ou de développer la formation continue, car on voit mal comment l’université pourra relever les défis qui l’attendent sans ressources nouvelles. Là aussi, le principe de réalité nous rattrape et s’impose à nous !
Les universités françaises, fortes d’une longue et prestigieuse histoire, doivent poursuivre leur mutation pour pouvoir envisager l’avenir avec sérénité et ambition. Dans ce contexte, les classements internationaux ne doivent pas être une obsession. La première de leurs missions reste la formation et la recherche, l’accès des étudiants aux savoirs et leur insertion dans le monde professionnel : c’est ce que la STRANES ne doit pas perdre de vue ! (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mme Dominique Gillot applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans un monde d’une complexité croissante, qui évolue de plus en plus vite, il faut plus que jamais s’interroger, comprendre, chercher, inventer.
Confrontés à de nouveaux défis, nous pourrons ainsi appréhender et accompagner les changements, et imaginer de nouveaux horizons. Il s’agit donc de donner aux jeunes générations la possibilité d’appréhender des savoirs de plus en plus complexes, grâce notamment à un enseignement supérieur de qualité.
La loi de 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche prévoyait la définition d’« une stratégie nationale de l’enseignement supérieur […] élaborée et révisée tous les cinq ans. » À l’époque, nous avions salué cette initiative, marquant une ambition forte pour l’enseignement supérieur.
Le rapport définitif du comité STRANES a été remis au Président de la République le 8 septembre 2015. Mais depuis, plus rien, monsieur le secrétaire d’État, jusqu’à la réception sur nos messageries électroniques, hier midi, à la veille du présent débat demandé par nos collègues du groupe socialiste et républicain, d’un document de synthèse émanant du Gouvernement !
La loi prévoyait pourtant que les priorités devaient être « transmises aux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat » avant d’être définitivement arrêtées. La méthode utilisée s’écarte donc quelque peu de l’esprit de la loi… Dommage !
Le rapport final du comité STRANES comporte cinq axes stratégiques, trois leviers et un plan d’action présentant quarante propositions pour une « société apprenante ». Nous en partageons les objectifs et l’ambition. En outre, nombre des propositions formulées comportent de bonnes options. Le rapport propose ainsi de porter à 60 % d’une classe d’âge, contre 42 % aujourd’hui, la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur, d’ici à 2025. Pour rappel, la stratégie de Lisbonne de 2000 fixait comme objectif de conduire 50 % d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur, afin que l’économie de nos pays s’adapte à « l’économie de la connaissance ».
Pour atteindre ce nouvel objectif ambitieux, que je partage, il va donc falloir changer de braquet !
Dans le rapport, il est également proposé de porter à 20 000 le nombre de doctorats délivrés chaque année. Il est par ailleurs suggéré de mettre en place deux mesures, dont l’une, très concrète, consisterait à conditionner l’octroi du crédit d’impôt recherche à l’embauche de jeunes docteurs. Malheureusement, votre document de synthèse n’en dit mot, monsieur le secrétaire d’État !
Dans la loi, il est aussi prévu que la STRANES comporte « une programmation pluriannuelle des moyens ». C’est justement ce qui manquait à la loi Fioraso, alors qu’il s’agit pourtant d’un point capital.
Les quelque 1 000 emplois supplémentaires inscrits dans le budget chaque année, très souvent utilisés par les universités pour faire face à d’autres dépenses, et non pour créer des postes, ne suffiront évidemment pas !
Si les auteurs du rapport de la STRANES prennent acte du poids des « contraintes budgétaires », ils affirment la nécessité de « trouver les moyens d’investir dans la société apprenante ».
L’une des pistes évoquées, la plus pertinente à mes yeux, consiste à engager l’Europe à reconnaître l’enseignement supérieur « comme un investissement nécessaire à son avenir ». Pour ce faire, au-delà des incantations, il existe un moyen d’action concret : exclure les dépenses consacrées à l’enseignement supérieur du calcul des déficits publics par la Commission européenne. À défaut, l’objectif de porter, à l’échelon européen, le montant global des dépenses consacrées à l’enseignement supérieur à 2 % du PIB risque de connaître le même destin que celui de consacrer 3 % du PIB à la recherche qui avait été fixé en 2000, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. En effet, ce dernier objectif n’est toujours pas atteint, notamment par la France. Or, de mon point de vue, l’urgence est là !
Sur ces deux points, monsieur le secrétaire d’État, votre document de synthèse est peu explicite. Vous vous contentez d’indiquer que vous porterez la discussion autour de cet objectif avec vos homologues.
Nous nous interrogeons donc sur la possibilité de concilier les objectifs ambitieux de la STRANES et les responsabilités sociales assumées par les universités dans le cadre de leur autonomie.
Nous le savons, la LRU et le passage aux responsabilités et compétences élargies ont placé les universités devant des difficultés financières telles que, en 2012, la moitié d’entre elles étaient en déficit. La situation a évolué, mais au prix d’efforts considérables, réalisés au détriment des conditions de travail des personnels et des conditions d’études et de réussite des étudiants.
Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, vous préconisez le développement des « ressources propres ». Il reste qu’il ne peut venir se substituer à un budget de l’enseignement supérieur et de la recherche ambitieux, car qui dit développement des ressources propres, dit aussi augmentation des charges de fonctionnement.
Vous le savez, nous sommes hostiles à la sélection plus ou moins directe des étudiants par le biais du resserrement des capacités d’accueil des établissements, de l’augmentation des frais d’inscription ou du recours aux procédures d’admission sur dossier.
La STRANES a écarté cette piste, dont l’adoption constituerait un grave retour en arrière et une atteinte au principe d’égalité devant le service public.
Le réinvestissement financier de l’État dans l’enseignement supérieur doit aussi se concrétiser au travers de la proposition n° 34 de la STRANES, qui vise à assurer une formation de tous les enseignants du supérieur.
Pour conclure, j’aimerais évoquer l’un des principaux volets sur lesquels la STRANES a formulé des propositions, à savoir la situation sociale des étudiants.
Le premier outil de sélection indirecte des étudiants, facteur d’échec prégnant, reste le salariat. Les propositions de la STRANES vont donc dans le bon sens. Source d’échec, handicap dans la poursuite des études en raison de la difficulté du cumul entre emploi et stages obligatoires, le salariat étudiant renforce les déterminismes sociaux au lieu de les atténuer.
De fait, cette question doit s’apprécier au regard de tous les facteurs conduisant au salariat étudiant : précarité sociale à laquelle les bourses accordées sur critères sociaux n’ont pas remédié, recul de l’accès aux soins accompagné d’une disparition des structures de médecine préventive universitaire, manque flagrant de places en cités universitaires, alors même que le logement représente le premier poste de dépenses des étudiants…
Si j’ai bien compris, ce débat d’une heure, organisé à un moment qui ne favorise pas la participation, sera le seul temps d’échange que nous aurons sur la STRANES. Je veux donc dénoncer avec force le décalage que je perçois entre l’ambition affichée à juste titre dans le rapport de la STRANES et les conclusions du document de synthèse du Gouvernement ! J’appelle ce dernier à se ressaisir ! (Mme Dominique Gillot applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.
M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur quelque travée que nous siégions, nous avons en partage la même conviction : celle que l’avenir de notre pays se joue en grande partie dans notre système d’enseignement supérieur.
Dès lors, il apparaît bienvenu que la France se dote d’une stratégie nationale en ce domaine. Tel est l’objet du rapport sur lequel il nous est proposé de débattre en cette si belle fin d’après-midi. Sur le fondement d’un constat lui aussi partageable, il nous présente, « pour une société apprenante », cinq axes stratégiques, trois leviers, quarante propositions.
Je cite les cinq axes stratégiques : construire une société apprenante et soutenir notre économie ; développer la dimension européenne et l’internationalisation de notre enseignement supérieur ; favoriser une réelle accession sociale et agir pour l’inclusion ; inventer l’éducation supérieure du XXIe siècle ; répondre aux aspirations de la jeunesse.
Les trois leviers que vous entendez actionner sont les suivants : dessiner un nouveau paysage pour l’enseignement supérieur ; écouter et soutenir les femmes et les hommes qui y travaillent ; investir pour la société apprenante.
Tout cela est très beau ; qui pourrait s’y opposer ?…
Mais voyez-vous, si le groupe UDI-UC et moi-même ne sommes pas insensibles à l’esthétique de l’action publique, nous sommes plus encore attachés, par pragmatisme, à sa concrétisation, à sa matérialisation. Vous me direz que tel est l’objet des quarante propositions. Cela reste à voir, car le traitement que vous semblez déjà leur réserver nous interpelle, et votre capacité à mettre en œuvre une quelconque stratégie nationale ne laisse pas de nous inquiéter…
Si j’avais une seule minute de temps de parole, je résumerais cette inquiétude par la formule employée par le Président de la République dans un courrier adressé le 21 avril dernier au président de la Conférence des présidents d’université : « L’augmentation continue des effectifs appellera bientôt des ajustements budgétaires pour y faire face. Je saurai les prescrire le moment venu. »
Combien ? Quand ? Pour un usage laissé à la discrétion des établissements ou pour des actions déjà fléchées par l’État ? Devant un tel flou à l’heure de l’élaboration d’une stratégie nationale, le doute ne peut que s’installer.
Comme je dispose d’un peu plus d’une minute, je vais développer mon propos en examinant successivement la situation des étudiants, puis celle des établissements, à l’heure de la STRANES.
Les étudiants sont l’objet depuis quelques semaines de toutes vos attentions : voici des mesures de simplification, dont certaines sont déjà mises en œuvre par de très nombreux établissements ; voilà des soutiens financiers pour aider les jeunes diplômés en quête d’emploi, au lieu d’ailleurs de soutenir les universités qui, sur leur territoire, ont mis en place des dispositifs adaptés pour faciliter cette insertion professionnelle.
L’heure est en fait aux emplettes électorales, avec achat de paix politico-sociale en tête de la liste des courses.
Mais le vrai enjeu pour l’avenir n’est pas là, et vous le savez : il réside dans la qualité des parcours étudiants que nous sommes capables de garantir au plus grand nombre des bacheliers. Cela suppose que l’on assure la réussite en licence, puis en master pour ceux qui s’y engagent, réussite que mesurera la qualité de leur insertion professionnelle. La démocratisation passe obligatoirement par là.
En la matière, votre réponse à la décision du Conseil d’État sur les masters est bien fragile : un décret à paraître, et déjà contesté, pour « sécuriser la rentrée 2016 » et une concertation de quatre mois pour « préparer l’après ». Par résistance idéologique, vous préparez en fait l’inverse de ce que réclament les étudiants eux-mêmes, décidément plus lucides que vous : une régulation claire dès l’entrée du cycle master. Ils savent, ils sentent que la valeur du diplôme est intrinsèquement liée à sa relative rareté. Ils n’ont pas le sentiment d’être d’arrière-garde, mais ils ont le souci de l’utilité professionnelle de leur diplôme.
Quant à la licence, vous venez de rejeter une des propositions de la STRANES, reprise par le récent rapport de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, l’IGAENR. Il s’agissait de « soumettre les demandes d’inscription en licence des bacheliers professionnels et technologiques à l’avis d’un conseil d’orientation ». En clair, il était proposé de vérifier les prérequis – quel vilain souci, ma foi ! –, voire de limiter ensuite les redoublements. Or, si les motifs de l’échec en licence sont multiples, l’un d’eux se trouve, et c’est logique, dans l’inadaptation entre la formation initiale et la filière choisie. Traiter cette difficulté et instaurer, ne redoutons pas le mot, une forme de sélection, ce n’est pas exclure, mais intégrer, car c’est bien l’échec répété et lancinant en L1 et en L2 qui est le véritable facteur d’exclusion universitaire et sociale.
On ne traitera pas le problème comme vous le proposez, en instaurant l’obligation, pour le lycéen, de cocher une case sur le site Admission post-bac pour signifier qu’il a bien pris connaissance des chiffres de réussite dans la filière retenue, comme on coche sans les lire les conditions contractuelles sur un site internet. Faire de l’orientation active inscrite dans la loi un vrai outil d’aide à l’orientation pouvant aller jusqu’à poser un interdit ou à imposer des préalables serait en fait la seule démarche réellement démocratique.
Je profite de cette tribune pour vous rappeler que j’attends sur ce sujet, et sur celui du choc démographique, vos réponses à mes questions écrites du 25 juin et du 22 octobre 2015.
Comment, dans ce contexte, peut-on affirmer que le déploiement des outils numériques ou les innovations pédagogiques, pour essentiels qu’ils soient, faciliteront à eux seuls la réussite généralisée en licence ! C’est une douce et dangereuse utopie !
J’irai encore plus loin en ajoutant que revaloriser ainsi la licence serait aussi utile pour ceux qui n’y enseignent plus que par nécessité de service et souffrent devant ce public si souvent démuni. Les enseignants-chercheurs en L1 ou en L2 se résignent mal à ne plus transmettre le fruit de leurs travaux, mais à colmater tant bien que mal les lacunes du plus grand nombre de leurs étudiants. Ce n’est pas leur rôle. Elle est là, la réalité de l’université d’aujourd’hui. Le Gouvernement doit ouvrir les yeux.
Venons-en aux établissements et, singulièrement, aux universités, qui accueillent le plus grand nombre des étudiants. Ayant été rapporteur de la loi LRU en 2007 puis membre de son comité de suivi, je suis tout particulièrement attentif, vous le comprendrez, à l’état de l’autonomie et à sa capacité à mettre en œuvre la STRANES, puisque les universités en sont des acteurs essentiels. C’est d’ailleurs une lourde erreur que ces établissements ne soient pas, à part entière, un levier de votre stratégie. Par leur localisation, ils sont à même de démultiplier les énergies et de donner l’impulsion nécessaire pour le développement économique de tous les territoires.
Je me suis réjoui, en 2013, que cette autonomie naissante ne soit pas remise en question. Mais ce n’était qu’un leurre : elle n’a pas été approfondie et nous avons constaté, au contraire, une volonté sous-jacente de la corseter.
Le parallèle avec la réforme territoriale et celle de l’État territorial est saisissant ; il mériterait à lui seul un débat.
Les moyens ne sont pas au rendez-vous, malgré les promesses – jusqu’à 1 milliard d’euros de plus évoqués l’automne dernier – et l’annonce récente et floue du Président de la République illustre bien l’incertitude budgétaire : c’est par exemple le cas pour l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, ou les contrats de plan État-régions, dont le volet enseignement supérieur et recherche est bien maigre.
Quant au modèle d’allocation et de répartition des moyens, vous ne créez aucune dynamique positive et vertueuse au sein des établissements, puisque le critère de la performance – autre vilain mot, n’est-ce pas, puisqu’il induit une forme de concurrence… – semble aujourd’hui écarté.
La loi LRU offrait des outils innovants aux universités pour élargir leurs sources de financement et doper leur attractivité : je pense par exemple aux fondations ou aux chaires d’excellence. Il semble que vos services tétanisent littéralement les universités dans leurs initiatives. Quel dommage !
Les moyens des universités passent aussi par leur patrimoine immobilier. L’état de l’immobilier universitaire n’est pas bon, un récent rapport parlementaire allant jusqu’à le qualifier d’« inquiétant ».
La dévolution, inscrite elle aussi dans la loi, marque le pas, alors qu’elle constitue bel et bien un outil utile.
Enfin, parce que le Sénat se préoccupe toujours des territoires, nous ne saurions négliger les communautés d’universités et d’établissements, les COMUE, qui, depuis 2013, ont pris le relais des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES. Ces COMUE existent, elles délivrent des doctorats, candidatent aux appels à projets au titre du programme d’investissements d’avenir, essaient de se montrer. Mais, là aussi, on ne voit pas quelles mesures l’État entend prendre pour garantir à notre système d’enseignement universitaire une visibilité internationale qui lui fait défaut. Elle était attendue de ces regroupements, mais ils ne sont bien souvent perçus que comme une couche supplémentaire du millefeuille universitaire.