M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Je comprends bien l’objectif de M. Mézard et je le rejoins pour considérer qu’il est maintenant largement temps de travailler sur le statut du juge des libertés et de la détention, actuellement assez flou, et auquel ce texte va confier des rôles importants. Il nous faut véritablement entreprendre un travail pour mettre au point une loi organique organisant son statut.
Toutefois, l’article dont nous discutons est relatif aux contrôles d’identité. Je rappelle que l’article 78-1 du code de procédure pénale dispose que « l’application des règles prévues par le présent chapitre est soumise au contrôle des autorités judiciaires mentionnées aux articles 12 et 13 », à savoir le procureur de la République et le procureur général de la République.
Je ne pense pas que l’on puisse, à l’occasion de l’examen de ce texte, modifier de A à Z le régime juridique des contrôles ou des vérifications d’identité – cela demanderait un peu de temps !
M. Jacques Mézard. Je ne vous le fais pas dire !
M. Michel Mercier, rapporteur. Telles sont les raisons pour lesquelles je demande le retrait de l’amendement n° 199 rectifié. Sinon, je serais contraint d’émettre un avis défavorable, compte tenu des dispositions du code de procédure pénale que M. Mézard connaît parfaitement. (M. Jacques Mézard fait un signe de dénégation.) Bien sûr que vous les connaissez !
De plus, je veux rappeler que l’autorité judiciaire est naturellement compétente pour apprécier la légalité de ces mesures. Une décision du Conseil constitutionnel du 5 août 1993 a rappelé qu’il revient au tribunal pénal d’apprécier, si besoin est, la légalité des opérations.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 89 rectifié, présenté par MM. Karoutchi et Cambon, Mme Duchêne, MM. Bizet, Cantegrit, Bouchet, Savin, Joyandet, Milon, Danesi, Dufaut et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, M. Laménie, Mmes Lopez et Deromedi, MM. Chaize et Pellevat, Mme Hummel, MM. D. Laurent et Gilles, Mme Micouleau, MM. P. Dominati et G. Bailly, Mme Procaccia, MM. Morisset, de Raincourt et Laufoaulu, Mme Duranton, MM. Charon, Masclet et Savary, Mme Giudicelli, MM. Mandelli, Gremillet, Pierre, Mayet, Chasseing, Lefèvre et Pointereau, Mme Mélot et MM. Houel et Husson, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 4° Du fait qu’elle bénéficie du droit de faire prévenir par l’officier de police judiciaire toute personne de son choix ainsi que son employeur.
La parole est à Mme Marie-Annick Duchêne.
Mme Marie-Annick Duchêne. La possibilité pour la personne retenue de prévenir la personne de son choix et son employeur paraît nécessaire au titre des garanties encadrant une privation de liberté, même de très courte durée.
Elle existe pour la vérification d’identité de l’article 78-3 du code de procédure pénale, dont le présent article s’est initialement inspiré. Elle existe également pour la garde à vue prévue à l’article 63-2 du code de procédure pénale, la rétention pour vérification de situation de la personne placée sous contrôle judiciaire – prévue à l’article 141-4 du même code – ou faisant l’objet d’un mandat – définie par les articles 133-1 et 135-2 dudit code.
Cependant, le droit de prévenir une personne de son choix doit être adapté à l’objet de cette nouvelle procédure de vérification dont la mise en œuvre est fondée sur une présomption de comportements liés à des activités terroristes.
Dès lors, la possibilité qui serait offerte à la personne retenue de pouvoir joindre elle-même une personne de son choix présenterait le risque majeur de diffusion d’informations auprès du réseau auquel elle est susceptible d’appartenir et de rendre ainsi inefficace cette mesure administrative en entravant les capacités d’actions des services de renseignements.
Aussi, il est indispensable de remplacer le droit d’information directe par un droit d’information indirecte, par l’intermédiaire de l’officier de police judiciaire, afin de garantir l’efficacité opérationnelle de cette mesure dans le contexte d’extrême menace auquel notre territoire est exposé. L’officier de police judiciaire pourra ainsi apprécier, sous le contrôle du procureur de la République, si les nécessités mêmes de la retenue doivent conduire à refuser de faire droit à la demande d’aviser la personne désignée par l’intéressé.
M. le président. L’amendement n° 189 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 4° Du fait qu’elle bénéficie du droit de prévenir toute personne de son choix et son employeur, et d’être assistée d’un avocat.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Nous sommes là aussi au cœur du débat. La situation, telle qu’elle se dessine, est assez surréaliste ! Il est prévu d’instaurer une retenue de quatre heures pour permettre à l’autorité administrative, sous contrôle de l’autorité judiciaire, de procéder à un certain nombre d’investigations. L’alinéa 10 de l’article 18 donne la possibilité à la personne retenue – il était difficile de faire autrement ! – de prévenir toute personne de son choix et son employeur.
Imaginez un terroriste – un vrai ! – qui est l’objet de cette retenue : il va avoir la possibilité de prévenir toute personne de son choix qu’on est en train de vérifier son identité. La chose est déjà assez originale !
En même temps, à partir du moment où il s’agit d’une mesure restrictive de liberté – ou privative, selon le cas – il est bien évident qu’il faut donner des droits à la personne retenue. Là réside toute l’ambiguïté du système.
Aux termes de l’amendement précédent, la personne retenue ne peut pas prévenir elle-même, mais doit passer par le canal de l’officier de police judiciaire. Nous y ajoutons la possibilité d’être assisté d’un avocat.
On peut considérer que c’est absurde. J’ai vécu – nous avons tous vécu ici – le même débat sur la garde à vue. On trouvait, du côté gauche de l’hémicycle, ceux qui, en harmonie avec nous, tenaient les mêmes discours que celui que je tiens aujourd’hui et qui seront peut-être à nouveau les leurs ultérieurement…
M. François Grosdidier. Après 2017 !
M. Jacques Mézard. C’est, en tout cas, une question qui mérite d’être posée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Ce point est important, puisqu’il constitue l’une des garanties fortes accordées par le projet de loi aux personnes placées en retenue.
Nous sommes en présence de deux propositions. La première, qui a été défendue par Mme Duchêne, prévoit que l’officier de police judiciaire informe, pour le compte de la personne retenue, son employeur et toute personne de son choix. Un verrou est posé : la personne retenue ne pourra en aucun cas passer l’appel elle-même et devra toujours passer par l’officier de police judiciaire.
La seconde proposition, défendue par M. Mézard, prévoit que la personne placée en retenue pourra appeler une personne de son choix et qu’elle aura, de toute façon, également le droit d’être assistée d’un avocat.
Je veux rappeler la position prise par la commission des lois, ce qui me permettra d’expliquer les raisons pour lesquelles j’émets un avis défavorable sur les deux amendements.
Pour la commission, il faut naturellement que la personne placée en retenue puisse avertir la personne de son choix et son employeur. En revanche, il faut faire attention et se prémunir contre le risque que la personne placée en retenue n’utilise, en appelant un complice potentiel pour lui annoncer qu’elle est placée en retenue, un code qui mettrait à ce dernier la puce à l’oreille. Et le fait que cette personne soit appelée par un officier de police judiciaire ne change rien à l’affaire !
Imaginons qu’un officier de police judiciaire appelle, par exemple, M. Collombat – il sera sans doute très souvent sollicité ! (Sourires.) Plus sérieusement, l’appel à une personne choisie par la personne placée en retenue, s’il émane d’un officier de police judiciaire, sera aussi une alerte si la personne retenue est un terroriste potentiel.
Quel est donc le dispositif retenu par la commission ?
Examinons tout d’abord le cas où la retenue ne démontre pas une grande dangerosité de la personne en cause. Celle-ci pourra alors elle-même appeler son employeur ; cela est préférable à un appel effectué par l’officier de police judiciaire, qui pourrait conduire à la perte de l’emploi en question, conséquence somme toute indésirable. La personne retenue pourra également, si elle le veut, appeler un membre de sa famille.
J’en viens désormais à l’autre possibilité, devançant ainsi l’argument que m’opposera à n’en pas douter M. Mézard. Si donc les vérifications administratives effectuées par l’officier de police judiciaire démontrent que la personne retenue est potentiellement dangereuse, un délai de deux heures est institué pendant lequel l’officier de police judiciaire peut et doit consulter le procureur de la République. Au vu des éléments fournis par l’officier et des explications présentées par la personne retenue, le procureur peut défendre à cette dernière d’avertir son employeur ou la personne de son choix.
J’estime donc que le système que nous avons mis en place non seulement préserve les droits de la personne retenue, mais évite aussi toute déclaration de complicité et toute possibilité d’éveiller les soupçons de complices, tout cela sous le contrôle du procureur de la République.
M. Pierre-Yves Collombat. Quelle usine à gaz !
M. Michel Mercier, rapporteur. C’est la raison pour laquelle je vous demande, ma chère collègue, de retirer votre amendement, dont la rédaction est trop absolue ; faute de retrait, l’avis de la commission serait défavorable.
Votre amendement, monsieur Mézard, tendrait quant à lui à faire se déplacer un avocat alors même qu’aucune audition n’est prévue et qu’on a déjà beaucoup de peine à les faire venir pour les gardes à vue.
M. Jacques Mézard. Ce n’est pas ce qu’ils disent !
M. Michel Mercier, rapporteur. Il serait donc extrêmement bienvenu que vous retiriez, vous aussi, votre amendement, sans quoi l’avis de la commission serait, là encore, défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 89 rectifié de M. Karoutchi, qui vise à remplacer le droit d’information directe par un droit d’information indirecte, effectuée par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire.
Il paraît en effet indispensable d’encadrer davantage ce droit de la personne retenue d’avertir une personne de son choix afin de maîtriser le risque de diffusion d’informations.
Pour cette raison de bon sens, le Gouvernement s’est montré favorable à un amendement déposé par M. Karoutchi, fait somme toute fort rare ! (Sourires.) Je regrette qu’il ne soit pas présent à l’instant dans cet hémicycle pour l’entendre : je compte sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour lui transmettre cet avis.
M. Jean-Claude Lenoir. Il revient dans un instant !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Surtout, qu’il n’en déduise pas que, pour que ses amendements soient adoptés, il suffit qu’il ne soit pas présent : cela ne marcherait pas systématiquement ! (Nouveaux sourires.)
Plus sérieusement, il est également important de rappeler que, si cet amendement était adopté, l’officier de police judiciaire pourrait apprécier, sous le contrôle du procureur de la République, si les nécessités de la retenue doivent conduire à refuser de faire droit à la demande d’aviser la personne désignée par l’intéressé. Cet élément important de garantie justifie lui aussi l’adoption de cet amendement.
En revanche, à mon grand regret, je suis défavorable à l’amendement n° 189 rectifié de M. Mézard pour toutes les raisons évoquées par M. le rapporteur, sur lesquelles je ne reviendrai pas compte tenu de la qualité des relations d’amitié qui me lient à M. Mézard. (Mêmes mouvements.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Pour ma part, monsieur le ministre, je suivrai l’avis de M. le rapporteur.
En effet, le dispositif créé par cet article est extrêmement délicat : nous devons donc nous munir de précautions.
Il en va ainsi de la possibilité offerte à la personne retenue de prévenir elle-même son employeur : cette personne, lors de la retenue, n’est présumée coupable d’aucune infraction. Si tel était le cas, il faudrait qu’elle soit immédiatement mise en garde à vue et qu’elle puisse ainsi bénéficier des protections offertes par ce statut et, notamment, de la présence d’un avocat.
Dans ce régime de retenue pour vérification, au contraire, aucun avocat n’est nécessaire. En effet, la personne n’est pas entendue : aucun rapport n’est établi, on ne fait alors que contrôler les informations disponibles à son sujet. Ce n’est qu’une fois ce contrôle effectué que, éventuellement, des mesures de garde à vue peuvent être prises au vu des informations récoltées.
Dès lors, il faut tout de même admettre que, durant ce contrôle, la personne retenue puisse elle-même prévenir des tiers et, en particulier, son employeur, quitte à ce que ce soit sous le contrôle de l’officier de police judiciaire. Cela permettrait d’éviter que l’employeur ne se pose des questions sur son salarié, ce qui pourrait avoir de réelles conséquences pour ce dernier.
Voilà pourquoi j’estime que la rédaction issue des travaux de la commission est ici la meilleure : je voterai par conséquent contre l’amendement n° 89 rectifié.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je tiens à attirer l’attention de nos collègues sur le caractère quelque peu paradoxal du raisonnement qui est tenu. À en croire certains orateurs, c’est parce que la personne retenue ne fait pas l’objet de réels soupçons qu’elle ne saurait se voir offrir de garanties ; en revanche, si des soupçons sérieux pesaient sur elle, elle pourrait alors bénéficier d’un avocat ! Ce raisonnement est tout de même assez curieux !
M. Jacques Bigot. Il ne s’agit pas d’une garde à vue !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 89 rectifié.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l’amendement.)
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 189 rectifié n’a plus d’objet.
M. Jean-Claude Lenoir. M. le ministre reconnaît ses vrais amis !
M. le président. L’amendement n° 97 rectifié bis, présenté par Mmes S. Robert, Bonnefoy et Lienemann et MM. Patriat et Leconte, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Si l’officier de police judiciaire a des raisons sérieuses de penser que la communication avec la personne choisie ou l’employeur peut avoir des conséquences de nature à porter atteinte à l’ordre public ou aux intérêts fondamentaux de la Nation, il ne fait pas droit à cette demande et en réfère sans délai au procureur de la République qui décide, s’il y a lieu, d’y faire droit.
La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Cet amendement a pour objet de mieux préciser les motifs pour lesquels l’officier de police judiciaire peut ne pas faire droit à la demande formulée par la personne retenue de communiquer avec un tiers ou son employeur.
La notion de « nécessités liées à la retenue » présente dans la rédaction actuelle de cet alinéa nous apparaît trop vague. Cela est d’autant plus préjudiciable que cette rédaction risque de rendre ce droit totalement ineffectif.
Aux termes de notre amendement, l’officier de police judiciaire ne pourrait fonder son refus que sur des motifs impérieux, en l’occurrence la sauvegarde de l’ordre public ou des intérêts fondamentaux de la Nation.
En d’autres termes, nous entendons substituer à la notion de « nécessités liées à la retenue » des motifs impérieux et précis, susceptibles de légitimer l’impossibilité de donner suite à ce droit de la personne retenue.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Au vu de l’adoption, à l’instant, de l’amendement n° 89 rectifié, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 169 rectifié, présenté par Mmes Aïchi, Benbassa, Blandin et Bouchoux, M. Dantec, Mme Archimbaud et MM. Gattolin et Labbé, n’est pas soutenu.
L’amendement n° 190 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« 5° De son droit à garder le silence.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement vise à ce que soit notifié à la personne retenue dans le cadre du dispositif prévu à cet article son droit à garder le silence.
On nous affirme que cette retenue ne pourra donner lieu à audition. J’ai pourtant déjà soulevé les difficultés techniques que cette interdiction suscitera sur le terrain. En effet, il existe des gens qui parlent alors même qu’on leur demande de se taire : cela est tout aussi vrai pour les interrogateurs que pour ceux qui sont censés répondre aux questions !
Je juge nécessaire de notifier très clairement à la personne retenue qu’elle a le droit de ne rien dire. En effet, dans l’état actuel de la rédaction de ce texte, ne pas le faire donnerait lieu ultérieurement à des problèmes de procédure.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. L’amendement n° 190 rectifié bis de M. Mézard est très bon : la commission a donc émis à son sujet un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. À mon grand regret, je dois dire que cet amendement pose un problème, monsieur Mézard.
Le régime de la retenue pour vérification de situation créé par cet article est calqué sur celui de la retenue aux fins de vérification d’identité prévu à l’article 78–3 du code de procédure pénale. Il s’agit d’une mesure de vérification et non pas d’un nouveau régime d’audition libre ou de garde à vue.
Par conséquent, pour des raisons de droit, il n’y a pas lieu de notifier un droit à garder le silence à une personne retenue dans ce cadre, car elle n’a pas vocation à être interrogée.
Il est par ailleurs expressément prévu que la retenue ne peut donner lieu à audition. Aux termes de la rédaction retenue par la commission des lois, la personne retenue est d’ailleurs précisément informée de ce fait.
Par conséquent, votre amendement est satisfait par les dispositions que nous avons d’ores et déjà arrêtées. Voilà pourquoi, monsieur Mézard, je vous demande de le retirer.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je ne retirerai pas cet amendement. En effet, il y a là un véritable problème ; je crois par ailleurs que les procédures sont d’autant mieux appliquées qu’elles sont claires.
Notre amendement vise non seulement à assurer le respect des droits de la personne, mais surtout à garantir le principe de loyauté dans le recueil des preuves d’une infraction, principe dont l’importance a encore été soulignée par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 mars 2015.
Que se passera-t-il, aux termes de la rédaction actuelle de l’article ? On notifiera à la personne retenue qu’il ne peut pas y avoir lieu à audition ; cela n’est pas la même chose que de lui indiquer qu’elle peut rester silencieuse.
Je persiste à répéter ma question restée sans réponse : que se passera-t-il si la personne parle, ne serait-ce qu’un petit peu, à demi-mot ou à mots couverts ? Que fera-t-on de ces déclarations ?
Dans l’intérêt même de la procédure, il est à mon sens plus sain, conformément aux principes de clarté et de loyauté, de signifier à la personne retenue qu’elle peut garder le silence.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 62 rectifié est présenté par MM. Grand, Milon, Lemoyne et Laufoaulu, Mme Imbert, MM. D. Laurent, Danesi, Laménie, Vasselle, Pinton, Gilles, Pellevat et Bouchet, Mme Hummel, M. Chaize, Mme Micouleau, MM. G. Bailly, Charon, Masclet, Savary, B. Fournier, Mandelli, Pierre, Dallier, Revet et Gremillet et Mme Garriaud-Maylam.
L’amendement n° 126 est présenté par MM. Bigot, Richard et Leconte, Mmes Lienemann, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 14, deuxième et dernière phrases
Supprimer ces phrases.
La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour présenter l’amendement n° 62 rectifié.
M. Jean-Pierre Grand. Le thème de cet amendement a été très largement abordé lors de l’examen d’amendements antérieurs. Par conséquent, je me contenterai de rappeler que nous souhaitons harmoniser la durée de retenue à quatre heures. Que la personne contrôlée soit mineure ou majeure, quatre heures sont nécessaires pour permettre aux forces de l’ordre de procéder aux vérifications requises.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour présenter l’amendement n° 126.
M. Jacques Bigot. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Sans rouvrir le débat sur ce point, je tiens à préciser que, bien évidemment, notre groupe votera contre ces amendements.
Nous avions jugé que la rédaction de la commission améliorait légèrement cet article. L’adoption de ces amendements identiques serait un retour en arrière.
J’ai bien entendu les propos tenus tout à l’heure. Néanmoins, je doute que retenir ainsi des enfants plus longtemps serve à mieux les protéger. Le glissement auquel on assiste ici, qui tend à assimiler le mineur à l’adulte, ne manque pas de m’inquiéter.
Sans prêter au Gouvernement, monsieur le ministre, un quelconque esprit pervers dans ses volontés potentielles de réforme, j’en arrive à me réjouir que nous n’ayons pas encore inscrit à l’ordre du jour la réforme de l’ordonnance de février 1945 relative à l’enfance délinquante. En effet, j’en viens à m’inquiéter très fortement de ce qu’une telle réforme pourrait contenir.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 62 rectifié et 126.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 123, présenté par MM. Bigot, Richard, Leconte et Sueur, Mmes Lienemann, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 18
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« … – Une personne ayant déjà fait l’objet d’une telle retenue dans les quatre-vingt-dix jours précédents ne peut être à nouveau retenue. » ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement vise à ce qu’une personne ne puisse faire l’objet d’une retenue pour vérification de situation qu’une seule fois dans un intervalle de quatre-vingt-dix jours.
Ce débat a montré que les conditions qui pouvaient conduire à une retenue pour vérification étaient somme toute relativement objectives. Par conséquent, si, à l’occasion d’une vérification d’identité, une personne correspond aux critères qui entraînent une telle retenue, cela devrait logiquement être le cas à chaque nouveau contrôle. Or les vérifications nécessaires auront été effectuées lors du premier contrôle. Il serait dès lors inutile de prévoir leur répétition quasi systématique lors de contrôles ultérieurs.
Voilà pourquoi nous avons déposé cet amendement tendant à restreindre la répétition de ces retenues pour vérification. À nos yeux, quatre-vingt-dix jours constituent un intervalle durant lequel on peut raisonnablement considérer que les vérifications effectuées au cours d’un premier contrôle restent valables et suffisantes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Les auteurs de cet amendement posent une question importante. Leur idée est toute simple : après qu’une personne a été soumise à une retenue pour vérification, elle ne peut faire l’objet d’une seconde mesure de ce type avant l’expiration d’un délai de quatre-vingt-dix jours.
Néanmoins, il nous faut garder à l’esprit la situation actuelle en matière de terrorisme. On constate que certains jeunes qui, récemment encore, sortaient dans des cafés, riaient et se comportaient en somme comme tous les autres jeunes se sont radicalisés en quelques jours pour devenir des terroristes. Les typologies de ces jeunes terroristes changent très vite !
Trois mois, c’est un délai long, trop long : en trois mois, une personne a le temps de se radicaliser. Voilà pourquoi il me semble inopportun de rendre impossible une nouvelle retenue de ces personnes pendant une durée aussi longue.
Par conséquent, l’avis de la commission sur cet amendement est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. J’entends votre argument, monsieur le rapporteur. Pour autant, ne pourrait-on pas alors rectifier l’amendement pour modifier le délai qui y est spécifié ? On pourrait ainsi sauvegarder son objet premier, à savoir éviter que chaque contrôle donne lieu à une retenue pour vérification.
Si vous considérez qu’un délai de quatre-vingt-dix jours est trop long, peut-être un délai de vingt ou trente jours serait-il convenable ? Une telle durée me semble pouvoir aussi constituer un gage d’efficacité, en évitant aux forces de police de procéder à des retenues systématiques chaque fois qu’elles tombent sur la même personne. Cela garantirait que ces retenues ne se fassent que pour de bonnes raisons et ne mobilisent pas de manière superflue non seulement des forces de police, mais aussi un procureur.
Par ailleurs, le dispositif créé par cet article restreint tout de même lourdement la liberté d’aller et venir de la personne en cause, surtout si les contrôles sont répétés.
Je peux donc accepter de rectifier l’amendement si le délai qui y est spécifié s’avère trop long. Son adoption permettrait en tout cas d’éviter des dérives tant pour les libertés que pour l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, dérives que rejettent ceux-là mêmes qui appellent de leurs vœux cette mesure.