Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Annie David et nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen d’avoir mis cette importante question à l’ordre du jour.
L’évolution rapide du monde du travail ces dernières années s’accompagne de nouveaux défis liés à la persistance de maladies professionnelles connues de longue date et à l’apparition permanente de nouvelles pathologies. Troubles musculo-squelettiques, cancers, expositions, voire pluriexpositions aux produits chimiques et aux pesticides, burn out, stress, la liste est longue.
Selon les chiffres 2014 de l’assurance maladie, le nombre de maladies reconnues comme professionnelles a augmenté de 3,4 % par an depuis dix ans. En tout, plus de 51 000 maladies – le chiffre a déjà été donné – ont entraîné un arrêt de travail ou une incapacité permanente de travail en 2014, et 368 décès ont été imputés à des maladies professionnelles. C’est sans compter celles qui ne donnent pas lieu à une déclaration, par manque d’information des salariés, par sous-déclaration des employeurs ou parce que les démarches sont parfois un vrai parcours du combattant.
La conjugaison de l’intensification du travail et de l’allongement de la durée de travail rend les personnes qui sont plus âgées bien plus fragiles.
Des mécanismes de prévention ont été mis en œuvre, mais ce n’est pas encore suffisant. Durant les six minutes qui me sont imparties, je relèverai quelques points qui me paraissent importants.
En ce qui concerne l’amiante, responsable de 7 % des maladies professionnelles, de 90 % des cancers professionnels, dont les pronostics sont rarement optimistes, les réformes font du sur-place. Madame la ministre, je vous le dis avec colère et gravité : le comité de suivi amiante du Sénat a remis, en juillet 2014 au Premier ministre vingt-huit propositions concrètes et consensuelles, presque deux ans plus tard, il faut constater que rien n’avance, ou alors nous sommes très mal informés !
Malgré les compétences et le potentiel de découverte en matière de recherche médicale pour trouver de nouveaux traitements médicaux, les financements font gravement défaut, et de nombreux projets médicaux, comme ceux qui sont actuellement mis en place au CHU de Lille, sont en danger faute de budget.
Le chiffre de 100 000 morts d’ici à 2050 annoncé par l’Institut de veille sanitaire, l’INVS, pourrait être sous-évalué si on ne prend pas rapidement un certain nombre de mesures, notamment pour mieux encadrer les conditions de travail sur les chantiers de désamiantage. Notre comité de suivi avait relevé le manque criant d’inspecteurs du travail sur le terrain pour faire respecter la réglementation. Sur ce sujet, madame la ministre, je ne sais pas si vous avez les moyens de renforcer les effectifs de l’inspection du travail.
Le danger guette également tous ceux qui font des travaux dans des bâtiments amiantés sans le savoir : artisans, ouvriers du bâtiment, bricoleurs du dimanche. Nous avions proposé, dans le projet de loi relatif à la santé, un amendement inspiré des propositions du professeur Claude Got. Celui-ci avait insisté sur l’importance d’une plus grande transparence, voilà près de vingt ans, dans le rapport qu’il avait remis en 1998 à Martine Aubry et Bernard Kouchner. Notre amendement prévoit tout simplement de rendre publics, sur un site en ligne, les rapports d’activité des désamianteurs afin que chacun puisse être informé d’une éventuelle présence d’amiante dans son bâtiment et s’en prémunir avant les travaux. Cet amendement, voté au Sénat, a malheureusement disparu à l’Assemblée nationale. Madame la ministre, comptez-vous mettre en œuvre cette demande simple et très attendue ?
La prévention en matière de santé au travail concerne les travailleurs, mais elle peut aussi concerner leur entourage et les riverains. Je pense, par exemple, aux familles des personnes malades de l’amiante, les femmes ayant été contaminées souvent par le biais des tenues de travail de leur mari, aux enfants d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, dont l’école, durant des années, était mitoyenne d’une usine de broyage d’amiante, aux riverains des zones agricoles qui sont exposés, au moment des pulvérisations de pesticides et autres produits chimiques, à des cocktails toxiques. Ce ne sont pas des cas isolés ou anecdotiques. Quelles indemnisations seront prévues pour eux ? Quel suivi médical ? Et surtout, quelle prévention ? Bien souvent, ces personnes se retrouvent démunies aujourd'hui.
Nous avions proposé, sans succès, à votre prédécesseur Michel Sapin que les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, puissent se préoccuper aussi des conséquences environnementales de l’activité de leur entreprise à l’extérieur de celle-ci. Je ne sais pas où en est la réflexion du Gouvernement sur ce point. Quelles mesures prévoit-il de mettre en place pour lutter contre les expositions paraprofessionnelles ?
De façon plus générale, le suivi post-exposition est souvent insuffisant, notamment pour des travailleurs très à risque.
Les derniers résultats du programme ARDCO de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, montrent bien l’importance d’assurer un suivi médical post-professionnel pour les travailleurs qui ont été en contact avec de l’amiante, y compris ceux qui ont développé des plaques pleurales. Cette étude montre que les porteurs de plaques pleurales ont notamment sept fois plus de risques de développer un mésothéliome par rapport à quelqu’un qui n’en a pas. Un suivi attentif paraît donc nécessaire. Ce n’est pas le cas actuellement. Quand ces malades pourront-ils avoir accès à un suivi digne de ce nom ?
Enfin, je tiens à vous faire part de deux inquiétudes.
D’abord, je voudrais relayer les protestations émanant d’un certain nombre de personnes selon lesquelles il semblerait que plusieurs médecins du travail et psychiatres aient fait l’objet de poursuites de la part d’employeurs auprès du conseil de l’Ordre pour avoir fait le lien entre la maladie d’un salarié et ses conditions de travail. Un décret semble en effet autoriser cette procédure, ce qui pose un gros problème !
Ensuite, j’ai les mêmes questions que Catherine Génisson concernant le texte du projet de loi que nous allons connaître dans quelques jours, notamment sur l’article 44, mais pas uniquement. Ainsi, je m’interroge sur le rôle des médecins du travail, qui craignent – c’est en tout cas l’interprétation qu’ils ont du texte tel qu’il existerait – de passer d’un rôle de prévention à un rôle de sélection. Sur ce point, madame la ministre, pouvez-vous nous donner, en avant-première, quelques précisions et répondre à ces inquiétudes qui sont très fortes ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame le ministre, je profiterai de cette séance pour évoquer un problème qui a trait au projet de loi de réforme du code du travail que vous êtes en train d’élaborer. Il y a dans ce « pré-projet » de loi, dont tout le monde parle puisque la presse s’en est déjà largement fait l’écho, un aspect qui me préoccupe au plus haut point : les atteintes à la laïcité, puisque ce projet de loi reconnaît officiellement le fait religieux dans l’entreprise.
Mme Annie David. Cela n’a rien à voir avec le débat !
M. Jean Louis Masson. C’est une atteinte très grave à mon sens à des principes fondamentaux.
Mme Annie David. Je ne pensais pas que, dans un débat, on pouvait parler de ce dont on avait envie !
M. Jean Louis Masson. Mais si, on peut parler de ce que l’on veut !
Mme Annie David. Non, ce n’est pas normal !
M. Jean Louis Masson. Cette atteinte à des principes fondamentaux me paraît extrêmement grave, car on ne doit pas porter atteinte à la liberté de fonctionnement de l’entreprise. Or, d’après ce qui est prévu ou, tout au moins, annoncé, c’est ce que fait ce texte.
Je suis pour ma part très attaché à la laïcité, à une laïcité stricte, pas seulement dans l’espace public (Mme Annie David s’exclame.), mais aussi, au quotidien, dans l’entreprise. Il y a, à cet égard, une atteinte très grave et il convient de soulever dès à présent cette problématique.
Il est tout à fait inexact de prétendre que cela reviendrait à conforter une situation existante. C’est faux, on ne conforterait rien, bien au contraire ! Si une personne peut considérer que cesser le travail pour se mettre à prier ne nuit pas à la vie de son entreprise, elle s’arrêtera de travailler pendant un moment, pour tuer le temps. (M. Jean-Pierre Bosino et Mme Annie David s’exclament.) Si chaque religion agit ainsi, où allons-nous ? Et surtout, où finira-t-on concernant la vie de l’entreprise ?
J’insiste très fortement : cette mesure est aberrante et dangereuse.
Mme Annie David. On avait compris !
M. Jean Louis Masson. Alors que des bombes explosent un peu partout, il me semble inutile de renforcer les communautarismes.
Il s’agit, une fois de plus, de démagogie électorale : il importe de faire plaisir à tout le monde. Et l’on s’étonnera ensuite que cette situation entraîne des dérapages analogues à ceux qui se sont produits aujourd’hui à Bruxelles, hier à Bamako…
Mme Annie David. Allons-y !
M. Jean Louis Masson. … ou à Paris, au Bataclan. Voilà ce que je voulais dire. Je remercie mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen d’avoir assuré le chahut pendant que je m’exprimais !
M. Jean-Pierre Bosino. Cela aurait pu être pire !
Mme la présidente. On parle de ce que l’on veut, mais dans le temps imparti !
La parole est à M. Michel Amiel.
M. Michel Amiel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je vais être plus orthodoxe que notre collègue…
Mme Catherine Génisson. Attention, ne parlez pas de religion ! (Sourires.)
M. Michel Amiel. … et évoquer la santé au travail !
Le débat qui nous intéresse aujourd’hui porte sur un sujet à la fois sensible et essentiel.
La santé au travail ne se limite pas à la question des conditions de travail, à la prise en compte des risques psychosociaux, ni même à l’impact du travail sur la santé.
Il s’agit d’appréhender, de la manière la plus équilibrée et la plus juste possible, la façon dont les conditions de travail et les conditions de vie peuvent interagir sur la santé de la personne.
Pour ma part, j’ai choisi l’occasion de la question de notre collègue Mme David pour aborder, dans le temps qui m’est imparti, le sujet du burn out, plus particulièrement en milieu hospitalier – médecin oblige !
Le concept même de burn out est au cœur de réflexions récentes, avec notamment la question de la reconnaissance de ce dernier dans notre législation, via la proposition de loi de M. Hamon déposée à l’Assemblée nationale. Les conséquences de cette reconnaissance seraient multiples : doit-on reconnaître ce concept, dont il faut rappeler que les contours sont flous, comme une pathologie médicale ? Comment organiser la prise en charge de telles situations par notre système de protection sociale ? Comment délimiter les causalités d’un tel état ? Enfin, cette reconnaissance serait-elle bénéfique pour mieux définir les risques psychosociaux liés à l’activité professionnelle ?
Le psychiatre français Claude Veil avait émis cette mise en garde : « l’état d’épuisement est le fruit de la rencontre d’un individu et d’une situation. L’un et l’autre sont complexes et on doit se garder de simplification abusive. » Ce n’est pas nouveau, cette phrase date de 1959. Le mot n’existait pas, mais un premier pas était franchi.
L’Académie de médecine, dans son rapport de février dernier, alerte en ces termes : « l’expansion du terme burn out devient une source de confusion en raison des limites imprécises de cette réalité ». Elle penche davantage pour une reconnaissance du burn out comme une forme de dépression.
Les chiffres varient énormément et les estimations des personnes touchées oscillent entre 30 000 et 3 millions.
À partir des premiers travaux de Freudenberger ou de ceux de Maslach – celui-ci est à l’origine d’une grille d’évaluation en vingt-deux items –, il est possible de dégager trois composantes du burn out : un épuisement émotionnel, un désinvestissement dans le travail et un manque d’accomplissement personnel.
Hélas, il existe bel et bien une difficulté à définir scientifiquement cette affection. À ce jour, sa reconnaissance légale est donc loin de faire l’unanimité, et ce dans tous les pays. Comment pourrions-nous passer le cap d’une reconnaissance comme maladie professionnelle, alors même qu’il n’apparaît pas de manière autonome dans la classification DSM-5 – cet ouvrage de référence qui répertorie de manière exhaustive les pathologies psychiatriques – comme une maladie ?
Il n’est pas question ici de remettre en cause la souffrance et les symptômes dont souffrent les personnes atteintes. J’en profite pour rappeler que les tout premiers burn out ont été observés chez des soignants, beaucoup en font d’ailleurs toujours les frais.
Il apparaît presque ironique que la communauté médicale, qui est au premier rang de la prise en charge de ces personnes, compte parmi les professions les plus touchées par ce mal aux contours plus que fluctuants.
Malheureusement, les chiffres de morbidité et de mortalité par suicide, mais aussi d’addictions, sont, suivant les études, de deux à trois fois plus élevés dans la profession médicale que dans la population générale.
Des études ont mis en avant dès 2014 la vulnérabilité des professionnels hospitaliers, comme celle de l’Association nationale pour la formation du personnel hospitalier, en partenariat avec les agences régionales de santé de Provence-Alpes-Côte d’Azur et du Languedoc-Roussillon. D’autres études internationales, britanniques et américaines, aboutissent à des résultats allant de 33 % à 56 % de cancérologues en situation de burn out.
Pour Sarah Dauchy, psychiatre à l’Institut Gustave-Roussy, cela s’explique par une « charge émotionnelle forte » et un rythme de travail difficilement compatible avec une vie de famille ainsi qu’une réalité qui vient parfois « cogner » avec un « idéal du soin à la fois individuel et collectif, délicat à tenir dans une société qui rêve de zéro douleur et de zéro détresse ».
Il ne faut pas non plus oublier l’impact des conflits dus à la structure hospitalière, des conflits éthiques récurrents et du manque de reconnaissance professionnelle. L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l’AP-HP, sous l’impulsion du professeur Capron, a récemment mis en place un plan d’action pour prévenir les conflits, à la suite du suicide d’un cardiologue de l’hôpital Georges-Pompidou.
Je tiens à saluer ces initiatives, qui cherchent à mieux comprendre le phénomène de l’épuisement professionnel et qui encouragent la libération de la parole sur ce sujet douloureux. Il en est ainsi du guide de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, que citait déjà ma collègue et consœur Catherine Génisson.
Les pistes de prévention existent : repos compensateur, groupes de parole, mise en place de structures de soins dédiés au médecin, etc.
L’épuisement professionnel du personnel hospitalier est un sujet auquel il convient d’apporter toute l’attention qu’il mérite. Mais je n’oublie pas non plus les soignants en dehors de l’hôpital, en particulier les médecins généralistes, de plus en plus sollicités, au risque de tomber eux aussi dans le piège de l’épuisement professionnel.
Comme le dit le professeur Olié : « Il faut voir ce qui doit rester dans le champ de la détresse psychologique et ce qui doit rentrer dans celui de la pathologie. Le ministère de la santé doit se saisir de cette problématique et ne pas la laisser entre les mains du ministère du travail. » Pardonnez-moi, madame la ministre ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE. – Mmes Catherine Génisson et Catherine Deroche ainsi que M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis issue du monde de l’entreprise, le sujet que nous abordons aujourd’hui m’intéresse donc tout particulièrement. Si le bien-être est essentiel à la bonne réalisation du travail, il n’en demeure pas moins un facteur d’épanouissement et d’enrichissement personnel. Comme dit l’adage populaire, le travail, c’est la santé !
Aux yeux de certains, le travail ne serait qu’une source de contraintes. J’entends ces propos, mais je ne peux que les désapprouver. Le travail est, bien au contraire, une nécessité pour se construire en tant que personne. Le chômage serait-il donc plus épanouissant que le travail ? Je ne peux décemment pas le croire. Voilà pourquoi restreindre le travail à l’état de contrainte ou de mal-être ne saurait correspondre à la réalité du terrain.
Le bien-être est avant tout un état physique et psychologique, mais aussi social. En cela, le travail ne peut, et ne doit pas, être pensé sous le seul prisme économique. À vrai dire, il relève de caractéristiques très diverses et indissociables. Elles sont managériales, sociales, professionnelles et, bien sûr, économiques.
Loin des raccourcis parfois caricaturaux, le travail reste le lieu de l’apprentissage et de l’interaction sociale. Il construit l’individu en le plaçant au cœur d’une multitude d’échanges. Il ne s’agit pas de prétendre que le travail est l’unique facteur d’épanouissement personnel, mais il y contribue, c’est une évidence. Nous avons tous l’occasion de le constater au quotidien.
Faire ce constat ne signifie pas pour autant éluder les évolutions du monde du travail et les difficultés qui en découlent. Oui, le travail a beaucoup évolué ces dernières décennies. Les relations s’y sont fortement individualisées. L’exemple du mail en est une illustration : cet outil a simplifié la communication au travail, mais a aussi imposé une exigence de rapidité et d’efficacité. Cette tendance n’est pas nouvelle, mais elle a nécessairement entraîné des évolutions, des adaptations.
Malgré cela, un récent sondage montre que 75 % des salariés prennent plaisir à aller travailler. C’est rassurant ! Ce chiffre démontre, s’il en était besoin, que le travail est un facteur d’épanouissement personnel avant d’être une source de contrainte, d’épuisement et de mal-être.
Laisser entendre le contraire, comme je l’entends trop souvent, c’est non seulement oublier que la loi impose aux employeurs de s’assurer de la bonne santé morale et physique de leurs employés, mais aussi oublier, sur le plan juridique, l’obligation générale de sécurité qui leur incombe.
La loi définit un cadre juridique clair à l’exercice du travail, contraignant l’employeur à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des salariés. Cette disposition générale concerne également la mise en œuvre de mesures de prévention en s’appuyant sur le document unique d’évaluation des risques.
Juridiquement, l’entreprise est donc responsable de la santé et de la sécurité de ses employés. Tout manquement à cette obligation relève d’une faute inexcusable de l’employeur, notion inscrite dans le droit de la sécurité sociale. L’employeur est le premier responsable en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. C’est un fait qu’il est toujours bon de rappeler, en particulier lors de débats comme celui que nous avons d’aujourd’hui.
Contrairement à certaines idées reçues, il n’est pas possible, je tiens à le souligner, de faire tout et n’importe quoi au sein de l’entreprise. Celle-ci a tout intérêt à l’épanouissement de son personnel. Un salarié heureux au travail est en effet un salarié productif. Les entreprises le savent bien !
Ce bien-être au travail passe notamment par la formation, qui permet de progresser et d’évoluer. Je pense en particulier au compte personnel de formation, successeur du droit individuel à la formation, qui devrait offrir aux salariés une perspective d’évolution tout au long de leur carrière.
Toutefois, osons le dire, ce compte personnel de formation fonctionne mal. Il ne convient qu’aux cadres, et encore ! Le système est complexe et trop difficile d’accès pour les non-cadres. Améliorer la formation, oui, mais pour tous !
Je voudrais, enfin, revenir sur le rôle essentiel de la médecine et de l’inspection du travail. Experts, médecins, infirmiers, psychologues, les équipes pluridisciplinaires ont un avis déterminant sur la capacité d’un individu à exercer dans de bonnes conditions son travail.
Je rappelle par ailleurs que la médecine et l’inspection du travail possèdent toutes deux un droit de regard sur les conditions d’activité au sein d’une entreprise. Mais ont-elles vraiment les moyens de mener à bien leurs missions et d’accompagner au mieux l’employé dans les difficultés qu’il peut rencontrer dans l’entreprise ? En tant que législateurs, nous devons être vigilants : quelle médecine du travail voulons-nous ? Quels moyens et quels buts concrets pouvons-nous lui donner ?
Madame la ministre, l’enjeu est simple. Il s’agit de prévenir l’absentéisme, les conflits personnels, les plaintes, le burn out, le harcèlement, les accidents du travail et les risques psychosociaux, qui sont des problématiques parfois difficiles à appréhender. Sur ce sujet, si important, l’accompagnement des pouvoirs publics est essentiel, en particulier pour les petites entreprises, lesquelles ne disposent pas toujours d’un service de ressources humaines.
Les outils de contrôle existent et sont nombreux. L’arsenal est dense, peut-être même trop.
Il ne s’agit pas de négliger les tensions nées au travail. Bien au contraire, il faut les regarder avec lucidité et honnêteté. Elles existent et exigent des réponses adaptées, permettant de mieux les anticiper. À cette fin, les pouvoirs publics doivent connaître la réalité du terrain, celle de la vie complexe d’une entreprise.
Nous devons changer notre vision des rapports dans l’entreprise et cesser d’opposer deux mondes, celui de l’entreprise et celui de l’employé. L’un et l’autre doivent évoluer ensemble pour le bien-être de chacun. Ce qui est bon pour l’employé l’est aussi pour l’entreprise. Osons sortir des schémas binaires et donner à chacun ce dont il a besoin, au bénéfice de tous.
Voilà, madame la ministre, quelques axes de réflexion que je souhaitais partager avec vous et qui méritent, à mon sens, d’être approfondis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la santé au travail est un sujet majeur qui mérite toute notre attention. Je remercie nos collègues du groupe CRC d’avoir suscité ce débat. Cette question a des répercussions non seulement sur la santé du salarié, mais également sur le bon fonctionnement et l’efficacité de l’entreprise. En effet, la qualité de vie au travail est aussi un enjeu économique pour les entreprises, qu’il s’agisse du niveau d’absentéisme, de l’accroissement ou de la baisse de la productivité, de l’augmentation de la satisfaction liée au travail, de la fidélisation du personnel ou de l’amélioration de l’image de l’entreprise.
Ce sujet n’est pas nouveau, mais force est de constater que la santé au travail connaît, depuis plusieurs années, une évolution incontestable, liée en particulier à de nouvelles organisations du travail, rendues nécessaires par l’émergence de ce que l’on appelle une « économie du flux tendu ».
Les tâches physiquement les plus difficiles sont de plus en plus mécanisées ; les ouvriers, notamment, n’ont plus tout à fait le même rôle dans le processus industriel, occupant davantage une fonction de contrôle. Ainsi, les conditions matérielles sont devenues plus confortables.
Mme Catherine Génisson. Cela dépend !
Mme Françoise Gatel. Pour autant, l’insatisfaction au travail, liée en particulier au stress, ne cesse de croître. L’EUROGIP évalue ainsi le coût annuel du stress au travail en Europe à 20 milliards d’euros, et 50 % à 60 % des journées de travail perdues y seraient liées.
Dans le contexte de la mondialisation, les entreprises et leurs salariés évoluent dans un environnement extrêmement concurrentiel, nécessitant une réactivité accrue et une performance permanente. La réponse immédiate prévaut sur la réflexion.
Cette immédiateté, et cela a été dit par mes collègues, est également liée à l’essor des outils numériques. Les mails, les téléphones portables, les tablettes rendent plus poreuse la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle.
Par ailleurs, la perception de son propre travail ainsi que les attentes à l’égard des employeurs évoluent, intégrant des éléments subjectifs tels que le sentiment d’accomplissement, la reconnaissance par ses supérieurs des missions réalisées, ou la progression individuelle dans son parcours professionnel.
Les nouveaux risques psychosociaux, souvent plus difficiles à déceler, peuvent emporter des conséquences physiques bien réelles. On pense ici, naturellement, au burn out, considéré par certains comme la maladie du siècle.
Or, si le burn out s’inscrit assez spontanément dans ce débat, le bore out, l’ennui au travail, est encore un sujet tabou. Et pourtant, cette « mise au placard » engendre une souffrance pouvant mener à la dépression, avec la perte de l’estime de soi et le sentiment d’être incapable et inutile.
Parler de santé au travail revient non seulement à exposer les risques et les maladies liées à l’activité professionnelle, mais également à s’intéresser au bien-être des salariés. La relation de la société au travail a beaucoup changé, une valeur croissante étant accordée à la qualité de vie. Mais elle subit aussi les conséquences de la fragilité de certaines vies personnelles et de plus en plus d’agressivité dans les relations humaines. Ainsi le burn out ne pourrait-il être décrit comme une maladie professionnelle, tant il est souvent lié à des circonstances personnelles.
Comment, dès lors, peut-on agir pour améliorer la santé au travail ? Eu égard au temps qui m’est imparti, j’évoquerai seulement trois considérations : les méthodes de management, la médecine du travail et, surtout, le changement de regard de notre société sur l’entreprise.
Les mutations sociétales et les évolutions des modes de travail doivent nécessairement s’accompagner d’une évolution du management. La hiérarchie verticale et autoritaire doit céder la place à des méthodes plus collaboratives et à plus d’écoute du salarié.
Aujourd’hui, en raison, notamment, de l’élévation générale du niveau d’instruction, les managers doivent non seulement savoir convaincre, mais également associer les salariés, quelles que soient leurs fonctions, aux réflexions sur leur process de travail.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très juste !
Mme Françoise Gatel. Le schéma de l’entreprise hiérarchiquement cloisonnée doit faire place à un schéma de connexions valorisant les compétences des salariés.
Par ailleurs, la médecine du travail a bien évidemment un rôle essentiel en matière de santé au travail : un rôle de suivi, mais également de prévention.
La médecine du travail doit être un véritable partenaire de l’entreprise. Les responsables des ressources humaines et les médecins du travail doivent travailler ensemble et non dans la défiance. En tant que responsable du personnel et maire d’une commune, je dois dire que je suis parfois confrontée à un sentiment de défiance absolue de la part de la médecine du travail, alors que l’objectif commun est d’assurer le bien-être et la sécurité des salariés.
Madame la ministre, mes chers collègues, pour conclure, peut-être de manière politiquement incorrecte pour certains mais terriblement vraie, il faut sortir de cette impasse dramatique qu’est la crise de confiance qui existe entre l’entreprise et la société.
L’entreprise n’est pas et ne saurait être indifférente aux conditions de travail de ses salariés puisque sa performance dépend de l’envie et de l’implication de ses salariés, donc de leur bien-être.
Les partenaires sociaux ont déjà prouvé leur engagement dans l’amélioration des conditions de travail des salariés, notamment avec l’accord national expérimental interprofessionnel sur la qualité de vie au travail du 19 juin 2013.
La réussite et l’épanouissement au travail ne viendront pas de lois coercitives qui feraient fi de la réalité de la vie économique et persisteraient dans un esprit d’opposition quelque peu dogmatique entre employeurs et salariés.
Dans notre société, le travail est le vecteur de l’intégration sociale ; le sort de l’entreprise et celui des salariés sont liés. La santé au travail et l’épanouissement des salariés résulteront d’un changement de regard sur leur relation et de l’adoption d’un cadre légal adapté aux réalités favorisant certes la prévention, mais laissant surtout place à une négociation responsable entre les partenaires sociaux.
Ces améliorations supposent également une meilleure préparation des jeunes à leur entrée dans le monde du travail, mais aussi une meilleure fluidité dans les parcours professionnels, qui doit permettre à chacun d’exercer un métier différent, compatible avec son âge ou son contexte de santé.
Cela suppose d’encourager des dispositifs de flexisécurité. Madame la ministre, contrairement à ce que l’on entend, votre projet de loi initial apportait au salarié plus d’espoir de sécurité, et donc moins de stress lié à la précarisation qu’entraîne une succession de CDD.
Mme Laurence Cohen. Mieux vaudrait retirer ce projet de loi ! Il est mauvais !
Mme Françoise Gatel. Mes chers collègues, j’ose le dire avec conviction, il n’y a d’entreprise que d’hommes, et nous ne pouvons que regretter le recul qui s’annonce dans votre projet de loi, madame la ministre. Celui-ci, je le crains, ne servira pas les salariés. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche. (MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Jackie Pierre applaudissent.)
Mme Catherine Deroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’impact du travail sur la santé de nos concitoyens a toujours suscité l’intérêt de notre Haute Assemblée, et l’initiative de nos collègues du groupe CRC en témoigne.
C’est ainsi qu’en 2010, Annie David l’a rappelé, notre commission des affaires sociales a constitué une mission d’information sur le mal-être au travail qui a donné lieu à la publication d’un excellent rapport de notre collègue Gérard Dériot.
Certes, depuis 2010, la crise économique a sans doute accentué les difficultés. Néanmoins, les constats restent d’actualité : recherche de la performance à tout prix, isolement croissant des salariés, perte du sens du travail, stress des transports dans les grandes agglomérations, double journée des femmes, facteurs auxquels j’ajouterai une appréciation personnelle, relative à l’impact négatif des 35 heures qui ont désorganisé des services et créé des ruptures dans le travail sources de stress supplémentaire.
Mme Françoise Gatel. Absolument !