Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Monsieur Pellevat, vous avez eu raison de faire observer que nous assistons aujourd’hui à la conjonction de deux phénomènes.
D’une part, des crises sécuritaires et même des guerres, spécialement la guerre en Syrie, provoquent un afflux de réfugiés qui touche d’abord ses voisins – la Turquie compte plus de 2 millions de réfugiés, tandis que la Jordanie et le Liban en comptent chacun 1 million –, puis l’Europe, surtout depuis que les conditions d’accueil dans ces pays se sont dégradées. Des filières d’immigration illégale se sont organisées qui se livrent au trafic de personnes, réalisant, selon FRONTEX et d’autres agences, un chiffre d’affaires gigantesque. Des flux très importants ont ainsi vu le jour, en direction notamment de la Grèce, puis de ce que l’on a appelé la « route des Balkans ».
D’autre part, de nombreux migrants ont afflué vers l’Italie en provenance de la Libye ; ce phénomène a commencé voilà au moins deux ans, bien avant, donc, la crise dont je viens de parler, qui s’est accélérée l’été dernier. De fait, en raison de l’effondrement de l’État libyen, il n’y a plus dans ce pays d’autorité en mesure de contrôler les trafics de personnes. Si certains de ces migrants étaient des réfugiés politiques – je pense en particulier à ceux qui fuyaient la dictature en Érythrée –, nombre d’entre eux étaient des migrants économiques, qui tentaient de passer par la Libye, parce que ce chemin était moins difficile que celui du Maroc, par Ceuta ou Melilla.
Dans ce contexte, nous devons être en mesure de venir en aide aux réfugiés de guerre et à toutes les personnes relevant de la convention de Genève, étant entendu que l’immigration économique, qui est de nature différente, doit emprunter d’autres voies.
Mme la présidente. Il faut songer à conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Dans tous les cas, nous devons organiser le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne et les hotspots, lutter contre les filières de l’immigration illégale et encadrer l’accueil et les migrations par des voies légales.
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je regrette de devoir veiller aussi sévèrement au respect des temps de parole, mais c’est le seul moyen pour que tous ceux qui en ont exprimé le souhait puissent prendre la parole.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Je tiens avant tout à assurer de notre solidarité la population d’Ankara, qui vient d’être frappée par un nouvel attentat meurtrier. (Marques d’approbation sur l’ensemble des travées.)
L’Europe d’aujourd’hui me semble terrassée par ses fantasmes et menacée de mourir de ses peurs. Un espace de plus d’un demi-milliard d’habitants, qui n’a pas reçu plus d’un million de réfugiés, paraît plus tétanisé par cette perspective que la Turquie, où l’on dénombre plus de 2,5 millions de réfugiés, le Liban, qui en compte plus de 2 millions pour moins de 5 millions d’habitants, ou la Jordanie, qui abrite, à elle seule, deux fois plus de réfugiés que toute l’Union européenne ! Telle est, mes chers collègues, la réalité de la situation.
Aussi bien, lorsque nous faisons la leçon à ces pays-là, nous sommes absolument ridicules ! Comment pouvons-nous, un jour, demander à la Turquie d’ouvrir ses frontières, parce que les bombardements russes font des victimes par centaines et des réfugiés par dizaines de milliers, et, le lendemain, réclamer qu’elle soit sérieuse et qu’elle cesse de nous envoyer des migrants, parce que nous serions à bout ? Comment voulez-vous que nous soyons pris au sérieux par nos interlocuteurs ?
L’Europe doit aussi prendre en compte la situation intérieure en Turquie, un pays en état de quasi-guerre civile dans sa partie sud-est, un pays où la liberté d’expression est fortement remise en cause et qui, partant, ne peut pas être considéré comme un pays d’origine sûr.
Dans ces conditions, comment garantir que l’asile demeure vraiment un droit individuel ?
Mme la présidente. Il vous faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. Comment éviter que la Grèce, déjà en butte à de nombreux problèmes, ne devienne un camp si ses frontières septentrionales se bloquent ?
Mme la présidente. Monsieur Leconte, veuillez conclure maintenant.
M. Jean-Yves Leconte. Comment faire preuve de solidarité à l’égard de la Turquie, de la Jordanie et du Liban ? Il faut ouvrir la voie à la relocalisation des réfugiés…
Mme la présidente. Mon cher collègue, je suis désolée de vous interrompre, mais j’y suis obligée, si nous voulons mener ce débat à son terme.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Je veux exprimer, au nom du Gouvernement, la solidarité de la France à l’égard de la Turquie et de la population d’Ankara, qui viennent, comme vous l’avez signalé, monsieur Leconte, d’être frappées par un terrible attentat terroriste.
La Turquie est aujourd’hui le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés de la guerre syrienne. Le plan d’action négocié en novembre dernier entre la Turquie et l’Union européenne vise, entre autres objectifs, à soutenir ce pays dans l’accueil des réfugiés. Dans ce cadre, un fonds de 3 milliards d’euros a été mis à la disposition de la Turquie pour faciliter l’accueil des réfugiés. Nous avons demandé à la Turquie de faire en sorte que les réfugiés syriens présents sur son sol, et qui devront probablement y rester un certain temps vu que la crise syrienne n’est pas résolue, puissent travailler et leurs enfants être scolarisés ; c’est aussi à cela que doit servir le plan d’aide.
En contrepartie, la Turquie a demandé que son partenariat avec l’Union européenne soit davantage reconnu, que de nouveaux chapitres des négociations d’adhésion soient ouverts – ce qui, je le rappelle, ne préjuge pas de l’issue du processus –, qu’une discussion entamée voilà très longtemps en vue de la libéralisation des visas puisse progresser, même si des critères que j’ai mentionnés tout à l’heure doivent être appliqués, et que nous la soutenions dans sa lutte contre les filières de l’immigration illégale ; c’est dans ce cadre que, comme je l’ai annoncé tout à l’heure, l’OTAN contribuera à identifier les bateaux de passeurs se trouvant dans les eaux territoriales turques.
Oui, nous devons avoir du respect pour l’effort accompli par la Turquie en matière d’accueil des réfugiés ; en même temps, il faut que ce pays respecte les engagements qu’il a pris vis-à-vis de l’Union européenne, parce que c’est le seul moyen de répondre à la crise actuelle et de ne pas alimenter les filières de traite d’êtres humains.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. J’ai écouté bien sagement les propos qui ont été tenus jusqu’ici, touchant notamment aux problèmes institutionnels. Je comprends que ce débat soit important, mais, pendant que nous parlons, des personnes continuent de mourir au Yémen – plus de 6 000 ont déjà été tuées – et des Kurdes d’être massacrés, sans parler des noyades en Méditerranée.
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez décrit une Europe forte, déterminée et solidaire, mais la réalité me semble un peu plus difficile. Comme le disait le doyen Vedel, le plan parle à l’indicatif présent ou futur, parfois au conditionnel, jamais à l’impératif ! Quand donc l’Union européenne, que vous présentez comme tellement forte et déterminée, se décidera-t-elle enfin à employer l’impératif et à intervenir pour arrêter les massacres au Yémen ? (Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Loïc Hervé applaudissent, de même que Mme Colette Mélot et M. André Reichardt.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Madame Goulet, la situation humanitaire au Yémen est en effet dramatique. D’après les évaluations de l’Union européenne, 80 % de la population a besoin d’assistance humanitaire.
Nous encouragerons donc particulièrement la Haute Représentante pour la politique étrangère et de sécurité commune et le commissaire chargé de l’aide humanitaire à prendre fermement position en faveur du respect du droit international humanitaire par les parties au conflit ; en particulier, celles-ci ne doivent pas entraver l’accès aux populations à des fins humanitaires. Nous demandons également l’arrêt des attaques indiscriminées contre les civils, en particulier des bombardements contre les hôpitaux et les autres équipements médicaux.
Par ailleurs, l’Union européenne a décidé de verser une aide humanitaire, tournée notamment vers la santé et la nutrition ; peut-être cette aide, d’un montant de 200 millions d’euros en 2015, devra-t-elle être accrue.
Au plan politique, nous devons continuer à apporter tout notre soutien à la médiation des Nations unies en vue d’une solution sur le fondement de la résolution 2216 du Conseil de sécurité et inviter les parties au conflit comme les partenaires régionaux, dont le rôle est très important, à agir dans le même sens. Les pourparlers ayant été interrompus, une nouvelle session devra être rapidement organisée. Tel est le sens des conclusions du conseil Affaires étrangères, qui a traité de cette question à la fin de l’année dernière.
Madame la sénatrice, vous avez eu raison d’insister sur cette guerre, l’une des plus graves et des plus meurtrières à l’heure actuelle. Elle se déroule plus loin de nous que la guerre en Syrie, mais, en définitive, dans la même région, aujourd’hui menacée de basculer sur fond de conflits potentiels entre l’Arabie saoudite et l’Iran, entre sunnites et chiites. En vérité, l’Union européenne doit faire du règlement de l’ensemble des conflits dans la péninsule arabique et au Moyen-Orient l’une des priorités de sa politique étrangère.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. L’Europe est une grande famille, même si les liens entre ses membres sont inégalement étroits. Or une grande famille ne peut pas ne pas se préoccuper de la façon dont vivent et se comportent ses voisins, ainsi que des problèmes qu’ils rencontrent.
Le cas de la Turquie a déjà été largement abordé ; je ne reviendrai pas sur le problème des réfugiés, à propos duquel M. le secrétaire d’État s’est exprimé, mais je vous ferai part de deux préoccupations que m’inspire ce grand voisin.
La première de mes préoccupations touche au respect des droits de l’homme. Selon Reporters sans frontières, plus de quarante journalistes sont aujourd’hui derrière les barreaux en Turquie.
Ma seconde préoccupation tient au mauvais traitement – c’est le moins que l’on puisse dire – réservé au peuple kurde par le pouvoir de M. Erdogan. (Mme Sylvie Goy-Chavent opine.)
Face à cette situation préoccupante, l’Union européenne a une responsabilité particulière. Monsieur le secrétaire d’État, que compte faire la France pour que l’Europe ne reste pas muette devant certains comportements de la Turquie ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe Les Républicains. – M. David Rachline applaudit également.)
M. André Reichardt. En effet, c’est un vrai problème !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Monsieur Abate, dans le dialogue que nous entretenons avec la Turquie, les questions des droits de l’homme, de l’État de droit et du respect des droits des Kurdes ont toujours été abordées et considérées comme tout à fait essentielles. L’importance que nous leur accordons est l’une des raisons pour lesquelles la France est favorable à l’ouverture des chapitres 23 et 24 des négociations d’adhésion, qui portent de façon générale sur les droits de l’homme, l’État de droit, le fonctionnement du système judiciaire et les libertés fondamentales.
Cette ouverture, je le répète, ne préjugerait en rien de l’issue des négociations ; simplement, dès lors que la Turquie et l’Union européenne ont la volonté commune d’intensifier leur relation de partenariat, celle-ci doit porter sur l’ensemble des sujets : la façon dont nous faisons face ensemble aux grandes crises internationales et aux guerres, la question des réfugiés et, évidemment, notre coopération économique, qui est très importante – je vous rappelle qu’une union douanière existe entre l’Union européenne et la Turquie –, mais aussi les valeurs que nous pouvons avoir en commun, lesquelles ne sont en aucune façon un sujet tabou.
En particulier, nous pensons que, dans le sud-est de la Turquie, aujourd’hui dans une situation de quasi-guerre, il est nécessaire que reprenne un dialogue politique avec les Kurdes en vue d’un traitement pacifique des problèmes. Nous condamnons évidemment le terrorisme et le PKK, qui est une organisation terroriste, mais la Turquie doit trouver les voies d’un dialogue avec ses populations kurdes, lesquelles ont élu de façon démocratique des parlementaires qui participent à la vie politique turque, afin de restaurer la paix civile, en particulier dans le sud-est du pays.
Mme la présidente. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe. Monsieur le secrétaire d’État, comme l’a dit mon collègue Jean-Claude Requier, on peut effectivement se féliciter des avancées de l’Union européenne sur la gestion de la question migratoire, et notamment sur le contrôle des frontières en Grèce et en Italie, ainsi que de la solidarité indispensable dont font preuve les pays européens concernant les hotspots.
On peut également se féliciter de la mobilisation nationale en faveur de l’accueil des migrants et, plus particulièrement, de celle des maires qui ont joué le jeu, quelles que soient leurs origines partisanes. (M. David Rachline s’exclame.)
En revanche, monsieur le secrétaire d’État, où en est-on de la répartition des migrants à accueillir entre les différents pays européens ? Quelles sont les projections en la matière ?
Toujours dans le même esprit, on peut se féliciter de l’engagement financier de l’Union européenne pour aider la population syrienne en Syrie. C’est bien au Moyen-Orient que se trouvent les solutions pour tarir les flux de migrants, car ces derniers préféreraient évidemment continuer de vivre dans leur pays plutôt que de s’exiler.
Quid de la coopération européenne concernant le conflit en Syrie, conflit dans lequel la France prend certes sa part, mais peut-être encore un peu seule ? C’est bien l’Europe qui peut et doit peser à cet échelon ! Au-delà même de son engagement solidaire dans l’accueil des migrants et de l’intérêt qu’elle a à participer au règlement du conflit pour préserver son existence, l’Union européenne se doit de montrer à la fois son poids et sa force politique pour parvenir non seulement à faire face à la montée des nationalismes dans les pays européens, mais aussi à faire face à l’euroscepticisme ambiant. Ce dernier participe en effet au désespoir de nos populations…
M. David Rachline. Légitime !
Mme Hermeline Malherbe. … et les pousse à se replier sur elles-mêmes.
Enfin, même si ces sujets sont complexes, il faut des réponses claires et simples pour la compréhension de chacun.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Madame Malherbe, tout d’abord, le programme de relocalisation doit être respecté, car des engagements ont été pris. Il s’agit de faire en sorte qu’une partie des réfugiés situés dans les hotspots en Grèce et en Italie et reconnus comme relevant de la protection internationale puissent ensuite être accueillis d’une façon solidaire dans l’ensemble de l’Union européenne.
Vous le savez, l’objectif fixé est d’accueillir 160 000 réfugiés en Europe au cours des deux prochaines années. Cependant, les procédures ont pris beaucoup de retard et moins de 500 relocalisations ont eu lieu jusqu’à présent.
Même si la France est le deuxième pays en matière d’accueil des réfugiés, il faut que nous allions beaucoup plus loin, maintenant que ces hotspots commencent à être mis en place, et que nous agissions surtout plus rapidement, parce que la Grèce et l’Italie considèrent évidemment que c’est une contrepartie au fait qu’elles procèdent à l’enregistrement scrupuleux de l’ensemble des personnes qui arrivent. On ne peut pas considérer ces pays comme l’endroit où resteront tous ceux qui se voient accorder une situation de réfugié. En effet, les réfugiés viennent en Europe, ils ne viennent pas spécifiquement en Grèce ou en Italie.
De notre côté, nous avons envoyé des fonctionnaires de l’OFPRA, de la police aux frontières, et expédié du matériel. Nous avons notamment fait en sorte que les documents d’identité et les passeports fassent l’objet d’une vérification très précise. Il faut lutter contre la fraude documentaire parce que, comme vous le savez, des milliers de passeports ont été saisis par l’État islamique en Irak et en Syrie et qu’il faut en conséquence vérifier que ces passeports ne sont pas utilisés par des terroristes ou des combattants étrangers. À ce titre, nous allons prochainement envoyer une nouvelle mission.
Par ailleurs, comme les autres États membres de l’Union européenne, nous accueillerons tous ceux que nous avons prévu d’accueillir. Comme vous le savez, la France s’est engagée à accueillir 30 000 personnes dans le cadre de la répartition des réfugiés.
Concernant la Syrie, je vous rappelle que le ministre des affaires étrangères s’est exprimé sur le sujet. Nous voulons évidemment l’arrêt des bombardements contre les populations civiles et le respect d’un accord politique qui permette la fin de cette guerre.
Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Même si on y est habitué, ce qui est extraordinaire avec vous tous, c’est que vous ne vous remettez jamais en question ! Pourtant, rien ne fonctionne et c’est la crise depuis maintenant plusieurs décennies !
Une crise agricole majeure traverse notre pays ? Il faut continuer comme cela ! La concurrence déloyale avec l’Allemagne et l’Espagne ? Ce n’est pas la faute de l’Union européenne. L’embargo russe ? On ne peut rien y faire, il faut continuer comme avant, même si nos agriculteurs en crèvent ! L’asphyxie fiscale de nos agriculteurs à cause de l’Union européenne qui nous empêche de soutenir un certain nombre de secteurs économiques stratégiques pour notre pays ? Pas de problème, continuons ainsi ! On va même aller plus loin en signant un traité transatlantique qui va nous mettre en concurrence directe avec les grandes productions américaines !
La crise migratoire ? Pas de problème, continuons comme avant. On a déjà supprimé les frontières intérieures, on supprime désormais les frontières extérieures ! L’Europe est une véritable passoire, tout le monde y entre comme il le veut ? Pas de problèmes, il faut continuer comme ça ! Schengen ? Ne faisons rien surtout, ne réformons pas ! Ce n’est pas un problème.
Il en va de même dans tous les domaines. Ainsi, sur la crise économique et financière, on constate une absence totale de patriotisme économique, mais ce n’est pas grave ! Continuons avec la concurrence libre et non faussée, la concurrence déloyale érigée en règle suprême, alors même qu’elle produit un chômage de masse !
Et la politique monétaire catastrophique que nous connaissons ? Ne changeons rien surtout, ne remettons pas en cause l’euro, pardi ! Cela fonctionne tellement bien !
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous parlez du rôle des parlements nationaux. Vous nous dites en permanence qu’il doit être renforcé. Pourtant, 80 % des lois votées aujourd’hui transposent des directives européennes en droit français et la souveraineté politique de notre pays n’a jamais été aussi affaiblie dans les faits !
Bref, cela vaut dans tous les domaines. Et encore, je passe sur la politique étrangère catastrophique de notre pays ! Elle est presque inexistante et, quand elle existe,…
Mme la présidente. Veuillez conclure !
M. David Rachline. … c’est pour soutenir le Front al-Nosra qui, selon notre ancien ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, fait du bon boulot !
Alors, je dis oui au référendum en Angleterre bien sûr, et même – pourquoi pas – oui à un référendum en France…
Mme la présidente. Mon cher collègue, votre temps de parole est écoulé !
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Monsieur Rachline, tout d’abord, je ne pense pas que l’on fera avancer le débat en caricaturant, en utilisant des citations tronquées …
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. … et en faisant croire qu’il est possible d’apporter des réponses simples sans d’ailleurs faire aucune proposition.
S’agissant de Schengen, nous sommes en train de réformer en ce moment même le fonctionnement de la zone. Nous sommes précisément en train de réformer le code frontières Schengen et de demander – nous en avons d’ailleurs obtenu le principe – la mise en place de gardes-frontières européens.
S’agissant de la zone euro, nous avons voulu tirer les leçons de la crise en mettant en place l’Union bancaire et le Mécanisme européen de stabilité, qui ont tout de même permis d’éviter que la Grèce ne s’effondre et ne soit expulsée de la zone euro.
S’agissant de la crise agricole, j’ai déjà évoqué tout à l’heure l’ensemble des propositions que nous avons faites.
Sur tous ces points, nous ne versons pas du tout dans l’autosatisfaction. En revanche, pour trouver des réponses, nous sommes absolument persuadés qu’il faut des politiques plus coopératives entre les États de l’Union européenne et qu’il faut renforcer les éléments de notre solidarité.
Peut-être le pensez-vous de votre côté, monsieur Rachline, mais nous ne croyons pas qu’il puisse exister vingt-huit réponses différentes à la crise syrienne ! Nous ne croyons pas non plus qu’il puisse exister vingt-huit réponses différentes à la crise agricole, qui résulte en vérité d’une crise internationale des marchés. Ce n’est au contraire que dans la mesure où il y aura une politique européenne renforcée que nous pourrons soutenir nos agriculteurs !
M. David Rachline. Il n’y en a pas !
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Nous travaillons donc à renforcer l’Union européenne. Nous sommes convaincus que c’est par la solidarité et non par le repli nationaliste ou par la démagogie que l’on apportera des réponses ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Le trait d’union entre les deux sujets à l’ordre du jour du Conseil européen des 18 et 19 février 2016, à savoir la place du Royaume-Uni dans l’Union européenne et la crise migratoire, se trouve depuis plusieurs années dans la région de Calais.
Le Royaume-Uni n’a pas souhaité devenir membre de l’espace Schengen. Il s’agit d’une décision souveraine que l’on ne saurait lui reprocher. Pourtant, en matière migratoire, ce pays se repose totalement sur sa coopération avec la France, si bien que notre pays doit gérer sur son territoire des flux de populations qui n’ont d’autre souhait que de rejoindre la Grande-Bretagne. En somme, il s’agit du « meilleur des deux mondes » pour reprendre une expression chère à David Cameron.
Récemment, le Premier ministre britannique a par ailleurs établi un lien direct entre la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et l’éventualité d’une dénonciation par la France des accords du Touquet. Bien sûr, cette déclaration répondait avant tout à des fins de politique intérieure. En réalité, les deux questions sont totalement séparées. On ne peut prêter à la France ni la volonté d’exercer un chantage pour retenir les Britanniques en Europe ni celle de les punir en cas de départ.
Toutefois, les propos de David Cameron, selon lequel cette situation permettrait à « des milliers de migrants de traverser la Manche en une nuit pour venir demander asile dans le Kent », sonnent comme un aveu. Dans un contexte où la pression migratoire s’est considérablement accrue ces dernières années, il reconnaît ainsi que les accords du Touquet ont créé de fait une situation profondément déséquilibrée dans laquelle la France assume seule les conséquences de la crise.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : Brexit ou pas, le Gouvernement compte-t-il s’engager dans la voie d’une renégociation des accords du Touquet pour les adapter à la nouvelle réalité migratoire et pour faire en sorte que le Royaume-Uni prenne toute sa part aux efforts qu’elle impose ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Madame Gruny, les accords du Touquet ont fait l’objet de réaménagements au fur et à mesure que la situation à Calais devenait plus difficile. Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a rencontré à plusieurs reprises son homologue, Mme Theresa May, pour que le Royaume-Uni assure une part plus importante de la sécurisation du tunnel ainsi que du port de Calais, et que des personnels britanniques puissent être sur place à Calais, dans la mesure où c’est dans cette ville qu’a lieu le contrôle britannique aux frontières. Lors d’une visite avec le Premier ministre et le ministre de l’intérieur, j’ai moi-même pu voir le travail accompli par ces agents britanniques. Le Royaume-Uni contribue donc à la fois sur le plan financier et sur le plan humain à sécuriser la situation à Calais.
Remettre en cause des accords qui ont été longuement négociés et qui, même s’ils ont été sans doute insatisfaisants dans leur première version, ont été améliorés au cours des derniers mois ne serait pas une bonne réponse. Nous ne pouvons pas déclarer que nous allons laisser les migrants passer dans le tunnel, ou les laisser risquer leur vie en montant sur des trains ou sur des camions, en sachant qu’ils ne seront de toute façon pas accueillis en Grande-Bretagne.
Nous faisons en sorte qu’un traitement différent soit proposé aux réfugiés ou aux migrants se trouvant à Calais. S’ils peuvent relever du droit d’asile, ils doivent faire leur demande d’asile en France. C’est ce que l’OFPRA a mis en œuvre et c’est ce qui permet à un certain nombre de ces réfugiés de se rendre ensuite dans d’autres régions françaises où sont traitées leurs demandes d’asile.
Ceux qui n’ont pas le droit de rester en France doivent en revanche faire l’objet de reconduites à la frontière. Seulement, pour cela, il faut qu’existent des accords de réadmission avec leur pays d’origine et, en tout état de cause, cela ne peut se faire qu’en maintenant notre partenariat avec la Grande-Bretagne.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais vous livrer mes sentiments mitigés sur le Brexit. Quelle curieuse négociation, si l’on peut réellement parler de négociation ! Après tout, nous ne demandons rien et n’avons rien à donner aux Britanniques ! Ce sont eux qui demandent quelque chose !
Pourtant, nous abordons cette négociation avec un bras dans le dos, puisque nous déclarons que le plus important est que le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne. Autrement dit, nous disons clairement aux Britanniques que nous accepterons les quatre ou cinq conditions qu’ils ont posées.
On peut donc avoir le sentiment que tout est joué d’avance et qu’il y aura un accord dans quelques jours. Bien sûr, je comprends l’argument selon lequel la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne serait un mauvais message, mais enfin, il n’y a pas de négociation ! En tous les cas, je n’en ai pas l’impression.
Que ferons-nous dans la soirée du 23 juin prochain, si c’est bien la date du référendum ? Allons-nous allumer des lampions, tirer des feux d’artifice et nous en féliciter ? Où serons-nous dans l’accablement ? En ce qui me concerne, ce serait plutôt la deuxième solution.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est donc la suivante : en regardant davantage vers l’avenir, ne pourrions-nous pas imaginer que la France, qui est l’un des États fondateurs de l’Union européenne, prenne l’initiative de refonder en quelque sorte une union plus restreinte avec les seuls États qui veulent aller de l’avant ? Au fond, nous aurions ainsi le système des deux cercles concentriques que le Président de la République François Mitterrand avait esquissé en son temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)