M. Robert del Picchia. Le chef de l’État a indiqué que la France veut montrer qu’elle n’est pas simplement « le soutien aux forces africaines qui doivent assurer la sécurité du continent », et l’on ne peut que l’approuver. Signalons au passage que notre pays finance pour plus de 100 millions d'euros la force de l’ONU en République démocratique du Congo.
Mes chers collègues, nous ne contestons pas ces chiffres ni ces aides, certes justifiées. Toutefois, ces chiffres doivent être gardés en mémoire, en vue de ma présentation ultérieure d’amendements visant l’aide à l’enseignement destiné aux enfants de familles françaises résidant à l’étranger.
Monsieur le secrétaire d'État, j’ai soutenu votre politique lors des votes et par des déclarations au sein de la précédente commission des affaires étrangères, présidée par Jean-Louis Carrère. Je soutiens et je soutiendrai la politique étrangère de la France étroitement liée, en cette période extrêmement difficile, à sa politique de défense. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées se comporte de façon pleinement responsable dans ce soutien. Elle le fait, sous la direction de Jean-Pierre Raffarin, de façon très honnête et, j’ose dire, mes chers collègues, intelligente.
Toutefois, si j’approuve tout ou presque, j’ai des réserves sur les crédits dédiés aux Français de l’étranger, monsieur le secrétaire d'État.
Oui, il existe des difficultés un peu partout, des impasses budgétaires, on fait ce qu’on peut. Cependant, le réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, est, sans jeu de mots, l’atout maître de notre rayonnement. C’est un réseau exceptionnel qui, malgré les difficultés rencontrées, fonctionne au mieux grâce à sa direction générale, ses proviseurs, ses directeurs et ses professeurs dans nos écoles à travers le monde. On sous-estime son incidence. Les écoles de l’AEFE sont en outre les seules quasi obligatoires pour les enfants français à l’étranger.
Je sais que nous sommes à un tournant ; des personnes, qui sont certainement compétentes, réfléchissent à des transformations du réseau. Alors oui, il convient d’améliorer celui-ci, mais il faut faire attention à son devenir. La concurrence internationale existe.
Faut-il créer, comme l’avancent certains, une trente-deuxième académie, celle des Français de l’étranger ou, faute de moyens suffisants, laisser glisser l’AEFE vers un système d’enseignement totalement privé, que l’État financerait de moins en moins ? Le réseau prendrait alors une tout autre forme, connaîtrait des difficultés, et le rayonnement de la France et son influence disparaîtraient peu à peu. Ne devrait-on pas plutôt consolider l’Agence et lui donner les moyens de faire face à ces transformations ?
Je soulignerai simplement deux points. Premièrement, le coût pour l’État de la scolarité d’un enfant dans un établissement d’enseignement français à l’étranger est moins élevé que celui de la scolarité d’un enfant dans un lycée en France. Deuxièmement, seul un tiers des enfants français à l’étranger est scolarisé dans nos écoles ; un tiers n’y est pas inscrit par choix personnel des parents ou en raison de l’éloignement, mais un autre tiers, et c’est plus grave, ne l’est pas pour des raisons financières, les frais de scolarité étant trop élevés.
Voilà pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, autant je soutiens votre politique étrangère, autant je m’insurge contre votre politique budgétaire envers l’Agence ! La diminution de 14 millions d'euros cette année du budget de l’AEFE me paraît être une erreur. Pis, la réduction de 10 millions d'euros pour ce qui concerne les bourses scolaires constitue une faute envers les Français à l’étranger.
Je connais les arguments : les crédits n’ayant pas été dépensés, il était logique de les supprimer. Je comprends très bien le fonctionnaire qui a agi ainsi, nous aurions procédé de la même façon. Toutefois, si le dispositif ne fonctionne pas, monsieur le secrétaire d'État, le ministère aura failli à sa mission. Alors, on pourra vraiment s’engager vers une modification du système et une prise en charge du budget des bourses scolaires par l’éducation nationale, dont c’est finalement le métier. On peut d'ailleurs se demander pourquoi tel n’est pas déjà le cas ! Le ministère de l’éducation nationale pourrait facilement s’en charger, on me l’a assuré clairement.
Dès lors, on ne baisserait pas les crédits de 10 millions d'euros. Ce budget de 115 millions d'euros serait conservé. Il devrait être sanctuarisé, au moins pour cette année et pour l’année prochaine. J’espère que nous ne serons pas obligés d’en arriver là, monsieur le secrétaire d’État, et que les amendements que je présenterai seront adoptés. Je vous demande peu, et j’espère que nous serons tous suffisamment sages pour accepter de rectifier le budget alloué aux bourses. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en ce début de XXIe siècle, tous les pays prennent conscience que les affaires étrangères sont intimement liées aux affaires intérieures. Les partis populistes qui veulent instaurer des barrières partout ne gagneront jamais contre ce mouvement inhérent à l’homme de découverte de territoires nouveaux qui nous a amenés dans l’espace lorsque nous avons enfin réalisé que le monde était un et connecté. La France l’a compris et s’est naturellement inscrite dans la mondialisation grâce à ses valeurs universelles et à une politique d’action extérieure ambitieuse, parce qu’elle aspire à rester un grand pays qui, malgré sa taille modeste, est attendu et entendu sur la scène internationale.
La France joue aujourd’hui pleinement son rôle dans la lutte contre le dérèglement climatique en organisant la COP 21 à Paris et en votant la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Elle demeure présente partout en assumant l’universalité de son réseau diplomatique, tout en l’adaptant au type de présence nécessaire : consulaire, si de nombreux Français sont présents, économique, culturel ou simplement politique. Elle soutient la francophonie grâce à ses écoles et lycées, son programme FLAM, ses instituts et alliances françaises, et promeut ainsi nos valeurs au-delà de la langue. Elle coordonne efficacement son action militaire et diplomatique, afin de concilier les besoins sécuritaires de nos emprises et de nos communautés, ainsi que les relations politiques avec les autorités locales. Elle participe aux négociations internationales pour assurer la paix et la stabilité dans le monde. Enfin, elle demeure l’un des plus gros contributeurs à l’aide au développement et accompagne la résolution des crises humanitaires.
Dans l’Union européenne, la France est force de propositions en matière de régulation économique pour rechercher des solutions à l’évasion fiscale, au dumping social, aux crises financières.
Nous l’avons tous compris, les décisions prises à l’échelon international en matière de climat, de sécurité, de culture, d’éducation, d’économie affectent directement notre vie quotidienne. Alors, nous n’avons pas le choix. Si nous désirons rester maîtres de nos destins, nous devons être présents, prendre part au processus décisionnel et tenir notre place. C’est le choix politique qui est fait depuis plusieurs décennies. Il n’est pas aisé, dans le contexte budgétaire actuel, d’assurer cette présence. Nous avons besoin de moyens, mais nous ne les avons plus. Alors, il nous reste notre capacité d’invention et de réforme pour nous adapter aux évolutions rapides du monde, tout en continuant à assurer un service public de qualité.
Le budget pour 2016 est « économe », pour reprendre le terme de Laurent Fabius, et participe du redressement des finances publiques. Il est cependant regrettable que le ministère au plus petit budget continue à être soumis au même régime que les autres. Cela l’oblige à être plus créatif et certainement plus rapide pour répondre aux défis qui se présentent à nous.
Le premier défi à relever est celui d’une France dotée d’une diplomatie globale couvrant l’ensemble des domaines de l’action extérieure, dont les effectifs et les moyens ont diminué, jusqu’alors, chaque année. Pour 2016, le budget de la mission « Action extérieure de l’État » est stable. Il reste donc les réformes. Elles sont nombreuses depuis 2012.
Après la révision générale des politiques publiques, ou RGPP, dont les coupes dramatiques ont affecté l’ensemble des programmes, une différenciation des postes en fonction des priorités et des besoins locaux a été mise en place. Ainsi, les moyens ont été progressivement réorientés vers les pays émergents et la cartographie du réseau a été graduellement adaptée aux intérêts de la France.
L’élargissement du périmètre du ministère des affaires étrangères au commerce extérieur et à la promotion du tourisme participe de la volonté de rassembler l’ensemble des acteurs qui œuvrent pour la diplomatie économique. Le regroupement de ceux-ci est très vite devenu une nécessité pour qu’ils travaillent sur des objectifs communs, tout en leur donnant plus de visibilité pour être encore plus performants. L’adossement de l’Agence française de développement à la Caisse des dépôts et consignations est d’ailleurs un autre exemple de cette volonté de créer de nouvelles entités plus concurrentielles. Enfin, une meilleure exploitation des potentialités numériques a progressivement introduit la dématérialisation des démarches et rendu plus accessibles les services consulaires, comme l’a rappelé Marie-Françoise Perol-Dumont.
Néanmoins, aucun de ces changements n’aurait été réalisé sans le dévouement, la compétence et le sens du service public des agents du ministère qui acceptent la modification constante de leurs conditions de travail. Cette maison, que j’ai appris à connaître, n’a de cesse de se transformer, de s’adapter, de se moderniser. Les agents recrutés localement sont particulièrement précieux dans un dispositif auquel ils apportent la mémoire du poste. Leur travail mérite d’être salué tout autant que celui des agents souscrivant à la mobilité.
Je souhaite cependant vous interroger, monsieur le secrétaire d'État, sur le périmètre d’intervention de nos services consulaires. Le financement des postes est sous tension, alors que le nombre de Français résidant ou séjournant temporairement à l’étranger augmente chaque année. La palette des services proposés par nos consulats est bien plus large que celle qui est offerte par les consulats des autres pays.
Il me semble que nous pouvons difficilement nous inscrire pleinement dans le multilatéralisme tout en maintenant cette singularité propre à notre pays. Je ne suggère pas de diminuer nos missions, à l’exception peut-être de l’exercice des compétences notariales hors de l’Union européenne ; je pense plutôt à la prise en charge de certaines missions par d’autres ministères ou au partage de certaines compétences avec d’autres pays. Je souhaite savoir si ces options sont envisagées, afin de soulager les équipes consulaires et de leur permettre de se concentrer sur les missions prioritaires.
Le second défi à relever est celui de notre diplomatie de rayonnement culturel. Il est utile de souligner que le renforcement de la langue française dans le monde constitue une priorité aux yeux de tous. Les pays francophones représentent 16 % du PIB mondial et connaissent un taux de croissance de 7 %. Quels moyens entendez-vous déployer, monsieur le secrétaire d'État, pour développer une véritable francophonie économique ?
La culture et l’éducation sont des instruments de rayonnement qui consolident et démultiplient notre influence dans le monde. L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger mérite notre soutien. La préservation de ses crédits aurait constitué un signal fort et aurait permis son inscription dans la priorité nationale donnée à la jeunesse. Je n’en dirai pas plus, les collègues qui m’ont précédée étant suffisamment intervenus sur ce thème.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il existe indéniablement une présence physique de nos réseaux diplomatique, consulaire, économique, éducatif et culturel, mais notre véritable force est humaine. Près de 3 millions de nos compatriotes sont établis outre-frontières ; ils restent très attachés à la France et sont les spectateurs privilégiés de la mondialisation.
Si nous étions capables de synthétiser les intérêts foisonnants et de coordonner les actions extérieures dans le sens d’une plus grande efficacité globale pour la défense des intérêts de notre pays, ce serait une victoire collective pour la France. Je crois que les Français y sont prêts.
Je terminerai mon intervention en partageant trois témoignages, recueillis après les attentats du 13 novembre, et qui émanent de ceux dont l’attachement à la France n’est pas seulement sentimental :
« On se sent loin, seul, mais surtout coupable de ne pas être là, coupable d’être parti. J’ai eu l’impression que j’avais abandonné mon pays, je me suis sentie très égoïste. »
« Quand je vois mon drapeau flotter à l’étranger, ça ne me fait pas le même effet qu’en France. Cela représente les valeurs qui font de nous un pays uni. »
« Cela m’a fait réfléchir à long terme. Avant, je pensais facilement pouvoir faire ma vie en Suède. Maintenant, je commence à me dire que je pourrais rentrer en France. »
Cela étant, je soutiendrai bien entendu le projet de budget que vous présentez, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe-André Frassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai l’honneur de clore cette longue et passionnante discussion générale, mais la tâche s'annonce difficile, car il s’agira d’éviter les redites.
Comme chacun d’entre vous le sait, l’examen des crédits de la présente mission est un rendez-vous important pour les sénateurs représentant les Français de l’étranger.
Je vous rassure, nous sommes conscients que la mission « Action extérieure de l’État » comporte d’autres programmes que le programme 151, dédié aux Français de l’étranger et à l’administration consulaire. Toutefois, je m’y arrêterai un court instant.
À mon tour, je regrette vivement la baisse de 10 millions d’euros des crédits dédiés aux bourses scolaires. Mais ce que je regrette surtout, c’est sa justification et vos explications, monsieur le secrétaire d’État.
Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis, a clairement et brillamment exposé la problématique, que vous qualifiez d’« ajustement ».
Alors que la tendance est à la transparence, je crois qu’il conviendrait de reconnaître que cet « ajustement » résulte non pas d’une non-consommation de crédits, mais, en réalité, d’un effet pervers de la réforme souhaitée par le Président de la République, une réforme qui, contrairement à ce qui était annoncé, ne pallie pas les suppressions de la prise en charge des frais de scolarité.
Certains nous ont expliqué que les demandes seraient en baisse. C’est l’occasion pour moi de rappeler que, d’un point de vue démographique, la communauté des Français établis hors de France se porte bien et qu’elle ne cesse de grandir. En 2014, 1,68 million de personnes étaient inscrites sur les registres, mais les chiffres effectifs avoisinent plutôt les 2,5 millions. Les actes d’état civil témoignent de cette vitalité, et démontrent qu’il y a une véritable intention de s’établir durablement hors de nos frontières.
Pour ma part, je m’en félicite, car ces Français participent pleinement au rayonnement de la France. Ils renvoient une image positive, démontrant que les Français vivent complètement la mondialisation et en tirent le meilleur parti, pour eux-mêmes et pour notre pays.
C’est une expatriation positive et ambitieuse qui tranche avec les mauvaises intentions qu’on lui prête, c’est-à-dire une expatriation fiscale.
Enfin, je veux dire à cette tribune que les Français établis hors de France incarnent une expatriation solidaire et patriote à l’égard de leur pays.
Aussi, je tiens à saluer tous ceux qui, le samedi et le dimanche suivant les attentats, se sont rassemblés pour dire que, peu importe les kilomètres les séparant de la France, leur soutien à la nation est indéfectible.
De la même façon, il ne faut pas oublier que, dans un contexte sécuritaire aussi dégradé, les Français expatriés sont très exposés et qu’ils sont devenus des cibles pour ceux qui désapprouvent la politique étrangère de la France.
J’en viens à mon second regret concernant le programme 105.
Monsieur le secrétaire d’État, nous souhaiterions comprendre. Alors que la France est engagée sur différents théâtres d’opérations pour la résolution de crises et dans la lutte contre le terrorisme, pourquoi les dotations destinées aux missions de la coopération de sécurité et de défense baissent-elles de 4,6 millions d’euros ? Leila Aïchi, rapporteur pour avis, a mis en avant ce point lors de la réunion de la commission des affaires étrangères.
Ne trouvez-vous pas que réduire la coopération relative à la sécurité dans des pays où elle est plus que nécessaire va à l’encontre des objectifs de notre politique étrangère ?
Enfin, et pour conclure, je dirai un mot sur la politique de rationalisation de notre réseau diplomatique.
Je comprends tous les arguments selon lesquels un redéploiement est nécessaire, notamment pour optimiser et développer notre influence. Mais il ne faudrait pas oublier que la force de notre réseau tient aussi à sa garantie de service public de proximité offert à nos concitoyens. Alors, lorsqu’il s’agit de fermer tel ou tel poste consulaire, il serait judicieux d’en appréhender les conséquences pour la communauté française.
Je pense au Paraguay, où je me suis rendu, avec ma collègue Jacky Deromedi, au mois de mai dernier. Certes, la colocalisation avec les services d’action extérieure de l’Union européenne dans ce pays peut être une alternative diplomatique, mais assurons-nous d’abord que le consulat général de Buenos Aires puisse avoir les moyens effectifs de gérer les 1 700 Français d’Assomption. Or nous sommes très loin du compte. Et ce n’est qu’un exemple... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.